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Chapitre 2 L’histoire de la recherche

2. Codicologie du codex Bruce

2.5. Conclusion sur la codicologie et l’ordonnancement des sections

2.5.1. Conclusion sur la codicologie des Livres de Iéou

L’étude de la direction des fibres de papyrus et le témoignage de Woide nous portent à croire que l’essentiel des « Livres de Iéou » faisait partie d’un manuscrit à un seul cahier. Voici comment on peut placer les sections qui restent, sans pour l’instant parler du nombre de pages qui peut manquer entre celles-ci. En premier lieu figureraient les pages 35 à 38 de Schmidt, c’est-à-dire l’hymne qui célèbre l’établissement des éons cinq à treize par IÉOU et le mystère primordial. Puis viendrait la longue séquence des pages 39 à 86, qui contiennent la traversée des trésors cinquante-quatre à soixante, le titre, les sacrements et la traversée des éons. Nous aurions, aux pages 64 et 65, le milieu du cahier. Nous plaçons

après ces pages, les pages 5 à 34, à savoir la description des trésors un à vingt-huit et leurs représentations. Dans le cas des diagrammes, le témoignage de Woide viendrait confirmer cet ordonnancement. Si on retient l’hypothèse d’un seul cahier, comme nous le faisons, les deux versions de l’introduction ne pourraient appartenir aux « Livres de Iéou ». En raison de la direction de ses fibres (→ ↓ → ↓), la première version (p. 1-4) pourrait peut-être être celle d’un court traité se trouvant après les « Livres de Iéou », comme elle pourrait aussi provenir d’un autre manuscrit. Quant à la seconde version (p. 1a-4a), la direction de ses fibres → ↓ ↓ → nous portent plutôt à croire qu’elle proviendrait d’un manuscrit distinct. L’une ou l’autre de ces introductions aurait pu être précédée du folio où figurent une croix et des monogrammes grecs. Étant donné la nature singulière des pages 88 et 87, que ce soit du point de vue de la langue ou de la paléographie323, nous devons également les retirer des « Livres des Iéou » et postuler qu’elles proviennent d’un autre manuscrit.

Pour ce qui est des pages qui auraient été perdues entre ces sections, il nous manquerait, bien évidemment, le début du traité, dont on ne peut déterminer le contenu. Dans un contexte que nous ignorons, le narrateur se met à célébrer IÉOU et le mystère primordial pour l’établissement des treize éons. Pour faire le pont entre le début du traité et la page 35, nous savons qu’il manque au moins un folio (deux pages), qui célèbrerait l’établissement des éons un à quatre, puisque les pages 35 à 38 ont conservé l’hymne pour les éons cinq à treize. Le pont entre les pages 38 et 39 est pour sa part plus difficile à estimer. En effet, la page 39 nous plonge abruptement dans un récit qui semble durer depuis un bon moment. Jésus et ses disciples, en pleine traversée des trésors, finissent de franchir le cinquante-quatrième. Si les disciples passaient par les soixante trésors, et nous ne voyons pas de raison d’en douter, il manquerait donc la description de la traversée des trésors un à cinquante-trois et le début de la traversée du cinquante-quatrième. La description de la traversée d’un trésor par Jésus, si elle ne contient pas d’excursus, prend entre 13 et 16 lignes (moy. 15 lignes). Les pages où il y est question de cette traversée (p. 39-43) comptent entre 29 et 32 lignes par page (moy. 31 lignes). Si on on transpose ces données aux pages disparues, on arrive à la conclusion qu’il manquerait au moins 26 pages pour la description de la traversée des trésors un à cinquante-quatre. À ces 26 pages, on peut

prudemment ajouter quelques pages qui tiendraient compte des apartées de Jésus324. Il se peut d’ailleurs que l’hymne des pages 35 à 38 ait fait partie d’un de ces excursus de Jésus et n’ait été séparé de la page 39 que par un ou deux folios. Cela serait peut-être plus vraisemblable que de supposer que quatre pages du début du traité auraient survécu ainsi isolées. On pourrait ainsi parler de façon prudente de la disparition d’au moins 25/30 pages entre les pages 35/39, dans lesquelles serait racontée la traversée des trésors un à cinquante- quatre.

Lorsque le texte s’interrompt à nouveau, à la page 86 du manuscrit, l’âme a traversé les quatorze éons et le lieu des trois archontes. On dit alors que les receveurs (paralhvmptwr) reconnaîtront les disciples et les recevront. Comme des receveurs sont associés au trésor de la lumière en 54,13 (p. 99 Schmidt), la fin de cette section semble indiquer qu’après le lieu des trois archontes se trouvait le trésor de la lumière. Ce lien avec le trésor de la lumière rend peut-être plus facile la transition entre cette section et celle qui renferme les diagrammes. Nous n’aurions besoin que d’un ou deux folios pour faire le pont entre ces deux parties. En effet, une partie (p. 86) se termine sur une allusion au trésor de la lumière et une autre (p. 5) débute avec l’émanation de IÉOU, père du trésor de la lumière. Le morceau que Schmidt pagine de 5 à 34 se clôt avec le diagramme du Iéou 28. Comme la représentation d’un trésor occupe une page entière à partir du Iéou 9 (p. 14), qu’il y avait 60 trésors, et que ce que nous avons s’arrête au trésor 28, il nous manquerait la représentation de 32 trésors et donc probablement 32 pages de manuscrit. Il n’est pas nécessaire, à notre avis, de supposer que le traité comportait une véritable conclusion. Les diagrammes, en représentant figurativement les trésors, auraient pu faire office d’annexe ou de conclusion. Ceci nous amène à croire que nous n’aurions conservé des « Livres de Iéou » que le milieu, et que les pages du début et de la fin, les plus exposées et les plus vulnérables, auraient disparu. En additionnant les trente pages manquantes pour la traversée des trésors 1 à 54 aux 32 pages manquantes pour les diagrammes, on arrive à au moins 62 pages des « Livres

de Iéou » qui auraient disparu. Ajoutées aux 82 pages existantes, nous avons alors un traité

d’au moins 144 pages, probablement un peu plus325 si on tient compte de toutes les apartés, les transitions et le contenu dont on ignore l’existence. Il faudrait peut-être ajouter aux

324 Comme celle des questions posées à Jésus par ses disciples entre la traversée des trésors cinquante-cinq et

cinquante-six (39,11-25).

« Livres de Iéou » un court traité qui les aurait suivis, et dont n’aurait été conservée que l’introduction. Nous aurions ainsi un codex d’un seul cahier qui aurait compté entre 150 et 180 pages, ce qui n’est pas sans rappeler les gros codices à cahier unique de Nag Hammadi, comme les codices II (146 pages), III (154 pages) ou VIII (142 pages), ou le Berolinensis

Gnosticus 8502 (146 pages).

Voici, en résumé, le nouvel ordonnancement des « Livres de Iéou », amputés de la double introduction et des pages 87-88, auquel nous sommes arrivés326 :

Première moitié du cahier Seconde moitié du cahier

- Au moins 25 à 30 pages manquantes (probablement plus) = le début du traité et la traversée des trésors 1-54.

- 2 ou 4 pages manquantes = hymne pour les éons 1 à 4.

- p. 35-38 = hymne pour les éons 5 à 13.

- 2 ou 4 pages manquantes?

- p. 39-64 = la traversée des trésors 55 à 60; l’hymne au Dieu inaccessible; le

titre; le début de la partie

sacramentaire.

- p. 65-86 = suite et fin de la partie sacramentaire; la traversée des 14 éons et du lieu des trois archontes.

- 2 ou 4 pages manquantes?

- p. 5-34 = l’émanation de IÉOU, des Iéous et les diagrammes 1 à 28.

- ~ 32 pages manquantes = diagrammes pour les Iéous 29 à 60; fin du traité.

326 Quiconque voudrait s’essayer, avec les photos du manuscrit, à reconstruire le codex en faisant

correspondre les pages de la première moitié du cahier avec celles qui leur correspondent dans la seconde moitié s’étonnera certainement du résultat. En effet, l’usure des folios ne semble pas consistante, a priori, avec la place qu’ils auraient occupée (les folios dans la première moitié du cahier devraient normalement être usés à gauche pour un recto et à droite pour un verso et vice-versa pour ceux de la seconde moitié du cahier). Si on ne peut pour l’instant expliquer ce phénomène, disons simplement que, dans sa copie, Woide lit presque parfaitement toutes les marges, intérieures ou extérieures, des pages. Cet usure « anormale » des folios ne serait donc pas le résultat de l’usage « primitif » du manuscrit, mais serait davantage due à la manipulation moderne du codex.

Notre compréhension de la facture des « Livres de Iéou » diffère donc significativement de celle de Schmidt. Ce dernier voit en effet dans cinq des six sections qu’il a identifiées, à savoir la croix qu’il place en tête du traité, la double introduction (p. 1- 4 et 1a-4a), la description des Iéous et des trésors (p. 5-34), l’hymne au mystère primordial (p. 35-38) de même que la fin de la traversée des trésors, la partie sacramentaire et la traversée des éons (p. 39-86), un seul et même traité, qu’il appelle Livres de Iéou, un titre qu’il tire de la Pistis Sophia. Son ordonnancement des sections relève de la critique interne. Des Livres de Iéou, Schmidt retire le fragment des pages 87 et 88, qu’il ne considère pas, de toute façon, comme un folio présentant un texte suivi. En effet, il croit plutôt que ces deux pages ont comme origine l’intérêt d’un individu pour des extraits de traités gnostiques qu’il aurait trouvés dans d’autres manuscrits, qu’il se serait plu à retranscrire sur un folio327. En ce qui nous concerne, notre analyse codicologique de ces six sections nous permet d’identifier trois traités distincts. 1) On trouve d’abord le plus important traité conservé, que nous appellerons désormais du titre d’une de ses parties : le Livre du grand

discours mystérique. Il s’agit pour l’essentiel des Livres de Iéou de Schmidt, amputés de

leur introduction et réordonnés à la suite de notre analyse codicologique. Ce traité se compose en premier lieu de l’hymne au mystère primordial (p. 35-38), suivi de la fin de la traversée des trésors, de la partie sacramentaire et de la traversée des éons (p. 39-86), et enfin de la description des Iéous et des trésors (p. 5-34). 2) Comme nous l’avons vu, la double introduction ne peut, pour des raisons purement codicologiques, appartenir à ce dernier traité. Tout au plus la première version pourrait être l’introduction d’un traité qui aurait suivi le Livre du grand discours mystérique, mais nous jugeons plus vraisemblable que ces deux versions proviennent chacune d’un tout autre manuscrit. Dès lors, nous désignerons ce traité disparu par le titre qui figure dans son prologue, à savoir le Livre des

connaissances du Dieu invisible. 3) Tout comme Schmidt, nous considérons que le

fragment des pages 87 et 88 provient non seulement d’un autre traité, mais aussi d’un manuscrit, distinct des autres que nous avons identifiés. Nous avons inversé le recto et le verso de Schmidt. Ce faisant, nous considérons qu’il est possible, en supposant qu’une ou deux lignes manquent aujourd’hui au bas de ces pages, que le folio soit issu d’un texte suivi

et qu’il provienne d’un seul traité. Nous désignerons désormais ce folio comme un

Fragment d’un traité gnostique sur le passage de l’âme328.

Pour mieux rendre compte de ces trois traités distincts et de leur nature incomplète, nous avons choisi de repaginer les textes de la manière suivante. Le traité le plus important des trois, à savoir le Livre du grand discours mystérique, est paginé en trois séquences qui portent les lettres A, B et C, chaque changement de lettre signifiant une lacune de deux ou plusieurs pages : les pages A1 à A4 correspondent aux pages de manuscrit 35 à 38 de Schmidt, les pages B1 à B48 aux pages 39 à 86, et les pages C1 à C30, aux pages 5 à 34. Les deux versions de l’introduction du Livre des connaissances du Dieu invisible sont repaginées D1 à D4 pour les pages 1 à 4 de Schmidt, et D1a à D4a pour les pages 1a à 4a. Enfin, les pages E1 et E2, qui correspondent respectivement aux pages 88 et 87 de Schmidt, sont celles du Fragment d’un traité gnostique sur le passage de l’âme. Parce que l’édition de Schmidt de 1892 fait aujourd’hui encore autorité, nous faisons suivre, entre parenthèses, notre nouvelle pagination par les numéros des pages correspondantes dans l’édition de Schmidt.

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