• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 L’histoire du texte, date et origine

3. Les phases de la composition et de la circulation en grec

Comme nous ne savons à peu près rien des troisième et quatrième phases de l’histoire de notre texte, qui concernent la composition de l’œuvre originale en grec et sa transmission initiale dans cette langue, nous les avons regroupées. Les hypothèses de cette section, la plus spéculative des trois, reposent davantage sur des intuitions nées de notre fréquentation du texte.

En ce qui concerne d’abord son milieu de composition original, notre traité trahit, selon nous, une origine égyptienne. C’est principalement les liens que semble entretenir le

Livre du grand discours mystérique avec les textes magiques égyptiens542 qui nous orientent en ce sens. Si on veut être encore plus précis, Alexandrie, centre intellectuel par excellence de l’Égypte des premiers siècles, est toujours une bonne candidate. Mais, à vrai dire, aucune preuve ne vient clairement étayer l’hypothèse d’une origine alexandrine, ou même égyptienne.

L’auteur du Livre du grand discours mystérique appartient à un courant qui n’est attesté dans aucun des textes de Nag Hammadi et qui n’est décrit par aucun hérésiologue. Les caractéristiques de ce courant recoupent celles qu’on a déjà évoquées pour le milieu où aurait circulé l’œuvre : un courant encratite, communautaire et égalitaire, et « mixte »543. Les préoccupations de son auteur sont essentiellement sotériologiques, c’est-à-dire qu’il s’intéresse surtout à la remontée de l’âme et à la façon d’y parvenir. L’unique texte gnostique qui témoignerait de ce courant, quoique dans une forme peut-être légèrement différente, est la Pistis Sophia544. Quant aux hérésiologues, un seul lien direct peut être établi entre ces derniers et notre traité. Il s’agit de la mention de la pratique de consommation de sang menstruel et de sperme décrite par Épiphane (Panarion 26,3,3; 4,4–

541 Funk, 1995, p. 145-146.

542 Liens sur lesquels nous reviendrons brièvement. 543 Voir p. 164.

544 Nous reviendrons sur les liens entre le Livre du grand discours mystérique et la Pistis Sophia sous peu

5,3; 8,4–9,6; 10,9-10; 11,1.10) et le rejet explicite de cette pratique par le Livre du grand

discours mystérique (B17 [55],16-21)545. Comme le Panarion est un texte qui est datable (amorcé en 374/375 et achevé en moins de trois ans)546, peut-on en tirer quelque chose pour la datation de notre traité? Il faudrait d’abord déterminer s’il y a un lien de dépendance entre les deux, et si oui, quel est ce lien. Les possibilités sont triples : 1) le Livre du grand

discours mystérique et le Panarion rapportent une pratique qu’ils ont connue

indépendamment l’un de l’autre, d’une source indéterminée, commune ou non; 2) le

Panarion rapporte le premier cette pratique, d’une source inconnue, et l’auteur de notre

traité réagit au Panarion en la condamnant explicitement (antériorité du Panarion par rapport au Livre du grand discours mystérique); 3) le Livre du grand discours mystérique et la Pistis Sophia condamnent cette pratique qu’ils connaissent d’une source indéterminée, et un de ces traités, ou les deux, sont la source d’Épiphane dans son Panarion (antériorité du

Livre du grand discours mystérique et/ou de la Pistis Sophia par rapport au Panarion).

Compte tenu que la description des groupes qui se seraient livrés à ce genre de pratique diffère grandement entre le Panarion, le Livre du grand discours mystérique et même la

Pistis Sophia, nous penchons plutôt en faveur du premier scénario, soit une origine

indépendante des attestations de ce supposé rituel547. On ne devrait donc pas en tirer quoi que ce soit pour la datation de notre traité.

Nous avons déjà évoqué les indices à l’effet que ce texte soit l’expression d’une pensée gnostique relativement tardive. Les douze éons, qui figurent le plus souvent comme les sphères les plus élevées dans plusieurs textes de Nag Hammadi ou dans de nombreux systèmes gnostiques décrits par les hérésiologues, ne sont, dans notre traité, que la première étape que doit franchir l’âme dans sa remontée. Au-delà de ces douze éons se trouvent encore le lieu des trois archontes, en plus des soixante trésors. La banalisation de ces sphères amène conséquemment celle de leurs habitants. Des figures, autrement fort importantes pour les systèmes gnostiques des premières heures, sont réduites, dans le Livre

du grand discours mystérique, à jouer le rôle de figurants : Ialdabaōth n’est qu’un vulgaire

archonte, presque anonyme, du troisième éon, tout comme Samaēlō (Samael) au quatrième

545 Cette pratique est à nouveau rejetée dans la Pistis Sophia 147. Voir aussi les Notes philologiques et

textuelles à B17 (55),17, ⲡⲉⲥⲛⲟϥ ⲧⲉϣⲣⲱ ⲧⲉⲧⲉⲩⲁⲕⲁⲑⲁⲣⲥⲓⲁ.

546 Voir Williams, 2009, p. xx; cf. Pourkier, 1992, p. 47-51.

éon, Iaō au huitième, et même pour la triade barbéliote dieu (ou esprit) invisible – Barbēlos – inengendré au douzième éon. Pour ces raisons, de même que, de façon générale, pour la multiplication des sphères et des entités qu’on trouve dans notre traité548, nous sommes enclins à placer la rédaction originale au plus tôt quelque part dans la seconde moitié du troisième siècle de notre ère549.

548 Cette hypothèse, qui voit dans la complexification d’un système un indice de son caractère tardif, est certes

contestable, mais nous croyons qu’elle s’applique dans notre cas. La philosophie antique procure d’ailleurs une validation probante de cette hypothèse : de Plotin à Proclus, et de Proclus à Damascius, le système établi par Plotin s’est en effet complexifié de manière toujours croissante.

549 Rahner, 1960, et Röwenkamp, 2000, place le traité au troisième siècle; Ménard, 1965, col. 823, parle de la

première moitié ou au commencement du troisième siècle, tout comme Puech et Blatz, 1991, p. 370; Peel, 1990, le situe au début ou au milieu du troisième siècle; alors que Hoheisel, 1996, la place au début du troisième siècle.

Documents relatifs