• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 LE GRAND TOURNANT VERS UN CHANGEMENT CULTUREL

1. Des événements fondateurs et des tournants

1.3. Le terrorisme global : 2001-2007

Depuis l’écroulement de l’Union soviétique en 1989, les préoccupations aux États-Unis et dans le monde se sont déplacées vers la mondialisation. Or, d’après Touraine, les attentats du 11 septembre 2001, qui constitue une première agression sur le sol américain, ont déclenché une onde de choc qui a entraîné des ruptures profondes dans le monde entier. Le discours économique du gouvernement et de l’establishment qui dominait l’espace public se transforme en langage guerrier et géopolitique, où apparaît « l’idée de la guerre sainte qu’il faut mener au nom du Bien contre le Mal ». Cet événement tragique qui a bouleversé la planète « marque la fin, non seulement d’une époque, mais surtout d’une certaine conception, d’un certain fonctionnement de la société américaine et de l’ensemble du monde ». Désormais, « la vie des sociétés, même des plus riches, des plus complexes et des mieux protégées, reste dominée par la peur, la violence, la guerre ».339

La guerre a changé de statut selon Touraine, elle n’est plus au cœur des sociétés, elle « est désormais au-dessus des sociétés; elle signifie la destruction, non le combat, la mort, non la victoire ». Comme le rappelle l’auteur, les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki montrent que «les États-Unis « se laissent entraîner par un discours mensonger vers la construction unilatérale d’un empire sans limite. Ainsi se crée au-dessus du monde une menace de destruction et de chaos qui ne défend pas les intérêts d’un groupe social ou d’une nation, moins encore ses besoins en pétrole, mais une conception politico-religieuse qui s’affronte à une autre ».340 Les forces de la guerre, de

l’argent, de la peur et de la violence envahissent l’espace public. Ce qui domine le monde d’aujourd’hui, c’est l’affrontement de groupes islamistes prêts à tout et de l’empire américain qui ne réussit pas à prendre le contrôle des pays du Moyen-Orient. Comme « nous ne croyons plus en l’action politique et syndicale », Touraine estime que « seules les forces qui reposent sur une légitimité non sociale, comme la défense des droits humains, peuvent s’opposer aux forces de

338 Ibid., p. 12.

339 Alain TOURAINE. Un nouveau paradigme […], p. 23-24. 340 Ibid., p. 103-104.

guerre qui, elles non plus, ne sont pas fondées sur des principes proprement sociaux, définis dans les termes de l’intérêt général de la société ».341

Pour Wieviorka, le phénomène terroriste, marqué par l’événement du 11 septembre 2001, est entré de façon spectaculaire « dans une nouvelle phase de son histoire, en même temps que le monde entier entrait dans une nouvelle ère ». Le terrorisme « est sorti du cadre de la question nationale et, plus largement, des données géopolitiques telle que la contestaient les acteurs terroristes du passé » pour s’exprimer « comme un anti-mouvement global ». Il est aujourd’hui d’une autre nature qu’international, il est global, « au sens où l’économie est globalisée, il porte en lui une critique de la mondialisation, ce qui embarrasse les protagonistes des combats qui la mettent eux aussi en cause, et qui pourtant n’ont rien à voir avec l’usage de la violence aveugle et meurtrière ».342 De

fait, ce sont « des acteurs globalisés » qui ont perpétré l’attaque du 11 septembre 2001; ils ne se définissent pas « par un projet politique pour leur propre pays » mais au contraire « par leur engagement dans un combat planétaire ». Si leur violence « ne s’inscrit pas dans un espace politique où l’on peut négocier, elle est métapolitique, guerrière et purement terroriste ». Comme ces terroristes « globaux » fonctionnent en réseau, ils savent utiliser Internet et les technologies modernes de communication, et ils sont intégrés au capitalisme financier le plus avant-gardiste.343

Par ailleurs, le terrorisme global s’inscrit dans une logique médiatique, il est en même temps « producteur de spectacle » et « producteur d’un anti-spectacle, d’un vide absolu ». Enfin, « le terrorisme global repose sur un martyrisme inédit », puisque leur violence mortifère est organisée, déterminée et planifiée sur le long terme. Le terrorisme global refuse tout débat, toute revendication explicite pour adopter « à l’extrême la logique de la guerre, au détriment de celle de la politique, et au plus loin de toute revendication sociale ou culturelle ».344

341 « On s’attendait, dit-il, au triomphe de la société civile et c’est au contraire un choc entre ensembles politico-

religieux qui domine le monde entier ». Même si l’auteur ne partage pas la vision de Samuel Huntington, il reconnaît sa contribution pour souligner l’importance de ces chocs globaux entre civilisations. Samuel HUNTINGTON. Le choc des civilisations, Traduit de l’anglais par J.-L. Fidel et autres, Paris, Odile Jacob, 2000 [1996], 545 p. Ibid., p. 105- 106.

342 En ce début de siècle en effet, la situation est bien différente « de la violence extrême, même internationale, des

années 70 et 80, qui demeurait confinée dans des limites que lui imposait le cadre de la guerre froide, et qui pour l’essentiel se réclamait de la cause palestinienne. Ce n’est plus même le terrorisme des années 80 et 90, dominé par l’islamisme, qui l’annonce et le prépare, mais dont pourtant il se démarque à certains égards. ».Michel WIEVIORKA. « Un autre monde […] », p. 50.

343 Ibid., p. 51.

344 D’ailleurs, ce sociologue constate que le terrorisme global manifeste un « recul par rapport aux années 90, le début

Selon Touraine, depuis la chute du mur de Berlin et jusqu’à l’événement du 11 septembre 2001, une autre vision du monde s’impose à nous, « celle de l’éclatement des sociétés : guerres, révolutions, transformations techniques accélérées, conquêtes, migrations, mais aussi enrichissements et appauvrissement rapides, globalisation des échanges, mais aussi de la pauvreté et de la misère ».345 Dans ce nouveau contexte qui met en perspective des paysages en mouvement,

les idées de sujet et de subjectivation nous rappellent que nos sociétés ont acquis une capacité croissante d’agir sur elles-mêmes346. Si cette nouvelle perspective est orientée vers le sujet, il

convient aussi de faire le point sur l’idée de l’anti-sujet qui représente le mal. L’auteur estime « qu’il n’y a pas plus de mal que de bien, de Dieu ou de diable. Il y a ceux qui découvrent le sujet en eux et dans les autres; ils sont ceux qui font le bien. Et ceux qui cherchent à tuer le sujet dans les autres et en eux-mêmes; ils sont ceux qui font le mal. Celui-ci n’est pas une essence mais le résultat d’une action humaine. » Pour ceux qui font le mal, il y a « une volonté extrême, une rage d’humiliation et de dégradation qui va plus loin que la volonté de tuer ».347 La présence tragique

du non-sujet nous fait mieux saisir l’absence du sujet ou la perte du sujet, c’est-à-dire « la perte de soi-même, l’ensemble des conduites qui ne se réfèrent à aucun sens ».348 Ainsi, dit Touraine, « c’est

par la conscience du mal que nous entendons, que nous soyons croyants ou non, l’appel au sujet ». L’entrée dans le XXIe siècle montre que « le monde de l’humain a finalement été envahi à la fois

par l’inhumain et le surhumain ». Il s’agit ici de dire que le recul du social et de l’humain, et la progression de l’inhumain dans l’espace illimité du totalitarisme et du terrorisme, fait appel au sujet et à ses formes multiples pour se défendre « contre des attaques qui menacent son autonomie et sa capacité de se saisir comme un sujet intégré, ou du moins luttant pour l’être, pour se reconnaître et être reconnu comme tel ».349

conflits sociaux et culturels, ou l’effort pour réenchanter les rapports politiques à tous les niveaux, planétaires, régionaux, nationaux, et locaux » (p. 54). Ibid., p. 52-53.

345 Alain TOURAINE. Un nouveau paradigme […], p. 155.

346 En effet, « en faisant naître en elles de nouveaux acteurs ou actrices et en transformant la représentation que nous

avons de nous-mêmes, des autres et d’un monde dont tous les éléments sont de plus en plus interdépendants. Et surtout en faisant la défense du sujet l’objectif principal des institutions démocratiques qui veulent résister à la pression de l’argent et des forces de guerre. » Ibid., p. 156.

347 D’ailleurs, en s’appuyant sur les travaux de Wieviorka, Touraine indique qu’il existe un noyau central de violence

qui échappe à toutes les significations sociales et qu’il nomme cruauté. Il ajoute que les victimes de la cruauté « ne sont pas rejetées de la société, elles sont éliminées de l’humanité parce que celle-ci est identifiée à une nation, à une armée, à un parti ou à une religion ». La cruauté se déchaîne pour déshumaniser l’être humain et nous découvrons dans la cruauté « l’anti-sujet, comme d’autres avaient vu dans la violence l’anti-société » (p. 224). Voir Michel WIEVIORKA. La Violence, Paris, Balland, 2004, 328 p. Ibid., p. 156-157.

348 Ibid., p. 227. 349 Ibid., p. 157.

Documents relatifs