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CHAPITRE 3 LE GRAND TOURNANT VERS UN CHANGEMENT CULTUREL

1. Des événements fondateurs et des tournants

1.4. La crise financière mondiale : 2007-2010

La crise financière de 2007-2009 qui a menacé de détruire l’économie mondiale marque l’achèvement de l’ère néolibérale qui s’était substituée, à partir du milieu des années 1970, à l’économie administrée, née après la guerre350. Comme le souligne Touraine, « le capitalisme

financier qui a entamé son développement incontrôlé à partir de là a provoqué des explosions régionales, avant de faire éclater, avec la crise des subprimes, l’économie occidentale et d’ébranler toute l’économie mondiale ».351 Plusieurs autres crises, moins massives, ont précédé cette crise,

témoignant de la fragilité du système financier. Ces crises « ont puisé le plus souvent leur origine dans des initiatives financières dangereuses, et prirent rapidement une ampleur gigantesque ».352

Cette crise majeure a provoqué, selon ce penseur, non seulement une séparation entre l’économie financière et l’économie réelle, mais « une autre séparation, plus large, entre l’ensemble des activités économiques et la vie sociale, culturelle, et même politique, accentuée par la globalisation ».353 Elle est « le résultat d’une rupture imposée par les financiers entre leurs intérêts

et ceux de l’ensemble de la population ».354

Comme cette rupture s’inscrit dans la mutation culturelle à long terme, l’auteur envisage deux avenirs possibles, ou bien subir une série de crises jusqu’à la catastrophe finale, ou bien reconstruire un nouveau type de société qui fait appel à un principe placé au-dessus de la réalité économique et sociale, comme le sont les Droits de l’homme. Pour reconstruire la société, Touraine soutient que nous devons créer un mouvement qui, en prenant en compte les droits humains fondamentaux du plus grand nombre et les exigences de la nature sans mettre en danger de mort notre existence sur la planète, redonne vie au monde politique en même temps qu’il le contrôle355. Notre monde, selon

lui, est marqué par l’affrontement de deux principes non sociaux, « d’un côté la recherche du profit

350 Alain TOURAINE. Après la crise, p. 45-46. 351 Alain TOURAINE, La fin des sociétés, p. 614.

352 L’auteur explique, par exemple, qu’en 1990, « la crise des “Savings & Loans”, c’est-à-dire des caisses d’épargne

américaines, a joué un rôle important dans la récession de 1991-1992. En 1995, la chute retentissante de la banque Barings en Grande-Bretagne puis, en 1998, l’effondrement de certains fonds spéculatifs annoncèrent les orages à venir. Après l’éclatement de la bulle informatique en 2001, suivi du scandale Enron (31 octobre 2001), le krach du fonds Amaranth, puis la crise des subprimes aux États-Unis à partir de 2007 ont débouché sur une crise générale. C’est la chute de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, qui a déclenché la catastrophe. » Alain TOURAINE. Après la crise, p. 43-44.

353 Ibid., p. 31. 354 Ibid., p. 181. 355 Ibid., p. 184 et 46.

maximum avec la globalisation, de l’autre le respect du sujet et de ses droits ».356 L’un relevant de

la rationalité instrumentale et de la logique du calcul, l’autre de l’esprit de résistance et de la logique de la conscience. Selon l’auteur, le premier, associé à la globalisation de l’économie, est plutôt « naturel » alors que le second est davantage « spirituel » au sens où « il repose sur la conscience des êtres humains de posséder des droits et de connaître leur raison d’être ».357

Si, d’après Touraine, notre détachement de ce « modèle économique en crise est déjà très avancé », néanmoins, il constate que l’avenir dépend de la manière dont cette crise est traitée. 358 Plus la crise

sera vécue « comme une situation hors d’atteinte, comme un changement géopolitique majeur, comme le fruit de la faiblesse des acteurs économiques et politiques », plus il est probable qu’elle conduira « à une désorganisation de la vie sociale et même économique, appelant la violence, l’illégalité et finalement la décadence ».359 Or, selon l’auteur, c’est seulement si la crise est

considérée « comme un problème à résoudre, et donc si elle fait émerger de nouveaux objectifs et de nouvelles méthodes de choix, qu’elle pourra aider à la formation d’une nouvelle société ». Face à l’économie globalisée, la société peut tout aussi bien faire surgir « des mouvements de défense non plus seulement d’intérêts économiques, mais de droits ».360 Aujourd’hui, le meilleur moyen,

dit-il, « est de travailler à une conscience plus forte des enjeux les plus élevés des conflits ».361

Par ailleurs, Touraine constate que « les régions de tradition chrétienne ont compris plus facilement que les autres la double face de chaque être humain, conçu à l’image du Dieu fait homme et de l’Homme-Dieu ». Voilà pourquoi « les chrétiens ont été les principaux fondateurs de la moralité

356 Ibid., p. 106. 357 Ibid., p. 70. 358 Ibid., p. 56.

359Par ailleurs, dit-il, « si aucun projet social et politique se forme pour définir de nouveaux équilibres, la réponse

spontanée au triomphe de l’économie globalisée sera un communautarisme défensif, qui ne sera plus défini en termes de rapports sociaux mais d’enfermement dans une identité religieuse, nationale ou ethnique » (p. 99). Ibid., p. 106- 107.

360 D’ailleurs, selon Touraine, le passage des mouvements sociaux issus de la société industrielle aux mouvements

culturels de l’ère postsociale s’est opéré rapidement (p. 102). De fait, selon lui, nous pouvons repérer aux États-Unis « les signes de l’apparition prochaine d’une force capable de combattre efficacement le pouvoir économique et financier global » avec la présence de nombreux groupes de femmes, d’associations d’écologistes ou de groupes de lutte contre le racisme et pour l’égalité des droits civiques (p. 99). Ces groupes de base ont en commun « de limiter le pouvoir de l’État, de donner à la société civile une diversité, une souplesse et surtout une vigueur qui fait contrepoids au caractère centralisé du système politique. Mais seule l’affirmation de valeurs universelles peut permettre de limiter la poussée des intérêts les plus puissants. » (p. 100) Ibid., p. 106-107.

moderne » en favorisant le retour de l’être humain sur lui-même. Ils ont trouvé à l’intérieur de l’individu, le Sujet, qui représente pour les chrétiens la figure du Dieu créateur, et ce en éliminant des formes indirectes, « voilées », du sujet. Ce retour de l’être humain sur lui-même a permis au monde moderne de découvrir « l’opposition directe qui existe entre les logiques naturelles matérielles, d’un côté, et la logique de la conscience, de l’autre », ce qui a conduit le sujet humain à se reconnaître comme porteur de droits universels.362 Dans un contexte de sécularisation,

Touraine défend l’idée que « ce religieux a pénétré en l’Homme et s’y est mué en humanisme, horizon central de l’expérience des modernes ».363 Face à la globalisation de l’économie qui tend

à tout envahir et à tout dominer, « seul l’appel le plus direct à ce qu’il faut nommer le sujet, comme au temps des Lumières, permet de résister à cette invasion. Nous portons de plus en plus des jugements moraux, et même spirituels, sur notre situation et nos conduites. Cette tendance se répand partout, et c’est un constat qui peut nous donner confiance en notre avenir. »364 De nouveaux

problèmes surgissent en ce début du XXIe siècle et de nouvelles réponses sont envisagées.365

L’urgence, aujourd’hui, est pour nous « de découvrir les chances d’agir qui existent, même si elles sont limitées ».366

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