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CHAPITRE 3 LE GRAND TOURNANT VERS UN CHANGEMENT CULTUREL

3. Des acteurs en marche vers une conscience postconventionnelle

3.2. Des mouvements sociaux aux mouvements globaux

3.2.3. Les mouvements globaux

D’après Wieviorka, c’est à partir du milieu des années 1990 qu’apparaissent de nouvelles figures de l’action, « les unes vraiment neuves, les autres dans le prolongement d’initiatives plus anciennes ».514 Dans un contexte de globalisation, de nouveaux combats se sont mis en place,

notamment par l’entremise des ONG qui se sont consacrés à diverses causes.515 Ces luttes relèvent

d’un troisième type de mouvements sociaux, les « mouvements globaux », qui reposent sur les caractéristiques suivantes : 1) le cadre affaibli de l’État-nation; 2) la reconnaissance; 3) la place

510 Très critiques de la consommation de masse, de la publicité et de la manipulation des besoins, ils dénoncent les

industries culturelles. Ces acteurs, dans leurs luttes, veulent mettre en place un autre modèle de relation culture/nature. Ibid., p. 125.

511 Ibid., p. 127.

512 L’auteur constate que « dans certains cas, cela a pu tourner à la quête de la pure jouissance, à l’hédonisme, dans

d’autres à la mise en œuvre d’utopies communautaires […]. Dans d’autres cas encore, l’action s’appuyait sur la référence à un passé, des traditions, l’ancrage dans une histoire et une culture en fait largement inventée, “bricolée“ selon le mot célèbre de Claude Lévi-Strauss. » Ibid., p. 128.

513 Selon l’auteur, les « nouveaux mouvements sociaux » des années 1970 « n’ont pas marqué l’entrée dans un nouveau

type de société, ils ont constitué plutôt les premières ébauches d’une nouvelle famille de lutte, mais trop vite décomposées ou subordonnées à la pensée sauvage du gauchisme pour pouvoir s’implanter durablement » (p. 129). Ibid., p. 128.

514 Ibid., p. 130.

515 L’environnement, les droits de l’homme, l’opposition altermondialiste aux logiques de la mondialisation

néolibérales, le mouvement panafricaniste et ses demandes de réparation pour les traites négrières et l’esclavage, ou bien encore l’affirmation d’identités religieuses ou culturelles demandant leur reconnaissance. Ibid., p. 131.

centrale de la culture; 4) un autre rapport à la politique et; 5) un Sujet ni politique, ni social, ni culturel.

Dans un contexte marqué par le déclin du social où se séparent de plus en plus les catégories de la vie sociale, de la vie politique et de la culture, les « mouvements globaux » ne pensent pas en termes exclusifs d’États et de nations. Ils se démarquent par la conscience globale des acteurs, qui savent articuler « un combat limité avec une vision planétaire » et développer « leur capacité à se connecter à des réseaux transnationaux ». D’ailleurs, les contestations se mobilisent presque toujours autour d’une demande de reconnaissance. Comme le fait remarquer l’auteur, les mouvements globaux sont portés avant tout par le désir « de construire un autre monde, et d’en finir avec diverses formes de mépris et d’ignorance qui les laissent à l’écart ».516 Ils ont aussi de la

difficulté à définir un adversaire social puisqu’il est diffus, impersonnel et très mal identifié.517 Les

demandes de reconnaissance culturelle sont au cœur des revendications des « mouvements globaux » qui se distinguent « des acteurs intégristes ou fondamentalistes, mais aussi des nationalismes » qui s’inscrivent dans le courant antimondialiste. Les acteurs des « mouvements globaux » veulent en effet créer les conditions propices « au développement de formes de vie culturelle, et non pas s’inscrire dans des logiques de fermeture sur eux-mêmes ».518 Quand ils se

mobilisent, ils inventent des formes d’engagement où les relations entre eux témoignent de la création « d’une nouvelle culture, en respectant des valeurs, notamment de convivialité, qui leur sont propres ».519 De plus, Wieviorka considère que le rapport des acteurs à la politique se

transforme considérablement, car certains adoptent le discours de la rupture en dénonçant la mondialisation, ce qui « est sans débouché politique, et éloigne en fait ces acteurs du mouvement social ». D’autres acteurs, en revanche, tentent de contribuer « à la reconstruction d’espaces politiques, lorsqu’ils plaident pour plus de médiations internationales, en particulier en matière économique et juridique ».520 Aujourd’hui, avec les mouvements « globaux », la subjectivité des

516 Ibid., p. 133.

517 Ils peuvent, par exemple, être en lutte contre le capitalisme, faire des États-Unis un ennemi, par anti-impérialisme

ou par antiaméricanisme, contester l’action des grandes organisations internationales, ou même encore s’en prendre à une firme précise. Ibid., p. 134.

518 Ibid., p. 135. 519 Ibid., p. 134-135.

520 Les rassemblements altermondialistes de Seattle ou Porto Alegre ont mis un terme « à l’arrogance des élites

politiques et économiques réunies à Davos depuis les années 1970 ». Le plus décisif tient à la volonté et à la capacité des acteurs « de créer les conditions de leur existence, bien au-delà des formes classiques des États ». Ibid., p. 136.

individus occupe une place centrale pour ceux qui s’y engagent ou s’y reconnaissent; « elle est personnelle, propre à la personne singulière, elle n’est pas réductible à un quelconque ancrage social ou culturel ».521 Autrement dit, chacun veut pouvoir « choisir son combat, sa mobilisation,

son identité collective, mais aussi gérer sa participation à l’action à sa façon, à son rythme, et pouvoir l’interrompre s’il le désire ».522

Selon Wieviorka, un mouvement social possède toujours deux faces, l’une offensive et l’autre défensive, « qui se présentent sous des modalités extrêmement variables d’une expérience à une autre ou, pour une même expérience, d’une période à une autre, voire d’une conjoncture à une autre ».523 De plus, l’auteur distingue dans tout mouvement social des étapes : « il naît, se

développe et décline, quitte à ce que sa trajectoire historique soit plus ou moins chaotique ». Si les difficultés, liées au contexte ou à ses propres ressources, sont parfois considérables, elles peuvent déboucher « sur des dérives qui sont la marque d’une décomposition plus ou moins avancée ».524

Et si un mouvement est déstructuré, il ne doit pas être confondu « avec sa figure inversée, avec l’anti-mouvement qui en est l’expression négative, renversée ».525 Dans ce cas, « au lieu de

chercher à imposer par le conflit sa propre vision de l’historicité »526, « la relation conflictuelle

entre acteurs devient un pur rapport de force, une rupture que ne vient abolir que la violence, la guerre, la destruction, et, dans certains cas, l’autodestruction »527. Il n’y a pas ici d’adversaire,

521 D’ailleurs, comme le souligne l’auteur, le Sujet qui s’est imposé, dans les révolutions américaine, puis française,

était avant tout politique, c’était le citoyen. Avec le mouvement ouvrier, il était social alors qu’avec les « nouveaux mouvements sociaux », il était culturel. Si dans le passé, « l’engagement pouvait être dicté par la situation, aujourd’hui c’est un choix, une décision personnelle ». Ibid., p. 136.

522 D’après cet observateur, les mouvements « globaux » se développeront tant qu’ils seront capables « de conjuguer

des demandes de reconnaissance culturelle, des revendications de justice sociale et des conduites contribuant à ouvrir de nouveaux espaces politiques », et ce dans la mesure « où ils continueront à s’appuyer sur la subjectivité personnelle de leurs membres, à la respecter, à la valoriser, à en faire le moteur de l’intégration de leurs différentes composantes ». Ibid., p. 136-137.

523 En effet, la face offensive du mouvement correspond « à la capacité de l’acteur de définir un projet, une visée, une

utopie, et à mettre en avant, en s’appuyant sur une identité forte, une conception alternative de la vie collective ». Cette face est plus disposée à la négociation que la face défensive, « où l’acteur est d’abord soucieux de ne pas être détruit ou ravagé par la domination subie, et où il s’efforce de pouvoir exister, vivre, sauver sa peau, son intégrité morale et physique » (p. 138-139). Ibid., p. 138.

524 Les dérives « menacent d’abord lorsque les deux faces du mouvement se séparent, que les différentes dimensions

de l’action concrète ne sont plus intégrées par l’acteur » (p. 139). Un tel phénomène survient plus facilement en conjoncture de crise, dans les situations de blocage politique, ou en période de naissance ou de déclin historique d’un mouvement lorsqu’il est faible et vulnérable, ce qui pousse les acteurs à l’institutionnalisation prématurée ou à des conduites de rupture violente refusant tout échange ou négociation. Ibid., p. 139.

525 Ibid., p. 139-140.

526 Michel WIEVIORKA. « Un autre monde […] », p. 29. 527 Michel WIEVIORKA. Neufs leçons […], p. 140.

« mais ou bien un dehors dont on est distant, auquel on est indifférent, ou bien un ennemi ou plusieurs ennemis auxquels on s’oppose non pas dans une relation conflictuelle, mais dans un affrontement sans merci ». Par ailleurs, l’absence de contre-projet vise « l’appel à un au-delà, ce qui place la foi, la religion ou l’idéologie au cœur de tout anti-mouvement ».528

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