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CHAPITRE 1 L’ÉTAT DE LA RECHERCHE

4. Études théologiques et religieuses

4.1. L’expérience de rupture, l’expérience spirituelle et le discernement spirituel

La vie spirituelle est, selon Jean-Guy Saint-Arnaud, spécialiste de la spiritualité ignatienne, une aventure qui comporte des difficultés car elle ouvre sur un avenir « qui n’est pas prédéterminé, mais qui dépend du jeu de notre liberté et de la grâce divine. C’est surtout aux croisées et aux tournants des chemins spirituels, lors de la transition d’une étape à une autre, que les risques sont les plus grands. Ces passages constituent souvent des temps de crises, de seuils à franchir, de difficultés aiguës, décisives pour la suite du devenir. »173 Selon ce jésuite, les difficultés seraient

précieuses, parce qu’elles seraient porteuses de créativité, tout particulièrement quand elles prennent la forme de crises. Il semble que la présence d’une crise apparaît dès lors révélatrice d’un processus de changement, voire de transformation profonde, dont les enjeux sont souvent difficiles à appréhender. « La crise, soutient-il, est le moment capital, décisif, de la croissance. Le mot “crise”, vient du grec krinô et possède la même racine que les mots “discernement, critère, critique, crible” (passer au) etc. Le verbe krinô évoque le carrefour, la séparation, la division, la décision. » Ainsi, au moment de la crise, on se situe « à la croisée des chemins »; la crise est « le lieu par excellence du discernement, de la décision », et de la voie à choisir.174 De fait, la situation de crise

est précieuse, car « elle désinstalle et rend, pour ainsi dire, vulnérable au changement, perméable au nouveau, à l’accueil d’un plus de vie. Elle déstabilise et déstructure pour que puisse émerger une nouvelle manière d’être, une nouvelle cohérence. Dans le domaine spirituel, la crise coïncide avec ce que nous avons coutume d’appeler la conversion. »175

La crise est une circonstance difficile, de rupture, un moment privilégié qui brise les repères, l’enracinement dans l’axe horizontal associé à la réalité existentielle, et permet d’opérer une transformation profonde, c’est-à-dire de se décentrer de soi pour s’élever sur l’axe vertical, la réalité essentielle, et ainsi s’éveiller à la conscience du monde. Comme l’indique Michel de Certeau, jésuite et spécialiste de la mystique, il y a dans l’expérience spirituelle trois étapes : un lieu (l’événement); un itinéraire (l’histoire); la vie commune (la présence de l’Autre). La première étape, l’événement, est un lieu où s’inscrit une rupture (un avant et un après), un point de départ qui ouvre la voie à une perspective nouvelle. « Il y a dans l’histoire personnelle, et dans l’histoire de l’humanité, des coupures, moments privilégiés et qui apparaissent comme tels. Quelque chose

173 Jean-Guy SAINT-ARNAUD. Quitte ton pays. […], p. 98.

174 Saint-Arnaud s’appuie sur la réflexion de plusieurs auteurs. Ibid., p. 101-102.

arrive qui surprend et qui pose un commencement. »176 Ce moment privilégié peut être associé à

une « vocation », une « mission » ou une « conversion ». La deuxième étape, c’est le point de départ d’un cheminement. Dans la troisième étape, c’est l’union existentielle avec l’Autre, l’expérience d’un infini qui nous est nécessaire même s’il nous échappe.

Comment évoquer l’expérience spirituelle? Pour le Père Dominique Salin, spécialiste de la spiritualité ignatienne, « un constat s’impose au croyant qui veut s’expliquer à ce propos, il éprouve un sentiment d’ineffable, il lui est difficile d’en parler. Que ce dont il s’agit soit fondamental dans sa vie ne suffit pas pour l’énoncer clairement, les mots pour le dire semblent se dérober. »177

L’expérience spirituelle, poursuit-il, nous est le plus souvent accessible à travers le récit que les mystiques en font, dans les écrits qu’ils laissent. Chaque récit est unique et présente un événement singulier. C’est bien souvent à travers le langage que l’événement peut devenir expérience. Lorsque nous en faisons le récit, l’expérience spirituelle conduit à un approfondissement de notre humanité. Les observations de Père Salin sur les recherches de de Certeau montrent qu’un axe se dégage : le rapport du langage et de la mystique. L’expérience spirituelle se présente comme une réalité paradoxale, à la fois transcendante et immédiate : « on ne la rejoint que par des mots, mais en atteignant la limite du langage ». Voilà pourquoi le spirituel utilise les figures de rhétorique (métaphore, oxymore) pour exprimer les déplacements et les négations.178

C’est dans l’expérience de rupture que surgit l’expérience spirituelle, l’expérience de la transcendance qui constitue l’élément moteur d’élévation de la conscience. La crise peut être un épisode salutaire dans la vie individuelle et collective pour sortir de l’impasse et se remettre en marche dans une direction capable de féconder un renouveau. Dom André Louf, ancien abbé trappiste du Mont-des-Cats et ermite, souligne l’importance de cultiver cette attention intérieure au désir de l’Esprit en nous, qui s’appelle discernement spirituel. En effet, explique-t-il, si on renvoie les gens à leur conscience, c’est parce que cette conscience existe au-delà des principes de morale

176 Michel de CERTEAU. « L’expérience spirituelle », Christus, n° 68, 1970, p. 490.

177 Père Dominique SALIN. « L’expérience spirituelle », dans Abbaye de Tamié, notes de conférences, 14-18 mai

2007, (page consultée le 22 juin 2012), http://www.abbaye-tamie.com/la_communaute/conferences/l-expereince- spirituelle/vue.

178 En effet, le langage mystique « parle d’une absence, d’une quête de ce qui se dérobe au cœur même de la rencontre

que l’on en fait. Il ouvre le Désir et révèle « l’impossibilité de circonscrire l’origine et le terme de toute chose dans la totalité d’une expression nécessaire et suffisante ». Ibid., p. 3-4.

comme discernement spirituel179. Le discernement spirituel serait constitué de deux pôles, celui de

la prière et celui de l’action. La prière est le lieu du discernement spirituel; elle « est un discernement en acte dans la mesure où elle consiste à s’abandonner progressivement à la prière de l’Esprit en nous, qui, peu à peu, affleure à notre conscience. […] Dieu nous apprend à saisir ce mouvement intérieur de l’Esprit en nous. »180 En étant sans cesse en contact avec la source, cette

intériorité profonde, l’homme demeure capable, face à de nouvelles circonstances, d’« agir avec l’oreille intérieure à l’écoute du Saint-Esprit, se laissant guider sans cesse par lui ». C’est ce qu’Ignace de Loyola appelle être contemplatif dans l’action. Selon ce moine trappiste, « à un niveau très profond de notre être, la prière la plus contemplative et l’action la plus engagée (mais engagée dans l’Esprit-Saint et qui prend sa source en l’Esprit-Saint), sont à peu près identiques ».181

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