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CHAPITRE 2 LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

2. Les stratégies d’analyse des données et leurs étapes

2.2. L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes

2.2.2. Étape 5 : la génération de catégories

À cette étape de l’analyse, la catégorisation, « les aspects les plus importants du phénomène à l’étude commencent à être nommés ».270 Pour Paillé, la catégorisation consiste « à porter l’analyse

à un niveau conceptuel en nommant de manière plus riche et plus englobante les phénomènes, les

événements qui se dégagent des données ».271 Rappelons qu’une catégorie est un mot ou une

expression « désignant, à un niveau relativement élevé d’abstraction, un phénomène culturel, social ou psychologique tel que perceptible dans un corpus de données. […]. C’est à travers la catégorie que la théorisation commence à émerger, c’est elle que le chercheur, sans relâche, manie, développe, met en relation, subdivise, etc. ». Lorsque le chercheur interroge le matériau de recherche, les questions suivantes lui servent de guide en cours d’analyse : « Qu’est-ce qui se passe ici? De quoi s’agit-il? Je suis en face de quel phénomène? » 272 La catégorie est un outil dynamique,

toujours en construction. Selon Paillé et Mucchielli, il importe à cette étape de l’analyse de soumettre toute catégorie d’importance à un travail d’explicitation qui implique trois exercices fructueux : « la définition de la catégorie, la spécification de ses propriétés, et l’identification de ses conditions d’existence ».273 D’abord, il s’agit de définir avec clarté, précision et concision, le

phénomène représenté par la catégorie. Ensuite, le deuxième exercice vise à spécifier ses propriétés essentielles, c’est-à-dire extraire du phénomène les éléments qui le distinguent, le caractérisent, le constituent. Enfin, un troisième exercice consiste à tenter de spécifier ses conditions d’existence, ce qui signifie d’identifier ce qui doit être obligatoirement présent pour que la catégorie existe, se manifeste. Pour ces auteurs, les conditions d’existence d’un phénomène « renvoient aux situations, événements ou expériences en l’absence desquelles le phénomène ne se matérialiserait tout simplement pas dans le contexte qui est le sien ».274 D’ailleurs, selon eux, ce troisième exercice est

très fructueux et représente un point tournant dans le travail de théorisation :

Il permet de briser la linéarité de la catégorisation au moment où elle tend à se constituer en une liste statique de phénomènes. Il élargit le regard, vivifie l’attention, renouvelle l’écoute. Il fournit perspective, profondeur et dimension aux phénomènes. Il offre en fait la possibilité de systématiser le travail d’élucidation du contexte, dont l’importance a été maintes fois réitérée. Cet exercice marque également le début du travail de mise en relation conceptuelle […], qui peut être éventuellement poursuivi à une échelle plus importante, dépendamment de l’ampleur de l’étude.275

En permettant d’approfondir chacune des catégories pertinentes, ces trois exercices de développement de la catégorie « vont avoir un effet “domino” sur l’ensemble de la catégorisation ». En effet, certaines catégories existantes « devront être revues et recentrées », alors que d’autres

271 Ibid., p. 160.

272 Pierre PAILLÉ. « Qualitative par théorisation (analyse) », p. 209.

273 Pierre PAILLÉ et Alex MUCCHIELLI. « L’analyse à l’aide des catégories […] », p. 358. 274 Ibid., p. 362.

« devront être scindées ou fusionnées ». À cette étape de l’analyse, prédominent trois opérations : « l’itérativité (la comparaison continue), la réflexivité (la théorisation continue) et la récursivité (la réévaluation continue) ».276 Cela signifie qu’à partir de ce moment, le travail d’analyse se

complexifie, dans le sens que « la description s’enrichit, les nuances apparaissent, la compréhension se raffine, la théorisation émerge tout en multipliant ses racines au niveau de l’ensemble du corpus ».277 Comme le souligne Paillé, cette activité permet d’acquérir et d’affiner

« la sensibilité théorique du chercheur, c’est-à-dire la capacité de tirer un sens des données, de nommer les phénomènes en cause, d’en dégager les implications, les liens, de les ordonner dans un schéma explicatif, bref de les analyser, de les théoriser ». Cela veut dire pour un chercheur d’« être capable de porter un regard pénétrant sur le phénomène à l’étude, de savoir distinguer le fondamental de l’accessoire ».278

Concernant la question de la validité externe du travail d’analyse à l’aide de catégories, Paillé et Mucchielli soutiennent qu’il est irréaliste de penser qu’un chercheur externe au projet peut arriver à la même catégorisation du corpus.279. D’ailleurs, à ce propos Glaser et Strauss écrivent :

« Toujours dépendante de l’habileté et de la sensibilité du chercheur, la méthode comparative continue n’est pas conçue (comme c’est le cas pour l’analyse quantitative) pour garantir que deux chercheurs, travaillant indépendamment avec les mêmes données, parviendront aux mêmes résultats; elle est conçue pour tolérer, avec rigueur, une certaine imprécision et une flexibilité, à la base de l’élaboration créative de théorie. »280

276 Ibid., p. 364.

277 Pierre PAILLÉ. « Qualitative par théorisation (analyse) », p. 209-210. 278 Pierre PAILLÉ. « L’analyse par théorisation ancrée », p. 160-161.

279 Paillé et Mucchielli écrivent : « L’erreur, au départ, est de concevoir le travail d’analyse comme un exercice

d’étiquetage relativement reproductible, alors qu’il s’agit beaucoup plus de l’articulation d’une conceptualisation où se rencontrent un analyste-en-action, des références théoriques et expérientielle, et un matériau empirique. Comment ces trois univers pourraient-ils être identiques d’un chercheur à l’autre? Comment la perspicacité, la créativité et l’intuition d’un chercheur peuvent-elles librement s’exercer si le résultat doit être comparable et reproductible? […] Le même raisonnement prévaut pour le travail d’analyse qualitative en général […] : il s’inscrit toujours en partie à l’intérieur d’une logique de la découverte, et s’il fallait qu’une découverte soit consensuelle pour être acceptable, nombre de percées importantes dans tous les domaines de la connaissance seraient restées lettres mortes. Si l’on met au travail, autour d’une table, des analystes de formations disciplinaires différentes, on mesurera incidemment la variabilité des points de vue par rapport è un même incident. » Pierre PAILLÉ et Alex MUCCHIELLI. « L’analyse à l’aide des catégories […] », p. 365.

280 Barney G. GLASER et Anselm L. STRAUSS. « La méthode de comparaison continue de l’analyse qualitative ».

À titre d’exemple, pour Thérèse, nous avons procédé à une lecture attentive et approfondie de la première version de son chapitre, respectant ainsi l’ordre chronologique de l’histoire, pour entreprendre cet exercice de développement des catégories. Cette lecture nous a amenés à un long travail de raffinement conceptuel et d’adéquation empirique visant à définir les catégories, à en dégager les propriétés essentielles et à en spécifier les conditions d’existence. Le Tableau 2.2 (p. 86) donne un exemple des résultats obtenus pour deux catégories chez Thérèse d’Avila. Au terme de ce travail de construction et de consolidation des catégories, nous avons rédigé une nouvelle version du chapitre en mettant en perspective les résultats de notre analyse. D’ailleurs, chacune des catégories de notre analyse porte en elle une description riche et une analyse fine d’un aspect important du phénomène étudié. Nous avons poursuivi ce travail de catégorisation chez nos deux autres auteurs, Dürckheim et Scharmer.

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