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CHAPITRE 2 LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

1. L’analyse qualitative des données

La recherche qualitative se caractérise par « la compréhension des phénomènes et cherche à décrire la nature complexe des êtres humains et la manière dont ils perçoivent leurs propres expériences à l’intérieur d’un contexte social particulier ».226 Elle s’inscrit dans un paradigme compréhensif,

interprétatif ou holistique, qui « considère la réalité comme une construction humaine, reconnaît la subjectivité comme étant au cœur de la vie sociale et conçoit son objet en terme d’action- signification des acteurs ».227 Si la recherche qualitative comprend plusieurs approches différentes

(ethnographique, phénoménologique, théorisation ancrée, étude de cas, etc.), celles-ci « suivent un même processus, soit l’introduction, les questions, les méthodes de collecte et d’analyse des données ».228

Comme le souligne Marta Anadón et Lorraine Savoie-Zajc, la visée de l’analyse qualitative des données « se préoccupe de comprendre la complexité, le détail et le contexte. La finalité de l’analyse est de construire des lectures interprétatives, c’est-à-dire de donner du sens à des phénomènes sociaux et humains caractérisés par une grande complexité. »229. De même, pour Paillé

et Mucchielli, l’analyse qualitative est une activité de l’esprit humain qui tente « de faire du sens face à un monde qu’il souhaite comprendre et interpréter, voire transformer ». Ceci implique non seulement l’intelligence conceptuelle mais concerne aussi, de façon plus globale, « un rapport au monde incarné sollicitant tous les sens humains ». Ainsi, les enjeux de l’analyse qualitative sont ceux d’une démarche discursive et signifiante « de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de témoignages, d’expériences ou de phénomènes » participant de la découverte et de la

226 Ibid., p. 258.

227 Les travaux suivants sont cités par les auteurs : Gérald BOUTIN. L’entretien de recherche qualitatif, Sainte Foy,

Presses de l’Université du Québec, 2000; Jean-Pierre DESLAURIERS. Recherche qualitative : guide pratique, Montréal, McGraw-Hill, 1991; Michelle LESSARD-HÉBERT, Gabriel GOYETTE et Gérald BOUTIN. Recherche qualitative : fondements et pratiques, Montréal, Éditions Nouvelles, 1995; Lorraine SAVOIE-ZAJC, « La recherche qualitative/interprétative en éducation », dans Thierry KARSENTI et Lorraine SAVOIE-ZAJC, Introduction à la recherche en éducation, Sherbrooke, Éditions du CRP, 2000, p. 171-198. Joséphine MUKAMURERA, France LACOURSE et Yves COUTURIER. « Des avancées en analyse qualitative : pour une transparence et une systématisation des pratiques », Recherches qualitatives, vol. 26, n° 1, 2006, p. 110-111.

228 Marie-Fabienne FORTIN Fondements et étapes du processus de recherche […], p. 258.

229 Marta ANADÓN et Lorraine SAVOIE-ZAJC. « Introduction. L’analyse qualitative des données », dans Marta

ANADÓN et Lorraine SAVOIE-ZAJC (dir.), L’analyse qualitative des données, Recherches qualitatives, vol. 28, n° 1, 2009, p. 1.

construction de sens.230 Comme le soulignent Paillé et Mucchielli, l’analyse qualitative s’inscrit

dans le courant épistémologique de l’approche compréhensive comme :

un positionnement intellectuel qui postule d’abord la radicale hétérogénéité entre les faits humains ou sociaux et les faits des sciences naturelles et physiques, les faits humains ou sociaux étant des faits porteurs de significations véhiculées par des acteurs (hommes, groupes, institutions, etc.), parties prenantes d’une situation interhumaine. L’approche compréhensive postule également la possibilité qu’a tout homme de pénétrer le vécu et le ressenti d’un autre homme (principe de l’intercompréhension humaine). L’approche compréhensive comporte toujours un ou plusieurs moments de saisie intuitive, à partir d’un effort d’empathie, des significations dont tous les faits humains et sociaux étudiés sont porteurs. Cet effort conduit, par synthèses progressives, à formuler une synthèse finale, plausible socialement, qui donne une interprétation « en compréhension » de l’ensemble étudié (c’est-à-dire qui met en interrelation systémique l’ensemble des significations du niveau phénoménal).231

Analyser des données pour Anadón et Savoie-Zajc implique « trois processus interreliés toujours présents, quoiqu’à des degrés variables » : la description, l’analyse et l’interprétation. Le premier processus concerne les données, à propos d’un phénomène étudié, ayant fait l’objet d’une description. Le second processus traite de l’analyse des données; « il convient maintenant pour le chercheur de les interroger, de les comparer, de faire ressortir les convergences, les divergences, les fils conducteurs. Il faut distinguer entre les dimensions centrales et celles qui sont périphériques, entre les éléments transversaux et les spécificités ». Le dernier processus, l’interprétation, fait appel à la créativité du chercheur qui, ayant développé une compréhension en profondeur face aux données, est en mesure de passer à un niveau conceptuel pour leur donner sens. « Si les processus de description et d’analyse reposaient beaucoup sur la compétence à utiliser divers outils de travail pour effectuer la réduction et la comparaison, le processus d’interprétation requiert de la part du chercheur des compétences qui sont plus de l’ordre de l’intuition, de l’inventivité, de la capacité de faire des liens avec les concepts théoriques, de nuancer, de relier les résultats avec ce qui est déjà connu à propos d’un phénomène donné ». Précisons que « le sens produit, interprété devra être crédible, cohérent et pertinent »232. D’ailleurs, Savoie-Zajc considère qu’une démarche

« scientifiquement valide » doit être cohérente, non seulement au plan épistémologique, mais aussi

230 Pierre PAILLÉ et Alex MUCCHIELLI. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, p. 11. 231 Ibid., p. 40.

232 Mentionnons que les auteurs se réfèrent à l’ouvrage d’Harry F. WOLCOTT. Transforming qualitative data:

description, analysis and interpretation, Thousand Oaks, Sage, 1994. Marta ANADÓN et Lorraine SAVOIE- ZAJC. « Introduction […] », p. 2.

aux plans théorique et technique. Les choix effectués sont justifiés, clairs et marqués par un esprit ouvert. De fait, « ils sont guidés non pas par un aveuglement méthodologique mais par une intention de dégager une compréhension riche et originale de l’objet d’étude ».233 L’auteur partage

la position d’Alvaro P. Pirès qui dit que « la fonction de la méthodologie n’est pas de dicter des règles absolues de savoir-faire, mais surtout d’aider l’analyste à réfléchir pour adapter le plus possible ses méthodes, les modalités d’échantillonnage et la nature des données à l’objet de sa recherche en voie de construction ».234

Les approches en analyse qualitative sont nombreuses, diverses et complexes. D’ailleurs, selon Anadón et Savoie-Zajc, les différentes approches méthodologiques « proposent leurs propres règles et leur propres procédures analytiques : chacune offre ainsi des modalités particulières pour effectuer notamment la réduction des données et leur description, pour aller de l’avant avec les comparaisons et les mises en parallèle des données et elle donne un “ton” pour non seulement interpréter les données mais également pour rédiger la recherche ». En outre, d’après les auteurs, qui se réfèrent à Wolcott, « chaque recherche exprime dans des proportions différenciées, les trois processus description/analyse/interprétation ». Ainsi, « certaines approches seront plus centrées sur la description avec un degré moindre d’analyse et d’interprétation alors que d’autres exprimeront un volet d’analyse plus explicite. Toutefois, il faut retenir que malgré leurs différences, tous ces processus analytiques valorisent la place centrale de l’interprétation et du chercheur ».235

1.1. Le choix des auteurs

L’état de la recherche a permis de relever les principales contributions dans les champs disciplinaires de la psychologie, du leadership, de la théologie et des études religieuses qui se sont intéressés à notre objet d’étude. Pour construire un échantillonnage scientifiquement valide, nous avons procédé à deux opérations au cours de cette étape : sélectionner les auteurs et les documents pertinents à soumettre pour l’analyse. Dans un premier temps, nous avons ciblé trois auteurs

233 Lorraine SAVOIE-ZAJC. « Comment peut-on construire un échantillonnage scientifiquement valide? »,

Recherches qualitatives, Hors Série, n° 5, p. 99-100.

234 Citation d’Alvaro P. PIRÈS. « .Échantillonnage et recherche qualitative : essai théorique et méthodologique », dans

J. POUPART, J.-P. DESLAURIERS, L.-H. GROULX, A. LAPERRIÈRE, P. MAYER et A. P. PIRÈS, La recherche qualitative : Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville, Gaëtan Morin, 1997, p. 113-172. Lorraine SAVOIE-ZAJC. « Comment peut-on construire un échantillonnage […] », p. 100.

s’inscrivant dans chacune des disciplines – Thérèse d’Avila en théologie spirituelle, Karlfried Graf Dürckheim en psychologie transpersonnelle et Otto Scharmer en leadership – selon les critères de la pertinence théorique et empirique. D’une part, nous avons choisi les auteurs les plus pertinents dont les travaux semblent contenir les informations requises qui permettraient d’explorer les questions de recherche et d’analyse en générant des catégories. D’autre part, ces auteurs se distinguent par leur approche pragmatique; ils ont développé une démarche intégrant la dimension spirituelle pour répondre aux besoins de leurs contemporains. Rappelons que Thérèse, qui est encore grandement étudiée à notre époque, propose le chemin de la contemplation, à partir de son expérience et à l’intention de ses sœurs carmélites. Tandis que Dürckheim se voyait plutôt comme un guide spirituel et son rôle était surtout d’indiquer un chemin d’expérience et de guider les gens sur la voie initiatique. Pour Scharmer, la théorie et la pratique du processus en U est une approche innovante de conduite du changement empruntée par des leaders d’innovation, qui est en même temps une technologie sociale et une synthèse de processus décrits dans les traditions de sagesse.

1.2. La sélection des données documentaires

Il s’agit ici d’une analyse des données documentaires qui prend comme source primaire les écrits et les textes des trois auteurs à l’étude. Il convient de faire un bref survol des écrits de Thérèse, de Dürckheim et de Scharmer afin de localiser les textes pertinents et d’évaluer leur crédibilité ainsi que leur représentativité pour approfondir le phénomène à l’étude. Tout d’abord, avec ses deux tomes, la production littéraire de Thérèse comptant près de 2 500 pages est fort variée, « présente plusieurs niveaux et comprend divers genres », allant des écrits d’introspection à une narration, passant par des traités doctrinaux, des correspondances et des poésies.236 Nous avons procédé à une

première lecture de l’œuvre thérésienne en sélectionnant quatre principaux écrits : 1) Livre de la vie, 1565; 2) Chemin de Perfection, 1566-1567; 3) Les Fondations, 1573-1582; Le Château intérieur, 1577. Le Livre de la vie est un écrit d’introspection, « regard sur son âme, itinéraire mystique entremêlé d’événements et d’expériences multiples, intimes et hautement ineffables, comme elle le dira elle-même ».237 Le Chemin de Perfection est un traité doctrinal qui contient une

pédagogie pour les commençants, centré sur un travail d’ascèse et destiné aux douze jeunes sœurs de son premier carmel. Tandis que les Fondations est une narration, une chronique de voyages qui

236 Tomàs ÁLVAREZ. « Introduction générale », dans Thérèse d’AVILA, Œuvres complètes I, p. X.

permet de bien saisir cette période de la vie de Thérèse où « elle entreprend rapidement ses fondations, elle acquiert son autorité sociale et son magistère spirituel ».238.En revanche, Le Château intérieur est une synthèse de théologie spirituelle sur le mode mystique, écrit pour exposer les étapes de l’expérience mystique, notamment les sommets de la vie spirituelle. « Il est destiné à des lecteurs fort expérimentés : les théologiens, ses confidents, et les religieuses adultes de ses carmels ».239 Par ailleurs, nous avons repéré des sources secondaires dans la littérature thérésienne,

notamment des études sur Thérèse d’Avila et Le Château intérieur.240 Nous avons donc ciblé des

auteurs pertinents avec lesquels nous pouvons entrer en dialogue, c’est-à-dire des commentateurs qui peuvent nous éclairer. De plus, des bons historiens sont capables d’interpréter le texte dans son contexte, ce qui veut dire de resituer le texte dans son contexte d’émergence. Enfin, les auteurs qui ont le même champ d’intérêt que nous, peuvent nous aider à nous situer et mettre en perspective l’originalité de notre recherche.

Les écrits de Dürckheim comptent dix-huit ouvrages et recueils de texte totalisant près de 3 510 pages, qui ont été publiés de 1949 à 2001 dans la version originale allemande avant d’être traduits en français. Nous avons fait une sélection en conservant douze ouvrages pour une première lecture : 1) Le Japon et la culture du silence, 1985 [1949]; 2) Sous le signe de la grande expérience, 2006 [1951]; 3) La percée de l’Être ou les étapes de la maturité, 1971 [1954]; 4) Hara, centre vital de l’homme, 1974 [1956]; 5) Pratique de l’expérience spirituelle, 1985 [1956]; 6) Le Zen et nous, 1976 [1961]; 7) Pratique de la voie intérieure. Le quotidien comme exercice, 1968 [1961]; 8) La voie de la transcendance. L’homme à la recherche de son intégralité, 1991 [1968]; 9) Le Maître intérieur : le maître – le disciple – la voie, 1980 [1972]; 10) L’homme et sa double origine, 1983 [1973]; 11) Méditer, pourquoi et comment, 1978 [1976]; 12) L’expérience de la transcendance, 1987 [1984].241 Mentionnons qu’un certain nombre de ces ouvrages visent un large public et

« indiquent une attention particulière au sujet et à son ouverture à une transcendance. Ils invitent le lecteur potentiel à revenir à l’essentiel ». Par ailleurs, depuis l979, on a vu apparaître quatre publications « qui font état d’entretiens que Dürckheim a eus avec des personnes qui se

238 Ibid., p. VIII. 239 Ibid., p. XI.

240 On compte près de 200 ouvrages et 260 articles, en langue française, anglaise et espagnole, ce qui indique que le

message de Thérèse est toujours d’actualité et valable pour notre temps, et ce à travers les cultures.

241 Notons que nous avons écarté les écrits concernant les récits, les textes de méditation ou de conférence, ainsi que

reconnaissent comme ses élèves. Parmi eux on rencontre des prêtres et des religieux ». 242 En outre,

parmi les huit ouvrages écrits à son sujet, nous relevons des témoignages des disciples ou amis de Dürckheim, une biographie de Gerhard Wehr et une thèse de Maryline Darbellay.

Enfin, pour les écrits de Scharmer, trois documents sont disponibles totalisant près de 1 100 pages. On relève un premier ouvrage collectif qui introduit la théorie U, un écrit principal qui présente en détail la théorie et la pratique du processus en U et un récent ouvrage écrit en collaboration avec sa partenaire Katrin Kaufer, co-fondatrice du « Presencing Institute » : 1) Presence. An Exploration of Profound Change in People, Organizations, and Society, 2005; 2) Theory U: Leading from the future as it emerges, 2007; 3) Leading from the emerging future. From Ego-System to Eco-System Economies, 2013. Ces trois écrits ont été sélectionnés pour une première lecture attentive et approfondie. Concernant les articles scientifiques, nous relevons quelques articles dans la revue, Reflections, publiée par « The Society for Organizational Learning (SoL) Journal ».

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