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CHAPITRE 1 L’ÉTAT DE LA RECHERCHE

4. Études théologiques et religieuses

4.4. Le chemin de la contemplation selon Thérèse d’Avila

Si la réforme protestante, qui touche l’Europe du Nord-Ouest et du Nord, fut responsable de la division de la chrétienté occidentale, on assiste à un renouveau de la spiritualité et de la mystique catholique dû à l’esprit des grands maîtres spirituels du XVIe et du XVlIe siècle. Le XVIe siècle

espagnol, tout comme le XVlIe siècle français, « marque un sommet, un âge d’or dans l’histoire de

la spiritualité chrétienne. On y trouve des maîtres spirituels en grand nombre dont plusieurs ont encore une influence aujourd’hui »,205 comme le jésuite Ignace de Loyola (1495-1556) et les deux

carmélitains, Thérèse d’Avila (1515-1582) et Jean de la Croix (1542-1591).

Selon la théologienne Gillian Ahlgren, l’œuvre de Thérèse d’Avila (le chemin de l’oraison contemplative, les fondations et les écrits) s’inscrit dans une période critique de l’histoire de l’Espagne et s’échelonne principalement sur les vingt-deux dernières années de sa vie (1562-1582)

203 Ibid., p. 70.

204 Il nous invite à ne pas fuir les conflits, les situations de tension, les problématiques mais à entretenir une espérance

réaliste afin de découvrir et de mettre en œuvre des pistes de solution pouvant faire progresser la vie humaine. « Quand la survivance nécessite un système inexistant, le besoin de créer celui-ci est alors manifeste. Même s’il faut une série de catastrophes pour convaincre les gens du besoin de créer, la longue et dure ascension vers le sommet, c’est encore le processus créateur lui-même. En rétrospective, ce processus peut apparaître comme une grandiose stratégie qui se déroule en une série ordonnée et cumulative d’étapes. Mais toute rétrospective a l’avantage de connaître les réponses. La tâche créatrice, c’est de découvrir celles-ci. C’est une question « d’insight », … » Bernard LONERGAN (1975), cité dans Centre Lonergan. Université Saint-Paul, Ottawa, (page consultée le 4 mars 2011), http://ustpaul.ca/fr/centre- lonergan-accueil_371_131.htm.

205 Hermann GIGUÈRE. « Le contexte de la spiritualité française au XVIIe siècle », dans Carrefour Kairos, Faculté

de théologie et des sciences religieuses, Université Laval, mis sur le site le 22 janvier 2001, (page consultée le 26 septembre 2014), http://www.carrefourkairos.net/msp/france.htm.

alors qu’elle a atteint les sommets de la vie mystique.206 Thérèse a assumé un rôle novateur en tant

que mystique, réformatrice, auteure et maître spirituel pour répondre à la condition des femmes religieuses et laïques dans un contexte patriarcal. Elle a été appelée à défendre la légitimité de son expérience mystique, le chemin d’exploration de « son intériorité habitée par Dieu », de sa réforme dans les couvents féminins à l’heure du mouvement de retour à la règle primitive propice à la croissance d’une vie spirituelle authentique, et de ses traités spirituels visant à guider les femmes sur la voie de l’oraison contemplative, de l’union transformante avec Dieu.

Dans son diagnostic de la condition humaine, Thérèse soutient l’impossibilité d’une autoconstitution par le sujet. La personne qui vit à l’extérieur d’elle-même se trouve dans un état de dispersion, de désordre intérieur et elle est incapable de trouver sa véritable identité : « il lui manque la lumière et l’unité » puisqu’elle a perdu son centre.207 Dans son œuvre magistrale, Le Château intérieur, Thérèse propose une démarche spirituelle, le chemin de la contemplation, comme un mouvement d’intériorisation progressive en sept étapes, les sept demeures, devant mener vers le centre de l’âme où Dieu habite.208 En effet, selon elle, le moyen qui favorise l’entrée

dans la vie spirituelle est l’oraison209. Dans la première phase (1res, 2es et 3es Demeures), la personne

marche vers Dieu, c’est-à-dire qu’elle décide de s’orienter vers Dieu suite à ses appels.210 D’après

Thérèse, la véritable vie spirituelle commence à partir de la deuxième phase (4es et 5es Demeures)

lorsque Dieu vient vers la personne en Jésus-Christ. Elle débute vraiment en ces 4es Demeures où

« Dieu intervient progressivement dans la vie de l’âme par un secours dit “particulier” », en la libérant de son égocentrisme pour qu’elle naisse à une nouvelle vie et que se réalise l’union de la

206 À partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, les autorités religieuses adoptèrent un modèle de contrôle plus rigide

cherchant à dissuader de diverses manières, notamment par une série d’inquisitions et la censure de nombreux textes spirituel, les gens de pratiquer la nouvelle spiritualité centrée sur l’oraison mentale, c’est-à-dire l’oraison du recueillement. Gillian T. W. Ahlgren. Teresa of Avila and the Politics of Sanctity, Ithaca, Cornell University Press, 1996, p. 2-7.

207 Maria Isabel ALVIRA. Vision de l’homme selon Thérèse d’Avila. Une philosophie de l’héroïsme, Paris, F.X. de

Guilbert, Éditeur O.E.I.L., 1992, p. 119.

208 Si Alvira montre que la mystique du recueillement a exercé une grande influence sur Thérèse d’Avila, il est clair,

selon elle, « qu’elle s’en détache par son génie propre ». Plus précisément, dans Le Château intérieur, Thérèse « distingue l’oraison du recueillement (deux sortes), de celle de la quiétude, d’union, des fiançailles et du mariage spirituel. Aucun auteur du recueillement ne fait autant de distinctions. » Ibid., p. 38.

209 Thérèse présente l’oraison comme « une amitié intime, un entretien fréquent, seul à seul, avec Celui dont nous

nous savons aimées ».Thérèse D’AVILA. « Livre de la vie », chapitre 8, dans Œuvres complètes, Traduction de l’espagnol par Mère Marie du Saint-Sacrement, Paris, Cerf, 2010 [1995], p. 62.

210 C’est Dieu, en effet, qui prend l’initiative et appelle le premier. Il assure « à l’âme sa grâce ordinaire ou secours

général », lui laissant « la direction et l’initiative en sa vie spirituelle ». Père MARIE EUGÈNE DE L’ENFANT- JÉSUS. Je veux voir Dieu, Venasque, Éditions du Carmel, 1998 [1949], p. 129.

volonté dans les 5es Demeures.211 C’est une désappropriation de soi dans le don de soi qui permet

de recevoir la puissance de l’Amour de Dieu dans le Christ. Dans la troisième phase (6es et 7es

Demeures), la personne et Dieu marchent ensemble sous l’action de l’Esprit Saint. Ces demeures constituent les sommets de la vie spirituelle vers l’intégration entre contemplation et action. Pour Thérèse, Dieu est notre fin et l’atteindre signifie être en son centre. C’est là que l’âme peut « s’y unir parfaitement à Dieu et vivre complètement dans sa lumière et sous sa motion ».212

Si nous omettons les 1res Demeures, considérées comme base de départ, nous distinguons trois

périodes fortes qui marquent des états d’union bien spécifiques : les 3es Demeures, « où triomphe

l’activité naturelle de l’âme aidée de la grâce »; les 5es Demeures « dans lesquelles se réalise l’union

de volonté »; les 7es Demeures « éclairées par l’union transformante ». Les trois autres demeures

sont « des périodes de transition ou de préparation », c’est-à-dire qu’elles sont habituellement « plus pénibles et plus obscures que les précédentes ».213 La sécheresse caractérise les

2es Demeures, la nuit du sens les 4es Demeures, alors que la nuit de l’esprit règne aux 6es Demeures.

Ainsi, à chacune des phases, il y a un processus de purification, d’illumination qui se fait214,

conduisant à une expérience d’approfondissement de l’amour véritable, l’agapè. Ce sont deux amours, « l’amour de Dieu pour l’âme et l’amour de l’âme pour Dieu », qui « harmonisent leur action de plus en plus puissante au cours de la croissance spirituelle ».215

Par ailleurs, Mary Joe Meadow propose des correspondances entre les stades psychologiques de Jane Loevinger sur le développement du Moi et les étapes de développement spirituel de Thérèse d’Avila.216 C’est à partir du premier stade postconventionnel, dit Individualiste, correspond aux

4es Demeures que la vie mystique débute et l’accent est mis sur la prière. Au stade suivant, dit Autonomie, qui renvoie aux 5es Demeures, la vie spirituelle s’approfondit et la personne transcende

ses intérêts personnels pour se tourner vers le transcendant. Selon l’auteur, les dernières étapes de la vie spirituelle, les 6es et 7es Demeures, sont incompatibles avec les stades de Loevinger.

211 Ibid., p. 129. 212 Ibid., p. 128. 213 Ibid., p. 128. 214 Ibid., p. 131. 215 Ibid., p. 129.

216 Professeure retraitée en psychologie des religions, l’auteur se consacre maintenant à l’enseignement de la spiritualité

œcuménique en participant au dialogue entre le christianisme et le bouddhisme. Mary Jo MEADOW. « Personality Maturity and Teresa’s Interior Castle », Pastoral Psychology, vol. 40, n° 5, 1992, p. 293-302.

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