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CHAPITRE 3 LE GRAND TOURNANT VERS UN CHANGEMENT CULTUREL

1. Des événements fondateurs et des tournants

1.5. Le mouvement démocratique dans le monde : 2010

D’après Touraine, depuis la crise financière, nous sommes confrontés à la fin des sociétés qui annonce le commencement « d’un autre type de vie collective et individuelle fondé sur la défense des droits humains universels contre toutes les logiques d’intérêt et de pouvoir ».367 Ce sont les

valeurs culturelles qui se substituent aux normes sociales institutionnalisées, des valeurs ou des principes éthiques qui « se tiennent au-dessus des institutions et des lois ».368 À travers leurs

362 Et d’après l’auteur, « c’est lorsque les significations sociales des religions disparaissent que celles-ci apparaissent

le mieux dans leur inspiration non sociale ». Ibid., p. 70-71.

363 Par sécularisation, l’auteur entend la « dissolution du religieux dans les pratiques sociales, qu’elles soient

utilitaristes ou humanitaires ». Touraine affirme d’ailleurs que « plus notre capacité d’agir sur nous-mêmes et sur notre environnement s’accroît, et plus cet humanisme se renforce » (p. 110). Ibid., p. 109.

364 Ibid., p. 110.

365 Notamment « par la réflexion sur le totalitarisme et la mondialisation, sur les rencontres entre les cultures et le

respect des minorités, sur l’impossibilité de poursuivre le mode actuel de développement économique », sur la nécessité d’élever le niveau de vie des plus pauvres, sur la place que la culture accorde aux femmes et sur la sortie des illusions sur la fin des religions. Alain TOURAINE. Penser autrement, p. 132.

366 Voilà pourquoi ce sociologue nous invite à « chercher le sujet en chaque individu, parce qu’il y est présent comme

exigence universelle de liberté et d’égalité ». Alain TOURAINE, La fin des sociétés, p. 23-24.

367 Ibid., p. endos. 368 Ibid., p. 12.

revendications éthiques, les militants du Printemps arabe ou les manifestants américains d’Occupy Wall Street, les indignados de la Puerta del Sol à Madrid, les nouveaux dissidents chinois, les étudiants chiliens de 2011 ou, « plus généralement, le mouvement des femmes et des minorités sexuelles comme l’écologie politique fraient les voies de l’ère post-sociale et post-historique dans laquelle nous entrons ».369 Ce sont des acteurs de changement qui luttent pour « l’idée des droits

de l’homme, cette idée sans laquelle la démocratie manquerait de principe fondateur ».370 En

devenant des acteurs de leur propre histoire et en participant au mouvement démocratique dans le monde, des hommes et des femmes « entreront dans le monde de l’universel, des droits de tous, de l’égalité et des différences reconnues et compatibles avec l’égalité de tous ».371

La fin des sociétés entraîne, selon Touraine, aussi le déclin de l’idée de révolution.372 Dans cette

ère postsociale et posthistorique, de nouvelles formes d’action émergent, mettant de l’avant la mobilisation subjective et non pas une stratégie politico-militaire. L’appel lancé en 2010 par Stéphane Hessel, en publiant son manifeste Indignez-vous! qui a connu un succès mondial, « s’adressait directement aux acteurs, tout en reconnaissant que l’indignation ne pouvait être qu’un premier pas » pour lutter contre l’indifférence.373 Il s’agit ici d’élever la conscience « vers les divers

niveaux d’apparition du sujet dans les situations post-sociales, où les mouvements d’action collective ne disparaissent pas »,374 mais se transforment en mouvements globaux, démocratiques

et fortement pénétrés par des thèmes éthiques, c’est-à-dire « qu’ils se définissent beaucoup moins par leurs objectifs économiques et politiques que par l’affirmation d’une volonté d’être acteur. Cela ne suffit pas à fonder une démocratie, mais c’est une condition nécessaire de son existence. »375 D’ailleurs, selon Touraine, la globalisation du capitalisme financier « a provoqué la

formation d’un vaste mouvement altermondialiste qui, à partir de Porto Alegre, au Brésil, a suscité l’organisation de forums continentaux et internationaux d’une nouveauté absolue ».376 Si ces

369 Ibid., p. endos. 370 Ibid., p. 14. 371 Ibid., p. 21.

372 La révolution est ici définie « comme la prise par la force du pouvoir d’État en vue d’une transformation en

profondeur de l’organisation économique et sociale et de la représentation que les citoyens ont de leur société ». Touraine considère que « la pensée et l’espoir révolutionnaires se sont effondrés parce que la confiance en l’action politique a disparu ». Ibid., p. 75.

373 Ibid., p. 102. 374 Ibid., p. 105. 375 Ibid., p. 108. 376 Ibid., p. 106.

réunions massives ont mis en mouvement des millions d’hommes et de femmes qui critiquent directement le triomphe du capitalisme financier, sa faiblesse provient du fait que cette action politique ne parvient pas à construire sa propre unité. C’est le Printemps arabe, tunisien et surtout égyptien, « qui a rendu visible aux yeux du monde entier cette vague contestataire » qui s’est organisée à partir des réseaux sociaux, Facebook et Twitter. Ce mouvement spontané, d’inspiration avant tout démocratique, « a cherché à renverser les dictatures militaires, nationalistes, qui s’étaient répandues presque partout dans le monde arabo-musulman après le succès de Nasser ».377

Pour cet observateur, ce passage difficile à l’action politique révèle une « rupture entre la mobilisation sociale et l’action politique » qui est entraînée par la séparation des systèmes et des acteurs. « Ceux-ci, dit-il, luttent au nom des valeurs, pour la démocratie, tandis que les adversaires ou les partisans de l’armée prennent des positions proprement politiques. »378 Si Touraine entretient

« l’espoir d’un retour de la démocratie dans le monde entier, en lutte contre les régimes qui, au nom de la modernisation, ont détruit la modernité », il sait qu’un tel combat n’est pas gagné d’avance.379 Voilà pourquoi il estime que « seul le sujet, faisant appel à ses droits fondamentaux,

est capable de faire reculer les instruments de pouvoir ». Ses observations montrent que « nous vivons dans un monde où l’engagement personnel a manifesté une plus grande capacité de résistance ».380 Il ne s’agit plus de parler de révolution, mais de démocratie participative.381 La

création de nouveaux acteurs est encore plus indispensable aujourd’hui pour faire face aux défis globaux du monde contemporain. Il s’agit de renforcer un mouvement démocratique qui transforme

377 Pour Touraine, même si nous avons observé que les forces politiques et même religieuses ont rapidement repris le

dessus, « ce retournement ne signifie pourtant pas que les soulèvements populaires de ces deux pays, comme ceux du Yémen, de Bahreïn, et plus récemment de Syrie, aient été superficiels et trop fragiles pour durer; le passage de mouvements avant tout “civils” à une action politique est simplement aussi complexe qu’il l’était aux XIXe et XXe

siècles dans les pays européens eux-mêmes » (p. 107). Or, selon l’auteur, « que le passage de ces mouvements à la construction de régimes démocratiques soit toujours long, difficile et aboutisse souvent à des échecs ou même à une répression violente, comme on le voit en Syrie, n’empêche pas qu’ils fassent écho, dans bien des parties du monde » (p. 108). Ibid. p. 107.

378 Ibid., p. 116.

379 « Le sort du récent Printemps arabe vient de nous le rappeler brutalement en donnant la victoire électorale, non pas

à la jeunesse de Tunisie ou d’Égypte, mais à ses adversaires – militaires, Frères musulmans ou même salafistes. » Ibid., p. 232.

380 Ibid., p. 233.

381 Il est aujourd’hui manifeste que les actions collectives comme les soulèvements au Moyen-Orient, « nous ont

montré que le chemin qui mène de l’indignation à la mobilisation, à la résistance et à la victoire, est long et périlleux. Ces échecs ne sont qu’apparents ». Ibid., p. 247.

tous les aspects de la vie privée autant que de la vie publique, et ce dans le monde entier. Ceci implique de mettre en valeur la primauté et la dignité absolue du sujet.

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