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La tentation de Jésus

La préexistence et la manifestation historique de Jésus le Christ

B. La tentation de Jésus

Comme dans les écrits apostoliques devenus canoniques, le récit de la tentation du Fils de Dieu vient, dans le récit de Justin Martyr, après le baptême de Jésus173

. L’Apologiste nomme l’auteur de la tentation « Satanas » pour indiquer « par-là qu’il a reçu un nom

composé d’après l’action qu’il a accomplie » (Dial. 103,5.6). Mais l’étymologie de Justin

Martyr prend appui sur une décomposition de satan©j: sata = s’écarter », « être infidèle » (et aussi ¢post£thj) et n©j (serpent) (cf. 103,5)174

. De ces deux expressions, une seule est née « Satan©j » par laquelle l’Apologiste désigne le diable qui a tenté le Christ au sortir des eaux du Jourdain.

Il faut faire ici remarquer deux faits importants. D’abord étymologiquement, il y a continuité car « n©j, serpent » rappelle le péché d’Adam induit par le serpent de la Genèse (Dial. 103,6). Ensuite, aux yeux de Justin Martyr, la tentation apparaît comme l’accom- plissement de ce qui n’était que figure dans le combat de Jacob (Gn 32,25-33)175

. L’entre- prise de Satan n’eut donc pas de succès car le Christ non seulement l’écrasa et le renversa, mais aussi le convainquit de la perversité dont il avait fait preuve, à l’encontre de l’Écriture, à savoir le désir d’être adoré comme dieu. L’Apologiste rapporte, à la suite des Mémoires

des Apôtres, la réponse du Christ : « (…) ‹Arrière, Satanas ! Tu adoreras le Seigneur ton Dieu,

et lui seul tu serviras› (…) » (Dial. 103,6)176

. De ce fait, il est devenu « Sata », « apostat » de la volonté de Dieu. Dans le récit de la tentation que rapporte Justin Martyr, l’accent est mis dans le combat entre la force du mal et Jésus. Mais d’où provient ce récit ?177

172 D.A.BERTRAND, 1973, p. 93. Voir aussi les pages 131-132.

173 Cf. Lc 4, 1.7-8 (Dt 6,13) ; 3,22 (Ps 2, 7) ; Mt 4, 9.10 ; 16,23 ; M.STEINER, 1962, La tentation de Jésus dans l’interprétation patristique, p. 13-15.

174 Sur les différentes appellations du diable, voir 1 Apol. 28,1 ; Apoc. 12,9 ; 20,2. Chez Irénée, on retrouve l’étymologie proposée par Justin Martyr et celle selon laquelle « Satanas » signifie « adversaire ». IRÉNÉE, Adv. Haer. V, 21,2 et La prédication apostolique, 16.

175 Gn 32, 25 : Dial. 125,5 ; 126,3 ; Gn 32,28 : Dial. 58, 3.9 ; 75,2 ; 106,3 ; 125,2.3 ; 129,1 ; voir Gn 32,30.

176 Cf. Mt 4, 10 ; 16,23 et Lc 4,8 ; cf. Dt 6,13. Cette réponse de Jésus est reprise plus loin mais avec une variante. Se basant sur Mt, Lc et Dt, Jésus, selon Justin Martyr, répond : « Il est écrit : c’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à lui seul tu rendras un culte » (Dial. 125,4).

Presque tous les termes essentiels que l’auteur utilise dans son récit se retrouvent chez Luc (cf. Lc 4,7). Mais l’expression « me/xri tou= ei¹peiÍn au)t% : jusqu’à lui dire » (Dial. 103,6) et la suite pourraient être un indice de dépendance littéraire de Matthieu, pour qui c’est la dernière tentation et chez qui figure cette même expression (cf. Mt 4,8 ; voir aussi Lc 4,6). L’auteur retient uniquement la tentation relative à l’adoration du seul vrai Dieu pour montrer le lien entre Jésus et le Père Créateur.

Quant au blâme ou à l’invective faite par le Christ, « àUpage o)pi¿sw mou, satana= », en réponse à la proposition du diable, elle est absente dans l’Evangile de Luc. Matthieu écrit : « àUpage, Satana= » là où Justin Martyr écrit « àUpage o)pi¿sw mou, satana= ». Cette formu- lation renverrait au blâme que le Christ fit à Pierre : « o( de\ strafeiìj eiåpen t%½ Pe/tr%, àUpage o)pi¿sw mou, Satana= : Mais lui, se retournant, dit à Pierre : ‹Retire-toi ! Derrière moi,

Satan !› (…) » (Mt 16,23). Mais le problème se pose : l’expression « o)pi¿sw, derrière » de

Justin Martyr n’est pas reprise dans les récits évangéliques. Pouvons-nous trouver dans cette différence un enjeu interprétatif ? Probablement, l’auteur veut souligner qu’il y a un conflit entre Jésus et Satan comme entre Dieu et les démons. Dans ce sens, il est évident d’affirmer que le récit matthéen a influencé littérairement Justin Martyr qui insiste sur la soumission de Satan dans la lutte opposée à Jésus. Il le met « derrière » pour signifier qu’il est vaincu.

Mt 4,9 « (…) kaiì le/gei au)t%½, Tau=ta/ soi pa/nta dw¯sw e)a\n peswÜn proskunh/svj moi.

10 to/te le/gei au)t%½ o( ¹Ihsou=j, àUpage, Satana= : ge/graptai ga/r, Ku/rion to\n qeo/n sou proskunh/seij kaiì au)t%½ mo/n% latreu/seij ».

Dial. 103,6 « kaiì ga\r ouÂtoj o( dia/boloj (…)

e)n toiÍj a)pomnhmoneu/masi tw½n a)posto/lwn

ge/graptai proselqwÜn au)t%½ kaiì peira/zwn me/xri tou= ei¹peiÍn au)t%½ : Prosku/nhso/n moi : kaiì a)pokri¿nasqai au)t%½ to\n Xristo/n : àUpage o)pi¿sw mou, satana= : ku/rion to\n qeo/n sou proskunh/seij kaiì au)t%½ mo/n% latreu/seij ».

Lc 4,7 « su\ ouÅn e)a\n proskunh/svj e)nw¯pion e)mou=, eÃstai sou= pa=sa.

8 kaiì a)pokriqeiìj o( ¹Ihsou=j eiåpen au)t%½, Ge/graptai, Ku/rion to\n qeo/n sou proskunh/seij kaiì au)t%½ mo/n% latreu/seij ».

« Il (diable) lui dit : ‹tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores.› Alors Jésus lui dit : ‹Retire- toi, Satan ! car il est écrit :

Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte ».

« C’est ce diable qui (…), selon qu’il est écrit dans les Mémoires des Apôtres, s’approcha de lui et le tenta jusqu’à lui dire : ‹Adore- moi› ! Mais le Christ lui répondit : ‹Arrière, satanas !

Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un culte ».

« Toi donc, si tu m’adores, tu l’auras (pouvoir) tout entier.› Jésus lui répondit : ‹Il est écrit : Tu adoreras le

Seigneur ton Dieu, et c’est à lui seul que tu rendras un culte ».

Justin Martyr reprend la formulation de la Loi de l’adoration de Dieu telle qu’elle est énoncée dans le Décalogue et aussi dans les Evangiles mais avec une modification. Il a « proskunh/seij » à la place de « fobhqh/sv » qu’on lit dans le livre du Deutéronome : « ku/rion to\n qeo/n sou fobhqh/sv kaiì au)t%½ latreu/seij Tu craindras le Seigneur ton Dieu,

tu lui rendras un culte (…) » (Dt 6,13). Cette expression est connue dans l’Apologie :

« Quant au devoir de n’adorer que Dieu seul, il nous l’a persuadé en ces termes : ‹Le plus grand

commandement est : Tu adoreras (proskunh/seij) le Seigneur ton Dieu et tu le serviras

(latreu/seij) lui seul, de tout ton cœur et de toute ta force, lui le Seigneur Dieu, qui t’a créé » (1 Apol. 16,6). En tous cas, cela est déjà présent chez Matthieu, et même dans la source Q, parce que « proskunh/seij » est aussi chez Luc.

La dernière précision « le Seigneur Dieu, qui t’a créé » (1 Apol. 16,6) peut avoir été ajoutée pour combattre la distinction faite par les gnostiques entre le « créateur » de la religion juive et le « Dieu » de la religion chrétienne. Et c’est dans ce contexte que Justin Martyr complète en disant que « Dieu est celui qui a créé l’univers »178

. Cependant, alors que les Mémoires des Apôtres ont conservé trois demandes formulées par le tentateur, Justin Martyr n’en rapporte qu’une et qui porte sur l’adoration. Elle est la dernière selon l’ordre de Mt et la deuxième chez Luc. Justin Martyr semble être tributaire de la source qu’il suit. Par ailleurs, il lie ou agence, comme les évangélistes, le baptême à la tentation : « c’est ce diable qui, au moment où Jésus remontait du Jourdain, et où la voix venait de lui

dire ‹Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré›, selon qu’il est écrit dans les Mémoires des Apôtres, s’approcha de lui et le tenta (…) » (Dial. 103,6).

Si Justin Martyr voit dans ce passage du Psalmiste : « Ils ouvrent la gueule contre moi,

ces lions déchirant et rugissant » (Ps 21, 14) l’annonce ou la préfiguration de la tentation

du Christ, c’est que « pour lui, affirme M. Steiner, les deux événements (baptême et tenta- tion) sont deux phases d’un même drame (cf. Dial. 88,8). La tentation n’est que le premier acte qui oppose les deux adversaires, et ceci dès l’instant où les événements miraculeux du Jourdain ont manifesté Jésus comme Fils de Dieu »179

. Le tentateur rappellera cette identité180

. C’est pourquoi il propose au Christ de l’adorer afin d’être l’égal de Celui qui lui a dit : « Tu es mon fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré » et qui le charge de proclamer les enseignements nouveaux dont il est le Maître (did£skaloj).

II. La Nouvelle législation du divin Maître

Justin Martyr présente Jésus à la fois comme Nouvelle Loi et Nouveau Législateur qui rend caduque la Loi de l’Horeb et s’érige en Nouveau Moïse. Une fois atteint l’âge d’homme, il a enseigné, en actes et en paroles, la nouvelle voie du salut181

. Il a donné des

178 1 Apol. 16,7 où il cite Mc 10,17-18 ; Mt 19,16-17 ; Lc 18,18-19. Aucune de ces références ne dit ici que Dieu a créé l’univers. Cet ajout est donc intentionnel. En Dial. 93,2, le texte cité est plus proche de celui du Nouveau Testament. Mais la citation est légèrement modifiée en Dial. 101,2.

179 M.STEINER, 1962, p. 13-15 ; cf. Dial. 88,8.

180 Cf. M.MARCOVICH, 1997, p. 248 ; A.J.BELLINZONI, 1967, p. 37-43. LatreÚseij = tu serviras : Mt 4,9-10 ; Dial. 125,4 ; 1 Apol. 16,5 ; M.MARCOVICH, 1997, p. 286.

préceptes nouveaux et, à ce titre, il est le Maître divin du Nouveau Peuple (cf. Dial. 11,1.5). Et c’est pourquoi il est appelé « Didascale » car il a « (…) proclamé la Parole

reçue de lui [Père] » (Dial. 102, 2)182

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