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Les prophètes juifs et l’Esprit prophétique

Premier chapitre : Les Ecritures Prophétiques

C. Les prophètes juifs et l’Esprit prophétique

La première partie du Dialogue avec Tryphon comprend en plus de la Loi, l’évocation des prophéties et des figures messianiques. Leur lecture a permis à l’Apologiste de se rendre compte que la naissance humaine et virginale du Verbe et Fils de Dieu, sa mort, sa Résur- rection110

, la mission des Apôtres et la conversion des chrétiens111

. ont été prédites. Ces événements sont tirés des livres des prophètes et ainsi que des Psaumes et des Proverbes112

.

1. Les prophètes, amis de Dieu

En tant que médio-platonicien, l’auteur est préoccupé par la connaissance de Dieu. « Qu’appelles-tu l’être ? » (Dial. 3,5) lui demandera le vieil homme. Dieu, selon Justin Martyr, est la Première Cause de la création qui doit être perçue par l’esprit seul (cf. Dial. 4,1). Cette conception médio-platonicienne est réfutée par le vieillard qui conclut que les philosophes qui enseignent une telle doctrine ne savent rien113

. Il discrédite ainsi le pré- tendu chemin de la vérité que Justin Martyr a parcouru. Désorienté, le jeune chercheur demande : « A quel didascale, dis-je, peut-on alors avoir recours, et où chercher de l’aide si

même chez ceux-là, on ne trouve point le Vrai ? » (Dial. 7,1). Son interlocuteur présentera

les prophètes comme les seuls guides menant à la vérité ; eux seuls ont annoncé les pro- phéties et les figures du Messie.

Souvent le mot « Prophète » a, chez les Apologistes, une acception très large : il désigne toute personne inspirée114

. Cependant, en affirmant que les prophètes sont les gens « (…) qui annoncent les choses avant qu’elles n’aient lieu (…) » (1 Apol. 30), Justin Martyr s’en tient à l’étymologie du verbe pro¢fhmi (annoncer à l’avance). Ces hommes parlent au

nom et à la place (pro¢) de Dieu. L’accent est ici mis sur le fait que les prophètes parlent

« à l’avance de l’avenir » (pro-fˇthj) et cela « au nom de Dieu ». Leur rôle serait donc de dire ou de prononcer (Qesp∂zein) des oracles portant sur l’avenir au nom de Dieu (cf.

Dial. 7,1). C’est dans ce sens qu’ils sont, chez les Juifs, « des hommes (…) par lesquels

l’Esprit prophétique annonça par avance les événements à venir, avant leur réalisation »

(1 Apol. 31,1 ; cf. 1 Apol. 31,7 ; 52,1).

Les prophètes sont les détenteurs de la Vérité et leurs écrits subsistent encore aujour- d’hui au profit de tout lecteur : « il y eut, voilà bien longtemps, affirme-t-il, certains

hommes, d’une plus grande antiquité que ces prétendus philosophes (…). Eux seuls ont vu et annoncé le Vrai aux hommes (…) ils rapportaient seulement ce qu’ils avaient entendu et vu,

emplis d’un Esprit-Saint » (Dial. 7,1)115

. Deux caractéristiques essentielles des prophètes

110 Naissance humaine : Dial. 63-71 : Is 53,8 ; Ps 109 ; 45 ; 99 ; 72 ; 19 ; Is 42. Naissance virginale : Dial. 74-88 : Dt 13,16-18 ; Ex 23,20 ; Dn 2,34 ; Gn 48,11 ; Is 9,5 ; Mort et Résurrection du Fils de Dieu : Dial. 89-118 : Dt 33,17 ; Nb 24,4-9 ; Ps 21 ; Jon 3,3 ; Mich 4,1-7 ; etc.

111 Cf. Dial. 119-140 : Dt 32,16-23 ; Gn 22,18 ; 28,14 ; 49,10 ; 72,17 ; etc.

112 Voir aussi M.CAMBE, 1997, »Prédication de Pierre. Introduction, traduction et notes », dans F.BOVON et P.GEOLTRAIN (éd.), 1997, Ecrits apocryphes chrétiens, Vol. I, p. 6.

113 C.D.ALLERT, 2002, p. 93.

114 Cf. THEOPHILE d’Antioche, Ad Autolycum 2,9 (SC, 20) ; TERTULLIEN, Apologétique 19,8-10 (J.-P. WALTZING (éd.), 1991, Paris) ; ATHENAGORE, Suppl., 2,9 (SC, 379) ; JUSTIN MARTYR, 1 Apol. 52,1 ; Dial. 49,3 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 719, note 14.

sont à relever : l’ancienneté et la vérité. En se basant sur le temps antique, « voilà bien

longtemps », Justin Martyr reste dans l’histoire connue. Il attire l’attention sur le fait que

ces hommes inspirés sont des personnages historiques, connus et plus anciens que tous les philosophes et poètes grecs116

. Ils sont aussi les dignes témoins et les serviteurs de la Vérité, car fidèles rapporteurs de ce qu’ils ont vu et entendu117

. A ses yeux, les prophètes juifs sont ainsi les hommes auprès desquels on peut découvrir la « Vérité », Jésus le Christ, car ils n’enseignent que ce dont ils sont sûrs.

Les prophètes accomplissaient les prodiges qui les rendaient dignes de foi. Ils célé- braient, à travers leurs paroles écrites (prophéties), l’auteur de l’univers, Dieu et Père, et annonçaient le Christ qui vient de lui, son Fils (cf. Dial. 7,3). Par leurs actes et paroles, ils se distinguent de ceux qui sont imbus de l’esprit d’erreur et d’impureté que Justin Martyr appelle pseudo-prophètes (cf. Dial. 7,3). Trois épithètes singularisent les pro- phètes : ils sont Bienheureux (mak£rioi), Justes (d∂kaioi) et Aimés de Dieu (qeofile√j)118

. Pour agir, ils étaient mus et emplis par un Esprit Saint (¡g∂ῳplhrwq◊ntej pn◊umati). Ils ont prophétisé dans des écrits qui subsistent et peuvent être consultés (cf. Dial. 7,2). Ces écrits contiennent tant les prophéties que les figures relatives au Christ.

2. Les prophéties et les figures messianiques de l’Ancien Testament

Des prophètes, l’Apologiste a appris tout ce qu’il sait de la vie (cf. 1 Apol. 30.), des miracles, de la Mort, de la Résurrection, de la Glorification du Christ (cf. 1 Apol. 31,7). Les citations bibliques, provenant de la version de la Bible des Septante et des testimonia, et qu’il intègre dans sa démonstration, sont agencées en vue de prouver que Jésus est bien le Messie annoncé et attendu dont les prophètes ont chanté la venue des milliers d’années avant son Incarnation et sa Naissance. Les textes scripturaires articulent sans cesse la pré- existence du Verbe de Dieu, les annonces prophétiques de Jésus et la condition céleste du Fils de Dieu119

.

Déjà dans le livre de la Genèse, le Verbe dit par l’intermédiaire de Jacob que « lui-

même sera l’attente des nations » (Gn 49,10)120

. Il annonce les deux parousies, les deux venues du Messie : l’une sans honneur, sans apparence et mortelle (cf. Dial. 14,8) et l’autre glorieuse121

. Il annonce son Incarnation et sa Naissance virginale par l’inter- médiaire de la Vierge et son retour glorieux assis sur les nuées du ciel. Justin Martyr se réfère aussi au livre de Daniel122

qui prédit la possession du trône par le Fils d’homme

116 Cf. C.D.ALLERT, 2002, p. 94 ; C.VAN WINDEN, 1977, p. 112. E.ROBILLARD, 1989, p. 136. Sur l’ancienneté des prophètes, voir encore 1 Apol. 44,8-9 ; 54,2 ; 59,1ss ; J.GERVAIS, 1943, « L’argument prophétique des prophéties messianiques selon Saint Justin », Revue de l’Université d’Ottawa 13 (1943), p. 134-140 ; A. WARTELLE, 1987, p. 227 ; P. PILHOFER, 1990, Presbyteron Kreitton, p. 237.

117 Pour la thématisation de la vérité dans le Dialogue avec Tryphon, voir C.I.K.STORY, 1970, The Nature of

Truth in ‹The Gospel on Truth› and in the Writings of Justin Martyr, Leiden (NT.S, 25) ; C.D.ALLERT, 2002,

p. 10-13.122-186 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 756, note 7 (Dial. 67,4).

118 Les trois qualificatifs sont réunis en Dial. 7,1. On peut ailleurs trouver l’un ou l’autre : Dial. 8,1 (amis du Christ) ; 28,4 (aimé de Dieu) ; 133,3 (bienheureux).

119 D.BOURGEOIS, 1981, p. 70.

120 Gn 49,10 : Dial. 52,4 (11,4 ; 120,2-4 ; 126,1). Explications plus détaillées en 1 Apol. 32,1-2.4 ; 54,5.

121 Cf. Dial. 32,1 ; 120,4 ; 126,1 ; 1 Apol. 51,9. Justin Martyr se réfère à Dn 7,13 ; Zach 14,5 ; Jude 14 ; Mt 25,31.

lors de cette seconde parousie. Il insiste sur cette double venue123

pour souligner que le Fils d’homme, apparu et devenu homme, reçoit en même temps la royauté éternelle124

. Toutes les prophéties parlent de Jésus le Christ. Selon cette perspective, l’Apologiste peut prouver que Moïse a annoncé la date de la venue du Christ, sa mort rédemptrice et sa Naissance virginale (1 Apol. 32,1-11), Isaïe, son appartenance à la lignée de Jessé (1 Apol. 32, 13-14), et sa Naissance virginale (1 Apol. 33,1-8), Michée, le lieu de sa naissance (1 Apol. 34), Isaïe et David, son entrée à Jérusalem, les circonstances de sa Mort sur la Croix. D’autres prophéties annoncent les souffrances et le mépris dont le Christ a été victime125

, ainsi que l’incrédulité des Juifs (1 Apol. 35). David a prédit l’Ascension du Christ (cf. les versets des Psaumes 46 et 98 ; Dial. 37,1 et Dial. 37,3 ; 64,4) et son triomphe126

, consacré par la prédication de l’Evangile par les Apôtres (cf. 1 Apol. 45). L’Esprit prophétique a annoncé le retour du Christ dans la gloire127

. Parmi les figures qui prédisent l’avènement de Jésus, citons entre autres l’épisode du « mystère de l’agneau que Dieu a ordonné d’immoler comme Pâque » que Justin Martyr l’interprète comme une préparation, ou mieux un « type » de ce qui adviendra avec le Christ (CristÒj) (Dial. 40,1). Aussi, dans la forme d’un agneau rôti, l’auteur lit une figure de la croix du Christ (Dial. 40,3). L’offrande des deux boucs dont l’un était propitiateur (première Parousie) et l’autre offrande (deuxième Parousie)128

annonçait (kataggel∂a)129

, à ses yeux, les deux parousies du Christ (Dial. 40,4). En référence à Zacharie130

, il met l’accent sur le lieu de cette offrande : Jérusalem. Justin Martyr relève d’autres figures prémonitoires : l’offrande de farine (cf. Dial. 41,1 : cf. Lév. 10,10) est comprise comme la figure type du pain de l’action de grâce ; le précepte de la circoncision est le type du baptême (cf. Dial. 18,2) ; et le jour de sa pratique, le huitième jour (cf. Dial. 10,3), est la figure du jour de la Résurrection de Jésus (cf. Dial. 41,4).

Certains lieux (tÚpoi) prédisent des événements liés au Christ. Jérusalem est l’unique lieu des sacrifices (cf. Dial. 40,1.2.5 ; 46,2), de la Passion du Christ (cf. Dial. 40,4) ; de Jérusalem partiront les émissaires chargés de prévenir les populations contre « l’hérésie » chrétienne (cf. Dial. 17,1) ; de Jérusalem partiront les Apôtres (cf. Dial. 24,1) ; c’est en ce lieu que se réaliseront, lors de la seconde Parousie, le règne millénaire terrestre ainsi

123 Voir Dial. 14,8 ; 31,1 ; 32,2 ; 40,4 ; IRÉNÉE de Lyon, Adversus Haereses IV, 20,11 (SC, 100 et 100 bis).

124 Dial. 76,1 ; cf. Dial. 79.2 ;110,2.

125 Is 53,1-15 qu’il dispose suivant son intention en 1 Apol. 50-51.

126 Cf. Dial. 85,4 ; 1 Apol. 51,7.

126 Cf. Dial. 125,2 citant Ps 23,8 ; Dial. 36,4 et 1 Apol. 51,7

127 CH.MUNIER, 1994, p. 35. Pour l’analyse détaillée de 1 Apol. 31-53, voir O.SKARSAUNE, 1987, The Proof from Prophecy, p. 139-164.

128 Cf. Lév. 16,29.31 : Dial. 40,4 ; Dial. 13,1 ; 22,8 (Ps 49,9) et 9 (Ps 49,13) ; 46,2 et 111,1.

129 Justin Martyr utilise deux fois le terme kataggel∂a (Dial. 40,4 ; 42,4). Comme les autres – proaggel∂a

(53,4 ; 102,1.5 ; 103,1.7.9 ; 104,1 ; 105,1 ; 131,6 pour le commentaire du Ps 21) ; prodˇlwsij (53,1) ;

kˇrugma (113,6 ; 136,3) ; prokˇrugma (131,5) ; prokˇruxij (115,4 ; 125,5 ; 134,2) -, il a le sens générique d’annonce ou de révélation : sphère des lÒgoi ou oracles prophétiques. Cf. G.OTRANTO, 1987, La terminologia…, p. 28-30.

que le repentir de ceux qui auront persécuté le Sauveur (cf. Zach 12,11). Jérusalem est l’unique lieu (tÒpoj) où l’offrande de deux boucs devrait être présentée (cf. Dial. 40,5).

Ces prophéties et ces figures n’ont été données que par (di£) l’Esprit prophétique qui a inspiré et a agi à travers les prophètes. L’Esprit joue donc un rôle décisif, car la Vérité que les prophètes, entre autres, étaient censés communiquer aux hommes n’a pu leur être infusée que parce qu’ils étaient habités par l’Esprit-Saint (cf. Dial. 7,1). Mais quelle est la nature et quelles sont les fonctions de l’Esprit-Saint ?

3. La nature et les fonctions de l’Esprit prophétique

Parmi les données constitutives de la foi chrétienne selon Justin Martyr, la croyance à l’Esprit est rappelée autant que la foi au Dieu Père et Créateur, et à son Fils, le Sauveur. Les écrivains de l’antiquité chrétienne accordent à l’Esprit une place prépondérante131

. Cette prédilection n’est pas moins présente dans les écrits de Justin Martyr pour qui le Verbe de Dieu, Logos divin, est présent de toute éternité dans l’histoire du Salut par son Esprit. Au début du Dialogue avec Tryphon, l’interlocuteur (cf. Dial. 1-7) de Justin Martyr mettra justement l’accent sur le rôle de l’Esprit désigné par plusieurs expressions : Qe√on ¤gion profhtikÕn pneàma, tÕ ¤gion profhtikÕn pneàma, pneàma ¤gion, pneàma Qeoà, qe√on pneàma132. Il est conçu, par Justin Martyr, comme un souffle surnaturel, une force efficace qui réalise en l’homme le dessein de Dieu. Il est le fil conducteur non seulement de la vie et de la pensée de l’Apologiste mais encore il est « ¤gion pneàma, Saint Esprit » (Dial. 4,1) et surtout « profhtikÒn pneàma, Esprit prophétique » 133

. Ces expressions, bien que diffé- rentes, désignent celui par qui les prophètes parlaient (cf. Dial. 7,1). Cependant cette variété de termes n’est nullement superflue. Elle se justifie par les fonctions que « ¤gion pneàma » assume à travers les étapes de l’histoire du Salut134

.

L’Esprit prophétique (profhtikÒn pneàma) ou l’Esprit-Saint (pneàma ¤gion) agit chez les

prophètes, le Christ, les Apôtres et les chrétiens135

. Appelé tout aussi bien « un Esprit de

sainteté, ¡g∂ῳ pneÚmati » qu’Esprit-Saint (Dial. 4,1)136

, il désigne l’agent qui a inspiré les prophètes et par lequel ceux-ci ont annoncé le salut accompli par le Christ (cf. Dial. 55,2). Il rend possible la connaissance de Dieu, meut les prophètes. Il a encore pour rôle de relier les étapes de l’histoire du salut dont l’Apologiste retrace les grands moments.

Avant sa conversion, Justin Martyr, se référant à Platon, était convaincu que Dieu ne pouvait être saisi que par la pensée. Il déclare : « (…) Mais, père, repris-je, ce n’est point

131 Cf. H.B.SWETE, 1912, The Holy Spirit in the Ancient Church, p. 33-39 ; A.WARTELLE, 1987, p. 373 et 377 ; D.VIGNE, 2000, « Pneàma profhtikÒn. Justin et le prophétisme », dans M.-A.VANNIER, O. WERMELINGER

et G.WURST (éd.), 2000, p. 335-347 ; F.DÜNZL, 2000, Pneuma. Funktionen des theologisches Begriffs in frühchristlicher Literatur, Münster ; W.-D.HAUSCHILD et V.H.DRECOLL, 2004, Le Saint-Esprit dans l’Eglise ancienne, p. 243-245.

132 Cf. 1 Apol. 32,2.8 (55,5) ; 33, 5 ; 44,1 ; 53,6 ; 59,3 ; 60,6.7 ; 61, 3.13 ; 64,3.4 ; 65, 3 ; 67, 2 ; Dial. 32,3 ; 38,2 ; 43,3.4 ; 49,6 ; 53,4 ; 55,1.2 ; 56,5 ; 77,3 ; 84,2 ; 139,1.

133 Cf. 1 Apol. 6,2 ; 13,3 ; 31,1 ; 33,2.5 ; 35,3 ; 38,1 ; 39,1 ; 40,1.5 ; 41,1 ; 42,1 ; 44,11 ; 47,1 ; 48,4 ; 51,1 ; 53,4 ; 59,1 ; 60,8 ; 63,2.12.14. Autres dénominations : Dial. 4,1 (¢g∂ῳpneÚmatikekosmhm◊noj) ; 7,1 (¢g∂ῳ plhrwq◊ntej pneÚmati) ; 29,1 (¢g∂ῳpneÚmati bebaptism◊nῳ).

134 G.N.STANTON, 2004, « The Spirit in the Writings of Justin Martyr », p. 321-334.

135 Cf. D.VIGNE, 2000, « Pneàma profhtikÒn. Justin et le prophétisme », p. 335.

par les yeux, que pour ces philosophes le divin est visible, comme le sont les autres êtres vivants, mais c’est pour la pensée seule qu’il devient saisissable, comme le dit Platon, et je me fie à lui » (Dial. 3,7). Le vieillard lui proposa une voie de connaissance, qui passe par

l’Esprit. « Est-ce donc (…) que notre pensée se trouve dotée, en qualité et en capacité, d’une

telle puissance, pour ce qu’elle n’a pas pu, antérieurement, percevoir par les sens ? Ou bien la pensée de l’homme verra-t-elle jamais Dieu sans y avoir été apprêtée par un esprit de sain- teté ? (…) » (Dial. 4,1). Il est « l’Esprit de sainteté, rouah haqodesh », compris au sens de

« l’Esprit de Dieu mis en œuvre lors de la création et qui se manifeste parfois chez l’homme, souvent dans le cadre de visions prophétiques et de discours inspirés »137

. La Vérité, objet de la quête de Justin Martyr, est mise en rapport avec l’Esprit dans le Prologue du Dialogue avec Tryphon. Lorsque Justin Martyr veut connaître un maître capable de lui enseigner la Vérité, le vieillard évoque les prophètes hébreux qui « (…)

seuls ont vu et annoncé le vrai aux hommes : sans égard ni crainte envers personne, sans céder au désir de gloire, ils rapportaient seulement ce qu’ils avaient entendu et vu, emplis d’un Esprit- Saint (…) » (Dial. 7,1). Le vieillard juge possible que Justin Martyr obtienne aussi

l’Esprit, moyennant quelques conditions : « (…) Mais avant tout, prie pour que te soient

ouvertes les portes de lumière : car ces choses pour tous demeurent invisibles et inconcevables, sauf pour celui à qui Dieu, et son Christ, accordent de comprendre » (Dial. 7,3 ; cf. Ps 2, 2 ?).

L’Esprit illumine celui qui se met à la recherche du vrai Bonheur. Grâce à l’Esprit pro- phétique, les Ecritures nous sont parvenues avec autorité et sont compréhensibles. Justin Martyr établit une relation permanente entre l’Esprit et les prophètes. Dans un passage déjà cité, l’auteur précise le caractère prophétique de l’Esprit : « Il y eut donc chez les Juifs

des hommes qui furent des prophètes de Dieu, par lesquels l’Esprit prophétique annonça par avance les événements à venir, avant leur réalisation (…) » (1 Apol. 31,1).

Et comme Justin Martyr s’est converti à la religion chrétienne grâce, entre autres, à la lecture assidue des prophètes, nous pouvons affirmer que l’Esprit-Saint a aussi agi en lui par l’intermédiaire de ceux qu’il décrit comme étant des « grands hommes plus anciens

que tous les prétendus philosophes » (Dial. 7,2) et qu’il a rencontrés à travers leurs livres.

C’est sur la fonction essentiellement prophétique de l’Esprit que Justin Martyr met en effet l’accent lorsqu’il affirme : « Aussi, pour que la question vous soit plus claire, vous citerai-

je encore d’autres paroles prononcées par le bienheureux David, d’où vous comprendrez que le

Christ est également appelé ‹Seigneur› par le Saint-Esprit prophétique (tou= a(gi¿ou profhtikou=

pneu/matoj) (…) » (Dial. 32,3).

Cependant, Justin Martyr présente d’autres « agents » qui ont inspiré les prophètes. Tantôt Dieu le Père, comme on peut lire dans ce passage : « Indiquant d’une autre manière

la force du mystère de la Croix, Dieu a dit, par l’intermédiaire de Moïse, dans la bénédiction adressée à Joseph (suit la citation de Dt 33,13-17) » (Dial. 91,1) ; tantôt « le Verbe divin

ou de Dieu » (Dial. 7,1)138

; tantôt encore « le Verbe prophétique, Ð profhtikÕj LÒgoj »

137 Cf. G. WIGODER (éd.), 1993, « Esprit de sainteté », dans Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, adaptation en français sous la direction de S. A. GOLDBERG, Paris, p. 1001.

138 Cf. 1 Apol. 36,1 ; 38,1 : Is 58,2 ; 65,2. ; Dial. 2,3-6 ; 7,1 ; 34,1 ; 115,3. Sur la conception de la prophétie selon Justin Martyr, voir G.ARCHAMBAULT, 1909, T. 1, p. 88-8 ; A.GOMES NOGUEIRA, 1967, « La ins- piración bíblico-profética en el pensamiento de san Justino », Helmantica 18(1967), p. 55-87 ; 9.

(Dial. 56,6) peut s’exprimer au nom des peuples qui croient à l’un et à l’autre139

. Toute la « trinité », dirions-nous aujourd’hui, est donc inspiratrice. C’est ainsi que lorsque, dans les Ecritures, le sujet du verbe n’est pas explicitement mentionné ou si la phrase est à la forme passive, il faut sous-entendre comme agent inspirateur soit l’Esprit prophé- tique, soit le Logos ou le Verbe de Dieu, soit Dieu lui-même140

.

Nous pouvons retrouver chez Justin Martyr certaines autres interventions de l’Esprit- Saint dans l’histoire du salut141

. L’Esprit a d’abord été donné aux prophètes ; ils ont agi et parlé sous sa mouvance (cf. Dial. 87,4). C’est ainsi qu’il est dit « Esprit prophétique ». Ensuite, ce dernier a pris une part active à certains mystères du Christ. Comme nous le verrons, son Incarnation est aussi mise à son actif ; il s’est reposé d’une façon pleine et définitive sur le Verbe Incarné (cf. Dial. 87, 2.5), « dès qu’il naquit » (Dial. 88,2) et, d’une façon visible, au moment de son baptême (cf. Dial. 88, 3). Enfin, le temps après le Christ est celui des chrétiens habités par l’Esprit du Christ142

. Car après l’Ascension du Christ, « l’on peut voir chez nous, dit Justin Martyr, des femmes et des hommes qui, de

l’Esprit de Dieu, ont reçu des charismes » (Dial. 88,1 ; cf. Dial. 87,5-6).

Parfois l’Esprit prophétique prédit les événements futurs comme s’ils étaient déjà arrivés (cf. 1 Apol. 41,4 ; 42,3) ; il annonce les sanctions que Dieu « infligera en retour (…) » (1 Apol. 44, 11) ; il sanctionne par les prophètes les actes mauvais143

; il indique l’origine ineffable du Christ144

; il distingue les « Gentils » des autres tribus de Judée et de Samarie (cf. 1 Apol. 53,4). C’est par l’Esprit prophétique que toute preuve sur l’existence d’un autre Dieu que le Créateur peut être faite (cf. Dial. 50,1)145

. L’Esprit prédit la conversion des Juifs et des Païens (cf. Dial. 53,4), la naissance virginale du « premier né de toute

créature » (Dial. 84,2 : Col 1,5 ; cf. Prov. 8,22) ; il révèle comme réalisables des choses

qui, pour les hommes, sont incroyables et impossibles ; il parle au nom du Christ ; il propose une conduite aux hommes146

. Cependant une autre question se pose : quels sont les fondements de l’interprétation de ces Ecritures ? Quelles sont les méthodes aux- quelles Justin Martyr recourt pour les expliquer ?

139 Cf. 1 Apol. 47,1 : Is 64,10-11 ; 1 Apol. 36,2.

140 Cf. Dial. 97,2 ; 1 Apol. 48,1 ; 52,1.

141 Cf. W.-D.HAUSCHILD et V.H.DRECOLL, 2004, Le Saint-Esprit dans l’Eglise ancienne, p. 245, note 195.

142 Cf. F.DÜNZL, 2000, p. 92-93.

143 Cf. 1 Apol. 63, 2.12.14 : Is 1, 3.

144 Cf. 1 Apol. 51, 1 : Is 53, 8-12.

145 Cf. Dial. 77,3 ; 91,4 ; 139,1.

146 Voir respectivement : 1 Apol. 33,2 ; 59,1 ; 60,8 / 1 Apol. 35,3 : Is 65,2. Citation reprise en 1 Apol. 38,1 ; 49,2-3 / Cf. 1 Apol. 38,1 : Is 58, 2 ; 65,2. Lorsqu’il s’exprime par l’intermédiaire du prophète Isaïe : « J’ai tenu les mains vers un peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui s’avançaient sur une voix mauvaise » / 1 Apol. 39,1 : Is 2,3-4 ; Mich 4,2-3 ; 40,5 : Ac 4,27 ; 41,1 ; 47,1 (dévastation de Judée) ; 48,4 (persécu- tion et meurtre du Christ et des chrétiens) ; 1 Apol. 40,1.5.

II. La compréhension et l’interprétation des Ecritures

Justin Martyr n’énonce pas une suite des règles guidant son interprétation des Ecritures147

. Pour les expliquer, il part de quelques présupposés, met en place un critère herméneu- tique et applique une méthode exégétique. Cette technique lui permet de discuter avec ses interlocuteurs et de confondre leurs exégèses.

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