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L’émergence du Canon des écrits apostoliques chez Justin Martyr ?

Les Mémoires des Apôtres et de leurs disciples

C. L’émergence du Canon des écrits apostoliques chez Justin Martyr ?

L’auteur ne dresse pas un catalogue des livres du canon du Nouveau Testament. La seule liste qui existe dans ses œuvres est celle des livres interdits : « Or, à l’instigation des mauvais

démons, la peine de mort a été décrétée contre ceux qui liraient les ouvrages d’Hystaspe, de la Sibylle ou des prophètes (…) » (1 Apol. 44,12). Nous ne rencontrons dans ses œuvres ni le

terme de « kanèn » scripturaire, ni son sens technique, à savoir « une liste strictement établie des livres inspirés, faisant autorité (…) ; liste qui est le résultat de décisions d’inclusion

207 Cf. Dial 55,1 ; 56,8 ; 58,3 ; 86,5 ; 90,4 ; 104,1 ; 125,4 ; E.MASSAUX, 19862

, p. 546. La formule g◊graptai, au parfait passif, (il est écrit) est utilisée pour l’Evangile : Dial. 100,1 ; (111,3) ; ou pour les Mémoires des Apôtres : Dial. 101,3 ; 103,6.8 ; 104,1 ; 105,6 ; 106,4 ; 107,1 ; (111,3).

208 Nous donnons ici un autre point de vue différent de celui d’Edouard Massaux qui pense que, lorsqu’en Dial 49,5, Justin Martyr, donnant sa propre réflexion, emploie « il est écrit », cette expression « serait ici le premier cas d’un passage évangélique qui tout en n’étant pas une parole du Christ, mais une simple cons- tatation de Mt, reçoit le titre de grafˇ » E.MASSAUX, 19862

, p. 519-520.

209 Mais, « de tous les Apologistes, conclut E. Massaux, Justin est celui qui (…) est le plus intéressant, car il fait usage abondant du premier Evangile ; il présente les paroles du Christ, tirées en fait de Mt, avec l’autorité de l’Ecriture ; il affirme l’existence de livres propres aux chrétiens, existence qui se trahit d’ailleurs par une utilisation plus livresque du premier Evangile ». E.MASSAUX, 19862

, p. 645-646.

210 Y.-M.BLANCHARD, 1993, p. 67 ; cf. 1 Apol. 33,5.

211 E.NODET, 2003, p. 31.

et d’exclusion prises après sérieuse délibération et large accord de la communauté »213

, ou « un ensemble clos de documents perçus comme Ecriture sainte »214

ou encore une liste officielle de livres recommandés pour la lecture par la grande Eglise. Toutefois, le sens du « kanèn » au sens d’une règle de foi de la communauté chrétienne (ecclésia) est bien présente. En effet, vers 140 ap. J.C., l’Eglise ne possède pas une liste officielle d’écrits chré- tiens. La tradition littéraire chrétienne se réfère aux livres qui ont pour seule autorité les Apôtres. A partir de la moitié du deuxième siècle, à l’époque où les Montanistes préten- dent avoir reçu du Paraclet de nouvelles révélations, l’un des critères pour distinguer les Livres inspirés de ceux qui ne le sont pas fut leur origine apostolique.

Pour convaincre ses auditeurs et ses lecteurs, Justin Martyr se réfère aux écrits aposto- liques qu’il considère comme étant les preuves évidentes de l’accomplissement de tout ce que les prophètes ont annoncé parce qu’ils sont écrits par les Apôtres, témoins fidèles du Christ. Ces documents rivalisent, dans les controverses et dans la liturgie, avec les Ecri- tures. D’ailleurs pour Justin Martyr, la juste compréhension de celles-ci est, selon Alain Le Boulluec, « gouvernée par le message évangélique, mais celui-ci n’a pas encore le statut d’‹Ecriture› ni la structure d’un Nouveau Testament »215

. L’auteur recourt aux Mémoires

des Apôtres parce qu’ils rapportent les maximes et les traditions relatives à Jésus. Ce car-

catère d’apostolicité deviendra plus tard le critère de la canonicité216

. Au temps de l’auteur, il faut reconnaître que cette question ne paraissait pas primordiale.

Conclusions

Pour Justin Martyr, les Mémoires des Apôtres et de leurs disciples sont les sources primor- diales dont il dispose pour la connaissance des origines chrétiennes. S’il utilise cette ter- minologie, c’est parce que son but est à la fois de susciter une curiosité intellectuelle qui pousserait à lire les Mémoires des Apôtres, et aussi de définir la catégorie littéraire des chrétiens. La bibliothèque de Justin Martyr contient les écrits tant juifs que chrétiens. Ce sont des documents fiables et dignes d’estime parce qu’ils ont été écrits par les témoins oculaires des faits qui y sont rapportés et parce qu’ils contiennent, mieux que tout autre écrit, les faits, les gestes et les paroles de Jésus. Il importe ainsi de rappeler qu’au temps de Justin Martyr la transmission de la mémoire relative à Jésus et à ses disciples a subi une mutation décisive. Transmise oralement, au temps de l’auteur, elle est écrite et ramenée aux disciples directs de Jésus le Christ. C’est pourquoi, pour Justin Martyr, la tradition fiable de cette mémoire se localise dans les Mémoires des Apôtres et de leurs disciples.

213 A.LE BOULLUEC, 2004, « Le problème de l’extension du Canon des Ecritures aux premiers siècles », RecSR, 92(2004), p. 62-63. Il renvoie à E.ULRICH, 2003, « Qumran and the Canon of the Old Testament », dans J.-M.AUWERS et H.J.JONGE (éd.), 2003, The Biblical Canons, p. 58 ; IDEM, 2002, « The Notion and Definition of Canon», dans L.M.MCDONALD et J.A.SANDERS (éd.), 2002, The Canon Debate : On the Origin and Formation of the Bible, p. 21-35.

214 A.LE BOULLUEC, 1996, p. 45.

215 A.LE BOULLUECC, 1996, p. 68.

216 Dans son article, Jean Zumstein énumère trois critères principaux de la canonicité : l’apostolicité, l’orthodoxie (Ð kanën tÁj p∂stewj, regula fidei) et la reconnaissance (des écrits). Cf. J.ZUMSTEIN, 2003, « La naissance de la notion d’Ecriture dans la littérature johannique », p. 372. Il renvoie à H.Y.GAMBLE, 1985, The New

Testament Canon, p. 67-72 ; BR.M.METZEGER, 1993, Der Kanon des Neuen Testaments, p. 238-243. Lire

Avec lui, il y a désormais le passage de la proclamation orale à la transmission écrite du message du Christ. La prépondérance des documents chrétiens écrits s’affirme donc, avec lui, de manière claire et nette.

Les « Mémoires des Apôtres et de leurs disciples » sont identifiés aux « Evangiles » qu’il cite et s’y réfère à plusieurs endroits. Cependant, Justin Martyr n’y attache aucun nom car, pour lui, l’essentiel est de souligner que les Apôtres ont écrit les souvenirs concernant leur Maître et que leur témoignage est fidèle. Certains commentateurs ont vu dans cette expression les Evangiles, écrits par Matthieu et Jean, d’où l’expression « Mémoires des

Apôtres », et par Marc et Luc, les disciples de Pierre et de Paul. L’Apologiste utilise les

Evangiles d’une façon libre et ceci explique les différences que l’on souligne souvent entre ses citations et celles de ses prédécesseurs. Il se réfère le plus souvent aux collec- tions des paroles de Jésus antérieurement organisées en fonction des problématiques abordées, aux thématiques évangéliques et à la tradition chrétienne.

Justin Martyr manifeste une très haute estime de la tradition chrétienne écrite. Ainsi, si les Mémoires des Apôtres sont lus pendant l’assemblée dominicale, c’est parce qu’ils renferment les paroles et les faits de la vie du Christ, et qu’ils sont l’œuvre des Apôtres rapportant les Paroles, les faits et les gestes de Jésus le Christ. Pour l’auteur, les paroles du Christ « doivent attester, dit Van Den Eynde, que l’écrivain n’invente pas quand il célèbre les beautés de la morale chrétienne (1 Apol. 14, 4) ou cite des événements de la vie de Jésus qui réalisent les anciennes prophéties (Dial. 103, 7-8 ; 104,1) »217

. Les faits de sa vie sont importants parce qu’ils documentent l’accomplissement des Ecritures à travers les péripéties de la vie terrestre de Jésus dont il s’agit à présent de rappeler la construction, et la lumière que ces étapes reflètent sur la vie des chrétiens.

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