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Les formes des textes des Ecritures utilisées

Premier chapitre : Les Ecritures Prophétiques

A. Les formes des textes des Ecritures utilisées

Pour démontrer la réalisation des prophéties énoncées « cinq mille, trois mille, deux mille,

mille et huit cents ans » (1 Apol. 31,8) avant les événements apparus, Justin Martyr se

réfère aux textes scripturaires provenant soit de la Bible grecque de la LXX non recensée, soit de la recension de celle-ci, soit encore des Testimonia et des interpolations chrétiennes.

1. La Bible grecque des Septante et sa Recension

Justin Martyr se soucie peu de l’histoire de la traduction55

de la Septante56

qu’il connaît vraisemblablement par la légende transmise par la Lettre d’Aristée à Philocrate57

. Néan- moins, contrairement à la Lettre d’Aristée et en général à la littérature juive hellénophone, l’Apologiste considère la LXX comme un tout, englobant non seulement les livres de la Loi mais aussi les livres prophétiques et les Psaumes (cf. Dial. 30,1)58

. C’est pourquoi il attribue la traduction de tous les autres Psaumes, et du Livre d’Isaïe, aux 70 traduc- teurs. Justin Martyr connaît les nouvelles versions grecques des Juifs (cf. Dial. 71,1 ; 72,2 ; 131 : Dt 32,7-9)59

. Leurs auteurs, « mus par des mobiles différents, reprirent à

55 Sur l’histoire de la LXX, voir les articles réunis de D.BARTHÉLEMY, 1978, Études d’histoire du texte de

l’Ancien Testament, Fribourg-Göttingen ; M.HARL, G.DORIVAL et O.MUNNICH (éd.), 19942

, La Bible Grecque

des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris ; B.BOTTE et P.-M.BOGAERT,

1996, « Septante et versions grecques », dans Dictionnaire de la Bible Supplément, T.12 (1996), col. 536-692 ; G.DORIVAL, 2001, « La traduction de la Torah en grec », dans C.DOGNIEZ et M.HARL (éd.), 2001, p. 31-49 ; O.MUNNICH, 2001, « Le Texte du Pentateuque grec et son histoire », dans C.DOGNIEZZ et M.HARL (éd.), 2001, p. 50-59 et PH.HUGO, 2006, Les deux visages d’Elie, p. 5-29.

56 Cf. Dial. 31,2-7 (Dn 7,9-28) ; 71,1 (Is 7,14) ; 124,3 (Ps 81,7) ; 137,3 (Is 3,10). Voir aussi tous les larges extraits même s’il ne dit pas explicitement qu’il les tire de la LXX : Dial. 30,1 (Ps 18,2-15) ; 34,3-6 (Ps 71,1-18) ; 38,3-5(Ps 44,2-18) ; 40,5 (Is 7, 10-17 ; 8,4) ; 70,2 (Is 33,13-19) ; etc.

57 Voir Lettre d’Aristée à Philocrate, 46-47 (A.PELLETIER (éd.), 1988, Introduction, traduction et notes, Paris (SC 89), p. 128-131. La Légende (1 Apol. 31, 1-5 ; Dial. 68,7 ; 71,1) est rappelée par Flavius Josèphe, amplifiée par Philon d’Alexandrie qui, en partant de l’accord miraculeux de la traduction, conclut à l’inspiration divine. Cf. F.JOSEPHE, Les Antiquités juives, XII, 2, 1-2 ; 11-118 (E.NODET (éd) avec la collaboration de G. BERCEVILLE, A. PAUL, E. WARSCHAWSKI, 2005) ; PHILON d’Alexandrie, De vita Mosis, II, 7 §37 et 40 (Introduction, traduction et notes par R. ARNALDEZ, C. MONDESERT, J. POUILLOUX, P. SAVINEL, Paris, Les Œuvres de Philon, 22 /1967) ; M.HENGEL und A.M.SCHWENER, 1994, Die Septuaginta zwischen Judentum und Christentum, p. 188-190. Maintenant, nous pouvons consulter une bonne synthèse, avec traduction des sources : M.TILLY, 2005, Einführung in die Septuaginta, Darmstadt.

58 Il n’est pas exceptionnel qu’un Psaume soit présenté comme une ‹prophète› : Dial. 85,1.4 (Ps 23) ; 87,6 (Ps 67), ou David comme ‹prophète› (Dial. 49,3). PH.BOBICHON, 2003, p. 665-666, note 7 (Dial. 30,1 : Ps 18). 59 Il s’agit du travail d’Aquila, Théodotion et Symmaque qui sont, aux yeux de D. Barthélemy, des « surre-

censeurs ». Leur base est la vieille recension palestinienne de la fin du 1er

siècle que Justin Martyr aurait utilisée. Cf. D.BARTHÉLEMY, 1961, p. 23.25.26. En somme, cette entreprise a eu pour conséquence, selon Justin Martyr, de dénaturer le vénérable héritage des soixante-dix anciens (cf. Dial. 84,3). Elle remplace, selon lui, l’exégèse messianique traditionnelle des prophéties par des interprétations misérables (cf. Dial. 112,2), « qui se traînent à ras de terre ». D.BARTHÉLEMY, 1963, Les Devanciers d’Aquila : Première publication intégrale du

texte des fragments du Dodécapropheton, Leiden (VT.S, 10), p. 203, note 4 ; IDEM, 1978, p. 38-50 ; voir

leur compte l’entreprise gigantesque des traducteurs de la Septante »60

. Justin Martyr est l’un des premiers auteurs chrétiens qui désigne cette traduction sous l’appellation des Septante (cf. Dial. 124,3 ; 137,3).

L’auteur du Dialogue avec Tryphon cite aussi des textes scripturaires qui ne figurent ni dans le texte actuel de la Septante, ni dans les recueils des textes bibliques. Dominique Barthélemy a rapproché le texte du Dodécapropheton que produit Justin Martyr avec celui de la recension grecque retrouvée (en 1953) en Palestine dans une grotte et qui date de l’époque de la seconde révolte juive avec Bar Kochba (132-135)61

. C’est à cette recension juive de la LXX que Justin Martyr emprunte ses hébraïsmes62

. Dominique Barthélemy soutient « premièrement que notre texte ‹Dodécapropheton grec› n’est qu’une recension (rabbinique) de la Septante, (qui avait cours entre 70 et 135) et deuxièmement que cette recension est l’œuvre de lettrés juifs »63

.

Certaines interpolations chrétiennes ont trouvé, par ailleurs, leur explication grâce au

Papyrus Bodmer XXIV. Celui-ci contient quelques paroles prophétiques (logoi) que Justin

Martyr cite mais qui sont différentes de celles de la LXX et des autres versions grecques. Ainsi cette citation : « les dieux des nations sont des idoles de démons » (Dial. 55,2 : Ps 95,5), différente de la version grecque de la Septante où nous lisons : « ces dieux sont des démons »64

. Nous voyons que Justin Martyr a la même leçon que le papyrus sur la citation du pro- phète David. En effet, fait remarquer Dominique Barthélemy, « le papyrus susdit est le premier manuscrit grec des Psaumes qui, en Ps 95,5, porte cette expression ‹les dieux des

nations sont des idoles de démons›. Justin Martyr, continue-t-il, n’a donc rien inventé. Il

citait fidèlement un état du psautier du deuxième siècle qui a disparu ensuite de la tradi- tion textuelle grecque de ce livre »65

.

Néanmoins, le Papyrus Bodmer XXIV a un passage qui est différent de celui que cite Justin Martyr (cf. Dial. 73,1) et qui a été, selon ce dernier, retranché par les Juifs. Il s’agit des mots « à partir du bois » que l’Apologiste lisait dans la Septante en Ps 95,10 après « Dites parmi les nations : le Seigneur a régné » (cf. 1 Apol. 41,1). Ni la traduction grecque du Psautier, ni le Papyrus Bodmer XXIV ne donne « à partir du bois » qu’on retrouve pourtant dans un autre Psaume (Ps 73,3-4). Pour expliquer cette différence, il faut émettre l’hypothèse qu’au temps de Justin Martyr certaines interpolations chrétiennes se transmet- taient encore dans les testimonia, en particulier dans les florilèges de versets psalmiques, sans avoir encore pénétré dans le texte biblique lui-même. Il est donc vraisemblable que

60 L.MONSENGWO-PASINYA, 1973, p. 198. Il renvoie à B.J.ROBERTS, 1951, The Old Testament Text and Versions, Cardiff, p. 120-127. Il importe toutefois de distinguer, la LXX non recensée de celle recensée. C’est cette dernière qui a été probablement retravaillée par les trois auteurs cités et consultée par Justin Martyr. 61 Cf. PH.HUGO, 2006, p. 37-39.

62 Cf. M.HENGEL und A.M.SCHWEMER, 1994, p. 196-197 ; D.BARTHÉLEMY, 1994, « Justin Martyr et la Bible », p. 371 ; Dial. 109,1-3 ; 115,1-5

63 D.BARTHÉLEMY, 1953, p. 21. Cette position fera école : voir J.DANIÉLOU, 19902

, p. 200.

64 A cause de cette différence, G. Archambault, dans son commentaire, avait soutenu que Justin Martyr « fait parler Tryphon à sa manière à lui » puisque « idoles de démons » ne se rencontre nulle part dans la Bible ». G.ARCHAMBAULT, 1909, Justin, Dialogue avec Tryphon, T.II, p. 242, note 2. Il n’est plus possible d’émettre un tel avis car le Papyrus Bodmer XXIV. Psaumes XVII-CXVII (R.KASSER et M.TESTUZ (éd.), 1967, Cologny-Genève) est témoin de l’expression dont parle Justin Martyr.

dans ce cas (cf. Dial. 73,1 : Ps 95,10), « ce ne sont pas les Juifs qui ont retranché le passage, mais les chrétiens qui l’ont interpolé, pour ‹christologiser› le psaume. Procédé fréquent dans les Testimonia. Justin est le premier témoin de l’insertion »66

. Toutefois, cette pénétration dans la tradition directe de la Bible grecque a été très marginale.

Quelques données relatives à la vie terrestre de Jésus, développées, comme nous le verrons, par Justin Martyr, prennent leur source dans les traditions midrashiques. Ainsi l’annonce de l’humiliation de Jésus par un « signe » (cf. Dial. 72,1 ; 90,3) que Justin Martyr attribue à Esdras (II Esd 6,19-21) a été interprétée comme une interpolation chrétienne de Esdr. 6,29-31, inspirée de 1 Co 6,7. Enrico Norelli précise qu’il s’agit, sans aucun doute, d’un Midrash chrétien élaboré sur Ex 12, en Palestine entre 135 et la composition du Dialogue, dans le cadre d’une catéchèse pascale d’inspiration quartodécimane67

. Justin Martyr utilise aussi la forme du texte de la Bible grecque de la Septante telle qu’il la trouve dans les Mémoires des Apôtres appelés « Evangiles »68

. Lorsqu’il rapporte la prophétie annonçant la Naissance de Jésus à Bethléem, il fait référence à Michée mais le texte qu’il produit est une reprise littérale du texte de Mt qui se distingue du texte des LXX de Michée. L’auteur est plus proche du texte de Mt que celui des LXX69

. Ill donne l’impression de citer la LXX mais en fait, il reprend l’Evangile qui cite la LXX. Mais l’auteur du Dialogue avec Tryphon cite aussi des textes scripturaires qui ne figurent ni dans la Septante70

, ni dans les traductions grecques des Juifs71

et qui proviendraient des

testimonia.

2. Les testimonia (martur∂a) et les interpolations chrétiennes

Il s’agit des recueils « de passages bibliques interprétés comme prophéties du Christ et du temps chrétien »72

. Les recueils des textes scripturaires, auxquels Justin Martyr se réfère, présentent quelques particularités : ils sont parfois allongés, additionnés, combinés ou

66 JUSTIN MARTYR, 1994, p. 217, note 222 ; M.HENGEL und A.SCHWEMER, 1994, p. 194. Voir 1 Apol. 41,4 ; Dial. 73,3-4.

67 Cf. E.NORELLI, 1984, p. 231-282. Aussi P.PRIGENT, 1964, p. 175-19 ; A.-M.DENIS, 1970, Introduction

aux pseudépigraphes grecs de l’Ancien Testament, Leiden, Brill. p. 197 ; IDEM, 1987, Concordance grecque

des Pseudépigraphies d’Ancien Testament. Concordance Corpus des textes, Indices. Avec la collaboration d’Yvonne JANSSENS et le concours du CETEDOC, Louvain-La-Neuve ; J.DANIÉLOU, 19912

, p. 150 et PH.BOBICHON, 2003, p. 767-768, note 2.

68 Cf. 1 Apol. 33,5 ; 34,1 ; 35,2 ; Dial. 78,1b.

69 Cf. 1 Apol. 34,1 où il cite Mi 5,1.3 selon la version de Mt 2,6 ; E.MASSAUX, 19862

, p. 496.

70 Lorsqu’il cite la prophétie relative à l’arrestation du Christ, nous remarquons la différence entre « Enlevons le Juste, car il nous embarrasse » (Dial. 136,2) et la lecture juive qu’il rapporte : « Lions le Juste, parce qu’il nous embarrasse. » (Dial. 17,2).

71 Selon la traduction juive, il est écrit : « …il établit les frontières des nations suivant le nombre des fils d’Israël » ; les Septante disent : « il établit les frontières suivant le nombre des anges de Dieu » (Dial. 131,1 : Dt 32,7-9). 72 C.MORESCHINI et E.NORELLI, 2000, p. 157.

plus souvent courts, abrégés, modifiés et adaptés à la situation73

ou en fonction de buts déterminés, parfois aisément reconnaissables. Ce sont des constructions de la mémoire anticipative de la vie de Jésus, qui sont composées a posteriori. Cela entraîne ou explique des amalgames d’un texte à l’autre et parfois des erreurs d’attribution74

.

Pour Justin Martyr, comme pour ses prédécesseurs, il s’agit d’une « utilisation apolo- gétique de l’Ecriture (qui) inspire la constitution de collections regroupant les ‹lieux› bibliques susceptibles d’une interprétation christologique : ainsi, tous les textes sur le Serviteur souffrant ou le Messie glorieux, dans le cadre d’une théologie chrétienne des deux parousies, familière à Justin et ordonnée à rendre compte du scandale du Messie crucifié ; ou encore l’annonce de la conception virginale, dont on sait qu’elle justifie la préférence chrétienne pour la version grecque des Ecritures »75

. Les Testimonia présen- tent en définitive des textes bibliques christianisés.

La section 31-53 de l’Apologie contient un développement sur la vie du Christ que son auteur démontre grâce aux nombreux textes prophétiques et évangéliques de diverses sources. Plusieurs savants, dont Oscar Skarsaune, Charles Munier et autres pensent que ces textes sont vraisemblablement tirés de Testimonia ou de florilèges des textes bibliques car toute la section contient des citations brèves et modifiées de l’Ancien Testament. Elles sont effectivement des matériaux provenant de sources paléochrétiennes clairement organisées. Nous y trouvons une sorte de sommaire ou de table des matières faite d’après les textes et les citations scripturaires qui ont pour but de rappeler l’accomplissement en Jésus le Christ des diverses annonces prophétiques (cf. 1 Apol. 31,7), et aussi le rôle des Apôtres76

.

En outre, ces citations scripturaires apparaissent dans des collections qui ont des orien- tations spécifiques : apologétique, catéchétique, théologique, liturgique, etc. Elles ont été chargées par les chrétiens d’une signification qui n’est plus celle de son contexte original. Grâce à ces recueils des textes bibliques, Justin Martyr peut interpréter les Ecritures77

dans le but d’illustrer tel ou tel aspect du kérygme ou de la parénèse. C’est dans ce sens qu’il peut soutenir devant son interlocuteur : « Je vais, dit-il à Tryphon, vous donner

73 Cf. H.KÖSTER, 1956, Septuaginta und Synoptischer Erzählungsstoff, p. 94 ; P.PRIGENT, 1964, p. 282 ; O. SKARSAUNE, 1987, p. 8 ; M.C.ALBL, 1999, p. 52. Les Testimonia sont fréquents dans l’Apologie et dans le Dialogue : Dial. 31,1 ; 54,1-2 ; 81,1-3. Ceci parce que « Justin Martyr insiste sur le fait que ces passages de Testimonia représentent le vrai texte de la Septante ; il étiquette les plus longues, les citations modèles de la Septante comme ‹juives›, et il indique qu’il emploie ce texte dans le Dialogue simplement comme une concession à l’adversaire juif » M.C.ALBL, 1999, p. 103-104.

74 Les fausses attributions abondent dans l’ensemble des œuvres de Justin Martyr : Sophonie pour Zacharie (1 Apol. 35,10, mais restitué en Dial. 53,5) ; Jérémie pour Daniel (1 Apol. 51,8, restitué justement en Dial. 76,1) ; Isaïe pour Jérémie (1 Apol. 53,10) ; Jérémie pour Isaïe (Dial. 12,2) ; Osée pour Zacharie (Dial. 14,8), Zacharie pour Malachie (Dial. 49,2), Isaïe pour Nombres (1 Apol. 32,2), Dn 7 pour Jérémie (1 Apol. 49,8). Voir aussi P.PRIGENT, 1961, p. 21-27 ; M.SIMON, 1948, p. 176-193.

75 Y.-M.BLANCHARD, 1993, p. 81.

76 « De même encore la tradition de suspendre douze clochettes au long vêtement du Grand prêtre était le symbole des douze Apôtres suspendus à la puissance du Christ (…) » Dial. 42,1-2 : Is 53,1-2 ; cf. Jn 12,38 ; Rm 10,16. Voir autres textes : Dial. 13,3-7 (sur cette prophétie Is 53,1-2) ; 114,2 et 1 Apol. 50,5). 77 M.FIEDROWICZ, 1998, Principes de l’interprétation de l’Écriture dans l’Eglise ancienne, p. IX écrit : « l’inter-

prétation de l’Ecriture était ainsi la tâche fondamentale de la première théologie chrétienne, prenant la forme d’homélies, de commentaires, de scholies, de questions ou de recueils de Testimonia et de chaînes ».

encore, amis, dis-je, un autre témoignage (martÚrion, testimonium) tiré des Écritures (…) » (Dial. 61,1)78

. Les testimonia fournissent donc des dossiers déjà préparés, sur quelques thèmes principaux : le Messie ou la Naissance, la Passion, la Croix, la Résurrection de Jésus le Christ ou encore autour de mots-clefs, comme la pierre, la lumière, le bois79

. Mais d’où viennent ces Testimonia ? « En réalité, précise Charles Munier, Justin ne fait que reproduire une série de Testimonia composée de longue date en milieu judéo- chrétien, à des fins missionnaires »80

. Ainsi en est-il du retour glorieux du Christ et de la mission des Apôtres illustrée selon cette vision81

. Les Testimonia ou les florilèges bibliques, instruments des controversistes chrétiens, proviennent du kérygme primitif, de la caté- chèse missionnaire ou de l’Apologétique anti-juive. Chaque auteur, en ayant recours à ces derniers, introduit dans l’exposé des nuances théologiques et christologiques particulières. Il faut donc effectivement, conseille Pierre Prigent, « renoncer à affirmer que tous ces auteurs dépendent d’un seul et même document (…) »82

.

Cependant Oscar Skarsaune avait déjà émis l’hypothèse suggestive de deux sources de matériaux présents dans les Testimonia : une source kérygmatique, dans l’Apologie et une source de Récapitulation, dans le Dialogue avec Tryphon83

. Dans la première source, les Testimonia étaient organisés à l’intérieur d’un motif religieux pour correspondre à la vie et à l’œuvre de Jésus le Christ ; elle combine les matériaux anticultuels avec les témoi- gnages messianiques (proof-texts) groupés à l’intérieur d’une profession de foi. On y distingue deux Parousies : la première pendant laquelle le Seigneur est apparu laid et souffrant selon les prophéties et la deuxième où il sera glorifié. D’où les étapes que nous retrouvons dans l’Apologie : (1) la venue du Messie ; (2) la naissance virginale du Messie ; (3) la vie cachée du Messie ; (4) les guérisons du Messie ; (5) la Passion du Messie ; (6) l’Ascension et le retour glorieux du Messie, Résurrection universelle ; (7) la croyance des Gentils plus nombreux que les Juifs (cf. 1 Apol. 31,7). Dans la source de la « Récapitu-

lation », les Testimonia sont disposés sous la forme du Dialogue. Ils esquissent un débat

dans lequel Justin Martyr soutient, à l’opposé de Tryphon, l’application des textes mes- sianiques à Jésus plutôt qu’à Salomon ou à Ezéchias84

. Il les organise et les interprète selon les visées propres aux premiers chrétiens, « pour qu’ils annoncent clairement, complètement et chronologiquement, tout l’Evangile de Jésus »85

.

78 Dans le Dialogue, nous trouvons encore cet emploi de martÚrion : 67,3 ; 79,2 ; 123,4 ; marture√ : 61,3 ; 110,6 ; 116,3 et diamarture√: 82,3.

79 Le thème du « bois de la Croix » (Dial. 86,1-2.4-6) se réfère à Ex 15,22-27, Gn 30,37-43 ; 28,10-12 ; Is 11,1 ; Ps 1,3 ; 92,13 ; 2 R 6,11-16 ; Gn 38,25-26. Sur la pierre (Dial. 114,4), voir Jos 5,2-3 ; Is 28,16 ; Dn 2,34. 80 CH.MUNIER, 1994, p. 78.

81 Cf. Dial. 16-17. 106 et 110 : Is 1,16-20 et Dt 30,15-19. Les Testimonia bibliques ont été repris par CLÉMENT d’Alexandrie, Stromates VI, 48,7-49,1 (SC, 428) ; Protreptique 95,2 (SC, 2) et appliqués aux thèmes de la conversion et du baptême.

82 P.PRIGENT, 1961, p. 26. A Qumrân, les florilèges se présentent comme des commentaires de textes choisis de l’Ancien Testament (2 Sam 7,10b-14a ; Ps 1,1 ; Ps 2,1-2). Un groupement des petites collections de citations provient de la communauté de Qumrân (1 Apol. 32,12).

83 O.SKARSAUNE, 1987, p. 226-227.

84 Cf. Dial. 48 à 108, aussi les chapitres 31-38. 43. 118,2 et 114ss ; P.PRIGENT, 1964, p. 19 ; M.C.ALBL, 1999, p. 104-106. Justin Martyr ajoute des additions anti-marcionites (Dial. 35 ; 56-60.75 ; 82). 85 P.PRIGENT, 1961, p. 193.

Pour distinguer les Testimonia des autres citations scripturaires, il faut tenir compte de la présence des éléments composites, des fausses attributions, des variantes textuelles, des séries de citations attestées par plusieurs auteurs et enfin de l’invocation d’une série de citations dans un but qui n’est manifestement pas celui qui a présidé au groupement des textes. Une autre caractéristique peut être ajoutée : la dépendance littéraire qui carac- térise les auteurs. Sur ce point, Justin Martyr n’innove pas. L’utilisation des Testimonia bibliques s’inscrit dans la tradition paléochrétienne la plus ancienne, attestée dès l’époque apostolique. Charles Munier affirme que « les didascales chrétiens n’ont fait qu’adapter aux besoins de leurs communautés les méthodes exégétiques pratiquées dans le judaïsme tardif »86

. Les Testimonia sont utilisés dans le but précis d’illustrer tel ou tel autre aspect du kérygme primitif ou de la parénèse chrétienne. C’est donc sous ces formes textuelles que Justin Martyr lit la Loi et les Prophéties dont il nous faut délimiter le contenu respectif.

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