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L’abandon de Jésus par ses Apôtres

La Passion et la Gloire de Jésus le Christ

B. L’abandon de Jésus par ses Apôtres

Après la Crucifixion de Jésus, Justin Martyr note que ses disciples furent dispersés92

. Cet épisode est raconté à trois reprises dont une fois dans l’Apologie et deux fois dans le

Dialogue avec Tryphon. Chaque fois, quelques accents nouveaux apparaissent.

Dans l’Apologie, tout commence par la Crucifixion de Jésus, suivie de l’abandon et du reniement par ses disciples, la Résurrection et enfin la nécessité de comprendre les Ecri- tures. Dans la première partie du Dialogue avec Traphon, en Dial. 53,5, Justin Martyr renverse les données : l’intelligence des Ecritures annonce la Résurrection. Et dans la seconde partie de ses entretiens avec le juif Tryphon, en Dial. 106,1 précisément, il conserve bien sûr « l’abandon par les disciples», même verbe (¢f∂stasqai) qu’en 1 Apol. 50,12, mais c’est le repentir de ces mêmes disicples qui est mis au premier plan. Remarquons

1 Apol. 50,12 « met¦ oân tÕ staurwqÁnai aÙtÕn kaπ o≤ gnèrimoi aÙtoà p£ntej ¢p◊sthsan, ¢rnhs£menoi aÙtÒn· Ûsteron d◊, œk nekrîn ¢nast£ntoj kaπ Ñfq◊ntoj aÙto√j kaπ ta√j profhte∂aij œntuce√n, œn aƒj p£nta taàta proe∂rhto genhsÒmena, did£xantoj, (…) kaiì ei¹j pa=n ge/noj a)nqrw¯pwn e)lqo/ntej, tau=ta e)di¿dacan kaiì a)po/stoloi proshgoreu/qhsan ».

Dial. 53,5 « ¢ll¦ kaπ di¦ toà profˇtou Zacar∂ou, Óti patacqˇsetai aÙtÕj oátoj Ð CristÕj kaπ diaskor- pisqˇsontai o≤ maqhtaπ aÙtoà, proefhteÚqh : Óper kaπ g◊gone. met¦ g¦r tÕ staurwqÁnai aÙtÕn o≤ sÝn aÙtù Ôntej maqhtaπ aÙtoà diesked£sqhsan, m◊crij Ótou ¢n◊sth œk nekrîn kaπ p◊peiken aÙtoÝj Óti oÛtwj proepefˇteuto perπ aÙtoà paqe√n aÙtÒn : kaπ oÛtw peisq◊ntej kaπ e≥j t¾n p©san o≥koum◊nhn œxelqÒntej taàta œd∂daxan ».

Dial. 106,1 « (…) met¦ tÕ ¢nastÁnai aÙtÕn œk nekrîn kaπ peisqÁnai Øp’ aÙtoà Óti kaπ prÕ toà paqe√n ⁄legen aÙto√j Óti taàta aÙtÕn de√ paqe√n kaπ ¢pÕ tîn profhtîn Óti proekekˇrukto taàta, metenÒhsan œpπ tù ¢f∂stasqai aÙtoà Óte œstaurèqh (…) ».

« Or, après qu’il eut été crucifié, tous ses disciples

l’abandonnèrent, et le

renièrent ; mais plus tard il ressuscita des morts et, se montrant à eux, il leur apprit à lire les prophéties, dans lesquelles il avait été prédit que tout cela devait arriver (…) et ils s’en allèrent vers les hommes de toute race pour leur

enseigner cette doctrine, et

reçurent le nom d’Apôtres ».

« Et c’est encore par l’intermédiaire du prophète Zacharie qu’il fut prophétisé que ce Christ lui-même serait frappé et ses disciples dispersés ; ce qui est aussi arrivé. Car après sa Crucifixion, ses disciples qui étaient avec lui furent éparpillés, jusqu’à ce qu’il ressuscite d’entre les morts et qu’il les ait persuadés qu’il avait bien été prophétisé, à son sujet, qu’il souffrirait ainsi. Convaincus, ils s’en allèrent par toute la terre pour enseigner cette

doctrine ».

« Après sa Résurrection d’entre les morts, et lorsqu’ils eurent été convaincus par lui qu’avant même de souffrir il leur avait dit qu’il devait endurer ces souffrances, et que cela avait été, dès les prophètes, proclamé à l’avance, ils se repentirent de s’être éloignés de lui lors de sa

que Dial. 53,5 associe les formulations de 1 Apol. 50, 12 et de Dial. 106,1. Ces passages mettent l’accent, note Enrico Norelli, sur le fait que « gli apostoli, convinti dal Risorto che egli aveva predetto loro la sua Passione e che anche i profeti l’avevano prevista, ‹si pentirono per averlo abbandonato quando fu crocifisso »93

.

Malgré ses contacts avec les Evangiles, il est évident que Justin Martyr ne dépend pas ici de ceux-ci94

. Enrico Norelli ajoute : « Il confronto tra dèdeka o≤ met aÙtoà di AI e o≤ sÝn aÙtù Ôntej maqhtaπ di Giustino suggerisce la dipendenza di entrambi da una tradizione comune. In Giustino il tema appare connesso con la realizzazione delle profezie »95

. La prophétie, à laquelle Justin Martyr fait allusion, est celle de Zacharie qui s’exprime en ces termes : « Epée, éveille-toi contre mon berger, et contre l’homme de mon peuple, dit le Seigneur

des Puissances, frappe le berger, ses brebis seront dispersées ! » (Zach 13,7 ; cf. Dial. 53,5).

Matthieu et Marc se réfèrent à cette prophétie (cf. Mt 26,31 ; Mc 14,27) mais ne la citent pas selon la version de la LXX96

. Quant à Justin Martyr, il ne la cite plus, mais l’interprète en vue de montrer que les faits, dont il rapporte le déroulement, sont arrivés conformément aux Ecritures. Le discours n’est plus direct comme chez Matthieu, mais indirect. D’ailleurs, il dit dans la suite : « (…) après sa Crucifixion, ses disciples qui étaient avec lui furent

éparpillés, jusqu’à ce qu’il ressuscite d’entre les morts et qu’il les ait persuadés qu’il avait bien été prophétisé, à son sujet, qu’il souffrirait ainsi » (Dial. 53,5b). Cette explication continue

dans Dial. 53,6 où il fait un amalgame des passages de Zacharie et des Evangiles97

. En effet, alors que dans les Evangiles, la défection ou l’abandon ou encore la disper- sion des disciples (cf. Mt 26,56) a lieu avant la Crucifixion et que le reniement fut l’œuvre du seul Pierre (cf. Mt 26,69-75), lorsque Justin Martyr rapporte cet épisode, les données sont renversées. Il présente la dispersion comme ayant lieu après la Crucifixion et non avant comme dans les Mémoires des Apôtres ; et le reniement devient pour lui l’acte de tous les disciples.

Par ailleurs, cet épisode de la dispersion des disciples seulement après la Crucifixion de leur Maître serait vraisemblablement adapté (pas forcément créé) par Justin Martyr parce qu’il a besoin de témoins sous la Croix. Maintenir les Apôtres aux pieds de leur Maître crucifié jusqu’au moment de sa descente de la Croix, répondrait à une préoccu- pation apologético-polémique. Face à Marcion qui souligne l’infidélité des disciples, Justin Martyr prendrait, ici, le contre-pieds en montrant leur détermination. La repen- tance des disciples signifie que bien qu’étant des témoins fragiles, ils sont capables de

93 E.NORELLI, 1995, Ascensio Isaiae. Commentarius, p. 200 ; cf. Dial. 106,1.

94 Cf. J.C.TH.OTTO, 1876, Iustini philosophi et martyris opera quae feruntur omnia. I : Opera Iustini indubitata, ed. tertia, 2 vol, Ienae (CorpAp 1-2), p. 136, note 6. Selon A.WARTELLE, 1987, p. 281, Justin Martyr reprend en Dial. 106,1 la même phrase que celle de Dial. 53,5. Nous retrouvons la même tradi- tion chez l’auteur de l’Evangile de Pierre 7,26-27 ou un emprunt à une tradition ou une source commune. 95 E.NORELLI, 1995, Ascensio Isaiae. Commentarius, p. 200-201. Lorsqu’il rapporte cet événement, l’auteur

de l’Ascension d’Isaïe écrit : « les douze qui seront avec lui seront scandalisés par lui » (AI 3,14).

96 IRÉNÉE, Dém. 76 a la même interprétation ; mais il situe l’abandon des disciples avant la Crucifixion. Cf. PH.BOBICHON, 2003, p. 728. Cette citation de Zacharie a plusieurs versions : voir par exemple celle de Barnabé chez P.PRIGENT, 1971, Epître de Barnabé, p. 112-113 (Barn 5,12 : « Lorsqu’ils auront frappé leur berger, les brebis du troupeau périront »).

vaincre leur crainte et de remarcher à la suite du Christ, dont ils sont les témoins. C’est pourquoi, reprenant le même énoncé, l’auteur écrit : « ils se repentirent de l’avoir

abandonné lors de son crucifiement » (Dial. 106,1).

La tradition, qui situe la repentance des disciples après la Résurrection, se lit aussi dans l’Evangile de Pierre où d’abord les disciples se cachent entre la mort de Jésus et le Sabbat par crainte des Juifs (cf. Ev. Pi 7, 26-27) ; ensuite, le dernier jour des azymes, encore troublés, ils se dispersent : « Et chacun, affligé par ce qui était arrivé, rentra à la

maison » (Ev. Pi 14,59). Il y a chez l’auteur de l’Evangile de Pierre une tradition qui

implique deux phases successives : (1) les disciples, restant unis, se cachent et (2) leur dis- persion n’aura lieu qu’une semaine après la Résurrection de leur Maître98

. Et elle signifie un retour à la maison. Les auteurs qui rapportent ce récit n’ont donc pas eu une source narrative commune. Justin Martyr et la tradition qu’il suit insistent sur la dispersion des disciples après la Crucifixion, et cela a probablement pour objectif de souligner que les disciples n’ont pas abandonné leur Maître de son vivant, qu’ils ont été les témoins de sa vie et de sa mort. Mais il est possible que l’auteur insiste sur leur trouble et leur manque d’initiative, dans un contexte polémique contre l’accusation d’avoir dérobé le corps de Jésus (cf. Dial. 108,2 ; Mt 28,11-15).

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