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La mort, l’ensevelissement et la descente aux enfers de Jésus

La Passion et la Gloire de Jésus le Christ

C. La mort, l’ensevelissement et la descente aux enfers de Jésus

Le prophète Isaïe (Is 53) prédit la raison de la condamnation du Messie : c’est à cause des péchés du peuple que le Christ serait « conduit à la mort, déshonoré, flagellé et mis au rang

des coupables, comme une brebis conduite à l’abattoir (…) » (Dial. 89,3 ; cf. Is 53,8.3.12.7).

Cette parole prophétique est perçue, par l’auteur, comme représentative de l’ensemble des Écritures annonçant la Passion du Christ (cf. Dial. 119,3). Jésus lui-même, pendant sa vie terrestre, avait prédit ses souffrances futures, sa mort (par Crucifixion) et sa Résur- rection. Mais lorsque Justin Martyr reprend l’une de ces annonces99

, il mentionne les pharisiens pourtant absents dans tous les versets de référence. Une étude comparative permettra de déterminer la source et l’intention de l’auteur.

98 L.VAGANAY, 19302

, L’Evangile de Pierre, Paris ;M.G.MARA, 1973 (réimpr. 2006), Evangile de Pierre. Introduction, texte critique, traduction, commentaire et index, Paris (SC, 201) ; IDEM, 2003, Il vangelo di

Pietro. Introduzione, versione, commento, Bolognia (Scritti delle origine cristiane, 30) ; E.JUNOD, 1997,

Evangile de Pierre, Traduction et notes, dans F.BOVON et P.GEOLTRAIN (éd.), 1997, Vol. I, p. 239-254.

99 Synopsis Quattuor Evangeliorum, 199615

Mt 16,21 « (…) Óti de√ aÙtÕn (…) poll¦ paqe√n ¢pÕ tîn presbut◊rwn kaπ ¢rcier◊wn kaπ grammat◊wn kaπ ¢poktanqÁnai kaπ tÍ tr∂tV ¹m◊rv œgerqÁnai (…) ». Dial 51,2 « (…) Óti de√ aÙtÕn poll¦ paqe√n ¢pÕ tîn grammat◊wn kaπ Farisa∂wn kaπ staurwqÁnai kaπ tÍ tr∂tV ¹m◊rv ¢nastÁnai » Dial 76,7 « (…) deiÍ to\n ui¸o\n tou= a)nqrw¯pou polla\ paqeiÍn kaiì a)podokimasqh= nai u(po\ tw½n grammate/wn kaiì Fari- sai¿wn, kaiì staurwqh=nai kaiì tv= tri¿tv h(me/r# a)nasth=nai ». Lc 9,22 « (…) de√ tÕn u≤Õn toà ¢nqrèpou poll¦ paqe√n kaπ ¢podokimasqÁ nai ¢pÕ tîn presbut◊rwn kaπ ¢rcier◊wn kaπ grammat◊wn kaπ ¢poktanqÁnai kaπ tÍ tr∂tV ¹m◊rv œgerqÁnai (…) ». Mc 8,31« (…) de√ tÕn u≤Õn toà ¢nqrèpou poll¦ paqe√n kaπ ¢podokimasqÁn ai ØpÕ tîn presbut◊rwn kaπ tîn ¢rcier◊wn kaπ tîn grammat◊wn kaπ met¦ tre√j ¹m◊raj ¢nastÁnai (…) ». « (…) Il doit (…) souffrir beaucoup de la part des anciens et des grands prêtres et des scribes et être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter (…) ». « (…) Il doit beaucoup souffrir de la part des scribes et des pharisiens, être crucifié et ressusciter le troisième jour (…) ». « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par

les scribes et les pharisiens, qu’il soit ‹crucifié› et que le troisième jour il ressuscite ». « Il faut que le fils de l’homme souffre beaucoup,

qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les

scribes, qu’il

soit mis à mort et que le

troisième jour, il ressuscite ».

« Puis il (…) il

faut que le Fils de l’homme

souffre beaucoup,

qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les

scribes, qu’il

soit mis à mort et, trois jours après, il ressuscite ».

Faisons ici quelques observations.

(1) Les responsables des souffrances de Jésus ne sont pas tout à fait les mêmes selon que nous lisons la prophétie de Jésus chez Justin Martyr et chez ses prédécesseurs. Tandis que l’auteur cite le couple Scribes et Pharisiens (grammate√j kaπ Farisa√oi) ou Pharisiens et

Scribes (Dial. 100,3), les sources, auxquelles il se réfère, attestent que Jésus a souffert de

la part des anciens, des grands prêtres et des scribes (¢pÕ tîn presbut◊rwn kaπ ¢rcier◊wn kaπ grammat◊wn)100

. Cet ordre est respecté par tous les évangélistes. Seuls les Scribes sont communs à l’une et l’autre liste et présents chez tous les témoins qui rapportent cette

prophétie du Christ. Les pharisiens, selon Justin Martyr, complices de la mort de Jésus sont absents des évangélistes et les grands prêtres et les anciens disparaissent dans le passage de Justin Martyr.

Dans cette prophétie faite par Jésus le Christ, l’auteur ne suggère pas que Jésus sera

mis à mort, comme les évangélistes l’attestent, mais, par trois fois, il dit qu’il « sera crucifié »

(cf. Dial 51,2 ; 76,7 ; 100,3). Justin Martyr suivrait ici une idée déjà commune reçue de la tradition évangélique. C’est pourquoi, comme l’a remarqué Edouard Massaux, il faut affirmer que l’auteur « n’est pas en contact littéraire (nous dirions littéral) avec un des parallèles en particulier ; il rappelle simplement la prédiction du Christ sans s’attacher particulièrement aux mots qui l’expriment ; ce qui l’intéresse, c’est le fait que le Christ a prédit certains événements qui sont maintenant arrivés »101

. Marc et Justin Martyr ont le verbe ¢n∂stnmi, pour parler de la résurrection de Jésus ; Matthieu et Luc ont, un autre, œge∂rw. Justin Martyr, comme Matthieu et Luc, a « troisième jour » à la différence de Marc chez qui nous lisons « trois jours ».

(2) Cette prédiction est présente dans les deux parties du Dialogue avec Tryphon. Le début du Dial. 51,2, « il doit souffrir beaucoup de la part des…», est une référence à Mt 16,21 et la suite du même passage de Justin Martyr, « (…) être crucifié et ressuscité le

troisième jour (…) », pratiquement reprise en Dial. 76,7, est restée identique. Mais en

Dial 76,7, l’introduction de la prédiction de Jésus, « il faut que le Fils de l’homme souffre

beaucoup (…) », est plus proche de Luc (Lc 9,22) et de Marc (Mc 8,31). Elle se présente

comme un résumé qui aurait probablement pour but de dépasser les divisions et prou- ver l’accomplissement de la parole de Jésus. Ce fait est fréquent : il y a une tension entre la première et la deuxième partie du Dialogue. Par ailleurs, les « grammate√j » y apparaissent presque toujours aux côtés des « Farisa√oi »102

et ceci est un trait rédactionnel de Justin Martyr car c’est lui qui a formulé ainsi. Il est vraisemblable qu’il veut souligner leur rôle prépondérant dans la mort du Christ comme nous lisons encore en Dial 76,7.

Pour expliquer les différences entre les passages de Justin Martyr (Dial. 51,2 ; 76,7 ; 100,3103

), nous pensons que l’auteur, ou sa source, aurait fabriqué un texte qu’il cite en abrégeant dans la première partie du Dial. 52,1 (la deuxième partie restant identique), et il rapporte le même récit aussi en Dial. 76,7 et en Dial. 100,3. Toutefois, Justin Martyr n’a aucun ordre lorsqu’il en parle. En Dial. 51,2 et 76,7, il est question d’abord des Pharisiens ensuite des Scribes ; en Dial. 100,3, l’un des chapitres de son traité qui seait en même temps sa source (Dial. 98-107), il inverse son ordre et commence par les Scribes suivis des Pharisiens. En général, ici comme précédemment, il aurait repris cette idée com- mune à la tradition évangélique : le Christ était conscient de ses souffrances et maintenant de sa mort. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter la prophétie du Roi-David, qui dit : « Ce n’est point ignorance de ma part » (Ps 21,3). Il faut entendre ici justement l’ignorance

101 E.MASSAUX, 19862

, p. 552 ; cf. A.J.BELLINZONI, 1967, p. 30-32.

102 Ce couple « Scribes-Pharisiens » est assez fréquent chez Justin Martyr tant dans la première partie du Dialogue (Dial. 17,4 ; 51,2) que dans la seconde (Dial. 76,7 ; 100,3 ; 102,5 ; 103,1 ; 105,6). Voir aussi chez Mt 23, 23.25.27.29.

103 Dial. 100,3 est plus près de Lc 9,22 que de Mc 8,31 ; cf. E.MASSAUX, 19862

« de ceux qui pensaient qu’il n’était pas le Christ, présumant qu’il mourrait et qu’il demeurerait

dans l’Hadès, séjour des morts, comme un homme ordinaire » (Dial. 99,3 : Mt 16,18).

La Mort du Messie sur la Croix a été également prédite par David lorsqu’il annonce le moment capital, où le Christ sera seul face à son destin : « Délivre mon âme de l’épée,

et de la patte du chien celle qui m’est unique. Sauve-moi de la gueule du lion, et des cornes de l’unicorne mon abaissement » (Ps 21,21-22 ; Dial. 105,2). Etre « délivré de l’épée et de la patte du chien », explique Justin Martyr, « était une prière pour que nul ne se rende maître de son âme » (Dial. 105,3). Cependant, c’est surtout par l’expression « les cornes de l’unicorne, (monÒkerwj) » (cf. Dt 33, 13-17 ; Dial. 91,1.2)104

que l’auteur rappelle la prédiction faite au sujet de la mort de Jésus sur la Croix. En effet, résume Michel Fédou, « la ‹corne unique›, c’est la poutre verticale ; ‹les cornes›, ce sont les extrémités de la poutre trans- versale »105

. Elles représentent (mim◊omai) le type (tÚpoj) de la Croix du Christ (Dial. 91,2) et sont les formes humaines prises par le Verbe lors des christophanies106

. Cloué dans ce bois, il rendra son esprit entre les mains de celui qui lui donne le pouvoir de vaincre : « (…) Car lorsqu’il rendit l’esprit sur la Croix, il dit : ‹Père, entre tes mains je remets mon esprit›,

ce que cette fois encore, j’ai appris des Mémoires » (Dial. 105,5). Cette leçon est proprement

lucanienne (cf. Lc 23,46).

Quant à l’ensevelissement de Jésus, Justin Martyr le formule ainsi : « (…) le Seigneur

est aussi resté presque jusqu’au soir sur le bois [de la Croix], et c’est vers le soir qu’ils le mirent au tombeau (…) » (Dial. 97,1). Justin Martyr se réfère ici probablement à Ex 17,12 (« (…) les mains de Moïse restèrent affermies jusqu’au coucher du soleil ») afin de marquer l’interaction

entre le « fait » et « l’Ecriture ». Dans le passage de Justin Martyr, le « ils » pourrait bien être les adversaires juifs de Jésus, plutôt que ses disciples qui s’étaient déjà éparpillés après la Crucifixion de leur Maître. C’est dans ce contexte que Raymond Brown explique que « ce pluriel peut être une simple généralisation de la mémoire de Joseph, qui était l’un ‹des Juifs›, non un disciple de Jésus (à ce moment-là), mais un membre pieux du sanhédrin, responsable de la condamnation de Jésus, agissant par fidélité à la loi deuté- ronomique de l’enterrement des pendus (crucifiés avant le coucher du soleil) »107

.

104 G.W.H.LAMPE, 1961, A Patristic Greek Lexicon, Oxford, p. 882. Cf. Dial. 86 ; 105,2 : Ps 21,22 ; Dial. 91,2-3. « (…) La corne unique, c’est la poutre de bois verticale dont la partie supérieure s’élève en corne lorsque l’autre poutre de bois y est attachée ; et de chaque côté, comme des cornes adjointes à une corne unique

apparaissent les extermités. (…)» (Dial. 91,2). On adopte ici la traduction de JUSTIN MARTYR, 1994,

Œuvres complètes, p. 245 à cause de sa clarté dans la description de la position des cornes de buffle. Même interprétation chez C.D.ALLERT, 2002, p. 235. Ces cornes sont dites soit « de buffle » (cf. Dial. 91,2), comme traduit dans JUSTIN MARTYR, Les œuvres complètes, 1994, p. 245, soit les « Cornes de rhinocéros ». Il faut entendre par « monÒkerwj, Cornes de l’unicorne ».

105 M.FÉDOU, 1984, p. 40.

106 Cf. Dial. 90,4 ; 91,3 ; 97,1 ; Dt 33,17 : Dial. 91,2.3 et Ps 21,22 : Dial. 105,2 ; Dial. 128,2.

107 R.E.BROWN, 2005, p. 1339-1340. Voir Dt 21,22-23. L’auteur de l’Evangile de Pierre écrit : « alors ils [les Juifs] arrachèrent les clous des mains du Seigneur et le déposèrent sur le sol. (…) Ils donnent son corps à Joseph pour qu’il l’ensevelisse » (Ev. Pi 6,21.23). Il y a ici mélange apparent de deux traditions. Les Actes de Pilate, quant à eux, rapportent que « lorsque les Juifs apprirent que Joseph avait demandé le corps de Jésus, ils devinrent si hostiles qu’ils l’emprisonnèrent » (Actes de Pilate , 12). C’est là évidemment un autre développement du por- trait postérieur de Joseph en tant que disciple de Jésus.

Mais où était Jésus dans l’intervalle du temps entre sa mort et son apparition à Pâques ? Dans un témoignage scripturaire qu’il attribue au prophète Jérémie, mais dont, selon lui, les paroles ont été retranchées par les Juifs108

, Justin Martyr atteste que Jésus avait passé ce moment aux enfers. « C’est encore des paroles du même Jérémie qu’ils ont retranché

ce passage : ‹Le Seigneur Dieu, Saint d’Israël, s’est souvenu de ses morts, qui se sont endormis (kekoimhm◊nwn) dans la terre du tombeau, et il est descendu (kat◊bh) vers eux pour leur annon-

cer la bonne nouvelle (eÙaggel∂sasqai) de son Salut » (Dial. 72,4 ; cf. 1 P 4,6)109

. Ce passage ne se lit pas dans le livre canonique du prophète Jérémie auquel Justin Martyr se réfère. Son origine a donné lieu à plusieurs hypothèses : il est une interpolation chrétienne de la prophétie110

ou un midrash judéo-chrétien sur cette même prophétie111

, ou encore un développement de Mt 27,51-52112

. Il peut cependant s’agir, suggérons-nous, d’une harmonisation textuelle de l’auteur basée sur le livre qu’il cite et la tradition chrétienne vivante qu’il connaît.

Contrairement à Jérémie, ce n’est pas Dieu le Père qui descend aux enfers. Seulement le Fils, Seigneur et Saint d’Israël, peut descendre. Il ne mentionne pas l’âme. Le logion de Jérémie parle par contre des morts, dans le Seigneur. Même si c’est une croyance fort courante à son époque, croyance intégrée au symbole baptismal, c’est le seul endroit où Justin Martyr parle de la descente de Jésus aux enfers (kat£basij)113

dont le but est d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut aux morts d’Israël (voir le mot kekoimhm◊nwn) et nullement pour y rester. Il est descendu pour leur annoncer, selon Irénée de Lyon, leur délivrance114

. Mais ce n’était pas l’unique possibilité. Il pourrait aussi être question de la délivrance immédiate des justes115

.

Philippe Bobichon et Raymond Brown ont rapproché cette proclamation faite aux endormis, entre le moment où Jésus est mort et celui où il est ressuscité, du langage de

108 Cf. P.PRIGENT, 1961, p. 186.196-197 ; E.NORELLI, 1980, p. 49 ; IDEM, 1993, Asencion d’Isaïe 11,19 ; 1 P 4,3 ; IDEM, 1995, p. 449 ; A.ORBE, 1995, Vol. II, p. 364 et 378 ; R.GOUNELLE, 2000, La descente du Christ aux Enfers, p. 54-59 sur ce point voir p. 54, note 88 (Dial. 72,4).

109 IRÉNÉE de Lyon attribue cette prophétie tour à tour à Isaïe (Adv. Haer. III, 20,4), à Jérémie (Adv. Haer. IV, 22, 1 ; Préd. 78), aux autres (Adv. Haer. IV, 33,12). Voir A.RESCH, 1974, p. 305 (Logion 45) ; D. BARTHÉLEMY, 1994, p. 373.

110 Voir W.BIEDER, 1949, Die Vorstellung von der Höllenfahrt Jesus Christi, p. 140. Cette interpolation est, selon lui, introduite dans le Jérémie canonique.

111 Cf. J.DANIÉLOU, 19912

, p. 298 ; P.PRIGENT, 1961, p. 185-187 ; G.VISONÀ, 1988, p. 245-246, note 4.

112 Cf. W.J.DALTON, 19651

(19892

), Christ’s Proclamation to the Spirits. A Study of 1 Peter 3,18-4,6, p. 24 ; W.MAAS, 1979, Gott und die Hölle, p. 73-97. Ce dernier rattache ce passage de l’Evangile à Ez 37.

113 Voir C.SCHMIDT, 1919, Gespräche Jesu mit seinen Jüngern nach der Auferstehung, p. 453-576 ; IGNACE

d’Antioche, Ad Magn., 9,3 ; Ad Philad., 9,1.

114 Cf. IRÉNÉE de Lyon, Adv. Haer. IV, 33,1 ; V, 31,1.

115 La libération immédiate des justes grâce à la descente du Christ aux enfers est absente chez Justin Martyr. Pour C.SCHMIDT, 1919, Exkurs II, p. 490-491 les justes de l’Ancien Testament semblent être, selon Justin Martyr, restés au Hadès pour y partager avec les chrétiens pieux la Résurrection du Christ jusqu’à son retour (cf. Dial. 5,3). Rien ne suggère que les Patriarches (Noé, Hénoch) et les autres justes soient déjà emmenés au Ciel grâce à la descente du Christ aux enfers et qu’ils apparaissent avec le Christ dans son entourage (cf. Dial. 45,4). « D’ailleurs, dit encore Carl Schmidt, Justin ne mentionne absolument pas la descente (…) mais que les âmes seront conservées dans la « Unterwelt » jusqu’à la résurrection » (p. 491).

1 P 3,19116

. Mais il nous semble très douteux que ce passage de Pierre, « c’est alors qu’il

est allé prêcher même aux esprits en prison » (1 P 3,19), se réfère à un descensus ad inferos.

Il ne justifie nullement l’activité de Jésus dans le Schéol117

. Pierre parle de la prédication (khrÚssein) du Christ aux esprits en prison. En d’autres termes, il s’agit, avait déjà précisé Jean Daniélou, « de la proclamation par le Christ de sa victoire sur les démons, faite à ceux-ci dans leur prison, qui est l’air »118

. On ne peut donc pas établir l’activité du Christ dans le monde des morts à partir de ce texte. Ceci rejoint d’ailleurs cette autre affirmation de Justin Martyr : « car s’il est exorcisé au nom de ce Fils de Dieu, ‹premier-né de toute créa-

tion›, enfanté par une Vierge, qui s’est fait homme souffrant, crucifié sous Ponce-Pilate par votre peuple, mort, ressuscité des morts, et monté au ciel, tout ‹démon› se trouve vaincu et ‹soumis »

(Dial 85,2)119

.

Dans un passage de l’Evangile de Pierre, après le récit de la résurrection, nous lisons une indication similaire au texte de l’auteur. En effet, il y écrit : « Et ils entendirent une voix

venue des cieux qui dit: ‹as-tu prêché à ceux qui dorment ?› Et on entendit une réponse venant de la Croix : ‹Oui » (Ev. Pi 10, 41-42). L’expression « ceux qui dorment », comme chez

Mt 27,52, apparaît dans le contexte « où il est question, fait remarquer Jean Daniélou, de la sortie hors de leurs tombeaux des justes de l’Ancien Testament au moment de la Passion »120

. Nous retrouvons donc le même contexte avec « Jérémie » cité par Pierre dans son évangile. En d’autres termes, il s’agit des justes de l’Ancien Testament qui étaient enfermés dans le Schéol. C’est à ceux-ci que Jésus, non seulement, annonce leur déli- vrance, mais aussi les délivre. Ceci répond au problème théologique du sort des justes qui sont morts avant le Christ posé par l’auteur et rejoint la réponse qu’il donne.

Ainsi donc la prédication dont il s’agit dans la Première Epître de Pierre (3,18-20) est différente de celle dont il est question dans le passage de Jérémie cité par l’Apologiste. Justin Martyr, redisons-le, comme Jérémie, parle de l’annonce du salut par le Christ à ceux qui sont morts avant Lui, en particulier les morts (les justes) d’Israël, précisément les Patriarches et les Prophètes, de leur délivrance121

. Dans l’Epître de Pierre, la prédication

116 Selon PH.BOBICHON, 2003, p. 769-770, note 8 (Dial. 72,4), le thème est déjà présent dans le Nouveau testament : Mt 12,40 ; 27, 52-53 ; Rm 10,7 ; Eph 4,9 ; 1 P 3,19 ; 4,6. Même son de cloche chez R. E. BROWN, 2005, p. 1241. Mais, ce n’est pas évident.

117 Cf. W.J.DALTON, 19651

(19892

), Christ’s Proclamation to the Spirits. A Study of 1 Peter 3, 18-4,6, p. 184.

118 J.DANIÉLOU, 19912

, p. 297 ; cf. W.J.DALTON, 19651

(19892

), p. 155. Selon ce dernier, l’expression pétrinienne « œkˇruxen » appartient au contexte de la victoire rédemprice du Christ, victoire qui est la base de la confiance des chrétiens dans la persécution.

119 Cf. J.KROLL, 1963, Gott und Hölle: der Mythos vom Descensuskampfe, Dermstadt (Studien der Bibliothek Warburg, 20), p. 128. Voir dans ce sens : 1 Apol 48,1 ; 2 Apol 6,6 ; Dial. 30,3 ; 76,6.

120 J.DANIÉLOU, 19912

, p. 297. Le texte de l’Evangile de Pierre a été, avant Jean Daniélou, étudié entre autres par W.BIEDER, 1949, Die Vorstellung von der Höllenfahrt Jesu Christi, p. 129-135 ; W.MAAS, 1979, Gott und die Hölle, p. 45-50.

121 Selon W.BIEDER, 1949, p. 128, cette doctrine est étrangère au Nouveau Testament. Mais ce point de vue est excessif car dans Mt 27,52 nous rencontrons l’expression « kekoimhm◊nwn, ceux qui dorment » dans un contexte analogue. Voir E.MASSAUX, 19862

de Jésus est basée sur sa victoire sur les démons et a lieu dans leur prison. Il n’est nulle- ment question des enfers. D’ailleurs, l’Epître parle de la descente du Verbe de Dieu du Ciel sur la terre (cf. Eph 4,9). En conséquence, le passage pétrinien et celui de Jérémie que rapporte Justin Martyr, ne parlent point le même langage.

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