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Les citations littérales des Evangiles et les citations faites de mémoire

Les Mémoires des Apôtres et de leurs disciples

D. Les citations littérales des Evangiles et les citations faites de mémoire

Certains auteurs ont prétendu que Justin Martyr ne cite pas ad litteram le texte des Evangiles qu’il suit. Et pourtant, lorsqu’on regarde attentivement ses écrits, la réalité atteste la présence des citations littérales. Dans sa récente édition critique du Dialogue avec

Tryphon, Philippe Bobichon note quelques citations explicites de Justin Martyr faites

d’après les Evangiles. Elles peuvent s’étendre sur plus d’un verset197

. Il en est de même de certains passages de l’Apologie que l’auteur emprunte textuellement à ses sources évangé- liques (cf. 1 Apol. 16, 9). Justin Martyr n’est pas préoccupé par la lettre des textes évan- géliques : il s’attache à l’enseignement des Apôtres et c’est pourquoi il lui arrive d’argu- menter à l’aide des textes évangéliques eux-mêmes, les expliquant les uns par les autres (cf. 1 Apol. 15,12 ; 16,10).

Cependant, pour justifier les écarts constatés ou les divergences relevées entre le texte reçu des Evangiles devenus plus tard canoniques et les citations qu’en fait Justin Martyr,

191 Par exemple dans le récit de la Pentecôte (cf. Ac 2) et dans l’annonce faite par Jean le Baptiste du baptême qui sera dans l’Esprit et le feu (cf. Mt 3,12 ; Lc 3, 12). Le feu qui s’allume dans le Jourdain, comme le présente Justin Martyr, manque dans tous les textes synoptiques. « On trouve ce détail, dit E.MASSAUX, dans le Diatessaron de Tatien, dans quelques manuscrits de Mt, a et g, dans l’apocryphe intitulé Pauli Praedicatio, dans l’Evangile des Ebionites (cf. ÉPIPHANE, Haer., XXX, 13), dans les Oracles Sibyllins, VII, 82-84 » E. MASSAUX, 19862

, p. 553. Il se réfère à G.ARCHAMBAULT, 1909, vol. II, p. 73-74. Ce témoignage est à corriger. En fait, comme le souligne A.LE BOULLUEC, 2004, p. 61, « l’Evangile des Ebionites ne fait pas référence au feu mais à une grande lumière qui éclaire le lieu du baptême ». Épiphane de Salamine remarque entre autres qu’après le baptême du Christ « (…) aussitôt une grande lumière éclaira tout l’endroit (…) ». ÉPIPHANE de Salamine, Panarion 30, 13,7 traduit par D. A.BERTRAND, 1997, Ecrits apocryphes chrétiens, Vol. I, Paris, p. 452.

192 Quant au sens du feu, voir Oracles sibyllins VII, 82-84 ; VIII, 225. 243-244 (traduction de J.-M.ROESSLI, 2005).

193 E.MASSAUX, 19862

, p. 497 ; voir 1 Apol. 35,2 : Mt 21,5 et Zach 9,9.

194 Cf. Dial. 97,1 : Mt 27,57 et Mc 15,42.

195 Cf. Dial. 103,1 où le texte de Justin Martyr offre des différences avec ses sources (Mt 26,30.47 et // Mc 14,26.43 ; Lc 22,39.47 ; Jn 18,3), rapporte cet événement nocturne.

196 Cf. Dial. 102,5 : Mt 27,13-14 ; Mc 15,4-5 ; Lc 23,9 ; E.MASSAUX, 19862

, p. 554. Ce thème est aussi contenu dans l’Evangile apocryphe de Pierre (cf. Ev. de Pierre 4,10).

197 Cf. PH.BOBICHON, 2003, p. 1037. 1045-1046. Dans le Dialogue avec Tryphon, ces citations sont expli- cites : Mt 3,11-12 (Dial. 49,3) ; 7,22-23 (Dial. 78,5) ; 8,11-12 (Dial. 76,4 ; 120,6 ; 140,4) ; 11,14-15 (Dial. 51,3) ; 17,11-13 (Dial. 49,5) ; Lc 3,16-17 (Dial. 49,3).

une autre hypothèse fut avancée. Eugène Jacquier a cru que ces formes littéraires des citations perturbées parfois par des inexactitudes (et non des fautes comme on serait tenté de l’imaginer) résultent simplement du fait que Justin Martyr « citait ordinairement de mémoire, et ne s’astreignait pas à vérifier les textes. Sa mémoire a pu lui faire défaut quelquefois. N’oublions pas que cette habitude de citer littéralement n’existait pas de son temps (…) »198

. Ce point de vue ne permet pas de justifier les longues citations des Evangiles contenues dans le Dialogue avec Tryphon. Il est vraisemblable que Justin Martyr cite parfois de mémoire mais il est par ailleurs difficile de soutenir une controverse seu- lement avec des citations produites de mémoire. En fait, « s’il a des livres, il doit les citer exactement. Citant de mémoire, il offrirait prise à la critique en donnant pour écrit ce qui ne l’est pas. Et même s’il se fie à ses souvenirs, il est (encore) nécessaire d’expliquer pourquoi il brouille l’ordre, passant d’un Evangile à l’autre ; mélangeant les mots de Matthieu et ceux de Luc, etc. »199

. L’hypothèse des citations de mémoire est recevable mais elle ne peut pas être avancée pour justifier les erreurs et les fausses attributions que nous lisons dans les œuvres de l’Apologiste.

Les citations du texte évangélique que nous rencontrons chez Justin Martyr ne pro- viennent pas d’une seule source. Certes, il se réfère aux Mémoires des Apôtres, mais il recourt aux collections des paroles et faits de Jésus antérieurement regroupés en fonction des thèmes. Il recourt encore aux thèmes traités dans les Evangiles sans s’attacher à un écrit donné des Apôtres. Mais en présentant de cette façon son texte, Justin Martyr a-t-il voulu dépasser les Evangiles antérieurs ? Certains commentateurs modernes y ont cru. Pour Helmut Koester, Justin Martyr ou son école n’a pas eu l’intention de construire un catéchisme, mais de composer le seul nouvel Evangile inclusif qui rendrait ses prédéces- seurs, Mt et Lc (et probablement Mc), obsolètes. Il pense à un « Evangile selon Saint

Justin »200

. Mais il faut affirmer que même si l’on trouve quelques traditions harmonisées de Justin Martyr dans l’harmonie postérieure de son élève Tatien, nous ne voyons nulle- ment une intention claire de Justin Martyr de vouloir surclasser les Evangiles synoptiques par son œuvre. Il avait un très haut respect et une grande estime pour les Evangiles car « écrits par les Apôtres et leurs disciples » (Dial. 103,8).

Justin Martyr a certainement utilisé les collections harmonisées des maximes et des faits de Jésus, composées pour des raisons catéchétiques, pastorales, apologétiques aux côtés des citations littérales, des Evangiles écrits sur le Christ. A ces références, il faut juste- ment ajouter ce qu’il a personnellement composé et utilisé, à savoir des harmonisations textuelles sur la base des Evangiles entre eux, des Evangiles et des prophéties, des cita- tions de mémoire. Il s’avère juste d’affirmer que Justin Martyr cite les paroles de Jésus sous une forme harmonisée201

. Cependant l’évidence textuelle de ces maximes et leur origine n’est pas facile à déterminer. Proviennent-elles de Mt ou de Lc ou encore de

198 E.JACQUIER, 1911, cité par G.BARDY, 1925, « Justin», dans DTC, col. 2248. D.VIGNE, 2000, p. 336 a ainsi cru justifier « l’imprécision de certaines citations (qui) indique qu’elles sont faites de mémoire ».

199 G.BARDY, 1925, « Justin», dans DTC T. VII/2, col. 2248.

200 H.KOESTER, 1989, « The texte of the Synoptic Gospels », Second Century, p. 30 et 32. Cette théorie eut quelques adeptes : A.J.BELLINZONI, 1992, « The Gospel of Matthew in th Second Century », The Second

Century 9(1992), p. 239-242 ; M.MARCOVICH (éd), 1994, Iustini Martyris Apologiae, p. 29, note 1.

deux à la fois ? Selon W. L. Petersen, les traditions chrétiennes présentes chez Justin Martyr ont été harmonisées par l’Apologiste lui-même et se retrouveront dans l’harmonie minu- tieuse de son élève Tatien202

.

II. L’Autorité des Mémoires des Apôtres

La norme de vérité, chez Justin Martyr, se vérifie par la coïncidence des Ecritures et des faits rapportés par les Apôtres. Si pour les Ecritures, Saintes et prophétiques (cf. Dial. 32,2), leur normativité ne fait l’ombre d’aucun doute, celle des écrits des Apôtres, n’est pas encore définie à l’époque de Justin Martyr. Et pourtant, c’est à ces documents historiques, dont il faut préciser le statut, que l’Apologiste convie ses interlocuteurs à puiser les preuves de l’accomplissement des prophéties.

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