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Joseph, fiancé et époux de Marie

La préexistence et la manifestation historique de Jésus le Christ

B. Joseph, fiancé et époux de Marie

Joseph, aux yeux de l’Apologiste, se présente sous les traits de fiancé et époux de Marie. Il est aussi identifié par son métier manuel et est dit charpentier. Deux points permettront de montrer la place qu’occupe Joseph dans les souvenirs des origines de la religion chré- tienne : d’abord la justification de l’embarras qui habite le fiancé de Marie au vu des signes de la maternité de sa fiancée, embarras suivi de son dénouement ; ensuite l’explication, selon l’auteur, du rôle de Joseph dans l’histoire du salut.

79 M.FÉDOU, 1984, p. 61. Cf. IRÉNÉE, Adv. Haer. III, 22,4 (SC, 211) ; V, 19,1 (SC, 153). Irénée s’inspire précisément de Justin Martyr dans son parallèle Ève-Marie comme dans l’ensemble de ses développements sur la ‹récapitulation›. Sa source ne serait autre que le traité ou l’œuvre (Syntagma) « Contre toutes les hérésies » selon la thèse de P.PRIGENT, 1964, p. 19s. Sur la désobéissance d’Adam et Ève chez Justin Martyr, voir Dial. 124,4.5 (Ps 81,7 ; Apoc 12,9 et 20,2 ?). Quant au serpent qui avait égaré Ève et qui fut maudit, voir Dial. 79,4 : Gn 3,1-6.14 ; Dial. 39,6) ; les origines d’Ève : 84,2 (de la seule côte d’Adam, Ève a été faite (cf. Gn 2,21-22).

80 « Et elle répondit : ‹Qu’il en soit pour moi selon ta parole » Dial. 100,5 ; 1 Apol. 33,5-6.8 (cf. Lc 1,38). 81 On le retrouvera plus tard chez IRÉNÉE, Adv. Haer., III, 22,4 (SC, 211) ; V, 19,1 (SC, 153) ; IDEM, Dem.,

33 (SC, 406) et TERTULLIEN, La chair du Christ (De Carne Christi), 17 (SC, 216-217). Ce dernier commente aussi le parallélisme entre Adam et le Christ déjà exprimé chez Paul (cf. 1 Co 15,22). Cf. G. H. JOUASSARD, 1949, p. 69-157. Selon lui, Justin Martyr traite de la comparaison Marie-Ève (Dial. 100,4-6) selon des considérations d’ordre spéculatif (cf. 1 Apol. 33,1ss).

1. L’embarras de Joseph le charpentier et les interventions divines

Dans la perspective de Justin Martyr, deux ordres divins encadrent les deux déplace- ments de Joseph : il reçoit d’abord l’ordre de l’ange de Dieu de ne pas renvoyer sa femme (cf. Dial. 78,3) et ensuite un autre qui l’oblige de quitter Bethléem, son lieu d’origine, pour une terre étrangère, l’Egypte (cf. Dial. 78,4).

a. Le motif de l’embarras de Joseph

Par rapport aux Evangiles devenus canoniques, Justin Martyr simplifie et inverse les don- nées sur l’embarras de Joseph. Chez Matthieu, l’annonce de l’ange à Joseph (cf. Mt 1,18-24) précède la visite des Mages (cf. Mt 2,1-12). Chez Justin Martyr, la visite des Mages encadrent l’épisode de Joseph et Marie (cf. Dial. 78, 1-2 et 9-10).

Entre les deux séquences, il intercale « un flash back » sur le recensement (cf. Dial. 78,3-4a) entre le retour des Mages et l’ordre donné à Joseph de partir avec Marie et l’enfant en Egypte. Edouard Massaux pense, en se référant à Georges Archambault, que par rapport à Mt, ce passage sur le recensement (Dial. 78,3-4a) se présente comme une parenthèse ou une interpolation. Ce point de vue a été repris par Philippe Bobichon qui, commentant l’épisode du recensement (cf. Dial. 78,3-4a), soutient que les détails qui concernent Marie et le recensement (de kaπ Iws¾f d◊ à kaπ aÙtÕj en Dial. 78, 4) semblent inutiles ici. « Peut-être, estime-t-il, Justin Martyr a-t-il lui-même jugé bon de donner ces précisions qui, si elles ne s’imposent pas, se justifient autant pour un auditoire juif que pour des lecteurs païens »83

.

En fait, cette précision est utile. Elle a pour but d’établir le lien entre l’ordre donné aux Mages d’Arabie (cf. Dial. 78,2) et celui donné à Joseph de partir avec Marie et l’enfant en Egypte (cf. Dial. 78,4b). Le passage du Dial. 78,3-4a sur le recensement se justifie de la façon suivante : en 78,3 Justin Martyr a raconté que les Mages viennent voir l’enfant à Bethléem. Mais il veut aussi amener, à cet égard, le testimonium sur la grotte (cf. Dial. 78,6). Il se voit alors obligé d’expliquer pourquoi l’enfant se trouve dans une grotte, et c’est la raison pour laquelle il introduit l’histoire du recensement (Dial. 78,4a). Donc, au moins Dial. 78,4a ne peut pas être séparable de la suite. Justin Martyr ne suit pas textuellement l’Evangile. Il combine les données des traditions littéraires et vivantes selon une logique qui lui est propre. Pour lui, l’accent est mis sur Joseph et le recensement. Il doit justifier leur présence à Bethléem. Dans la foulée, il souligne le comportement de Joseph vis-à- vis des ordres divins reçus.

Le motif de ce projet peut s’expliquer. Puisque les fiançailles juives faisaient des par- tenaires des conjoints, sans qu’interviennent encore la cohabitation et la consommation du mariage, Joseph est amené à soupçonner Marie d’infidélité. Car la conception du mariage selon les usages juifs comprend deux étapes distinctes : l’accord en mariage et le transfert dans la maison du mari. Nous retrouvons les deux moments dans le récit de Mt lorsqu’il écrit au sujet de l’origine de Jésus le Christ : « Marie, sa mère était accordée en mariage à

Joseph (1re

étape) ; or, avant qu’ils aient habité ensemble (…) (2e

étape) » (Mt 1,18)84

. Nous nous situons donc pendant la période des fiançailles qui durait en principe 12 mois pour une jeune fille, un mois pour une veuve. Après ce temps, le fiancé la recevait chez lui. Cela signifie qu’au moment de l’Annonciation, Marie n’habitait pas encore chez Joseph, d’où le trouble de celui- ci.

Ainsi, projette-t-il de la répudier en secret « (…) la croyant enceinte par le commerce

d’un homme, par fornication (…) » (Dial. 78,3 ; cf. Mt 1,18.20). Dans ce contexte, seule

la répudiation légale pouvait les dégager de leur lien. Remarquons la dépendance litté- raire de Justin Martyr par rapport à Matthieu, à Luc85

et à la tradition orale. Soulignons toutefois la liberté d’esprit de l’Apologiste lorsqu’il reprend les faits que la tradition chrétienne lui a légués. Certes, tous les éléments de Matthieu (Mt 1,18-25) sont lus dans le récit de Justin Martyr mais ils sont présentés autrement de telle sorte que nous avons ici une construction propre à l’auteur.

b. Le dénouement de l’embarras

Avant que Joseph ne mette à exécution son projet, il « reçut en vision l’ordre de ne pas

renvoyer sa ‹femme » ; la raison de ce qui, à ses yeux, aurait pu passer pour un scandale

est aussi donnée : « (…) ‹l’ange› qui lui ‹apparut› lui dit que ce qu’elle portait dans son sein

‹venait de l’Esprit-Saint » (Dial. 78,3)86

. Ce récit de Justin Martyr est clairement une reformulation de celui de Mt (Mt 1,20) dont il reprend l’idée. Nous pouvons rappro- cher les rôles de l’ange et de l’Esprit, que nous lisons dans les deux textes.

Joseph est invité à donner aux fiançailles leur plein effet en introduisant sa fiancée dans sa maison et en donnant le nom de Jésus à l’enfant conçu du Saint-Esprit. Ce faisant, il repousse ainsi une fausse rumeur qui ferait de Jésus un enfant adultérin, produit d’une fornication ¢pÕ porne∂aj (cf. Jn 8,41 ; Dial. 78,3)87

. Il montre qu’il est le Fils de Dieu parce qu’il n’est pas né des relations charnelles mais conçu du Saint-Esprit. Justin Martyr passe immédiatement à un autre ordre donné à Joseph, celui-ci est purement administratif : devoir de se faire recenser. Racontant cet épisode à sa manière88

, Justin Martyr précise que Joseph était parti « se faire recenser avec Marie son épouse »89

. L’accent est ici mis sur le fait que Joseph n’a pas répudié Marie, mais qu’il est resté avec elle (cf. Dial. 78,4.7)90

. Il y a probablement ici des réponses aux récits rapportés par Celse qui raconte que le t◊ktwn,

84 Cf. R.E.BROWN, 19992

, p. 123. Pierre Bonnard écrit à ce propos : « Une fiancée juive était à ce point liée à son fiancé que son infidélité était tenue pour un adultère, qu’on parlait de son fiancé comme de son

époux (Ð ¢nˇr, v.19) qui avait droit de la répudier (¢polusai, v.19) à des conditions identiques à celles qui

réglementaient la répudiation d’une véritable épouse » P.BONNARD, 19823

, p. 54. 85 Cf. A.GREGORY, 2003, p. 211-298. 317-321.

86 Cf. Mt 1,18.20 ; A.M.DUBARLE, 1978, p. 362 et 363. 87 Cf. R.E.BROWN, 19992

, p. 142-143 ; 161. Voir aussi son Appendice V, p. 541-542. Dans son étude publiée en 2000, T.NAGEL ne fait pas de rapprochement entre Jn 8,41 et Dial. 78,3. Et pourtant, cette expression,

porne∂aj pourrait les relier, sans pour autant conclure à la dépendance de Justin Martyr par rapport à Jean. 88 Cf. Lc 2,1-5 ; 1 Apol. 34,2 ; Dial. 78,4.

89 Le fait d’être épouse et d’être promise ou accordée en mariage ont le même terme grec : œmnhsteum◊nh (Lc 2,5) et œmnhsteum◊nhn (Lc 1,27).

90 Cette fuite en Égypte est rapportée à plusieurs reprises dans le Dialogue : 78,4.7 ; 102,2 et 103,3, mais chaque fois avec une nouvelle formulation.

le fiancé, chasse la Vierge après l’avoir trouvée enceinte. Séparée de Joseph, elle est obli-

gée à errer et elle part en Egypte avec Jésus où ce dernier va apprendre la magie91

. Justin Martyr souligne la présence de Joseph pour montrer que les trois étaient ensemble.

2. La généalogie de Jésus

Cette question est discutée lorsqu’il démontre le caractère provisoire de la circoncision et des autres préceptes juifs. « (…) Après la venue de Jésus-Christ, fils de Dieu, né selon la

volonté de Dieu92

par Marie (di¦ Mar∂aj), écrit Justin Martyr, la Vierge issue de la race

d’Abraham, il n’en est plus besoin » (Dial. 23,3). Ils devraient, dit-il, « (…) cesser, selon la volonté du Père, en celui qui est né d’une vierge de la race d’Abraham, de la tribu de Juda et de David, le Christ, fils de Dieu (…) » (Dial. 43,1). L’insistance de Justin Martyr porte sur

le fait que « (…) ce Christ, fils de Dieu (…) a consenti à se faire chair et à naître par cette

vierge de la race de David (…) » (Dial. 45,4)93

. Marie, la Vierge est issue de la race de David, de Jacob, d’Isaac et d’Abraham. Elle est donc descendante des Patriarches (cf. Dial. 68,6 ; 120,1)94

.

En conséquence, le Verbe est « fils des patriarches, puisque, devenu chair par la vierge qui était de leur race » (Dial. 100,2). C’est pourquoi il s’est dit « (…) Fils de l’homme soit à cause de sa naissance d’une vierge qui, comme je l’ai dit (cf. Dial 23,3 ; 43,7 ; 100,2), était de la race de David, de Jacob, d’Isaac et d’Abraham, soit parce qu’Abraham95

lui- même était aussi le père de ceux qui ont été énumérés, et dont Marie descend par la race (…) » (Dial. 100,3). Quant à Joseph, se servant dans ses entretiens avec les Juifs des souvenirs lointains, provenant soit de la tradition orale soit de la tradition évangélique qu’il suit, Justin Martyr écrit : « (…) Comme avait lieu alors, en Judée, le premier recen- sement de Quirinius, de Nazareth où il habitait, (et) il monta se faire inscrire à Bethléem, d’où il était : car il était originaire de la tribu de Juda qui habitait cette contée (…) » (Dial. 78,4 ; Mt 1,18)96

. En d’autres termes, par Joseph, Jésus est de Nazareth, mais la prophétie a voulu qu’il soit né à Bethléem.

91 Voir ORIGÈNE, Contre Celse I, 32 et 28 ; H.E.LONA (éd.), 2005, Die « Wahre Lehre » des Kelsos, Frie- burg-Basel-Wien (Kommantar zu frühchristlichen Apologen, 1), p. 100-102 et 98-100.

92 Justin Martyr emploie souvent cette formule : Dial. 23,3 ; 41,1 ; 43,3 ; 75,4 bis ; 76,7 ; 87,2 ; 95,2 ; 127,4 ; 139,3 ; 1 Apol. 23,3 ; 46,5 ; 63,16.

93 Cf. Protév. de Jacques 10,1 « mari¦m Óti Ãn œk tÁj fulÁj Dau∂d». Voir O.PERLER, 1990, « Das Protoevange- lium des Jakobus nach dem Papyrus Bodmer V », dans O.PERLER, 1990, Sapientia et Caritas, p. 505-517. Il est difficile de dater le Protévangile de Jacques. Mais comme sa première attestation est chez Origène, il peut être postérieur ou tout au moins contemporain à Justin Martyr. Voir Introduction d’A.FREY, 1997, « Protévangile de Jacques», p. 76. Il le situe après les objections de Celse contre Jésus et auxquelles l’auteur du plus ancien Evangile sur la naissance de Jésus répond.

94 Voir aussi IGNACE d’Antioche, Eph 18,2 ; Tr 9,1 ; Smyr 1,1 ; Protév. Jac 10,1, Ascension d’Isaïe 11 et Diatessaron Lc 2,24 (voir Ephrem commentaire Dial. 1,25).

95 Il existe une tradition qui substitue ici Adam à Abraham (voir A.L.WILLIAMS, 1930) parce qu’il venait d’être cité. Pour Philippe Bobichon, il n’est pas indispensable de remonter jusqu’à Adam pour saisir le sens de ce passage. Il faut conserver le texte des manuscrits car jamais Adam n’est présenté, dans le Dialogue ou dans l’Apologie, comme l’ancêtre commun d’une humanité chrétienne. Le peuple des chrétiens est, à travers le Christ, descendant d’Abraham par la foi. Cf. PH.BOBICHON, 2003, p. 829.

96 Cf. E.BROWN, 19992

Dans l’Apologie, pour souligner l’humanité de Jésus, Justin Martyr rapporte de nou- veau les origines de ses parents. Le Sauveur « est né, par une puissance de Dieu, d’une

vierge ‹de la race de Jacob, le père de Juda›, qui fut l’ancêtre des Juifs (…) » (1 Apol. 32,14).

Mais soutenir un pareil enseignement, c’est adopter un regard autre que celui des évan- giles devenus canoniques qui rattachent Jésus à David par Joseph. Pour Matthieu et Luc qui rapportent les origines terrestres du Fils de Dieu97

, Jésus est de la descendance de David parce que Joseph en descend (cf. Lc 2,4 b)98

. Justin Martyr rattache le Messie au patriarche David par les deux parents99

. Jésus est « Fils des patriarches » (Dial. 100,2). A deux reprises il souligne que Marie est une Vierge de leur « race, g◊noj» (cf. Cf. Dial 100,2.3), ce qui correspond à la généalogie donnée : « Jésus Christ, Fils de Dieu, né selon la volonté de Dieu par Marie, la vierge issue de la race d’Abraham » (Dial. 23,3), Père de Marie dont il est l’ancêtre et aussi Père de Jésus.

II. La Naissance virginale et l’enfance de Jésus le Christ

Annoncé par les prophètes, préfiguré par les faits et les personnages de l’Ancien Testa- ment, Jésus, par sa naissance virginale est, pour l’auteur, la réalisation des promesses (cf. Dial. 128,1). Cette croyance est d’ailleurs au centre de l’Économie divine dont Justin Martyr décrit les différentes péripéties100

à travers lesquelles il témoigne, entre autres, d’une construction tardive qui affirme non seulement la Préexistence mais encore la naissance de Jésus. Pour lui, la première Puissance divine, le Logos de Dieu préexistant, est devenue chair (cf. 1 Apol. 32, 10.14) par la Vierge Marie : l’Incarnation du Christ est une des- cente (kat£basij) du Verbe de Dieu dans l’histoire des hommes. Mais nous ne pouvons développer son argumentation sans au préalable préciser le contexte dans lequel il en parle tant dans l’Apologie que dans le Dialogue avec Tryphon.

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