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Le silence devant Pilate et la condamnation de Jésus

La Passion et la Gloire de Jésus le Christ

C. Le silence devant Pilate et la condamnation de Jésus

Dans le prétoire, devant Pilate37

, malgré toutes les calomnies, le Christ observe le silence et ne répond à aucune accusation. Cette attitude fut, selon Justin Martyr, annoncée par David et Isaïe. En effet, le roi-prophète déclare : « Comme un tesson d’argile s’est desséchée

ma force, et ma langue colle à mon palais (…) » (Ps 21,16). L’exégèse faite par l’auteur est

limpide. Pour expliquer ce passage, il écrit : « il se tut, et ne voulut plus, en présence de

Pilate, rien répondre à personne (…) » (Dial. 102,5)38

. Il écrit encore à propos du silence du Christ : « il ne répondit sur aucun point, lui qui confondait le défaut de sagesse de tous

vos didascales (de juifs) » (Dial. 103,9)39

. Cette tradition du silence de Jésus est aussi liée à de différentes situations de sa vie terrestre. Ainsi, l’auteur de l’Evangile de Pierre écrit que Jésus est silencieux (siwpnlÒj) sur la Croix(cf. Ev. Pi 4,10)40

.

Justin Martyr associe le récit de la fuite en Egypte, qu’il interprète comme la réalisation de la prophétie du Ps 21,10 (cf. Dial. 102,2 ; 103,3-4), et le silence du Christ devant Pilate, lui qui confondait les scribes et les pharisiens. En passant ainsi d’un épisode à l’autre, Justin Martyr « rapproche, dit Michel Fédou, de façon saisissante le commence- ment et le terme de la vie du Christ : l’un est déjà marqué par le mystère pascal, et l’autre signifie l’interruption de la Parole à l’heure de la Passion »41

. Apparemment Justin Martyr n’a pas pour objectif de rapporter dans cet épisode une quelconque parole du Maître, encore moins de se référer littéralement aux Mémoires des Apôtres. « Il se contente, dit Edouard Massaux, de noter que le silence du Christ est connu par les dits ‹Mémoires »42

. Il fait une lecture libre de ses sources écrites lorsqu’il rapporte cette donnée chrétienne tradition- nelle bien connue de l’arrestation de Jésus (cf. Dial. 103,1).

Ce silence de Jésus fut prédit par Isaïe : « Le Seigneur me donne une langue, pour connaître

quand je dois prononcer une parole » (Is 50,4 cf. Is 50, 6.9.). Sous une forme mystérieuse,

il parle encore d’une brebis ou d’un agneau que l’on conduit à l’abattoir et qui reste muet (cf. Is 53,7)43

. Justin Martyr montre qu’il s’agit de l’annonce du conseil tenu par les juifs sur la personne du Christ afin « de le crucifier et de le mettre à mort » (Dial. 72,3)44

. La condamnation de Jésus n’est point, pour Justin Martyr, l’œuvre d’une seule personne. Elle a été décidée par la « Synagogue des méchants » afin que s’accomplisse l’annonce faite

37 Cf. J.-P.LEMONON, 1981, Pilate et le gouvernement de la Judée. Textes et monuments, Paris ; IDEM, 1992, « Ponce Pilate : documents profanes, Nouveau Testament et traditions ecclésiales », ANRW, 26/2(1992), p. 742-778 ; R.STAATS, 1987, « Pontius Pilatus im Bekenntnis der frühen Kirche », ZThK 84(1987), p. 493-513. Voir IGNACE d’Antioche, Magn 11, « au temps du gouvernorat de Ponce Pilate » ; Trall 9,1 « sous Ponce Pilate » ; Smyrn 1,2 « sous Ponce Pilate et Hérode le Tétrarque » ; Justin Martyr 1 Apol. 13,3 ; 2 Apol. 6,6. 38 Ce fait est encore consigné dans les Mémoires des Apôtres : Mt 27,13-14 ; Mc 15,4-5 ; Lc 23,9.

39 En Sg 8,12, le silence est lié à la sagesse divine ; le silence du Serviteur souffrant (Is 53,7) est l’arrière-plan possible des précédents silences de Jésus (cf. Mc 14,61 et 15,5). Cf. R.E.BROWN, 2005, p. 859. 40 Cf. R.E.BROWN, 2005, p. 859 note 18. Mais cet Evangile, où Hérode condamne Jésus à mort (1,2), va

disparaître de la mémoire chrétienne. 41 M.FÉDOU, 1984, p. 59.

42 E.MASSAUX. 19862

, p. 554 voir Mt 27,13-14 ; Mc 15,4-5 ; Lc 23,9 : Dial. 102,5 : (Dial. 13,5). 43 Cf. Dial. 13,5 ; 1 Apol. 50,10.

44 Les deux prophéties (Is 53,7 et Is 65,2) sont réunies en un seul passage dans le contexte des prophéties dites comme si elles avaient déjà eu lieu (Dial. 114,2). Is 65,2 est cité en Dial. 97,2 ; 114,2 ; 1 Apol. 35,3 ; 38,1 ; 49,3.

par l’intermédiaire du roi-prophète : « Car des chiens nombreux font cercle autour de moi,

synagogue des méchants (…) » (Ps 21,16-19)45

. Dans ce sens, Philippe Bobichon affirme à juste titre que, « la Synagogue› (sunagwgˇ) des méchants est donc constituée à la fois de ceux qui ont encerclé le Christ et de ceux qui l’ont enveloppé, les uns et les autres s’étant réunis (sunˇcqhsan) pour réaliser ce dessein (kÚnej, ceux qui ont arrêté le Christ) ou pour le concevoir (kunhgˇsantej, les didascales qui les avaient ameutés). Justin souligne ainsi, comme à travers la métaphore des veaux et des taureaux, la responsabilité commune de ceux qui mettent en œuvre la condamnation (…) et de ceux qui l’inspirent »46

.

Mais ce procès avait-il été réellement retranscrit dans les livres officiels comme le pré- tend l’auteur ? Les Apologistes chrétiens pensaient que Pilate avait rédigé pour Rome un rapport du procès. Justin Martyr a d’ailleurs cru que les archives romaines contenaient les registres du recensement de Quirinius (cf. 1 Apol. 34,2). L’Apologiste fait en outre allusion à des documents (actes) du procès : « Qu’il en fut bien ainsi, vous pouvez vous en

assurer en lisant les Actes rédigés sous Ponce-Pilate » (1 Apol. 35,9)47

. En effet, le renvoi du procès aux actes administratifs a pour valeur d’« attester sa trace dans l’histoire du monde »48

. Pour Justin Martyr, il a une réelle valeur historique car il veut probablement inscrire les souffrances du Christ dans l’histoire des hommes, de telle sorte que ses auditeurs se sentent concernés par cette histoire du salut, dont il montre l’accomplissement. Et il a aussi une valeur apologétique car la confirmation historique des souffrances du Christ est une réponse aux thèses Marcionites et docétistes.

Néanmoins, l’existence réelle de ces Actes est mise en doute par certains commenta- teurs. Selon ces derniers, seul l’Apologiste croit que « l’affaire Jésus » ne pouvait pas ne pas être inscrite dans les registres nationaux. Il en parle comme s’ils existaient en réalité. Sans doute Justin Martyr n’a-t-il pas connu d’actes officiels du procès de Jésus par Pilate. A vrai dire, souligne Raymond Brown, « aucun grand auteur chrétien ne prétend avoir vu le document dans les archives romaines ou l’avoir copié. Si les archives romaines possé- daient quelque chose concernant la mort de Jésus, ce devrait être une composition apo- logétique »49

du genre imaginatif. C’est dans ce sens qu’il faut noter la création des Actes

45 Cf. Dial. 104,1 et 97,3. Attirons l’attention sur le fait que cette synagogue dite des méchants est opposée à l’œkklhs∂a du Psaume 21 étant donné que la prophétie parle des « chiens » auprès des chasseurs qui ont conduit l’émeute et qui étaient aussi rassemblés dans le but de condamner Jésus. Voir Ps 21,23 cité en Dial. 98,5 et 106,2 ; Dial. 134,3 (Léah et Rachel) ; PH.BOBICHON, 2003, p. 834, note 8 (Dial. 103,3). 46 PH.BOBICHON, 2003, p. 836-837, note 3 (Dial. 104,1).

47 Sur le jugement de Jésus ou le rôle de Pilate, voir R.E.BROWN, 2005, p. 776. 48 M.FÉDOU, 1984, p. 55.

de Pilate, favorables au préfet, conservés dans plusieurs versions grecques50

. La question est seulement de savoir si Justin Martyr a connu des « Actes de Pilate » qui deviendront « apocryphes ».

En affirmant que le procès de Jésus est conservé dans les archives romaines (cf. 1 Apol. 35,9 ; 48,3)51

, Justin Martyr reflète soit le pressentiment qu’une telle documen- tation devait avoir existé, soit un écho d’écrits chrétiens, par exemple les Actes de Pilate. Ceux-ci n’ont pas de valeur historique autonome, mais sont considérés comme des légendes faites pour édifier52

.

II. Jésus le Christ et la Croix (Ð staurÒj) salvifique

Comment, se demande Tryphon, un Christ annoncé glorieux peut-il souffrir de la souf- france maudite dans la Loi ? Justin Martyr, Craig D. Allert l’a bien vu, « interprète cette souffrance de la Croix selon le plan de Dieu »53

, telle que les prophètes l’avaient prédite (cf. Dial. 89,3). Il faut rappeler le contexte dans lequel l’auteur évoque la Croix, déter- miner son arrière-plan, les prophéties ou les figures typologiques qui l’annoncent et montrer comment celles-ci sont réalisées dans la vie de Jésus le Christ.

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