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Les prophéties de la Croix et de la Passion de Jésus le Christ

La Passion et la Gloire de Jésus le Christ

B. Les prophéties de la Croix et de la Passion de Jésus le Christ

Dans le livre du prophète Isaïe, l’Esprit prophétique prédit le signe de la Croix dès la naissance du fils de Dieu. Lorsqu’il parle du petit enfant dont « le pouvoir repose sur ses

épaules, ceci indique, commente l’Apologiste, la puissance de la Croix, sur laquelle il appliqua

ses épaules quand il fut crucifié » (1 Apol. 35,2)57

. C’est surtout à travers le personnage mystérieux, le Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 52,13-53,12), que l’humanité souffrante du Christ est préfigurée. Justin Martyr n’est pas le premier à en faire usage. Clément de Rome comprend la même prophétie au sens de l’abaissement radical du Christ comme modèle d’humilité pour les saints58

. Barnabé, dans son Epître, se réfère au quatrième chant du Serviteur. Sa présentation du Christ, le Serviteur « sans beauté ni éclat », se fonde justement sur cette annonce59

. Nous retrouvons la même interprétation dans les Oracles sibyllins60

. Justin Martyr adopte cette interprétation christologique61

. Il s’agit, dit Michel Fédou, « de Jésus portant les infirmités et les péchés, de Jésus humilié et souffrant, de Jésus dont l’humilité même doit être modèle de vie »62

.

55 Cf. Is 53,7 ; Dt 21,23 et Gal 3,13. Cf. Dial. 39,7 ; 63,1.

56 Voir Ps 21,7 ; Is 53,2-3 ; PH. BOBICHON, 2003, p. 625, note 17 ; Oracles sibyllins, VIII, 255s (J.-M. ROESSLI, 2005, dans P.GEOLTRAIN et J.-D.KAESTLI (éd), Ecrits apocryphes chrétiens, Vol. II). 57 Cf. 1 Apol. 55,2. Il se réfère ici à Is 9,6 qu’il traduit ainsi : « la domination reposera sur son épaule ».

A. WARTELLE, 1987, p. 287 ; A.ORBE, 1995, Vol. II, p. 271, note 9.

58 CLÉMENT de Rome, Epître aux Corinthiens, 16,3 (A.JAUBERT (éd.), 2000, Paris (SC, 167).

59 « L’Ecriture parle de lui à ce sujet, en partie pour Israël, en partie pour nous, et s’exprime ainsi : Il a été blessé à cause de nos iniquités, Il a été brutalisé à cause de nos péchés ; nous avons été guéris par sa meurtrissure ; on l’a conduit comme une brebis à l’égorgement, et comme un agneau sans voix devant le tondeur » (Barnabé 5,2 : Is 53,5.7 traduction de S.DOMINIQUE et FR.LOUVEL, 1998, dans D.BERTRAND (éd.), 1998) ; voir aussi P.PRIGENT et R.T.A.KRAFT (éd.), 1971, Paris ; F.R.PROSTMEIER (éd.), 1999, Der Barnabasbrief. Übersetzt und erklärt, Göttingen. Voir A.GRILLMEIER, 1956, Der Logos am Kreuz. Zur christologischen Symbolik der älteren Kreuzigungsdarstellung, p. 46-47.

60 Oracles sibyllins, VIII, 256-257 (J.M.ROESSLI, 2005). Cf. J.GEFFCKEN, 1902, Komposition und Ent- stehungszeit der Oracula Sibyllina , Leipzig (TU N.F., 8 .1), p. 46.

61 Voir Is 53,5 (Mt 8,17) ; 53,12 (Lc 22,37) ; Jean associe Is 53,7 et 53,12 et montre Jésus « l’agneau qui porte le péché du monde ». Voir encore 1 P 2,21-25 qui fait allusion au Christ humilié, « modèle » des relations fami- liales et sociales ; de même Ph 2,7 en référence à l’abaissement du Serviteur ; aux versets pauliniens selon lesquels le Fils est envoyé « pour le péché » (Rm 8,3) ; « livré à cause de nos fautes » (Rm 4,25) et aussi Ac 8, 35 en référence à Is 53,7-8.

Dans l’Apologie, Justin Martyr se réfère à ce personnage en vue, à la fois, d’établir la divinité du Christ (cf. 1 Apol. 50-51,6) et de démontrer que sa Passion ne contredit pas sa divinité. Car, souligne l’Apologiste, « devenu homme, il (le Christ) a accepté de souffrir et

d’être méprisé pour nous, mais il reviendra de nouveau avec gloire (…) » (1 Apol. 50,1). Les

chants du prophète Isaïe peuvent être compris de deux manières : d’abord Is 52,13-53,7 annonce la Passion, l’humiliation, l’abandon de ses disciples, la Résurrection. Ensuite Is 53,8-11 annonce l’origine et l’avenir du Serviteur, l’Ascension et la Parousie glorieuse du Messie (cf. 1 Apol. 51,6-52,12).

Dans le Dialogue avec Tryphon, un large extrait de ce poème (cf. Is 52,13-53,12) se situe au commencement de la discussion (cf. Dial. 13,2-9). Cependant, une trentaine de cita- tions partielles ou d’allusions à ce même poème sont présentes dans l’œuvre. Justin Martyr, en se référant à Is 52-53, cité dans la littérature chrétienne primitive pour la première fois par l’auteur, attire l’attention sur le fait qu’il est question ici de l’annonce de Jésus humilié et souffrant63

. Parce que le juif Tryphon ne croit pas en un Christ « sans honneur

et sans gloire » (Dial. 32, 1), l’Apologiste précise que la prophétie s’applique d’abord au

Christ de la première Parousie, mais qu’il faut attendre sa Gloire dans la deuxième Parousie, selon la prophétie de Daniel64

. Ainsi donc, il n’y a pas seulement rupture, mais aussi continuité dans les étapes de la vie du Christ.

Par ailleurs, la Passion du Christ a été aussi prédite dans quatre passages scripturaires qui ont été, selon l’auteur, supprimés par les juifs à cause de leurs allusions explicites à la Croix : (a) un texte sur l’humiliation « sur un signe » qu’il attribue à Esdras (cf. Dial. 72,1). Ici, il identifie shme√on, le signe, avec la Croix « staurÒj» (Cf. Dial. 90,3) ; (b) un passage de Jérémie où il est prédit que les juifs décident de crucifier et de mettre à part le Christ (cf. Jr 11, 19 ; Dial. 72,2-3) ; (c) ont été aussi supprimées les paroles du même Prophète sur la descente du Christ aux enfers (kat£basij)65

; (d) enfin dans la prophétie de l’exaltation de la Croix faite par David, l’expression « du haut du bois » 66

a été ôtée et ils ont conservé seulement « Dites parmi les nations : ‹Le Seigneur a régné » (Dial. 73,1 ; Ps 95,10). Ici, ce n’est pas sur l’expression « du haut du bois » que Justin Martyr se fonde pour voir une prophétie de la Croix, mais plutôt, comme il le dit (cf. Dial. 74,3), sur le

63 Cf. Dial. 89,3 ; 110,2 ; 111,3 ; 114,4.

64 Dn 7,13-14.26-27 : Dial. 49,2 ; 110,2. « Mais comme dans la première Apologie, dit Michel Fédou, la distinction des deux parousies n’est pas séparation car c’est l’unique Christ qui a souffert et qui reviendra dans la Gloire : celui que les hommes regarderont à la fin des temps, c’est celui-là même qui fut d’abord ‹transpercé » M.FÉDOU, 1984, p. 53 ; cf. Zach 12,10 cité en Dial. 14,8.

65 « (…) Le Seigneur Dieu, Saint d’Israël, s’est souvenu de ses morts, qui se sont endormis dans la terre du tombeau, et

il est descendu vers eux pour leur annoncer la bonne nouvelle de son Salut » (Dial. 72,4). Cf. P.PRIGENT,

1964, p. 172-194 pour l’ensemble du Dial. 71-74 ; E.NORELLI, 1984, p. 233-235 ; R.GOUNELLE, 2000, La descente du Christ aux enfers. Institutionnalisation d’une croyance, Paris. Voir aussi Mt 12,40 ; 27,52-53 ; Rom 10,7 ; 1 Pi 3,19 ; 4,6.

66 Cf. J.-M.PRIEUR, 1999a, « Le Seigneur a régné depuis le bois. L’adjonction chrétienne au Ps 95,10 et son interprétation », dans Rois et reines de la Bible au miroir des Pères. Numéro spécial de Cahiers de Biblia Patristica 6 (1999), p. 127-140 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 771, note 7 (Dial. 73,1-3). L’exégèse de l’expression « du haut

du bois » de la Croix (1 Apol. 41,1), pour évoquer la royauté du Christ, est faite par J.D.M. DERRETT,

1989, « `O kÚrioj œbas∂leusen ¢pÕ toà xÚlou », VigChr 43(1989), p. 378-392 (en anglais). Il rapporte l’expression au Ps 95, 10.

mot swtˇrion (cf. Dial. 72,3-4). La citation, « le Seigneur règne du bois de la Croix» (Ps 95,10 ; Dial. 73,1), est en harmonie avec la représentation johannique de Jésus crucifié (Jn 19,19-22). Cette leçon se trouve dans l’Epître à Barnabé 8,567

. Justin Martyr a opté pour l’expression « du haut du bois » qui est une interpolation chrétienne (cf. 131,3).

Et pourtant, le Psaume 95 contient, selon l’auteur, une expression presque identique à celle de Jérémie chez qui on peut lire : « EÙaggel∂sasqaiaÙto√jtÕ swtˇrion aÙtoà » (Jér). Le Psalmiste dit en effet : « eÙaggel∂xesqe ¹m◊ran œx ¹m◊rajtÕ swtˇrion aÙtoà,

annoncez de jour en jour la bonne nouvelle de son salut » (Ps 95,2 : Dial. 73,3 et 74,2). Ce

passage de Jérémie se réfère certainement au Ps 95,2 avec une mention de la Crucifixion. Esdras donne shme√on là où Jér 11,19 et Ps 95,10 écrivent zÚlou (bois) (cf. Dial. 73,1). Ainsi, pour l’ensemble de ces chapitres (Dial. 71-74) du Dialogue avec Tryphon qui traitent de l’altération du texte ou du sens des prophéties (cf. Dial. 71,2), Justin Martyr se sert probablement d’un recueil des Testimonia chrétiens sur la préfiguration de la Croix dans les Ecritures68

, présente dans la nature à travers de nombreux objets (cf. 1 Apol. 55,2). Cependant, la question est de savoir si, pour celui qui a forgé le texte (sûrement avant l’Apologiste), le swtˇrion était vraiment une allusion à la Croix69

.

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