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Les Mémoires des Apôtres et de leurs disciples

B. Les livres appelés « Mémoires des Apôtres et de leurs disciples »

11. de même il était

révélé que le sang du Christ tirerait son origine non d’une semence humaine, mais d’une puissance

de Dieu ».

« Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu ».

« Son sang ‹du Christ› n’est

pas produit d’une semence humaine, mais de la volonté de Dieu (…) ».

volonté de Dieu ». L’argumentation, selon laquelle le sang du Christ est le produit de la

volonté de Dieu et non d’une semence humaine, ne se retrouve donc pas en tant que telle dans l’Evangile de Jean. De plus, lorsque ce dernier parle du sang « divin », c’est en référence à la seconde naissance des adeptes du Christ. Par contre, chez Justin Martyr, cette référence au sang s’applique par deux fois au Christ. Nous pouvons en conclure qu’il transforme l’énoncé de Jean qui ne concernait que les croyants (e)gennh/qhsan) et l’applique au Christ (gegennhme/nou).

Cependant, des ressemblances au niveau des expressions et du contenu ne manquent pas : les deux auteurs opposent l’humain au divin ; ils ont une même construction anti- thétique avec ou)k e)c (non de) et a)ll’ e)k (mais de). Tandis que l’affirmation de Jean porte sur ceux qui ont cru en Jésus, Justin Martyr rapporte tout au Christ et écrit au singulier59

. Cette lecture singulière est aussi présente chez Irénée, Tertullien, Augustin, etc. qui connaissent indiscutablement l’Evangile de Jean60

.

La possibilité que Justin Martyr ait connu cette source johannique se retrouve encore dans l’affirmation de la naissance virginale de Jésus selon la volonté du Père lorsque l’auteur dit : « De même, en effet, que ce n’est pas d’un homme (ou)k aÃnqrwpoj), mais de Dieu (a)lla\ qeo/j) que provient le sang de la vigne, de même le sang du Christ – il l’a annoncé à

l’avance – ne devait pas venir d’une race humaine (ou)k e)c a)nqrwpei¿ou ge/nouj), mais de

la Puissance de Dieu (a)ll’ e)k qeou= duna/mewj) » (Dial. 54,2). Dans le même sens, on peut citer un autre passage : « il (le Christ) est apparu et devenu homme, mais (…) il ne le fut

point d’une semence humaine ou)k e)c a)nqrwpi¿nou de\ spe/rmatoj (…) il n’est pas œuvre

humaine, mais celle de la volonté de Dieu, Père de l’univers, qui l’a produit. th=j boulh=j tou=

proba/llontoj au)to\n patro\j tw½n oÀlwn qeou= » (Dial. 76,1).

Justin Martyr développe l’idée présente chez Jean à propos de ceux qui sont nés d’un vouloir de Dieu (Jn 1,13)61

. L’allusion à ce passage johannique est accentuée par le contraste que nous retrouvons chez Justin Martyr : ou)k e)c a)nqrwpi¿nou de\ spe/rmatoj

(cf. Dial. 54,2) et th=j boulh=j tou= proba/llontoj au)to\n patro\j tw½n oÀlwn qeou= (cf. Dial 76,1). L’antithèse chez Justin Martyr est liée avec l’interprétation chétienne qui fait du Sang de raisin de Gn 49,11 la figure du sang du Christ (cf. Jn 1,14). Ce verset de l’Ancien Testament est ainsi une annonce de l’ensemble de Jn 1,13-14, interprétation que nous lisons aussi en 1 Apol. 32,9-1162

.

Lorsque l’auteur explique la prophétie d’Isaïe (Is 7,14) sur la naissance de Jésus par la Vierge, une coïncidence d’expression avec l’Evangile de Jean est possible :

59 Voir Dial. 135,6 ; E.F.OSBORN, 1973, p. 137.

60 Cf. P.PRIGENT, 1972, « Les Citations des Pères grecs et la critique textuelle du Nouveau Testament », dans K.ALAND (éd.), 1972, Die Alten Übersetzungen des Neuen Testaments, die Kirchenväterzitate und Lek-

tionare, p. 443 ; T.NAGEL, 2000, p. 103. Voir en particulier IRÉNÉE, Adv. Haer. III, 16,2 ; TERTULLIEN,

Carn 19,1 ; AUGUSTIN, Confessions VII, 9, 14. Le singulier de Justin Martyr pourrait se rapporter à la va-

riante johannique « e)gennh/qh » (Jn 1,13) selon le seul témoignage du Manuscrit du Codex Veronensis (b4). 61 Il est encore question de la naissance virginale en Dial. 61,1 ; 84,2. Derrière ces passages, l’influence

littéraire johannique est probable. 62 Cf. T.NAGEL, 2000, p. 105.

La phrase de Justin Martyr, « afin qu’à leur réalisation on ne refusât pas de les croire mais

qu’on les crût », est au niveau linguistique proche de l’idée énoncée par Jean : le rappro-

chement des paroles de Jésus et des événements devra amener les disciples à un surcroît de compréhension et de foi (cf. Jn 14, 29 et 20,27). La prophétie, au regard de Justin Martyr, suscite la foi : il faut croire à la naissance virginale parce qu’elle fut prédite par le prophète. Ceci s’accorde avec ce que Jésus dit dans l’Evangile de Jean. Nous retrouvons la même expression : « iàna oÀtan ge/nhtai, afin qu’à leur réalisation ».

Il existe, cependant, une différence entre les deux contextes. Dans l’Evangile de Jean, cette exigence de la foi est en rapport avec la mort et la Résurrection de Jésus alors que chez Justin Martyr elle est nécessaire pour expliquer la naissance virginale de Jésus. Ici, le parallélisme entre les deux auteurs est improbable ou simplement dû au « hasard »63. Cette concordance hasardeuse se remarque aussi dans la comparaison que fait Justin Martyr sur les activités du Diable et l’ange de Dieu. Alors que le premier attire tous les hommes vers lui, le deuxième les oriente vers Dieu (cf. Dial. 116,1). Cette idée se lit, mais dans un autre sens, chez Jean : « Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous

les hommes, ka)gwÜ e)a\n u(ywqw½ e)k th=j gh=j, pa/ntaj e(lku/sw pro\j e)mauto/n » (Jn 12,32).

Lorsque Justin Martyr conçoit Jésus comme Verbe de Dieu fait chair, Fils du Père, Premier-né de Dieu et Dieu en même temps, nous pouvons rapprocher cette titulature avec un énoncé de Jean :

63 T.NAGEL, 2000, p. 106.

1 Apol. 33,2 « aÁ ga\r hÅn aÃpista kaiì a)du/nata nomizo/mena para\ toiÍj a)nqrw¯poij genh/sesqai, tau=ta o( qeo\j proemh/nuse dia\ tou= profhtikou= pneu/matoj me/llein gi¿nesqai, iàn’ oÀtan ge/nhtai mh\ a)pisthqv=, a)ll’ e)k tou= proeirh=sqai pisteuqv=».

Jn 14,29 « kaiì nu=n eiãrhka u(miÍn priìn gene/sqai, iàna oÀtan ge/nhtai pisteu/shte ».

« En effet, des choses qui paraissaient incroyables et impossibles aux yeux des hommes, Dieu a révélé d’avance par son Esprit prophétique qu’elles se réaliseraient,

afin qu’à leur réalisation on ne refusât

pas de les croire mais qu’on les crût, pour avoir été prédites ».

« Je vous ai parlé à vous dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il

Nous trouvons dans ces passages un certain rapport même s’il n’y a aucune expression déterminante. En outre le terme « prwto/tokoj, Premier-né » utilisé par Justin Martyr est aussi vraisemblablement paulinien. Il y a simplement, entre l’auteur et Jean, une proxi- mité d’idée (cf. 1 Apol. 32,10 ; 66,2 ; 2 Apol. 6,3).

Justin Martyr dit aussi de Jésus qu’il est « Fils unique ». Une autre occurrence à laquelle nous pouvons renvoyer est insérée dans l’annonce de la mort du Christ, accomplissant ainsi la prophétie de la croix faite par David. L’auteur écrit : « La suite du Ps 21, 20-22 (…) enseignait et annonçait encore, de la même façon, ses qualités et ce qui devait lui arriver :

Fils unique du Père de l’univers (monogenh\j ga\r oÀti hÅn t%½ patriì tw½n oÀlwn), Verbe et

puissance proprement engendré de lui, dans la suite fait homme par la Vierge, ainsi que nous l’avons appris des Mémoires des Apôtres, il l’était en effet » (Dial. 105,1). Justin Martyr inter-

prète en particulier le verset 21 de ce même Ps 21 : « r(u=sai a)po\ r(omfai¿aj th\n yuxh/n mou kaiì e)k xeiro\j kuno\j th\n monogenh= mou, Délivre mon âme de l’épée, et de la patte du chien

celle qui m’est unique ».

Cet adjectif « monogenh\j » que Justin Martyr applique au Christ était déjà présent dans l’Evangile de Jean : « (…) Et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, fils unique d’auprès

du Père, monogenou=j para\ patro/j, plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14b) ; et « Personne

n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, monogenh\j qeo\j, qui est dans le sein du Père, nous

l’a dévoilé » (Jn 1,18). De plus, lorsqu’on tient compte du contexte de ce passage de

Justin Martyr, qui est celui où il explique la thèse du « Logos engendré de Dieu », il est alors vraisemblable qu’il reprend alors « une formule typiquement johannique »64. Certes, les termes monogenˇj Ãn tî patri (Fils unique du Père) peuvent suggérer la référence à l’Evangile de Jean65, mais les deux auteurs peuvent avoir recouru au même testimonium (cf. Ps 21,21).

64 E.MASSAUX, 19862

, p. 561 ; voir M.FÉDOU, 1984, p. 61-62. Toutefois, 1 Apol. 61,4 tirerait sa source de Jn 3, 3-5 et Dial. 88,7 montre la connaissance de Justin Martyr de Jn 1, 19-20.

65 J.N.SANDERS, 1943, p. 27s. Voir 2 Apol. 6,3 : Jn 1,3 ; Dial. 105,1 : Jn 1,14.18. 1 Apol. 63,15 « oi¸ ga\r to\n ui¸o\n pate/ra

fa/skontej eiånai e)le/gxontai mh/te to\n pate/ra e)pista/menoi, mhq’ oÀti e)stiìn ui¸o\j t%½ patriì tw½n oÀlwn ginw¯skontej : oÁj kaiì lo/goj prwto/tokoj wÔn tou= qeou= kaiì qeo\j u(pa/rxei».

Jn 1,1 « ¹En a)rxv= hÅn o( lo/goj, kaiì o( lo/goj hÅn pro\j to\n qeo/n, kaiì qeo\j hÅn o( lo/goj ».

« De fait, ceux qui déclarent que le Fils est le Père encourent le reproche de ne pas connaître le Père et d’ignorer que le Père de l’univers a un Fils : celui-ci, étant

le Logos et le premier-né de Dieu, est Dieu

également ».

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu ».

La Passion du Seigneur chez Justin Martyr est aussi décrite avec quelques expressions à caractère johannique. Le partage des vêtements du Christ est mentionné : « kaiì meta\ to\ staurw½sai au)to\n eÃbalon klh=ron e)piì to\n i¸matismo\n au)tou=, kaiì e)meri¿santo e(autoiÍj oi¸ staurw¯santej au)to/n, Et après l’avoir crucifié, ils tirèrent au sort ses vêtements et ceux qui

l’avaient crucifié se les partagèrent » (1 Apol. 35,8). Cet épisode se lit chez les Synoptiques

avec une référence au Ps 21,19, ainsi que chez l’auteur de l’Evangile de Pierre66

.

Mais si ici Justin Martyr ne semble pas chercher à prouver qu’il s’agit de la réalisation de cette prophétie, faut-il alors affirmer qu’il se réfère au Psaume 21 ? Il pourrait avoir subi ici l’influence littéraire du récit de Jean qui souligne que les soldats « eÃlabon ta\ i¸ma/tia au)tou= kaiì e)poi¿hsan te/ssara me/rh, e(ka/st% stratiw¯tv me/roj, ils prirent ses vêtements

et en firent quatre parts, une pour chaque soldat » mais quant à la tunique (o( xitèn), ils se

dirent « (…) la/xwmen periì au)tou= ti¿noj eÃstai, tirons au sort à qui elle ira » (Jn 19, 23-24). L’auteur de l’Evangile conclut ce récit en affirmant l’accomplissement de la parole de l’Ecriture (cf. Ps 21). Il est, toutefois, difficle de trancher car les deux expressions, « e)piì to\n i¸matismo/n mou eÃbalon klh=ron et e(autoiÍj diemeri¿santo i¸ma/tia/ », présentes chez Jean et Justin Martyr, se lisent déjà dans le Psaume67

.

Quant à la Crucifixion de Jésus, elle est reproduite chez Justin Martyr (cf. Dial. 97,3 ; 1 Apol. 35,7) avec certaines particularités de Jean, seul auteur qui relie cet événement à la prophétie du Ps 21,17 « wÓrucan xeiÍra/j mou kaiì po/daj, ils me lient les mains et les pieds » et conclut à son accomplissement. En faisant intervenir dans ce récit la fixation de Jésus par des clous, précision qui n’a aucune résonance dans le Psaume, mais qui se trouve uniquement chez Jean (cf. Jn 20,25), Justin Martyr partage le même fait avec l’Evangile de Jean68

.

Lorsqu’au sujet de la Résurrection du Christ, Justin Martyr affirme que ce dernier tient ce pouvoir de son Père, il n’est pas loin de Jn 10,18 où le Christ affirme qu’il a le pouvoir de ressusciter, qu’il a reçu ce commandement de son Père. En effet, selon Justin Martyr, la prophétie christologique « Mais toi, tu habites dans le sanctuaire, ô louange,

Israël ! signifiait qu’il devait accomplir une chose digne de louange et d’admiration, en s’apprêtant, après sa Crucifixion, à ressusciter le troisième jour d’entre les morts, ce qu’il tient de son Père » (Dial. 100,1 ; Ps 21,4). Il y a une relation entre Jésus le Christ et Dieu. La

phrase de Justin Martyr « oÁ a)po\ tou= patro\j au)tou= labwÜn eÃxei, ce qu’il tient de son Père » rappelle celle de Jean : « tau/thn th\n e)ntolh\n eÃlabon para\ tou= patro/j mou, tel est le com-

mandement que j’ai reçu de mon Père » (Jn 10,18). En présentant la Résurrection comme

un don du Père à son Fils, Justin Martyr s’inscrit dans la logique de l’Evangile de Jean pour qui personne ne peut lui ôter la vie. Il a seul le pouvoir de s’en dessaisir et de la reprendre selon l’ordre de son Père.

De même, pour dire comment Dieu, son Fils et l’Esprit doivent être adorés, Justin Martyr affirme qu’ils sont honorés « en parole et en vérité » (1 Apol 6,2). Cette expression

66 Cf. Mt 27,35 ; Mc 15,24 ; Lc 23,33-34 et Ev Pi 4,12. 67 E.MASSAUX, 19862

, p. 507 pense que Jean est le plus proche de Justin Martyr (cf. Dial. 97,7) ; E.F. OSBORN, 1973, p. 137. Mais ce n’est pas sûr.

68 Par ailleurs, nous lisons cet épisode dans l’Evangile de Pierre : « Et alors ils arrachèrent les clous des mains du

se lit aussi chez Jean mais ce dernier l’applique à Dieu seul (cf. Jn 4,24). Cette proximité d’idée ne peut pas être une preuve suffisante de l’influence littérale de Jean sur l’auteur. C’est pourquoi nous disons qu’il est simplement possible, mais pas certain, qu’ici Justin Martyr subisse une influence littéraire de l’Evangile de Jean (cf. Jn 5,23).

b. Le dialogue de Jésus avec Nicodème (Jn 3,3-4)

Pour prouver la connaissance de Jean par Justin Martyr, le dialogue de Jésus avec Nicodème sur la renaissance nécessaire à l’entrée dans le Royaume (cf. 1 Apol. 61,4-5), d’après ce que « le Christ a dit », a été souvent évoqué69

. Ce lieu est considéré, par certains com- mentateurs, comme le seul où l’auteur se réfère à l’Evangile de Jean70

. Mais, il faut faire une étude synoptique en tenant compte du parallèle matthéen (cf. Mt 18,3b).

69 Cf. E.MASSAUX, 19862

, p. 508 ; J.W.PRYOR, 1992, p. 153, note 1 et p. 157-160 ; T.NAGEL, 2000, p. 96. 70 Pour les commentateurs, cette parole de Jésus sur la nécessité du baptême est la seule citation littéraire de

l’Evangile de Jean que l’auteur reprend. Voir E.MASSAUX, 19862

, p. 508. Pour J.W.PRYOR, 1992, Justin Martyr, p. 153, note 1 « les propos de Justin Martyr rappellent Jn 3,3-5 ». Cet avis est partagé par E. F. OSBORN, 1973, p. 137 ; voir aussi J.N.SANDERS, 1943, The Fourth Gospel in the Early Church, p. 31. Jn 3,3 « a)pekri¿qh ¹Ihsou=j

kaiì eiåpen au)t%½, ¹Amh\n a)mh\n le/gw soi, e)a\n mh/ tij gennhqv= aÃnwqen, ou) du/natai i¹deiÍn th\n basilei¿an tou= qeou=. 4. le/gei pro\j au)to\n [o(] Niko/dhmoj, Pw½j du/natai aÃnqrwpoj gennhqh=nai ge/rwn wÓn ; mh\ du/natai ei¹j th\n koili¿an th=j mhtro\j au)tou= deu/teron ei¹selqeiÍn kaiì

gennhqh=nai ».

1 Apol. 61,4 « kaiì ga\r o( Xristo\j eiåpen : äAn mh\ a)nagennhqh=te, ou) mh\ ei¹se/lqhte ei¹j th\n basilei¿an tw½n ou)ranw½n. 5. oÀti de\ kaiì a)du/naton ei¹j ta\j mh/traj tw½n tekousw½n tou\j aÀpac genome/nouj e)mbh=nai, fanero\n pa=si¿n e)sti ».

Mt 18,3b « kaiì eiåpen, ¹Amh\n le/gw u(miÍn, e)a\n mh\ strafh=te kaiì ge/nhsqe w¨j ta\ paidi¿a, ou) mh\ ei¹se/lqhte ei¹j th\n basilei¿an tw½n ou)ranw½n ».

Si nous comparons la maxime de Jésus telle qu’elle est reprise par Justin Martyr, nous nous rendons compte que sa formulation est plus proche de Matthieu que de Jean. Par contre, la conception du baptême selon laquelle le baptême est une renaissance ou régé- nération que Justin Martyr professe, est en accord avec le contenu de l’entretien de Jésus avec Nicodème relaté dans l’Evangile de Jean (cf. Jn 3,1-17). Le début s’accorde, au niveau du sens, avec Jn 3,3 ; l’auteur explique ensuite (cf. 1 Apol 61,5) la parole de Jésus en s’ins- pirant de l’objection de Nicodème : « Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ?

Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ?’ » (Jn 3,4)71

.

Outre Justin Martyr, certains témoins patristiques transmettent aussi cette tradition mais elle se révèle littéralement indépendante de Jean72

. Ceci va dans le sens de l’hypothèse selon laquelle « Justin recourt à la tradition catéchétique de Rome reliant les éléments de Jean et de Matthieu et qui correspondaient bien à l’enseignement catéchétique du bap- tême »73

. Ici, la connaissance de l’arrière-fond johannique par Justin Martyr ne peut pas être simplement écartée.

Il existe une autre source possible de Justin Martyr : il se baserait sur la tradition orale de la liturgie du baptême telle qu’elle se pratiquait dans sa communauté74

. Ceci expli- querait alors le fait que Justin Martyr ne reproduit pas la parole du Seigneur telle qu’elle se trouve dans l’Evangile de Jean, mais il se réfère au contexte liturgique. Cette tradition est-elle indépendante de Jean ou existe-t-il un lien entre le texte de Justin Martyr et celui de ses prédécesseurs, en particulier Jean et Matthieu ? En fait, par rapport à l’Evangile de Jean, il faut voir chez Justin Martyr non pas une parole du Seigneur proprement dite

71 F.-M.BRAUN, 1959, p. 139.

72 Cf. PSEUDO-HIPPOLYTE, Elenchos VIII, 8-10 (e≥j t¾n basile∂an tîn oÙranîn) ; Les Constitutions Apostoliques VI,15 (e≥j t¾n basile∂an tîn oÙranîn) ; Les Homélies Pseudo-Clémentines XI,26 (e≥j t¾n basile∂an tîn oÙranîn ) ;

Les Reconnaissances Pseudo-Clémentines VI,9 « in regna coelorum » voir L.CIRILLO et A.SCHNEIDER (éd.),

1999 ; IDEM, 2005, Ecrits apocryphes chrétiens, T. II, Paris. 73 T.NAGEL, 2000, p. 98.

74 Cf. A.J.BELLINZONI, 1967, p. 134-135 ; H.KÖSTER, 1990, p. 257-258 ; G.STRECKER, 1978, p. 307 ; W.-D. KÖHLER, 1987, Die Rezeption des Matthäusevangeliums in der Zeit vor Irenäus, p. 208 ; J. W. PRYOR, 1992, p. 163-166.

« 3. Jésus lui (Nicodème) répondit : ‹en vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu›. 4. Nicodème lui dit : ‹Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ? ».

« 4. Car le Christ a dit : ‹Si vous n’êtes pas régénérés,

vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux›.

5. Or, il est bien évident pour tout le monde qu’il ne saurait être question, pour ceux qui sont nés une fois pour toutes, de rentrer dans le sein de leur mère ».

« Et Jésus dit : ‹en vérité, en vérité, je vous le dis : si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous

n’entrerez pas dans le Royaume des cieux».

mais, comme le souligne Titus Nagel, « des détails littéraires, des dires et des expressions christologiques, partiellement ou sans concordances verbales, et des variantes communes des citations de l’Ancien Testament »75

.

Vu la présence de l’expression « Royaume des cieux » dans plusieurs manuscrits de Jn 3,3 et chez plusieurs témoins patristiques, Graham Stanton affirme que « Justin peut avoir connu le texte de Jn 3,3 dans cette forme »76

. Or, le texte de Justin Martyr « vous

n’entrerez pas dans le royaume des cieux » se retrouve littéralement dans l’Evangile de

Mt 18,3b. Ce qui nous permet, en définitive, de dire que le texte est matthéen mais le contexte est johannique. Nous sommes donc, une fois de plus, en face d’une harmonisa- tion évangélique où Jean et Matthieu sont combinés pour justifier le fondement du rite du baptême. Faisons trois observations.

(1) Alors que l’Evangile insiste sur le « voir et entrer », Justin Martyr ne retient que le verbe « entrer ». De même, alors que l’Evangile parle dans les deux passages du « Royaume

de Dieu », Justin Martyr écrit « basile∂an tîn oÙranîn, Royaume des cieux ». Il est donc

impossible de déterminer laquelle de ces deux formes est originale.

(2) Justin Martyr a préservé un texte baptismal liturgique dans une forme plus an- cienne que celle de Jean ; dans ce cas, il est probable que le texte de ce dernier se réfère à la même tradition. Les auteurs patristiques ont en commun, avec l’Apologiste, les traits qui indiquent clairement que ce dernier est indépendant de la tradition johannique ; même s’ils ne reproduisent pas textuellement le dit tel qu’on le trouve dans 1 Apol. 61,4, ils confirment tous, et c’est notre avis, que Justin Martyr dépend d’une maxime dérivée de la tradition liturgique baptismale77

.

(3) Cependant, même si le texte de Justin Martyr ne correspond pas à celui du qua- trième Evangile78

, l’exégèse que l’Apologiste fait de ce passage suit les données de l’Evangile de Jean. André Wartelle fait remarquer que l’Apologiste « a fait un incontestable emprunt au quatrième Evangile, d’autant mieux marqué qu’il reprend l’objection soulevée par Nicodème »79

. En effet, Justin Martyr écrit : « il est bien évident pour tout le monde qu’il

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