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La préexistence et la manifestation historique de Jésus le Christ

A. Le baptême de Jésus

Le baptême de Jésus dans le Jourdain est, comme le fait remarquer Simon Légasse, »un sujet important pour l’histoire des origines chrétiennes et la théologie »135

et pour l’inter- prétation de la mission et de la vie publique de Jésus. Pour voir comment Justin Martyr peint ce chaînon de la vie terrestre de Jésus, il faut situer cet épisode dans les œuvres de l’auteur et montrer la signification des éléments théophaniques qui l’accompagnent.

1. Le contexte du baptême de Jésus dans les œuvres de Justin Martyr.

L’épisode du baptême de Jésus s’inscrit dans le contexte plus large des preuves voulues et demandées par l’interlocuteur de Justin Martyr sur la Messianité de Jésus. Celle-ci passe par la preuve de la Préexistence qui a, à son tour, un rapport avec le baptême au cours duquel le Messie reçoit les dons de l’Esprit. C’est ici où Tryphon décèle une contradiction :

133 « Car nous aussi, autrefois, nous étions insensés, rebelles, égarés, asservis à toutes sortes de désirs et de plaisirs, vivant dans la méchanceté et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres » (Tite 3,3).

134 Y.-M.BLANCHARD, 1993, p. 102.

135 S.LEGASSE, 1993, Naissance du baptême, p. 7. Voir J.THOMAS, 1935, Le mouvement baptiste en Palestine

et Syrie (150 av. J.-C. – 300 ap. J.-C.), Gembloux (Diss. Series II, 28) ; C.M.EDSMAN, 1940, Le baptême

de feu, Leipzig (Acta Seminarii neotestamentici Upsaliensis, 9) ; P.-O.LUNDBERG, 1942, La Typologie

baptismale dans l’ancienne Eglise. Leipzig (Acta Seminarii neotestamentici Upsalinsis, 10) ; A.BENOIT,

1953, Le baptême chrétien au second siècle. La théologie des Pères, Paris ; H.BRAUN, 1953, « Entscheidende Motive in den Berichten über die Taufe Jesu von Markus bis Justin », Zeitschrift für Theol. und Kirche 50 (1953), p. 39-43 ; E.BAMMEL, 1966, « Die Täufertradition bei Justin », StudPatr. 8 (1966), p. 53-61 ; D. A. BERTRAND, 1973, Le Baptême de Jésus. Histoire de l’exégèse aux deux premiers siècles, p. 97 ; S. LEGASS, 1976, « Baptême juif des prosélytes et baptême chrétien », BLE 77 (1976), p. 3-30 ; D.VIGNE, 1992, Christ au Jourdain. Le baptême de Jésus dans la tradition judéo-chrétienne, p. 72-75 ; PH.HENNE, 1993, « Pourquoi le Christ fut baptisé », RSPhTh 77 (1993), p. 567-583.

en était-il dépourvu (cf. Dial 87,2) ? L’interlocuteur juif de Justin Martyr refuse toute possibilité que Jésus soit le Messie attendu pour deux principales raisons. D’abord puis- que « Le Christ (…) ne dispose d’aucune puissance tant qu’Elie n’est pas venu l’oindre et le

manifester à tous (…) » (Dial. 8,4)136

. Les versets d’Isaïe auxquels Tryphon fait allusion contiennent non seulement une teneur messianique indiscutable mais encore une diffi- culté. « Un rameau, dit le prophète Isaïe, sortira de la souche de Jessé, et une tige s’élèvera de

la souche de Jessé ; sur lui reposera (¢napaÚsetai) l’Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d’intel-

ligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de pitié (…) » (Is 11,1-3, cf.

Dial. 87,2 ; 39,2).

Selon cette prophétie, Tryphon allègue ensuite que le Christ en serait donc originel- lement dépourvu. Il déduit que le Christ n’est pas Dieu Préexistant (cf. Dial. 87,1-2)137

. En réponse, Justin Martyr n’exclut pas l’idée de la Préexistence du Christ dans cette pro- phétie. Elle est d’ailleurs confirmée par l’histoire d’Israël et de l’Eglise (cf. Dial. 87,1 à 88,1). La vie même du Christ ne s’oppose pas à cette prophétie (cf. Dial. 88,1-8). Et il termine par où son interlocuteur avait commencé, par le rappel d’Is 11,1-3 (Dial. 88,1), en ajou- tant de nouvelles preuves, en particulier le baptême de Jésus (Dial. 88,2-4.6.8). Pour Justin Martyr, cette prophétie est dite au sujet du Christ. Tryphon semble lui aussi le concéder. Mais une difficulté que le protagoniste de l’Apologiste chrétien soulève est, de l’aveu même de l’auteur, « très fine et fort intelligente » (Dial. 87,3).

En effet, si l’on admet cette Préexistence, comment expliquer que le Messie reçoive des dons qu’il aurait dû déjà posséder ? Aux yeux de Tryphon, c’est donc une double contradiction. Dans la perspective juive, le Messie « homme d’entre les hommes » et des- cendant de Jessé, reçoit les dons de l’Esprit énumérés par Isaïe. Tryphon ne relie pas la Préexistence divine du Verbe de Dieu avec la Naissance virginale de l’homme-Jésus (cf. Dial. 63,1)138

. Et c’est pour s’en rendre compte que Justin Martyr parle du baptême de Jésus. Si les puissances de l’Esprit sont venues sur le Verbe, ce n’est pas parce qu’il en était dépourvu, mais parce qu’elles devaient trouver un repos ou un achèvement en lui. L’Esprit prophétique s’est donc reposé, il a cessé « quand fut venu celui après qui, une fois

révolus les temps de cette économie que parmi les hommes il a réalisée, ces choses [les puissances devaient] disparaître de chez vous (…) » (Dial. 87,5).

2. Les éléments théophaniques au baptême de Jésus

Les théophanies sont aussi, pour l’Apologiste, une réponse aux enseignements hérétiques des Ebionites qui n’établissent pas de distinction des personnes entre le Père et le Fils, entre Dieu le Père et le Verbe engendré139

.

136 J.C.M.VAN WINDEN, 1971, p. 122-123. Pour Tryphon, Jésus est « un Christ » (cf. Dial. 8,4) alors qu’il est « Notre Christ » pour Justin Martyr (Dial. 43,7).

137 Cf. D.A.BERTRAND, 1973, p. 91 ; la référence scripturaire (Is 11,1-3) figure déjà en Dial. 86,4 ; P. PRIGENT, 1964, p. 326, note 2.

138 Pour les autres allusions à ce thème, voir Dial. 63,1-2 ; 66,1-67,1-2 ; 68,4-6 ; 70,5 ; 71,3.

a. Le feu

Lorsque l’auteur rapporte le récit du baptême de Jésus, il écrit : « (…) tandis que Jésus

descendait dans l’eau, du feu s’alluma dans le Jourdain (…) » (Dial. 88,3). Ce passage n’a

aucun parallèle dans les textes évangéliques. Certes, dans l’Evangile de Matthieu, le bap- tême de l’eau est, dans une certaine mesure, associé au baptême de feu (cf. Ac 2 ; Mt 3,12 ; Lc 3, 12). D’ailleurs, citant les propos de Jean le Baptiste, Matthieu écrit : « Moi, je vous

baptise dans l’eau (…), Lui vous baptisera dans l’Esprit et le feu » (Mt 3,11). Mais le Jour-

dain qui s’embrase lorsque Jésus descend dans les eaux pour y être baptisé n’est nullement attesté dans les Evangiles devenus canoniques. Cet ajout de feu suscite des questions et des hypothèses140

.

Deux manuscrits latins de l’Evangile de Matthieu conservent cette mention141

. Elle est à distinguer, nous dit Alain Le Boulluec, « de la tradition présente dans l’Evangile des Ebionites sur la ‘grande lumière’ apparue après la vision de la colombe et la voix (venue) du ciel »142

et qui a éclairé le lieu du baptême. Par ailleurs, outre l’Evangile des Ebionites auquel nous venons de faire référence, ce motif de feu est présent dans plusieurs textes chrétiens qui deviendront apocryphes, entre autres la Praedicatio Pauli transmise par l’auteur du De Rebaptismate, les Oracles Sibyllins, l’Evangile des Nazaréens et le Diatessaron

de Tatien143

. L’Apologiste intégrerait-il alors ici, consciemment ou non, des éléments des « Mémoires des Apôtres » et ceux des autres écrits chrétiens devenus plus tard apocryphes pour constituer son propre récit ?

Dans le fragment de l’Evangile des Ebionites, il est écrit qu’après le baptême du Christ « (…) aussitôt une grande lumière éclaira tout l’endroit (…) »144

. Il n’y est donc pas ques- tion de feu comme on l’a affirmé145

. Cette lumière peut être rapprochée des apparitions lumineuses qui avaient eu lieu au cours des cultes des religions à mystères146

. Per Lundberg explique la mention du feu au baptême de Jésus, par l’histoire d’Elie à laquelle il attribue une valeur baptismale. Le paradigme du prophète Elie « a délivré son peuple du culte de Baal avec l’eau et le feu »147

.

140 Cf. C.M.EDSMAN, 1940, Le baptême de feu, p. 180-190 ; J.DANIÉLOU, 19912

, Théologie du Judéo-

christianisme, p. 288 ; M.-E.BOISMARD, 1992, p. 129-133 ; PH.HENNE, 1993, RSPhTh 77(1993), p.

574-576 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 805, note 7 (Dial. 88,3).

141 Cf. L’apparat critique de Mt 3,15 ; Novum Testamentum Graece et Latinae. Nestle- Aland,19943

.

142 A.LE BOULLUEC, 2004, RSR 92(2004), p. 61, note 68. Sur cette mention de la lumière dans l’Evangile des

Ebionites (D.A.BERTRAND, 1997, dans F.BOVON et P.GEOLTRAIN (éd.), 1997, Ecrits apocryphes chrétiens,

Vol. I, p. 447-453), voir ÉPIPHANE, Panarion 30, 13,7-8 ; J.THOMAS, 1935, p. 392, notes 1-2.

143 Cf. M.-E.BOISMARD, 1992, p. 78 ; A.ORBE, 1976, Cristologia gnostica, Vol. II, p. 518-532.

144 ÉPIPHANE de Salamine, Panarion 30, 13,7.

145 « On trouve ce détail, dit par exemple E. Massaux, dans le Diatessaron de Tatien, dans quelques manuscrits de Mt, a et g, dans l’apocryphe intitulé Pauli Praedicatio, dans l’Evangile des Ebionites (cf. ÉPIPHANE, Adv. Haer., XXX, 13), dans les Oracles Sibyllins, VII, 82-84 » E.MASSAUX, 19862

, p. 553. Il se réfère à Th. Erlangen, 1889, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, Vol 1, p. 550 ; à G. ARCHAMBAULT, 1909, Justin,

Dialogue avec Tryphon, T. II, p. 73-74. Voir la remarque de J.-M.ROESSLI, 2005, dans P.GEOLTRAIN et

J.-D.KAESTLI (éd), Ecrits apocryphes chrétiens, Vol. II, p. 1058 (Oracles sib. VI, 6-7).

146 A.BENOIT, 1953, p. 179, note 117. Voir aussi C.M.EDSMAN, 1940, « Le baptême du feu », p. 182s.

Dans les Oracles Sibyllins, il s’agit d’un feu destructeur, celui du jugement. On y lit : « Après que (le Fils de Dieu) eut reçu une seconde naissance selon la chair, s’étant lavé dans le

courant du Jourdain, qui s’avance de son pas bleu, entraînant ses flots, il échappera au feu et il verra le premier un Dieu favorable venir par l’Esprit, sur les blanches ailes d’une colombe »

(VI, 3-7). Et encore plus loin, l’auteur ajoute l’idée du « Père qui a inondé d’eaux pures ton

baptême, par lequel tu (Jésus) es apparu sortant du feu » (VII, 83-84)148

. Cet épisode signifie que Jésus échappe pour nous au feu de la colère et qu’il faut voir dans la colombe la grâce de Dieu venant au-devant du Christ. Ces passages des Oracles sibyllins indiquent que le Christ a été délivré du feu par le baptême et que c’est alors que l’Esprit est descendu.

Ceci rejoint l’idée de Justin Martyr qui souligne que le feu est apparu sur l’eau lors de la descente de Jésus dans le Jourdain afin d’y être baptisé. Lorsqu’il parle du feu au moment du baptême de Jésus, Justin Martyr « veut montrer, affirme Jean Daniélou, que la Puissance (dÚnamij) du Christ s’est manifestée dès sa naissance dans l’épisode des mages (cf. Dial. 78,2) ; puis une seconde fois lors du baptême où ‹du feu s’alluma sur le Jourdain› (Dial. 88,3) »149

. Ce baptême, donc, libère les hommes du feu du jugement comme la Passion du Christ nous éloigne de la souffrance (cf. Dial. 88,2.4)150

.

Dans l’Apologie, le feu garde une valeur dévastatrice à travers plusieurs passages. Il est le lieu du châtiment où seront successivement jetés Satan, son armée et les hommes qui le suivent (cf. 1 Apol. 28,1). Bien que Dieu le Père, à cause des hommes bons et ver- tueux, n’ait pas encore détruit le monde par le feu (cf. 1 Apol. 45,1), un châtiment éternel par le feu est prévu pour tous ceux qui haïssent injustement les chrétiens (cf. 1 Apol. 45,6). Même les démons savent, grâce aux prophéties, que les impies seront punis par le feu (cf. 1 Apol. 54,2). Et ils ne peuvent rien contre le fait que le feu est réservé comme châtiment des impies (cf. 1 Apol. 57,1).

Cette interprétation fait penser à la conception stoïcienne du feu qui consume tout. Selon les Stoïciens, l’univers a une fin provisoire, et s’il s’achève ainsi dans le feu, c’est pour recommencer ensuite, identique à lui-même. Cette idée stoïcienne de la destruction du monde par le feu, œkpÚrwsij, conflagration151

, est rappelée par Justin Martyr, mais il rejette l’idée du retour identique du monde152

. Pour Justin Martyr, et contre les Stoïciens, le mot œkpÚrwsijne désigne pas la conflagration finale du monde, mais le feu de l’enfer, destiné au châtiment des impies, en particulier du diable. Cette conflagration universelle a été prédite par l’Esprit prophétique en ces termes : « un feu toujours vivant descendra et

dévorera jusqu’au fond de l’abîme » (Dt 32,22 ; 1 Apol. 60,8-9).

Dans le Dialogue avec Tryphon, le feu apparaît généralement comme l’image signifiant la présence du Verbe de Dieu et son action libératrice au milieu des hommes153

. Le feu est, selon Justin Martyr, l’une des formes sous lesquelles le Verbe de Dieu, avant son

148 Voir aussi Oracles sibyllins, VIII, 225. 243-244 (J.-M.ROESSLI, 2005, dans P.GEOLTRAIN et J.-D. KAESTLI

(éd), Ecrits apocryphes chrétiens, Vol. II, p. 1072-1073).

149 J.DANIÉLOU, 19912 , p. 288. 150 Cf. A.GRILLMEIER, 1973, p. 101. 151 Cf. 1 Apol. 20,4 ; 57,1 ; 60,8 ; 2 Apol. 7,3. 152 A.WARTELLE, 1987, p. 257. 153 Cf. Dial. 8,1 ; 56,23 ; 60,1 ; 61,1 ; 129,4 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 1062.

Incarnation, s’était manifesté : « Jésus le Christ est Fils de Dieu et son Apôtre, étant d’abord

Verbe et s’étant manifesté tantôt sous la forme du feu, tantôt sous une figure incorporelle »

(1 Apol. 63 ; cf. Dial. 127). En effet, c’est à partir de la flamme du buisson ardent que l’ange de Dieu, qui est en fait Jésus avant son Incarnation, parla à Moïse154

. L’image du feu peut encore souligner la génération du Verbe155

. Le feu est entendu comme une parole divine ; il a une puissance qui sauve de la brûlure du péché (cf. Dial. 16,3). Cette idée est confirmée par le fragment de Justin Martyr, sûrement du Syntagme, cité par Irénée. Il confirme l’importance du rapport entre la venue ou le ministère de Jésus et l’annonce du feu réservé au diable156

.

Le feu est mis en rapport avec la personne de Jésus pour signifier la parole et la pré- sence divines (cf. Dial. 8,1). Le Christ étant lui-même la Parole de Dieu, le feu qui appa- raît au moment de son baptême n’a d’autre objectif que de rendre manifeste la présence divine au milieu de son peuple et cela dès le début de sa vie publique. Le feu qui embrase tout le Jourdain est aussi une figure de la Parole qui sortira de sa bouche et qui se répandra à travers toute la terre, comme il a embrasé tout le fleuve. Même si Justin Martyr professe dans l’Apologie une certaine idée du feu destructeur, ce feu qui survient au moment de la descente du Christ vers les eaux du Jourdain n’est plus destructeur, encore moins mau- vais. Au contraire, il purifie les eaux du Jourdain des esprits mauvais. Ainsi, pour Justin Martyr, le Christ se rend Maître non seulement du feu, mais encore des esprits mauvais, des démons. Cependant, le feu est destructeur parce que, dans le combat contre les démons, il détruit les esprits mauvais ; il est aussi purificateur parce qu’il purifie l’eau avant le baptême de Jésus157

, et c’est un élément théophanique parce qu’il est le symbole de la présence de Dieu qui descend par l’Esprit prophétique sur le Christ sous l’apparence visible d’une colombe.

b. La descente de l’Esprit-Saint sur le Christ

Lorsque Jésus quitte les eaux du Jourdain, l’Esprit-Saint apparaît sous une forme corpo- relle. Et « alors qu’il remontait, dit Justin Martyr, l’Esprit-Saint comme une Colombe voltigea

sur lui, e)pipth=nai e)p’ au)to\n (…) » (Dial. 88,3)158

. L’expression « e)p’ au)to\n, sur lui » ou « au-dessus de lui », se lit déjà chez Isaïe. « Un rameau, écrit-il, sortira de la souche de Jessé

(…) ; ‹sur lui› reposera l’Esprit de Dieu (…) » (Is 11,2: Dial. 87,2). Pour écarter l’objection

de son interlocuteur qui n’accepte pas la Préexistence de Jésus et qui allègue que le Fils de Dieu a reçu l’Esprit au moment de son baptême, Justin Martyr affirme que lorsque le prophète dit : « l’Esprit s’est reposé », il faut entendre « qu’il a cessé » (Dial. 87,5)159

. Il conçoit le Messie comme le terme de l’effusion de l’Esprit (cf. Dial. 87,3). Marie-Emile

154 Cf. Ex 3,2.6.10.14-15.

155 Cf. Dial. 61,2 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 969-971 : Appendice 10, « Génération du Verbe et création des anges ; images du feu et de la lumière » ; Dial. 61,2 et 128,3-4.

156 IRÉNÉE de Lyon, Adv. Haer. V, 26,2. Il rattache le ministère de Jésus et la condamnation du diable.

157 Le feu pourrait être une image pour signifier l’œuvre purificatrice de l’Esprit (cf. Lc 3, 16). C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il importe d’interpréter les langues de feu au jour de la Pentecôte (Ac 2,3-4).

158 Cf. Mc 1,10 ; Mt 3,16 ; Lc 3,21-22. Voir M.MARCOVICH, 1997, p. 223 qui renvoie aux Oracles Sibyllins, VII, 81-84 (J.-M.ROESSLI, 2005, dans P.GEOLTRAIN et J.-D.KAESTLI (éd), 2005, Vol. II).

Boismard affirme que « ce thème est déjà attesté dans les Odes de Salomon, aux confins des premier et second siècles »160

. Justin Martyr présente quelques particularités par rapport aux évangélistes. Lorsqu’il écrit : « kaπ katelqÒntoj toà ’Ihsoà œpπ tÕ Ûdwr (…), tandis que

Jésus descendait dans l’eau (…) », ce katelqÒntoj ne se lit nulle part dans les Evangiles (cf.

Mt 3,13 ; Mc 1, 9 ; Lc 3,21). L’Apologiste le forme vraisemblablement à partir de la pratique baptismale et du mouvement de « remonter » décrit par les Mémoires des Apôtres.

Lorsque Justin Martyr note que « Jésus remontait de l’eau, kaiì a)nadu/ntoj au)tou= a)po\ tou= uÀdatoj » (Dial. 88,3), il est en accord avec Marc qui écrit : « kaiì eu)qu\j a)nabai¿nwn e)k tou= uÀdatoj, à l’instant où il remontait de l’eau » (Mc 1,10). Mais l’auteur sait présenter le même fait avec ses propres mots. Nous lisons chez lui « ¢nadÚw » (Dial. 88,3) et « ¢naba∂nw,

remonter » (Dial. 103,6) là où Marc ne conserve que « ¢naba∂nw» ; l’Evangile des Ebionites

a « ¢nÁlqen ». Tandis que Matthieu a : « baptisqeiìj de\ o( ¹Ihsou=j eu)qu\j a)ne/bh a)po\ tou= uÀdatoj, Jésus est sorti de l’eau » (Mt 3,16), Luc ne fait pas mention de ce moment. Justin Martyr met l’accent sur le double mouvement de descente et de remontée. Peut-être faut-il déjà y voir la Mort et la Résurrection de Jésus. S’il en est ainsi, Justin Martyr relierait ici le baptême à la Mort et à la Résurrection du Christ.

Par ailleurs, tandis que Matthieu et les textes synoptiques parallèles ont « Jésus vit l’Esprit

de Dieu descendre comme une colombe » (Mt 3,16), Justin Martyr note que l’Esprit-Saint

vint sur lui (cf. Dial. 88,4) ou voltigea au-dessus de lui (cf. Dial. 88,8). Si nous considérons

les deux éléments théophaniques (la Colombe et le feu), il est clair que l’auteur s’inscrit dans la tradition évangélique. En effet, Matthieu parle du baptême de feu et d’eau (Mt 3,11-12) ; Marc d’eau et d’Esprit-Saint (Mc 1,8) ; Luc de l’Esprit-Saint et du feu (Lc 3,16). Dans ce sens, en mentionnant « l’Esprit Saint et le feu », Justin Martyr est plus proche du récit lucanien que des deux premiers. Nous serions ainsi en présence d’une tradition accommodante qui est soit antérieure soit composée par Justin Martyr161

. Il a assez librement utilisé les données évangéliques qu’il n’hésite pas à transformer et à enjoli- ver. Il puise, aussi bien à l’Ancien Testament qu’aux écrits des Apôtres, les faits qu’il transmet ; l’essentiel étant pour lui leur ajustement au débat. C’est pourquoi le récit du baptême de Jésus selon Justin Martyr (cf. Dial. 88,3.8) est original.

Mais pourquoi le Christ a-t-il été baptisé. Le Christ n’avait besoin ni du baptême ni de l’Esprit-Saint. Il s’est rendu au Jourdain « (…) pour la race des hommes qui, depuis

Adam, était tombée au pouvoir de la mort et de l’erreur du serpent, chacun faisant le mal

par sa propre faute (…) » (Dial. 88,4)162

. C’est dans ce sens qu’Antonio Orbe écrit à juste

160 M.-E.BOISMARD, 1992, p. 140 voir l’Ode 34. Cf. J.H.CHARLESWORTH, 1977, The Odes of Salomon. The syriac texte, Missoula, Montana (Textes and Translations, 13 ; Pseudepigrapha Series, 7) ; M. LATTKE, Odes

de Salomon, texte annoté par M.-J.PIERRE, dans F.BOVON et P.GEOLTRAIN (éd.), 1997, Ecrits apocryphes

chrétiens I, Paris, p. 671-743 ; M.LATTKE (éd.), 1999, Oden Salomos. Text, Übersetzung, Kommentar,

Teil 1 : Oden 1 und 3-14 ; 2001, Teil 2 : Oden 15-28 ; 2005, Teil 3 : Oden 29-42. Transkription des Syrischen von K.BEYER, Fribourg (NTOA, 41, 1-3). Mais la datation des Odes reste incertaine.

161 Cf. M.-E.BOISMARD, 1992, p. 79 ; Y.-M.BLANCHARD, 1993, p. 92.

162 Il dit dans le même chapitre que c’est « à cause des hommes » (Dial. 88,7) ou encore « sa naissance avait lieu pour les hommes » (Dial. 88,7).

titre : « uomo nato verginalmente, senza nemmeno portare in sé la colpa di Adamo, non abbisognava neppure del battesimo di Spirito in ordine alla propria santificazione, era personalmente Figlio di Dio e, come tale, Santo »163

.

Pour Justin Martyr, Jésus n’avait nul besoin d’une onction qui le consacrerait Messie (cf. Dial. 88,8), mais d’une onction qui le manifesterait à tous comme Messie. Cette onction avait une fonction sotériologique : le Christ est confirmé comme Sauveur par le baptême. Il ne s’agit pas simplement de la présence du Christ parmi les hommes164

. Le terme « fan◊rwsij, manifestation » signifie plus qu’une théophanie165

. Il indique que la dignité messianique de Jésus est rendue à tous manifeste par l’onction de Jean. Ainsi à Tryphon, pour qui le Messie devait être manifesté par l’onction d’Elie (cf. Dial. 8,4), Justin Martyr dit que Jean est celui précisément qui a hérité de l’Esprit de Dieu, qui était en Élie (cf. Dial. 49,3).

c. La voix céleste

Après la descente de l’Esprit sous forme d’une colombe, Justin Martyr, comme la tradition qu’il suit, note qu’une voix venue des Cieux s’est fait entendre : « Tu es mon fils, aujour-

d’hui, moi je t’ai engendré » (Dial. 88,8). Il reviendra sur cet événement quelques chapitres

plus loin : « (…) au moment où Jésus remontait du Jourdain, et où la voix venait de lui dire

‹Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré› (…) » (Dial. 103,6)166

. On a vu ici le com- mencement de la Filiation divine du Christ seulement au moment du baptême167

. La voix céleste accomplit la prophétie messianique qui fut dite par l’intermédiaire de David : « Le Seigneur m’a dit : ‹Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Ps 2,7)168

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