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Marie, Vierge et Mère de Jésus

La préexistence et la manifestation historique de Jésus le Christ

A. Marie, Vierge et Mère de Jésus

La prophétie de l’Emmanuel (Is 7,14) demeure, pour Justin Martyr, une preuve scriptu- raire de la Naissance virginale du Messie, du sein d’une vierge. Par cette Naissance virgi- nale, l’auteur place Jésus du côté divin et maintient l’Incarnation du Fils pré-existant52

. Et, précise A. M. Dubarle, « c’est chez Justin que se rencontre pour la première fois l’affir- mation explicite que le prophète annonçait une naissance virginale »53

.

1. La Virginité de Marie et l’annonciation de la naissance de Jésus le Christ

La prophétie d’Isaïe 7,14 contient les deux faces du problème auquel l’auteur est confronté : la virginité de Marie qui a conçu son fils sans commerce charnel et, à l’encontre des docé- tistes, la naissance virginale de Jésus, véritablement (¢lhqîj54) Fils de Dieu.

a. La Virginité de Marie, mère de Jésus

L’Ancien Testament contient quelques passages qui ont été mis en rapport avec la Virginité de Marie55

. Mais c’est dans la prophétie d’Isaïe (cf. Is 7,14 LXX) que Justin Martyr voit

51 Cf. Dial. 66,2-3.4 ; 67,1 ; 68,6 ; 71,3 ; 77-78 ; 84,1.2.3 ; 1 Apol. 33,1 ; 54,8.

52 M.HENGEL und A.SCHWEMER, 1994, p. 192. Dans le Dialogue, Is 7,14 est cité plusieurs fois : 43,7-8 (2x) ; 66,2 ; 67,1 ; 68,6 ; 71,3 ; 77,3 ; 84,1(2x) ; 84,3 et dans l’Apologie seulement deux fois (33,1.4).

53 A.M.DUBARLE, 1978, « La Conception virginale et la citation d’Is 7, 14 dans l’évangile de Matthieu », RBi 85 (1978), p. 368. Sur cette question, voir G.HILION, 1949, « La Sainte Vierge dans le Nouveau Testament », dans H.DU MANOIR (éd.), 1949, Maria : Etudes sur la Ste Vierge, t. 1, Paris, p. 41-68 ; G. JOUASSARD, 1949, « Marie à travers la Patristique. Maternité divine, Virginité, Sainteté », dans H. DU MANOIR (éd.), 1949, Marie :

Etudes sur la Sainte Vierge, Paris, p. 69-157 ; IDEM, 1954, « Le parallèle Êve-Marie aux origines de la patris-

tique », Bible et vie chrétienne 7 (1954), p. 19-31 ; M.PLANQUE, 1961, « Ève », dans Dictionnaire de

Spiritualité, IV / 1 (1961), col. 1779-1784 (1788) ; A.MÜLLER, 1955, Ecclesia-Maria. Die Einheit Marias

und der Kirche. Zweite, Überarbeitete Auflage, Fribourg (Paradosis, 5) ; H. VON CAMPENHAUSEN, 1962, Die Jungfrauengeburt in der Theologie der alten Kirche, Heildelberg (Sitzungsberichte der Heidelberger Aka- demie der Wissenschaften, 3) ; M.TARDIEU, 1981, « Comme à travers le tuyau. Quelques remarques sur le mythe valentinien de la chair céleste du Christ», dans B.BARC (éd.), 1981, Colloque international sur les

textes de Nag Hammadi (Québec, 22-25 août 1978), Québec & Louvain, p. 151-177 ; R.E.BROWN, 19992

(19771

), The Birth of Messiah. A Commentary on the Infancy Narratives in Matthew and Luke. New Updated edition, New York. Voir aussi IRÉNÉE de Lyon, Dem., 36,54,57 (SC, 406) ; Adv. Haer., III, 16.18- 21ss (SC, 210 et 211) ; IV, 23, 33 (SC, 100 et 100 bis) ; TERTULLIEN, Adv. Marc., III, 12,13,15ss (SC, 399). 54 Cf. D.BOURGEOIS, 1983, p. 72, note 129. Même adverbe en Dial. 98,1 ; 99,2 ; 103,8.

55 Cf. Gn 3,15 (Protévangile) ; Gn 49,10-11 : 1 Apol. 32,1.9. Par ailleurs, le nom de Marie revient souvent dans le texte de Justin Martyr : Voir Dial. 23, 3 ; 78,3.4.5.7 ; 100,3 (par Marie, di¦ Mar∂aj) ; 100,5 (Mar∂a parq◊noj) ; 102,2 ; 103,3 ; 113,4 ; Dial. 120,1 (tÁj parq◊nou Mar∂aj).

la virginité de Marie56

. « Voici que le Seigneur lui-même nous donnera un signe ; voici : la parq◊noj concevra et enfantera un fils » (Is 7,14)57

. Le sens du mot « ‘almah » rendu par « vierge, parthénos » a été retenu par Matthieu pour signifier l’état de la jeune fille « ne©nij ». L’Apologiste explique : « Les mots, ‹Voici que la vierge (¹ parq◊noj) sera enceinte› du

prophète Isaïe, signifient que la vierge (¹ parq◊noj) a conçu sans relations charnelles ; si, en

effet, elle avait eu des relations charnelles avec qui que ce soit, elle ne serait plus vierge (…) »

(1 Apol. 33,4 )58

. Le sang de celui qui devait se manifester provient non point d’une semence humaine mais d’une puissance divine59

, et c’est en cela qu’il est un signe donné au Roi Achaz (cf. Is 7,14).

Cette perspective de Justin Martyr (cf. 1 Apol. 22,2) a probablement un but précis : répondre à une accusation explicitement formulée dans les Evangiles selon laquelle Marie, épouse de Joseph, était enceinte « par fornication, ¢pÒ porne∂aj»(Dial. 78,3). Philippe Bobichon peut ainsi suggérer que l’affirmation de l’Apologiste « (…) nomi¿zwn e)gkumoneiÍn au)th\n a)po\ sunousi¿aj a)ndro/j, tou=t’ eÃstin a)po\ pornei¿aj (…), la croyant

enceinte par le commerce d’un homme, par fornication » (Dial. 78,3) est en rapport avec ce

passage de l’Evangile de Jean : « ¹me√jœk porne∂ajoÚkœgennˇqhmen, nous, nous ne sommes

pas nés de la prostitution » (Jn 8,41)60

. La présence de la même expression, a)po\ ou œk pornei¿aj, permet de les rapprocher.

Dans l’Evangile de Jean, faudra-t-il le remarquer, cette accusation n’a rien à voir avec les récits de la naissance. Au contraire, Jean et Justin Martyr pourraient dépendre d’une même tradition. En d’autres termes, vu que le contexte de Jean ignore d’ailleurs carrément Joseph, on ne peut donc pas dire qu’il fait allusion à une fornication ; éventuellement, à un fils né hors du mariage. Cependant, cette accusation peut renvoyer à l’annonce de la naissance de Jésus à Joseph à qui Marie était fiancée, « mnhsteuqe∂shj(…) tù Iwsˇf » (Mt 1,18). Justin Martyr note que Joseph était le « fiancé de Marie, ¹Iwsh\f de/, o( th\n Mari¿an memnhsteume/noj (…) » (Dial. 78,3). Avec Matthieu (cf. Mt 1,18-20), il s’accorde à dire que ce que Marie porte dans son sein provient du Saint-Esprit. Dans ce sens, Dial. 78,3 présuppose Mt 1,18-20.

Par ailleurs, même si Is 7,14 n’implique pas que la parq◊noj concevra en restant Vierge, c’est précisément dans ce sens que Justin Martyr l’entend. Pour l’auteur, redisons-le, Marie est Vierge et le sera au moment où elle concevra (cf. Dial. 84,1b). Connaissant les deux versions grecques de la Bible qui ne recouvrent pas le même contenu (cf. Dial. 67,1), il peut affirmer devant les Juifs : « vous soutenez que l’Écriture n’a pas ce qui correspond à

leur interprétation, mais qu’elle dit : ‹Voici, la jeune fille concevra›, comme si de grandes choses étaient signifiées, quand une femme doit enfanter d’un commerce charnel : c’est ce que font toutes les jeunes femmes (…) » (Dial. 84,3 ; cf. 1 Apol 33,4). Les Juifs appliquent cette

56 Le texte Massorétique ne fait pas référence à la conception virginale dans un futur éloigné, c’est pourquoi il traduit « ‘almah » par « ne©nij, jeune fille » (cf. Dial 84,3). La Septante fait une option préférentielle et comprend

parq◊noj au sens de Vierge. Sur les deux formes, grecque et hébraïque d’Is 7,14, voir R. E. BROWN, 19992

, p. 147-149.

57 Cf. Dial. 84,1a ; 1 Apol. 33, 4.

58 Cf. 1 Apol. 21,1 ; 33,6 : Is 7,14 ; Mt 1,23 ; Lc 1,31.35 ; Col 1, 15. 59 Cf. 1 Apol. 32,9. 11.14 ; Dial. 54,2 ; 63,2.

prophétie à Ezéchias61

alors que l’Apologiste la rapporte à celui que les chrétiens confes- sent comme Christ puisque le shme√on qu’Achaz (cf. Is 7,10) devrait recevoir du Seigneur s’accomplit « di¦ parq◊nou »62

. Car du sein virginal, ‹le premier-né de toute créature› s’est véritablement fait chair et est né63

. Cette interprétation est, selon Justin Martyr, appropriée.

b. L’annonce faite à Marie

La prophétie d’Isaïe (Is 7,14) annonçait la naissance d’un Fils par l’intermédiaire d’une Vierge (cf. 1 Apol. 33,1 ; 33,8). Et lorsque les temps furent accomplis, l’ange de Dieu fut chargé non seulement d’annoncer la Bonne nouvelle mais aussi de préciser comment cela devrait s’opérer. L’Apologiste se réfère, dans les deux ouvrages (1 Apol. 33,4-5 et Dial. 100,5), à Matthieu et à Luc lorsqu’il reprend cet énoncé.

61 Cf. Dial. 43,8 ; 63,8 ; 67,1 ; 71,3 ; 84,3. Pour le débat de cette exégèse, voir PH.BOBICHON, 2002/3, « Salomon et Ézéchias dans l’exégèse juive des prophéties royales et messianiques, selon Justin Martyr et les sources rabbiniques », Tsafon : Revue des études Juives du Nord 44 (automne 2002-hiver 2003), p. 149-165 ; R.E.BROWN, 19992

, p. 148, note 47.

62 Cf. Dial. 67,1 ; 84,3. L’expression « di¦ parq◊nou » met l’accent sur le rôle de la Vierge en tant qu’instru- ment de Dieu. Voir aussi Dial. 23,3 ; 45,4 ; 113,4 ; 120,1.

63 Cf. Dial. 84,2 ; Col 1,15 ; Prov 8,22. Lc 1, 30-35 « 30.kaiì eiåpen o( aÃggeloj au)tv=, (…) 31. kaiì i¹dou\ sullh/myv e)n gastriì kaiì te/cv ui¸o/n, kaiì kale/seij to\ oÃnoma au)tou= ¹Ihsou=n. 32 ouÂtoj eÃstai me/gaj kaiì ui¸o\j u(yi¿stou klhqh/setai, kaiì dw¯sei au)t%½ ku/rioj o( qeo\j to\n qro/non Dauiìd tou= patro\j au)tou=, (…)

35 kaiì a)pokriqeiìj o( aÃggeloj eiåpen au)tv=, Pneu=ma aÀgion

e)peleu/setai e)piì se/, kaiì du/namij u(yi¿stou e)piskia/sei soi : dio\ kaiì to\ gennw¯menon aÀgion klhqh/setai, ui¸o\j qeou=».

1 Apol. 33, 4b « a)lla\ du/namij qeou= e)pelqou=sa tv= parqe/n% e)peski¿asen au)th/n, kaiì kuoforh=sai parqe/non ouÅsan pepoi¿hke. 5a (…)

aÃggeloj qeou= eu)hggeli¿sato au)th\n ei¹pw¯n : ¹Idou\ sullh/yv e)n gastriì e)k pneu/matoj a(gi¿ou kaiì te/cv ui¸o/n, kaiì ui¸o\j u(yi¿stou klhqh/setai, kaiì kale/seij to\ oÃnoma au)tou= ¹Ihsou=n, au)to\j ga\r sw¯sei to\n lao\n au)tou= a)po\ tw½n a(martiw½n au)tw½n ».

Mt 1, 20-21 « tau=ta de\ au)tou= e)nqumhqe/ntoj i¹dou\ aÃggeloj kuri¿ou kat’

oÃnar e)fa/nh au)t%½ le/gwn, ¹Iwsh\f ui¸o\j Daui¿d, mh\ fobhqv=j paralabeiÍn Maria\m th\n gunaiÍka/ sou, to\ ga\r e)n au)tv= gennhqe\n e)k pneu/mato/j e)stin a(gi¿ou : 21 te/cetai de\ ui¸o\n kaiì kale/seij to\ oÃnoma au)tou= ¹Ihsou=n, au)to\j ga\r sw¯sei to\n lao\n au)tou= a)po\ tw½n a(martiw½n au)tw½n ».

Nous avons ici deux contextes différents. Pour Matthieu, l’Ange apparaît à Joseph afin de dissiper ses doutes et ainsi contrecarrer son projet de répudier sa femme. De plus, Joseph est chargé de donner le nom au futur enfant. L’intervention divine révèle ainsi l’œuvre de Dieu (cf. Mt 1,20-21)64

. Chez Luc, le contexte est tout autre : l’Ange annonce à Marie qu’elle mettra au monde un Fils (Lc 1,26-38) et qu’elle lui donnera le nom de Jésus. Cette annonce est visiblement la même car nous y trouvons le même porteur du message (aÃggeloj), le nom du futur enfant (Ihsoàj) et le même agent de l’Incarnation (pneàma ¤gion).

Pour composer son récit, Justin Martyr aurait ainsi utilisé à la fois les données de Mt et Lc. Mises ensemble, elles permettent de résoudre les interrogations de Joseph et Marie et d’insister sur la virginité conservée de Marie. A l’un et l’autre, l’ange révèle que c’est l’Esprit-Saint, appelé aussi Puissance divine ou Logos65

, qui est l’auteur de ce que Marie porte66

. C’est la raison pour laquelle le nouveau-né « sera appelé fils du Très-Haut » (1 Apol. 33,5b ; Lc 1,35). La venue de l’Esprit-Saint ou la domination de la puissance du Très Haut engendre l’enfant comme Fils de Dieu. Il n’y a donc pas, dit Raymond Brown, d’adoption ici67

. Cette naissance est donc due à la volonté du Père et c’est pour-

64 Cf. W.D.DAVIES et D.C.ALLISON, 1988, p. 196-208 ; G.VISONÀ, 1988, p. 255 (Mt 1,18-20) ; R. E. BROWN, 19992

, p. 122 ; C.D.ALLERT, 2002, p. 272 (Mt 1, 18-21).

65 Cf. 1 Apol. 32,14 ; 33,4. Ailleurs Justin Martyr identifie cet Esprit et cette puissance au seul « Logos, qui est aussi le Premier-né de Dieu » (1 Apol. 33,6). Voir au troisième chapitre ce que nous avons dit sur la Préexistence du Verbe de Dieu selon Justin Martyr.

66 Cf. Dial. 54,2 ; 63,2 ; 1 Apol. 32,9. Sur dÚnamij en Lc 1,35, voir W.GRUNDMANN, 1935, « dÚnamij » dans G.KITTEL, 1935, Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, Zweiter Band : D-H, p. 300-304. 67 R.E.BROWN, 19992

, p. 313-314. L’Apologiste dit en effet: « Lorsque cet Esprit, survint sur la vierge, et la couvrit de son ombre, il la fit concevoir, non par union charnelle, mais par l’effet de sa puissance » (1 Apol. 33,6). Cf. 1 Apol. 32,10 : Lc 1,35.

« 31. ‹Voici que tu vas être

enceinte, tu enfanteras un

fils et tu lui donneras le nom› de Jésus. 32. Il sera

grand et sera appelé fils du Très-Haut (…) 35. L’ange lui répondit : l’Esprit-Saint viendra sur toi et la

puissance du Très Haut te

couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera Saint et sera

appelé Fils de Dieu ».

« 4b. Au contraire, une puissance de Dieu,

descendant sur la vierge, l’a prise sous son ombre et l’a fait concevoir sans porter atteinte à sa virginité. 5a l’ange de Dieu (…) lui annonça la bonne nouvelle en ces termes : ‹Voici que tu

concevras de l’Esprit-Saint

et tu enfanteras un fils ; il sera appelé le Fils du

Très-Haut, tu lui donneras

le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés› (…) ».

« 20. « Il avait formé ce

projet, et voici que l’ange

du Seigneur lui apparut

en songe et lui dit : ‹Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de

l’Esprit. 21 et elle enfantera

un fils auquel tu donneras

le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».

quoi Justin Martyr se réfère à la prophétie d’une « pierre détachée sans le secours d’aucune

main humaine » (Dn 2,34). Pour la tradition chrétienne, cette pierre c’est Jésus le

Christ, né d’une Vierge (Dial. 70,1).

Lorsque Justin Martyr dit que Jésus est effectivement le « Fils du Très Haut » (1 Apol. 33,5b ; Lc 1,35), il y a une intention anti-docète dans cette argumentation. Il conçoit que l’Incarnation n’est pas le fait d’une mise en scène extérieure, mais renvoie à la réalité de l’Incarnation du Fils de Dieu et cela commence par cette annonce faite à Marie. Ainsi ce récit montre-t-il comment, dès la conception, le Christ est fils du Père Créateur de l’univers, Verbe fait chair, pour ramener au bien le genre humain.

Pour montrer que son témoignage est vrai, Justin Martyr s’appuie sur des témoins dignes de foi. « C’est là ce que nous avons appris de ceux qui ont consigné par écrit tout ce

qui concerne notre Sauveur Jésus le Christ ; nous les croyons parce que, comme nous l’avons dit, l’Esprit prophétique a annoncé sa future naissance par la bouche d’Isaïe (…) » (1 Apol.

33,5b)68

. Ici l’intention anti-marcionite est assez claire dans la mesure où, pour Marcion, les Apôtres n’avaient rien compris de la vie terrestre et de l’enseignement du Christ. En insistant sur la vérité de leur témoignage écrit, Justin Martyr redonne valeur aux Apôtres. L’Esprit-Saint assure une continuité entre les acteurs de l’histoire du salut dont Justin Martyr relie les chaînons (cf. 1 Apol. 33,5a ; Dial. 100,5) dans la reconstruction des origines chrétiennes. Tandis que l’ange de Dieu est chargé d’annoncer l’événement de la naissance attendue du Fils de Dieu, c’est par la Puissance provenant de Dieu, que cette annonce se réalisera. Ainsi la virginité de Marie n’est pas mise en cause car c’est par l’opération du Saint-Esprit, la Vertu du Très-Haut, qu’elle sera mère69

.

L’Esprit qui vient ainsi sur Marie désigne en elle l’identité de Celui qui est à la fois le Saint et le Fils de Dieu. Toutefois, Justin Martyr n’établit pas de limites bien claires entre l’Esprit et le Verbe. Car si l’Esprit est l’agent de l’Incarnation (cf. 1 Apol. 32,9.14 ; 33,4.5), l’auteur attribue aussi cette même fonction au Logos (Verbe) lui-même ; ce qui conduit à dire que, soit le Verbe est lui-même son propre auteur (cf. 1 Apol. 66,2), soit il est identifié à l’Esprit. Justin Martyr donne en une seule formule aussi bien l’annonce de ce qui adviendra à Marie et l’auteur du fait annoncé : « lorsqu’elle a reçu de ‹l’ange Gabriel›

la bonne nouvelle que ‹l’Esprit› du Seigneur ‹sur› elle ‹viendrait›, que ‹la Puissance du Très-

Haut la couvrirait de son ombre, si bien que l’être Saint qui naîtrait› d’elle serait ‹Fils de Dieu›. Et elle répondit : ‹qu’il en soit pour moi selon ta parole » (Dial. 100,5)70

. Ce passage,

qui s’inspire largement de Luc 1, 26.35.38, s’inscrit dans le contexte d’un développement anti-marcionite du Dialogue avec Tryphon (cf. Dial. 98-106)71

. L’Apologiste est préoccupé de montrer que tous les mystères de Jésus, dont ici précisément l’Incarnation, ont été annoncés. Il établit ainsi un lien irréversible entre Ève et Marie, entre les Ecritures et les écrits chrétiens. En s’appuyant sur les témoignages des Apôtres, il souligne, contre les Marcionites, la fidélité des disciples au message de leur Maître.

68 Cf. 1 Apol. 33,8 ; CH.MUNIER, 1995, p. 79 ; A.WARTELLE, 1987, p. 271. 69 G.HILION, 1949, dans H.DU MANOIR (éd.), 1949, p. 49.

70 Cf. CH.MUNIER, 2006, Justin Martyr. Apologie pour les chrétiens, p. 206-207. 71 Cf. Protév. Jac 11,2-3 ; 12,2 (Ecrits apocryphes chrétiens, 1997, Vol. I).

2. Marie dans la réalisation de l’Économie divine du Salut

En rapportant que Jésus « est né d’une vierge (…) », Justin Martyr atteste qu’il est né par l’intermédiaire d’une vierge72

. Ce rôle est rendu par trois prépositions : di£, œkou¢pÒ. L’expression œkou¢pÕ tÁj parq◊nou met l’accent à la fois sur la provenance humaine et miraculeuse du Christ ; di¦ parq◊nou sur le rôle de la Vierge, instrument de Dieu73

. Le rôle assumé par la Vierge est souligné plusieurs fois par Justin Martyr dans la formule « di¦ tÁj parq◊nou »74

. Ainsi dit-il du Christ qu’il « (…) doit venir, qu’il doit naître par (di£) une

vierge » (1 Apol. 31,7) ; ou qu’« il est né, par une puissance de Dieu, d’une (di£) vierge »

(1 Apol. 32,14) ; ou encore que « (…) le Christ est devenu homme, en naissant par une (di£) vierge » (1 Apol. 46,5 ; cf. 1 Apol 54,8 ; 63,16). L’usage de la particule di¦ était risqué parce qu’utilisé par les gnostiques qui considèrent que le Christ n’a rien pris de la Vierge et qu’il est simplement passsé, comme par un tuyau75

.

Par sa réponse, « qu’il en soit pour moi selon ta parole » (Dial. 100,5), Marie est la fi- gure antithétique d’Ève. Justin Martyr écrit : « C’est alors qu’elle était vierge, en effet, et

sans corruption, qu’Ève conçut la parole qui venait du serpent, et ‹enfanta› désobéissance et

‹mort›. C’est à l’inverse fidélité et ‹grâce› que ‹conçut› Marie la vierge (…) » (Dial. 100,5)76

. Alors que c’est le serpent qui s’était adressé à la première, l’ange prendra la parole devant Marie. Les deux femmes, selon Justin Martyr, sont dites vierges. Mais tandis qu’Ève fut séduite et a désobéi, Justin Martyr et la tradition chrétienne mettent en premier lieu la foi et le libre consentement de la Vierge Marie. « Ève se laissait guider par le serpent, ange de Dieu qui s’est retourné contre Dieu, Marie se laisse guider par un autre ange, Gabriel, porteur d’une bonne nouvelle »77

. Tandis qu’Ève avait enfanté désobéissance et mort, Marie enfante, en son temps, Celui par qui Dieu délivre les croyants de la mort78

. Ces correspondances antithétiques soulignent, note Michel Fédou, les différentes « manières d’exprimer l’unité de l’Economie divine : la désobéissance prend fin par la voie

72 Cf. 1 Apol. 46,5 ; 63,16 ; A.WARTELLE, 1987, p. 260 ; PH.BOBICHON, 2003, p. 700-701, note 4. 73 Voir di£ : 1 Apol. 31,7 ; 32,14 ; Dial. 23,3 ; 43,1 ; ¢pÒ : Dial. 43,7 ; 66,4 ; œk : Dial. 66,1 ; 70 ; 63,3.

Dans une période postérieure, Tertullien mettra en garde contre l’utilisation de la préposition di¦ qui serait teintée de Valentinianisme. En effet, les gnostiques valentiniens refusaient la formule œk tÁj parq◊nou car pour eux, le Christ était né « comme pour un passage plutôt que comme pour une génération ». Pour les Valentiniens, le Christ est venu au monde « transmeatorio potius quam generatorio more ». TERTULLIEN, Adv. Val, 27,1 (SC, 280 et 281).

74 Dial 23,3 ; cf. Dial 113,4 ; 120,1 (di¦ mar∂aj tÁj parq◊nou) ; 43,1 ; 48,2 ; 50,1 ; 57,3 ; 63,1 ; 87,2 ; 100,2.4 ; 105,1 ; 127,4 (di¦ tÁj parq◊nou) ; 45,4 ; 100,6 (di¦ tÁj parq◊nou taÚthj) ; 101,1 (di¦ tÁj) ; 84,2 (di¦ parqenikÁj mˇtraj) ; 63,3 (di¦ gastrÒj ¢nqrwpe∂aj) Autres emplois de di£ : Dial 75,4 ; 85,2 ; 87,2 ; 101,1 ; 105,1. Dial 43,7 ; 66,4 (¢pÕ parq◊nou) ; Dial 66,1 ; 70,5 ; 84,1 (œk tÁj parq◊nou). Voir A. WARTELLE, 1987, p. 260 (1 Apol 22,5).

75 Voir M.TARDIEU, 1981, « Comme à travers le tuyau. Quelques remarques sur le mythe valentinien de la chair céleste du Christ», dans B.BARC (éd.), 1981, Colloque international sur les textes de Nag Hammadi, p. 151-177 ; A.WARTELLE, 1987, p. 260.

76 Cf. Protév. de Jac 1,15 ; 12,2 (Ecrits Apocryphes chrétiens, 1997, Vol. I). 77 M.FÉDOU, 1984, p. 61.

même qui avait marqué son commencement »79

. Ainsi le péché étant entré dans le monde par une femme, c’est par une autre femme que la réparation devait être accomplie. Justin Martyr l’affirme avec netteté : « (…) nous comprenons aussi que par la vierge il s’est fait

homme, afin que par la voie même où la désobéissance causée par le serpent avait trouvé son principe, par cette même voie elle trouvât aussi la dissolution » (Dial. 100,4). Marie devient

ainsi la nouvelle Ève écrasant le serpent infernal. Dans le même sens, la ruine, la trans- gression et la mort (cf. Dial. 124,3.4), entrées par Ève, peuvent être rapprochées de la Rédemption et du Salut obtenus grâce à celle qui a dit « oui » à l’ange80

. Un tel parallé- lisme apparaît ici pour la première fois de façon explicite dans la tradition littéraire chrétienne81

. Justin Martyr l’établit afin de justifier la Naissance virginale du Christ et de le rattacher à la première femme, de situer le Christ dans l’histoire du Salut (cf. Acta

Iustini 4,8 ; Dial. 100 ; 102)82

.

Les mères stériles, qui ont enfanté par la puissance de Dieu, deviennent des figures de la mère du Messie. Les exemples auxquels l’Apologiste se réfère se retrouvent tant dans les écrits prophétiques que dans les écrits apostoliques. Il cite Samuel (cf. 1 Rois 1,20), Isaac de Sara (cf. Gn 21,2), Jean le Baptiste d’Élisabeth (cf. Lc 1,7.57). Les enfants ainsi nés miraculeusement (cf. Dial. 84,4) sont tous des types du Christ dont la naissance réalise toutes les annonces prophétiques et donne valeur à l’histoire du salut commencée avec Adam. Non seulement Marie y joue ainsi un rôle important mais aussi celui à qui elle fut accordée en mariage.

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