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2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.4 LES SOLDATS AETHIOPES DANS L’ANTIQUITÉ ROMAINE

2.4.2 Les soldats noirs : d’excellents archers

Le maniement de l’arc était l’une des spécialités des soldats noirs pendant l’Antiquité. Dans les armées où ils étaient employés beaucoup étaient directement rattachés aux troupes d’archers. Nous savons grâce à Hérodote431 que dès le Ve siècle avant notre ère les Aethiopes

se félicitaient de leur supériorité dans cet art. L’historien raconte que leur roi, afin de dissuader Cambyse d’attaquer l’Éthiopie, lui offrit un arc en le conseillant de venir lui faire la guerre lorsque les Perses pourraient bander l’arme aussi facilement que lui. R. Lonis432 voit dans le

geste du roi Éthiopien un défi et l’expression de son entière confiance en la capacité guerrière de ses troupes et en l’efficacité de leur tir.

En revanche chez les auteurs latins, cette renommée n’est mentionnée que bien plus tardivement. On pourrait croire qu’une des premières évocations de ce talent des soldats noirs dans la littérature latine est le fait d’Horace, qui écrit dans les Odes :

Paene occupatam seditionibus deleuit urbem Dacus et Aethiops, hic classe formidatus, ille missilibus melior sagittis.

« Rome en proie aux séditions a presque été détruite par le Dace et par le Noir, l’un redoutable par sa flotte, l’autre supérieur par les flèches qu’il lance »433.

Horace énoncerait-il la supériorité des soldats noirs dans l’archerie (ille [‘Aethiops’]

missilibus melior sagittis, ‘l’autre [le Noir] supérieur par les flèches qu’il lance’) ? En réalité,

il convient de prêter attention aux utilisations de hic et de ille en latin. Ici, comme c’est la règle,

hic renvoie à celui dont on vient de parler, l’« Éthiopien », et ille au plus éloigné dans la phrase,

le Dace. Notre traduction, pour être plus précise en supprimant toute ambiguïté, pourrait être :

Blacks in Antiquity, p. 224-225, fig. 82 : Negroid mahout and elephant and detail of the mahout, Terra cotta from

Pompeii.

430 ID., op. cit., p. 213.

431 HÉRODOTE, Histoires 3, 21.

432 R. LONIS, « Les Éthiopiens du pseudo-Scylax ; mythe ou réalité géographique ? » dans Revue française

d'histoire d'outre-mer, t. 66, n°242-243, 1er et 2e trimestres 1979, p. 101-110, ici p. 106. 433 HORACE, Carmina 3, 6, 14.

137 « ce dernier redoutable par sa flotte, l’autre supérieur par les flèches qu’il lance ». Il n’est pas indifférent d’avoir à donner cette précision, car une idée reçue verrait volontiers le Noir en spécialiste de l’arc — comme on le lisait ci-dessus chez Hérodote et comme on le verra ci-après dans le domaine latin. Ici, cette idée reçue ne fonctionne pas. Horace fait allusion à l’affrontement entre Octave et Antoine, et spécialement à la bataille d’Actium. Dans ces circonstances, les Daces avaient pris le parti d’Antoine, comme l’indique Dion Cassius434. Ils

étaient célèbres pour leur habileté à l’arc435. Quant aux « Éthiopiens » d’Horace, ils désignent

ici les forces (navales) de Cléopâtre436 : en fait, soixante bateaux sur les 500 que Plutarque

attribue à Antoine437. C’est-à-dire que les « Éthiopiens » ne sont ici rien d’autre que les

« Égyptiens ».

2.4.2.1 Les soldats Aethiopes aux flèches empoisonnées

Cette habileté des Noirs à tirer à l’arc, Pline l’Ancien l’a retrouvée particulièrement chez un groupe d’Éthiopiens qui surpassent tous les autres en la matière. Ils sont appelés les maritimi

Aethiopes et localisés approximativement au bord de la mer Rouge. Pline écrit à leur sujet :

Regio supra Sirbitum, ubi desinunt montes, traditur a quibusdam habere maritimos Aethiopas, Nisicathas, Nisitas, quod significat ternum et quaternum oculorum uiros, non quia sic sint, sed quia sagittis praecipua contemplatione utantur.

« La région au-dessus de Sirbitum, où s’arrêtent les montagnes, renferme, d'après quelques auteurs, les Éthiopiens maritimes, les Nisicathes, les Nisites, mot qui signifie homme à trois et quatre yeux, non qu'ils soient faits ainsi, mais parce que ce sont d’excellents archers »438.

Pline explique que les termes ‘Nisicathes’ et ‘Nisites’ veulent dire « hommes à trois et quatre yeux ». De surcroît, il précise que, s’ils portent ces appellatifs, ce n’est point parce qu’ils sont faits ainsi (non quia sic sint) mais plutôt « parce que ce sont d’excellents archers ». Cette tribu n’est donc pas à compter parmi les mirabilia qu’on retrouve dans cette région. Son nom vient des capacités de ses membres à atteindre leur cible dans l’exercice du tir à l’arc. D’après Desanges, « l’élément commun *Nis ou *Nisi, peut-être déformé, devait donc signifier ‘œil’ dans leur langue (sans doute un dialecte troglodytique, idiome parlé par la Grande Cléopâtre). […] L’explication de Pline semble bien rationaliste ! Il pourrait s’agir plutôt de la désignation

434 DION CASSIUS 51, 22, 8.

435 Voir R.G.M. NISBET et N. RUDD, A Commentary on Horace, Odes, Book III, Oxford, University Press, 2004,

p. 105 : « the Dacians, like other northern people, were associated with archery » ; cf. Silius Italicus 1, v. 324 sq.

436 R.G.M. NISBET et N. RUDD, op. cit., p. 104 : « Aethiops is a derogative way of describing the Egyptian forces

of Cleopatra ».

437 PLUTARQUE, Vie d’Antoine 61, 1.

138 de clans dans une organisation totémique dont nous ne connaîtrons jamais le mythe fondateur »439. Demeure cependant l’affirmation plinienne de la supériorité de ces gens dans le

maniement de l’arc.

En outre, l’usage des flèches était très répandu dans cette région voisine de la Mer Rouge. En effet, un commerce très florissant se développait entre l’Éthiopie orientale, l’Arabie et l’Inde. Mais les voies maritimes empruntées par les marchands étaient infestées de pirates. C’est pourquoi selon Pline on recrutait des cohortes d’archers pour escorter les navires et écarter les brigands qui peuplaient ces mers (sagittariorum cohortibus inpositis ; etenim piratae

maxime infestabant)440. Nous ignorons l’ethnie des archers que Pline a évoqués dans ce passage.

Toutefois, ils ont deux particularités, qui leur donnent une similitude avec les Nisicathes et les Nisites évoqués plus haut. La première, c’est qu’en effet ce sont tous des archers qui maîtrisent les techniques de la navigation. La seconde, c’est qu’ils avaient l’habitude, comme le dit Pline l’Ancien, d’empoisonner leurs flèches441 pour provoquer des dommages plus importants.

Beaucoup savaient que les archers noirs utilisaient cette astuce à la guerre. Nous savons, grâce à Claudien par exemple, que cette pratique était encore courante chez les archers noirs aux IVe

et Ve siècles de notre ère. Le poète écrit dans un éloge adressé à Stilicon :

Sed didicit non Aethiopum geminata uenenis uulnera, non fusum crebris hastilibus imbrem, non equitum nimbos Latiis obsistere pilis.

« Mais il a appris que ni la double blessure causée par les traits empoisonnés des Noirs, ni la pluie de flèches qui tombe dense, ni les nuées de cavaliers, ne résistent aux javelots romains »442.

Il est clair que cette pratique « éthiopienne » consistant à empoisonner les flèches a traversé les siècles. Claudien ne fait que la rappeler, car Pline l’Ancien443, comme nous venons

de le dire, l’avait déjà évoquée au premier siècle de notre ère. Contrairement à Pline qui qualifiait les Noirs d’excellents archers, Claudien ne vise pas à mettre en valeur leurs qualités guerrières et leurs pratiques coutumières. Il cherche plutôt à exalter la grandeur de l’armée romaine commandée par Stilicon. Dans ce but, il présente les archers noirs ennemis de Rome d’une manière exceptionnelle en attirant l’attention sur leur caractère redoutable (Aethiopum

439 Cf. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, Livre 6, 4e partie, Texte établi, traduit et commenté par

J. DESANGES, Paris, Les Belles Lettres, 2008, ici 6, 194, note 1.

440 PLINE L’ANCIEN, Naturalis historia 6, 101.

441 J. Desanges note que cette pratique était très courante chez les riverains du golfe d’Aden. Il signale un passage

de Pline l’Ancien, Naturalis historia 6, 176 où une tribu d’Arabes, les Ascites ou Ascitae, le faisait également. Ils sont associés aux pirates mentionnés plus haut et se servent selon J. Desanges « d’outres (du grec Ἀσκóς) en guise de flotteurs pour leurs radeaux ». Cf. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, Livre 6, 4e partie, Texte établi, traduit

et commenté par J. DESANGES, Paris, Les Belles Lettres, 2008, ici 6, 176, note 1.

442 CLAUDIEN, De consulatu Stilichonis 1, 351.

139

geminata uenenis uulnera, ‘la double blessure causée par les traits empoisonnés des Noirs’). La

phrase finale de ce passage (non… Latiis obsistere pilis, ‘ne résistent aux javelots romains’) prend tout son sens et magnifie la victoire de l’armée romaine sur des adversaires aussi habiles que dangereux. Claudien reconnaît la gloire et le mérite dus à Stilicon et à ses troupes. Il célèbre de la même manière le triomphe de Stilicon sur le Maure Gildon en disant :

Post domitas Arctos alio prorupit ab axe tempestas et, ne qua tuis intacta tropaeis

pars foret, Australis sonuit tuba : mouerat omnes Maurorum Gildo populos, quibus inminet Atlans et quos interior nimio plaga sole relegat, quos uagus umectat Cinyps et proximus hortis Hesperidum Triton et Gir notissimus amnis Aethiopum, simili mentitus gurgite Nilum ; uenerat et paruis redimitus Nuba sagittis

et uelox Garamans, nec quamuis tristibus Hammon responsis alacrem potuit Nasamona morari.

« Les Ourses sont à peine domptées que depuis l'autre extrémité du monde s’est précipitée une tempête et, pour qu’aucune région ne reste à l’écart de tes trophées, la trompette a résonné au midi : Gildon avait soulevé tous les peuples des Maures que domine l'Atlas, ceux qui sont relégués dans la zone intérieure sous un soleil ardent, ceux que baignent le tortueux Cinyphe, le Triton voisin du jardin des Hespérides, et le Gir, le fleuve le plus notable chez les Éthiopiens, qui voudrait, par le bouillonnement semblable de ses eaux, se faire passer pour le Nil ; il avait été rejoint par le Nubien ceint de ses petites flèches et le Garamante rapide, et Hammon, malgré ses sinistres oracles, n’avait pu retarder le Nasamon plein d’entrain »444.

L’évocation de tous ces peuples alliés de Gildon, ainsi que la mention de leurs spécialités guerrières, montre que Claudien cherche à donner plus d’éclat à la victoire de Stilicon. Il les associe à la défaite du général maure en précisant les qualités qui les caractérisent. D’abord, Claudien présente le Nubien445 avec ses petites flèches (paruis redimitus Nuba sagittis, « le Nubien ceint de ses petites flèches »). D’après Silius Italicus, les Nubiens sont exusti, c’est-à-dire complètement brûlés. Ils sont considérés comme des Aethiopes (des Noirs),

et ont en commun avec les Aethiopes maritimi certaines pratiques guerrières, à savoir l’empoisonnement de leurs armes446, dont nous avons parlé plus haut. Ensuite, c’est « la rapidité

du Garamante447 » (uelox Garamans) qui est signalée. Mais Claudien semble confondre ici les

Garamantes avec les Troglodytes éthiopiens dont on448 dit qu’ils sont les plus rapides à la course

à pied de tous les hommes. En effet, les Garamantes sont connus pour la chasse qu’ils donnent avec leurs chars à quatre chevaux à ces Troglodytes. C’est sans doute à cause de la puissance de ces chevaux que Claudien leur attribue cette qualité. Enfin, il signale la vivacité du Nasamon (alacrem Nasamona) pour terminer la liste des partenaires de Gildon. Il faut remarquer que

444 CLAUDIEN, op. cit., 1, 246.

445 Cf. J., DESANGES, Catalogue des tribus africaines de l'Antiquité classique à l'Ouest du Nil, Université de

Dakar, Faculté des lettres et sciences humaines, publications de la section d'histoire, n° 4, Dakar, 1962, p. 194-196.

446 SILIUS ITALICUS, Punica 3, 270-273. Contrairement aux Aethiopes maritimi, les Nubae n’empoisonnent pas

leurs flèches, mais plutôt leurs lances et leurs javelots.

447 Cf. J., DESANGES, op. cit., p. 93-96.

140 c’est ici le seul endroit dans la littérature latine où les Nasamons, cités de nombreuses fois par les écrivains antiques, sont qualifiés de alacres. L’une des histoires les plus rapportées à leur sujet est celle qui raconte le voyage des jeunes Nasamons qui, d’après Hérodote449, allaient en

direction du Zéphyr (vers l’Ouest) et étaient arrivés chez de petits hommes Noirs après avoir traversé le désert. La seule information importante dans la mention de ces Noirs par les Nasamons est que ces derniers s’estimaient plus clairs que leurs hôtes. L’évocation des Nasamons par Claudien est selon Desanges un emploi purement poétique450.

Nous avons montré que les Noirs avaient une parfaite maîtrise du tir à l’arc. Mais leur connaissance de cet art n’est mentionnée par les auteurs latins que vers la fin du Ier siècle avant

J.-C. et le début du Ier siècle de notre ère. Ces écrivains les percevaient comme des archers

excellents mais surtout redoutables d’une part, en raison de leur capacité à atteindre facilement leur cible ; et d’autre part à cause de leurs flèches empoisonnées451 qui faisaient une double

blessure. En somme, les archers noirs constituaient un apport considérable pour les armées dans lesquelles ils combattaient. Par ailleurs, des textes révèlent que les soldats noirs enrôlés dans l’infanterie ont occupé une place importante et joué un rôle capital pendant les différentes guerres auxquelles ils participèrent pendant l’Antiquité.

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