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2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.3 LES AETHIOPES DANS LE THÉÂTRE À ROME

2.3.1 Les acteurs noirs dans le théâtre

2.3.1.3 Des acteurs noirs à l’époque impériale

Des acteurs noirs sont signalés plusieurs fois pendant cette période riche en événements et en spectacles. Il existe des témoignages littéraires et artistiques qui les présentent dans différentes situations, c’est-à-dire comme acteurs, mais aussi comme spectateurs.

Un passage de Pline l’Ancien montre deux Noirs dans le cortège des funérailles d’un oiseau tué par un cordonnier. Il s’agit certes d’un récit un peu légendaire, mais qui mérite d’être évoqué et analysé. Pline écrit :

Hunc siue aemulatione uicinitatis manceps proximae sutrinae siue iracundia subita, ut uoluit uideri, excrementis eius posita calceis macula, exanimauit, tanta plebei consternatione, ut primo pulsus ex ea regione, mox interemptus sit funusque aliti innumeris celebratum exequiis, constratum lectum super Aethiopum duorum umeros, praecedente tibicine et coronis omnium generum ad rogum usque, qui constructus dextra uiae Appiae ad secundum lapidem in campo Rediculi appellato fuit.

« Ce corbeau fut tué par un cordonnier du voisinage, soit par jalousie, soit sous l’emprise d’une colère soudaine, comme il voulut le faire croire, parce que l'oiseau, de ses excréments, lui avait taché des chaussures ; ce qui causa dans le peuple une si grande agitation que le cordonnier fut d'abord chassé du quartier, puis assassiné. Le cortège funèbre de l’oiseau fut suivi par une foule innombrable ; le lit funéraire fut porté sur les épaules de deux Éthiopiens précédés par un joueur de flûte, avec des couronnes de toutes sortes, jusqu'au bûcher, qui avait été élevé à droite de la voie Appienne, à la deuxième borne, à l’endroit appelé ‘champ de Rédiculus’ »388.

Même si l’on n’est pas à proprement parler au théâtre, les deux Noirs sont employés comme acteurs dans ces funérailles. Ils portent sur leurs épaules le lit funèbre de l’oiseau. Pline donne à l’anecdote toute sa vraisemblance en indiquant de manière précise l’endroit où le

124 bûcher fut élevé : qui constructus dextra uiae Appiae ad secundum lapidem in campo Rediculi

appellato fuit, « il avait été élevé à droite de la voie Appienne, à la deuxième borne, à l’endroit

appelé ‘champ de Rediculus’ ». Il est vrai que le texte ne donne pas beaucoup de détails sur les deux acteurs évoqués dans ces funérailles ; les circonstances dans lesquelles ils sont mentionnés ne permettent pas non plus d’étudier réellement ces personnages. En revanche, nous trouvons chez Suétone un exemple certain de l’utilisation d’acteurs noirs dans des spectacles publics. Dans le chapitre 57 de la Vie de Caligula, le biographe révèle les présages qui annoncèrent la mort de l’empereur, et c’est alors qu’il indique que des Égyptiens et des Éthiopiens avaient été choisis pour jouer une scène en rapport le monde infernal :

Sacrificans respersus est phoenicopteri sanguine ; et pantomimus Mnester tragoediam saltauit quam olim Neoptolemus tragoedus ludis quibus rex Macedonum Philippus occisus est egerat ; et cum in Laureolo mimo, in quo actor proripiens se ruina sanguinem uomit, plures secundarum certatim experimentum artis darent, cruore scaena abundauit. Parabatur et in noctem spectaculum quo argumenta inferorum per Aegyptios et Aethiopas explicarentur.

« Au cours d'un sacrifice, il fut éclaboussé par le sang d'un flamant ; le pantomime Mnester dansa dans une tragédie que l'acteur Néoptolème avait jouée autrefois lors des jeux durant lesquels Philippe, roi de Macédoine, fut assassiné ; pendant la représentation du Laureolus, mime dans lequel un acteur s'élance dans le vide et vomit du sang, plusieurs des seconds rôles voulant faire la preuve de leur talent, la scène fut inondée de sang. On préparait aussi pour la nuit un spectacle qui devait développer des thèmes infernaux en ayant recours à des Égyptiens et à des Éthiopiens »389.

Ce témoignage révèle la présence d’acteurs noirs dans un spectacle nocturne. Le choix de ces personnages pour « développer des thèmes infernaux », comme l’écrit Suétone, soulève la question de la symbolique de la couleur de peau noire. En effet, suivant une croyance superstitieuse romaine très répandue, la rencontre ou l’apparition d’un homme à la peau foncée était un présage funeste. Nous l’avons vu dans deux récits : celui de l’Histoire Auguste390 qui

explique l’étrange rencontre de Septime Sévère avec un soldat noir, et celui de Florus391 qui

signale l’apparition d’un Noir à Brutus juste avant la mort de celui-ci. Dans les deux cas, l’homme noir symbolise le monde infernal comme il est suggéré dans la représentation théâtrale précédant la mort de Caligula. On touche ici à l’un des aspects importants de la manière romaine de percevoir l’homme noir.

Outre ces témoignages littéraires, il existe des œuvres d’art antique qui présentent des acteurs offrant des traits physiques propres aux Noirs. Ce sont généralement des modèles aux nez camus, aux lèvres épaisses et aux cheveux crépus. On note ces caractéristiques sur une

389 SUÉTONE, Gaius 57, 4.

390 HISTOIRE AUGUSTE, Septimus Seuerus 22, 4-5. Voir notre chapitre sur ‘L’étrange apparition d’un soldat

noir à Septime Sévère’, p. 148-151.

125 statuette en bronze que Snowden a signalée à Houston en précisant qu’il s’agit d’ « un acteur- phlyaque dont l’expression intense, comme extatique, et la torsion du corps donnent à penser qu’il exécute une danse guerrière indigène »392.

Image 12 - Statuette d’acteur phlyaque. Ier siècle av. ou Ier ap. J.-C. Bronze. Houston, collection D. et J. de

Ménil393.

Une autre statue conservée au musée national de Naples présente un jeune noir plein de vigueur. Selon Snowden, elle est « considérée comme étant celle d’un chanteur ou acteur noir du IIe siècle apr. J.-C. ; peut-être égala-t-il en célébrité Glycon, acteur tragique sous le règne de

Néron, […], que l’empereur affranchit en versant, pour prix de son rachat, trois cent mille sesterces à l’un de ses maîtres »394.

Image 13 - Statut de chanteur ou d’acteur. Prov. Environs de Naples. IIe siècle ap. J.-C. Marbre blanc. Naples,

Museo Nazionale395.

La célébrité de ce Glycon est louée par le poète Perse dans la Satire 5 qu’il offre à son ami Cornutus396. Mais les détails que Snowden révèle proviennent de l’œuvre de ce même

392 Fr. M. SNOWDEN, « Témoignages iconographiques sur les populations noires dans l’Antiquité gréco-

romaine », p. 133-245, dans J. VERCOUTTER et Al., op. cit., p. 229.

393 ID., op. cit., p. 228, fig. n°297-298. 394 ID., op. cit., p. 224.

395 ID., op. cit., p. 225, fig. n°291-292. 396 PERSE, Satire 5, 9.

126 Cornutus intitulé Commentum Cornuti in Persium. L’auteur consacre dans cette exégèse une scholie où il décrit Glycon en ces termes :

Hic fuit staturae longae, corporis fusci, labio inferiore demisso.

« Il avait grande taille, la peau sombre et la lèvre inférieure tombante »397.

Tous ces témoignages nous amènent à conclure que les auteurs et les artistes romains accordaient aux acteurs noirs une place importante dans leurs représentations. Comme l’écrit Snowden, « le rôle d’Éthiopien faisait partie du répertoire théâtral »398 à Rome. Mais les Noirs

n’étaient pas seulement des acteurs ou des figurants au théâtre ; ils étaient aussi musiciens, danseurs ou équilibristes.

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