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2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.2 LES AETHIOPES DANS LE CIRQUE ET DANS LES SPECTACLES

2.2.2 Les Aethiopes dans les activités sportives

2.2.2.2 Des Aethiopes pugilistes et lutteurs

Les témoignages qui attestent la présence de boxeurs et de lutteurs noirs dans l’antiquité romaine ne sont pas rares. On dispose aussi bien dans les œuvres d’art antiques que dans la littérature latine d’informations qui, mises en confrontation, permettent de confirmer leur existence et surtout leur participation aux jeux organisés dans le cirque ou dans les thermes. Le Musée archéologique national de Paestum conserve une fresque qui présente une scène de pugilat354. Cette fresque remonte certes à une époque355 que nous n’avons pas intégrée dans

notre étude, mais nous ne pouvons refuser de l’évoquer dans le présent contexte, où nous examinons la présence des pugilistes noirs dans le monde romain.

Image 7 - Scène de pugilat. Prov. Paestum (nécropole). Fresque (détail). Seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.

Paestum, Museo Archeologico Nazionale.

L’artiste met en scène deux personnages qui se tiennent face à face. Ils ont chacun la main gauche tendue en avant pour se protéger des coups, la main droite en arrière pour en donner. Selon A. Ridder, cette position était généralement adoptée par tous les boxeurs de l’époque antique. Il écrit en effet qu’« une fois aux prises, les pugilistes ont d'ordinaire le bras gauche allongé pour parer et le poing droit ramené en arrière pour frapper avec plus de force. Souvent un trépied sépare les deux combattants et indique le prix du combat, mais les silhouettes des agonistes diffèrent peu entre elles ; seuls les avant-bras sont, plus ou moins levés et parfois se croisent à demi. […]. D'autres fois le bras droit est tendu en avant pour frapper, et

354 Scène de pugilat. Prov. Paestum (nécropole). Fresque (détail). Seconde moitié de IVe siècle av. J.-C. Paestum,

Museo Archeologico Nazionale, 21522. Cf. Fr. M. SNOWDEN, « Témoignages iconographiques sur les populations noires dans l’Antiquité gréco-romaine », p. 133-245, dans J. VERCOUTTER et Al., op. cit., p. 183. Fig. n° 228.

112 c'était sans doute pour le faire de plus loin et avec plus de force que certains pugilistes se tenaient sur la pointe des pieds »356. Cette description correspond bien à ce que l’on observe sur

la fresque. On y voit presque tous les détails : les mains bandées et tendues, le trépied, etc. On peut certes en déduire que l’artiste connaissait bien cette pratique sportive. Mais l’élément essentiel que nous retiendrons de ce tableau est la couleur de peau de l’un des athlètes. Selon Snowden, il ne présente peut-être pas de traits physiques négroïdes accentués, mais il aurait « la peau indubitablement noire »357. Il s’agit sans doute d’un Noir qui affronte un Blanc.

L’intention de l’artiste qui met en scène cet Aethiops est significative. Il s’agit bien sûr d’évoquer l’origine ethnique du concurrent, mais surtout de souligner sa forte originalité, en même temps que de témoigner de la participation des étrangers à ces compétitions.

Deux terres cuites358 représentant des boxeurs noirs sont signalées par Snowden359 au British Museum. Les deux personnages sont dans une position presque identique à celle adoptée

par les athlètes de la fresque de Paestum. Celui de droite a les deux jambes rectilignes. Le corps est un peu penché en arrière, une main protégée par le caestus et soulevée en avant pour se protéger des coups que l’adversaire est sur le point de lui porter. L’autre personnage, dont l’aspect est plus jeune, avance son pied gauche, relève et tire le bras droit vers l’arrière comme pour porter un coup, le bras gauche avancé pour se défendre360.

La réflexion qui s’impose devant ces œuvres artistiques est qu’elles nous renseignent mieux sur la posture des pugilistes de l’antiquité — qu’ils soient d’ailleurs Noirs ou qu’ils ne le soient pas — que des textes littéraires très imprécis sur ce sujet.

Les textes latins qui décrivent des pugilistes noirs sont rares pour ne pas dire inexistants. De toute la littérature latine, le livre VII de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien est l’unique endroit où le nom d’un pugiliste noir soit mentionné. Il s’agit du byzantin Nicée qui a hérité de son grand-père maternel sa couleur de peau noire. Pline écrit à son sujet :

356 A. DE RIDDER, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, s. u. pugilatus, p.

758, col. de gauche.

357 Fr. M. SNOWDEN, « Témoignages iconographiques sur les populations noires dans l’Antiquité gréco-

romaine », p. 133-245, dans J. VERCOUTTER et Al., op. cit., p. 176. Voir aussi Fr. M. SNOWDEN, op. cit., p. 183, fig. n°228.

358 Cf. Fr. M. SNOWDEN, ibid., Terra-cotta statuettes of boxers, late Hellenistic – tightly curled hair close to head,

broad nose, thick lips. H. B. WALTERS, Catalogues of the Terracottas in the Departmet of Greek and Roman

Antiquities, British Museum (London 1903) D-84 and D-85.

359 Fr. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity : Ethiopians in the Graeco-Roman Experience, Cambridge, Mass.,

1970, p. 77, fig. n°49.

113 Indubitatum exemplum est Nicaei nobilis pyctae

Byzanti geniti, qui, adulterio Aethiopis nata matre nihil a ceteris colore differente, ipse auum regenerauit Aethiopem.

« Un exemple indiscutable est celui du célèbre pugiliste Nicée, né à Byzance, qui, alors que le teint de sa mère, née d’un adultère avec un Noir, ne différait en rien des gens ordinaires, faisait pour sa part revivre son grand-père Noir »361.

Dans ce passage, Pline n’a pas pour intention de traiter spécifiquement des pugilistes, mais de questions d’adultère et d’hérédité génétique. Mais il souligne la personnalité et la renommée de Nicée : Nicaei nobilis pyctae, « du célèbre pugiliste Nicée ». Si l’on s’intéresse à la pratique sportive de l’athlète, ce renseignement est certes important, car il nous informe sur le personnage. Toutefois, cette information ne nous apprend rien de plus que la célébrité de Nicée. Pourtant, hormis sa couleur de peau, noire, il serait intéressant d’en savoir davantage sur son portrait physique. Il n’existe aucune indication à ce propos, ni d’ailleurs à propos de ses exploits. Peut-être que le fait d’avoir une peau noire, qui supporte mieux la chaleur, a été un avantage pour lui, étant donné que les athlètes devaient combattre nus sous le soleil. De fait, la capacité de supporter les rayons solaires était considérée comme une des qualités nécessaires aux boxeurs. Selon A. De Ridder, « les qualités requises du pugiliste étaient multiples. L'endurance ne lui était pas moins nécessaire pour supporter la chaleur que pour soutenir la force des coups, car les concours publics avaient lieu le plus souvent, comme à Olympie, dans le fort de l'été et le pugilat prenait place l'après-midi pendant les heures les plus chaudes et se prolongeait parfois jusqu'à la nuit, alors que l'ardeur de la canicule incommodait jusqu'aux simples spectateurs »362.

Il existe une certaine ressemblance entre la pratique du pugilat et celle de la lutte363, et

l’on ne peut pas se contenter d’étudier les représentations des pugilistes noirs sans parler de celles des lutteurs. Alors que dans le premier cas, nous disposons, comme on vient de le voir, de plusieurs fresques et mosaïques ainsi que d’un texte littéraire, dans le second, nous constatons que les textes ainsi que les œuvres artistiques sont rares. Toutefois, il existe dans les

Épigrammes de Martial un passage ou le poète mentionne un maître de palestre nommé

Pannychus, à qui il attribue la paternité du fils de Marula : At ille sima nare, turgidis labris

Ipsa est imago Pannychi palaestritae. « Mais celui-là, avec le nez camus, les lèvres gonflées, est l’image même du maître de palestre Pannychus »364.

361 PLINE L’ANCIEN, Naturalis historia 7, 51.

362 A. DE RIDDER, op.cit., s. u., pugilatus, p. 757, col. de gauche.

363 Certains considèrent que le pugilat et la lutte sont identiques. Nous préférons traiter séparément ces deux types

de sport, car nous pensons qu’il y a une différence dans la pratique : les coups de poing donnés par les pugilistes.

114 Ce passage de Martial soulève, comme la célèbre controverse Natus Aethiops, la question de l’adultère des matrones qui trompent leurs époux avec des Aethiopes. Marula est accusée d’avoir trompé son mari avec Pannychus, qui est un sportif noir. C’est grâce à la description des traits physiques de l’enfant « au nez camus » (sima nare) et « aux lèvres gonflées » (turgidis labris) que nous découvrons l’appartenance ethnique de ce personnage. Il est important de le souligner car nous savons que les matrones romaines aimaient à fréquenter, tout autant que les gladiateurs, les sportifs étrangers et « exotiques » comme Pannychus. Martial le montre en termes clairs dans l’emploi du mot palaestrita. En effet, la palaestra (‘palestre’) est une école de gymnastique où l’on pratique la lutte et les exercices du corps. Pannychus est un maître de palestre, donc un lutteur confirmé. Les vers de Martial font de lui l’un des rares lutteurs noirs célèbres que la littérature latine nous révèle. Ils suggèrent aussi qu’il pouvait exister d’autres personnages semblables à lui.

Outre ce témoignage littéraire, il existe un témoignage iconographique datant du IIIe siècle signalé par J. Desanges365.

Image 8 - Mosaïque des lutteurs. Prov. Thina. IIIe siècle ap. J.-C. Sfax, Musée archéologique366. (Ici la partie

inférieure).

Il s’agit d’une mosaïque367 provenant de Thina et conservée au Musée de Sfax. Elle est

composée de deux registres avec chacun quatre lutteurs. La scène doit se dérouler dans une

365 J. DESANGES, « L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans

J. VERCOUTTER et Al., op. cit., ici p. 266.

366 Cf . J. DESANGES, « L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans

J. VERCOUTTER et Al., op. cit., ici p. 266, fig. n°362.

367 Mosaïque des lutteurs. Prov. Thina. IIIe siècle apr. J.- C. 240 x 136 cm. Sfax, Musée archéologique. Voir J.

DESANGES, « L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans J. VERCOUTTER et

115 palestre. Il est fort probable que ce soit une scène d’entraînement. La partie supérieure représente deux lutteurs en contact et deux autres qui les observent. Mais la partie dont nous donnons ci-dessus la reproduction concerne le registre inférieur. On y voit quatre lutteurs en position de combat et qui s’affrontent deux à deux. Selon J. Desanges, « l’un des quatre […], le second à partir de la gauche, est franchement mélanoderme, mais ses traits sont peu négroïdes »368. Malgré ce caractère incomplet de la représentation du personnage, il paraît bien

possible de reconnaître en lui un Aethiops.

Après les nageurs, les pugilistes et les lutteurs, nous aborderons dans un dernier ensemble la présence des Noirs dans les combats du cirque.

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