• Aucun résultat trouvé

2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.4 LES SOLDATS AETHIOPES DANS L’ANTIQUITÉ ROMAINE

2.4.3 Les fantassins noirs dans la guerre

2.4.3.4 L’étrange apparition d’un soldat noir à Septime Sévère

Dans le livre consacré à la vie de Septime Sévère, l’Histoire Auguste a aussi mentionné la présence d’un soldat noir parmi les troupes basées en Grande-Bretagne. La description de ce type se trouve au début du chapitre 22 où le biographe traite des présages de la mort de l’empereur. On peut lire :

Post murum apud uallum uisum in Britannia cum ad proximam mansionem rediret non solum uictor, sed etiam in aeternum pace fundata, uoluens animo quid ominis sibi occurreret, Aethiops quidam e numero militari, clarae inter scurras famae et celebratorum semper iocorum, cum corona e cupressu facta eidem occurrit. Quem cum ille iratus remoueri ab oculis praecepisset et coloris eius tactus omine et coronae, dixisse ille dicitur ioci causa : « totum fudisti, totum uicisti, iam deus esto uictor ». Et ciuitatem ueniens cum rem diuinam uellet facere, primum ad Bellonae templum ductus est errore haruspicis rustici, deinde hostiae furuae sunt adplicitae. Quod cum esset aspernatus atque ad Palatium se reciperet, neglegentia ministrorum nigrae hostiae et usque ad limen domus Palatinae imperatorem secutae sunt.

« Après avoir vu le mur et le rempart de Bretagne, il revenait au poste le plus proche, non seulement victorieux, mais ayant établi une paix perpétuelle, l’esprit occupé par le présage qui se présenterait à lui, lorsque surgit devant lui, une couronne de cyprès sur la tête, un Noir d’un corps de troupe, de grande réputation parmi les bouffons et dont les plaisanteries ne manquaient jamais de public. Impressionné par le présage contenu dans la couleur de cet homme et dans sa couronne, il fut pris de colère et ordonna de le mettre hors de sa vue ; mais l’autre, dit-on, lui jeta en matière de plaisanterie : « Tu as tout mis en déroute, tu as tout vaincu : sois maintenant, vainqueur, un dieu ». Arrivé à Rome, et voulant faire un sacrifice, il fut d’abord conduit par l’erreur d’un haruspice balourd au temple de Bellone, puis on lui présenta des victimes sombres. Il les repoussa et partit vers le palais ; mais la négligence des prêtres fit que les victimes noires suivirent l’empereur jusqu'à sa porte »480.

L’un des premiers présages qui se sont donc présentés à l’empereur est un Aethiops, ‘un Noir’. Ce personnage n’est pas du tout ordinaire. Selon les termes employés par le biographe, il est Aethiops quidam e numero militari, c’est-à-dire « un Noir d’un corps de troupe ». De plus,

148 il avait une « grande réputation parmi les bouffons » (clarae inter scurras famae) et ses « plaisanteries ne manquaient pas de public » (celebratorum semper iocorum).

Les numeri sont des « troupes formées de soldats originaires de pays autres que ceux où elles stationnaient […]. Elles étaient recrutées aussi bien en Orient qu’en Occident et naturellement chez les peuples guerriers dont on pouvait attendre un emploi utile dans l’armée romaine »481. Le numerus était nommé selon la provenance des hommes qui le formaient. C’est

pourquoi en disant que le soldat Noir en question faisait partie d’un numerus Maurorum, Snowden482 a apporté une précision intéressante sur le corps auquel le type appartenait. Son

propos ne doit pas être négligé dans la mesure où nous savons que les Aethiopes ont servi sous l’enseigne des Carthaginois ou des Maures depuis de nombreux siècles. Il existe entre ces peuples une longue tradition de mercenariat. Il est tout fait possible que lors de leur recrutement dans les légions romaines, les soldats Aethiopes soient regroupés dans le même numerus avec les Mauri. L’emploi par les Romains de légions composées de mercenaires ou d’auxiliaires étrangers, y compris des Aethiopes483, pour garder les provinces était déjà assez courant à

l’époque impériale. R. Cagnat explique que « dès le Ier siècle, ils (sc. les Romains) firent appel

à des milices indigènes qu'ils chargèrent de maintenir l'ordre ou de coopérer à la défense des frontières. Bientôt même, les empereurs imaginèrent de faire de ces milices un usage plus direct et moins exceptionnel ; ils les envoyèrent en dehors de leur pays et les utilisèrent concurremment avec les auxiliaires réguliers. Ceci commença à se produire dès l'époque de Trajan, mais l'institution ne se développa qu'au courant du IIe siècle, quand le recrutement des

légions d'abord, des corps auxiliaires ensuite étant devenu régional, il parut nécessaire de renforcer certaines armées provinciales par des éléments de choix venus d'ailleurs »484.

481 Cf. R. CAGNAT, dans Dictionnaire des Antiquités grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, s. u.

numerus, col. de droite.

482 Cf. Fr. M. SNOWDEN, « Témoignages iconographiques sur les populations noires dans l’antiquité gréco-

romaine », dans J. VERCOUTTER et al., op.cit., p. 216 ; Voir aussi A. R. BIRLEY, Septimus Severus : The

African Emperor, Londres, Routledge, 1971, p. 265-266.

483 Voir Fr. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity : Ethiopians in the Greco-Roman experience, Cambridge, Mass.

Londres, Harvard University Press, 1975, p. 142.

149 Ces informations permettent de comprendre les raisons de la présence de ce soldat éthiopien en Grande-Bretagne485, plus précisément à Aballava486 dans l’actuel Burgh-by-Sands.

Snowden note qu’il est originaire de Leptis Magna « a native of Lepcis Magna »487. Or, Septime

Sévère lui-même est originaire de cette région. La présence à ses côtés de ce soldat provenant de la même ville que lui pousse certains, comme Snowden, à souligner les liens très proches que l’empereur entretenait avec l’Afrique. À ce propos, Thompson avait émis l’hypothèse selon laquelle Septime Sévère aurait eu recours à d’autres auxiliaires éthiopiens488. Snowden pense

que Sévère aurait même choisi quelques-uns de ses gardes du corps parmi ces Aethiopes. C’est l’argument qu’il a soutenu quand il indiquait « la présence, sur l’arc de Septime Sévère au forum, des soldats à l’apparence négroïde et coiffés de bonnets coniques. […] Il n’est pas sans intérêt, dit-il, de rapprocher ces représentations d’une scène figurée sur un sarcophage du IIIe

siècle, au Palazzo Rondinini489 : deux personnages dont un Noir casqué se tiennent à la droite

d’un général romain, dont les traits rappellent ceux de Septime Sévère ; d’une main, l’officier serre la garde de son épée ; l’autre main est tendue vers un groupe de soldats barbares prosternés, tandis qu’une captive est entraînée de force. Quoique la raison de la présence du ‘Nègre’ ne soit pas certaine, l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’un garde du corps est vraisemblable »490.

Toutes ces analyses renseignent davantage sur ce soldat que l’auteur de l’Histoire

Auguste décrit comme un inconnu en utilisant les termes quidam Aethiops. Au-delà de cette

désignation il présente un personnage et une personnalité singulières qui suscitent beaucoup d’intérêt non seulement en tant que soldat, mais aussi en tant que bouffon. La mention de ces deux « professions » lui donne beaucoup d’importance et prouve sa polyvalence. Il rend service

domi militiaeque. Les rôles qu’il fait alterner (tantôt soldat - tantôt bouffon) lui ont valu la

grande réputation dont il jouit. C’est pourquoi nous pensons que, hormis le statut de garde du

485 Voir Fr. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity : Ethiopians in the Greco-Roman experience, Cambridge, Mass.

Londres, Harvard University Press, 1975, p. 142 : « This Ethiopian soldier, stationed among the troops of Septimius in Britain, famous as a jester, belonged to the numeri, units of infantry or cavalry recruited from the provinces recently conquered or slighty romanized and normaly assigned in areas distant from the region in witch they had been recruited ».

486 A ce propos, Fr. M. SNOWDEN écrit dans une note : « Mr. Anthony R. Birley of Leeds University has called

to my attention a numerus Maurorum stationed at third century A. D. garison at Aballava (Burgh-by-Sands) and has suggested that th ethiopian in the Septimius Severus army was serving in that fort ». Cf. Voir Snowden, op.

cit., p. 303, note n°67.

487 Fr. M. SNOWDEN, op. cit., p. 142.

488 Ll. A. THOMPSON, « Africans in Roman Britain », Museum Africum : West African Journal of Classical and

related Studies, 1, 1972, p. 36.

489 Rome, Palazzo Rondinini ; L. Salerno, Palazzo Rondinini, Roma, 1965, p. 259, n°85, fig. 139.

490 Voir Fr. M. SNOWDEN, « Témoignages iconographiques sur les populations noires dans l’Antiquité gréco-

150 corps qui lui est attribué à tort ou à raison, il occupe une place centrale dans ce numerus. Cependant malgré cette renommée, Septime Sévère n’a pas apprécié sa rencontre car la couleur de peau de cet homme n’était pas de bon présage.

Image 21 - Fragment de sarcophage : Barbares devant un général romain entouré de soldats. Première moitié

du IIIe siècle ap. J.-C. Marbre, Palazzo Rondinini.

Outline

Documents relatifs