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2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.7 ROIS, REINES ET CONSEILLERS CHEZ LES AETHIOPES

2.7.1 Monarchie 559 féminine ou monarchie masculine

2.7.1.2 Roi ou rois d’Éthiopie ?

Pourtant, il y avait bien en Éthiopie un roi avec des rois vassaux même si la littérature latine n’est guère bavarde à leur sujet. Deux auteurs classiques peuvent ici être interrogés.

Sénèque livre un témoignage très net sur la suprématie du roi d’Éthiopie et sur l’existence d’autres roitelets qui lui étaient assujettis et avec lesquels il traitait. Dans un passage où il traite d’une mission d’exploration de l’Éthiopie, Sénèque indique que les centurions de Néron568 avaient reçu de ce roi des recommandations pour les rois voisins :

Ego quidem centuriones duos quos Nero Caesar, ut aliarum uirtutum ita ueritatis in primis amantissimus, ad inuestigandum caput Nili miserat, audiui narrantes longum ipsos iter peregisse, cum a rege Aethiopiae instructi auxilio commendatique proximis regibus ad ulteriora penetrassent…

« Deux centurions que l'empereur Néron, passionné pour toutes les belles choses et surtout pour la vérité, avait envoyés à la recherche des sources du Nil, racontaient devant moi qu'ayant parcouru une longue route, aidés des secours du roi d'Éthiopie et recommandés par lui aux rois voisins, ils voulurent pénétrer plus avant et arrivèrent à un immense marais »569.

L’expression cum a rege Aethiopiae instructi auxilio (« aidés des secours du roi d’Éthiopie ») pose clairement l’existence d’un roi en « Éthiopie » et l’hégémonie que celui-ci excerçait sur les autres est suggérée par l’expression suivante, commendatique proximis regibus (« et recommandés par lui aux rois voisins »), dans laquelle on relève un terme plein de sens et très évocateur : commendati. D’une part, l’hypothèse que le roi de l’Éthiopie entretenait de fortes relations amicales avec les autres rois peut être envisagée dans la mesure où les recommandations ne se font généralement qu’entre amis. D’autre part, on peut présumer qu’il exerçait sur ces rois voisins une autorité telle que ses recommandations étaient non seulement un gage de sécurité pour les centurions, mais aussi une obligation pour ces mêmes rois d’accueillir ces Romains avec bienveillance par crainte de représailles. En indiquant explicitement que c’est le roi de l’Éthiopie (a rege Aethiopiae) qui recommande les explorateurs romains, Sénèque souligne implicitement que ce dernier était ou bien craint ou bien écouté. En tout cas, on constate que les centurions faisaient, dans leur rapport que Sénèque reprend dans

568 Nous discuterons de cette mission des éclaireurs de Néron dans le chapitre « La politique romaine en Éthiopie

sous Néron », p. 187-191.

175 ce récit, une nette distinction entre le roi d’Éthiopie et les autres rois. Un Romain use naturellement, pour évoquer ce système de relations dans des peuples étrangers, monde de chefferies et de structurations tribales, d’expressions et de notions romaines. Ainsi parle-t-il de

rex et de reges pour désigner les puissants de la Nubie, que les reges fussent dépendants du rex

ou qu’il existât simplement entre eux des relations de voisinage. Mais la vision romaine de la « monarchie éthiopienne » (ou du pouvoir politique en « Éthiopie ») laisse affleurer la forme hiérarchique qui pouvait être celle des rapports entre le roi d’Éthiopie au-dessus, et les autres en-dessous.

Pline l’Ancien a fait une remarque pertinente sur l’existence de plusieurs rois en Éthiopie et confirme d’une certaine manière le témoignage que Sénèque a recueilli des prétoriens de Néron sur ce même sujet. Le naturaliste explique :

Cetero cum potirentur rerum Aethiopes, insula ea magnae claritatis fuit. Tradunt armatorum CCL dare solitam, artificum III. Alii reges Aethiopum XLV esse hodie tradunt.

« Au reste, au temps de la puissance des Éthiopiens, cette île avait une grande réputation. On rapporte qu'elle fournissait d'ordinaire 250.000 hommes armés et 3.000 artisans. D’autres rapportent qu'aujourd'hui encore les Éthiopiens ont quarante-cinq rois »570.

Ce témoignage de Pline l’Ancien peut, au primier abord, revêtir une certaine ambiguïté. L’emploi du terme hodie (« aujourd’hui ») pourrait conduire le lecteur à comprendre que le nombre de rois indiqué par Pline correspond à la totalité des rois qui ont régné depuis la naissance du royaume éthiopien — un peu comme on pourrait indiquer le nombre des Pharaons d’Égypte tel qu’il s’établit à tel moment du temps où on décide de le formuler (hodie). D’après J. Desanges, il faut se garder d’une telle confusion : « il n’est pas possible de comprendre que Pline décompte à son époque quarante-cinq rois des Éthiopiens qui se sont succédé depuis les origines de la monarchie méroïtique, et que, par conséquent, le roi ou la reine régnant à l’époque de l’expédition des prétoriens de Néron serait le quarante-cinquième dans la suite des souverains »571. La réalité est que ces quarante-cinq rois572 régnèrent en même temps sur les

différentes tribus qui existaient sur le territoire des Éthiopiens et dont certaines avaient d’ailleurs une façon très singulière de choisir leur roi, comme nous allons le voir maintenant.

570 PLINE L'ANCIEN, Naturalis historia 6, 186.

571 Cf. PLINE L’ANCIEN, Naturalis historia 6, 4e partie, éd. de J. DESANGES, Paris, Les Belles Lettres, 2008,

note n°2 du paragraphe 186, p. 161.

572 Voir J. DESANGES, « Des éléphants, ou artisans, et des quarante-cinq rois des Éthiopiens (Pline l'Ancien, VI,

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2.7.2 L’élection du roi

L’élection du roi chez certains peuples éthiopiens reposait sur des critères bien définis qui permettaient à une catégorie d’hommes de prétendre au trône. La succession ne se faisait pas suivant les codes monarchiques qui existaient à l’époque. Ce n’est pas le fils du roi qui devient de droit le chef. En effet, ce dernier est choisi parmi les hommes les plus beaux et les plus forts de la tribu. Des textes révèlent que le choix se portait de « préférence » selon la beauté et la force. Suivant les sources plus anciennes573 de cette thèse, Méla affirme que ce sont les

Macrobiens qui se livraient à cette pratique lors de la désignation de leurs rois. Il écrit :

Aethiopes ultra sedent ; Meroen habent terram, quam Nilus primo ambitu amplexus insulam facit : pars quia uitae spatium dimidio fere quam nos longius agunt Macrobii, pars quia ex Aegypto aduenere dicti Automoles. Pulchri forma et qui corporis uiriumque ueneratores sunt ueluti optimarum alii uirtutium. Illis mos est cui potissimum pareant specie ac uiribus legere. Apud hos plus auri quam aeris est : ideo quod minus est pretiosius censent, aere exornantur, auro uincla sontium fabricant.

« Au-delà sont établis les Éthiopiens ; ils possèdent la terre de Méroé, qui est la première à être entourée

par le Nil et transformée en île ; les uns, parce que leur vie est presque de moitié plus longue que la nôtre, sont appelés Macrobiens, les autres sont appelés Automoles, parce qu'ils sont venus d’Égypte. Ils sont beaux et ce sont des gens qui vénèrent le corps et la force comme d’autres le font des plus grandes vertus. Ils ont l’habitude de choisir leur chef, de préférence, sur sa beauté et sur sa force. Il y a chez eux plus d’or que de cuivre : c’est pour cette raison qu’ils estiment plus précieux le métal qui l’est moins, ils se servent du cuivre comme ornement, mais utilisent l’or pour forger les chaînes des malfaiteurs »574.

Il faut être prudent dans l’analyse de ce passage de Méla. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le chorographe suit ici le développement d’Hérodote en omettant certains éléments575

alors qu’il en conserve d’autres576. Cependant à cause des différences qui existent entre le texte

source et celui de Méla, A. Silberman577 pense que l’auteur latin n’a pas une connaissance

directe d’Hérodote et qu’il aura lu ce dernier à travers un auteur intermédiaire. D’après lui, Méla se trompe en attribuant aux Automoles des caractéristiques propres aux Macrobii ou en considérant que certaines particularités sont communes aux deux peuples.

573 Hérodote, Diodore, Strabon.

574 POMPONIUS MÉLA, De chorographia 3, 85. Ce passage de Méla suit, comme nous l’avons souligné au début

du présent chapitre, des sources grecques qui sont Hérodote, Histoires 3, 20, Diodore de Sicile, Bibliothèque

historique 3, 9, 4, et Strabon, 17, 2, 3.

575 La grande taille de ces Aethiopes et l’usage de l’eau d’une source au parfum de violette qui rend leur peau

onctueuse et leur donne longue vie.

576 Beauté, force, critères présidant au choix du roi.

577 Voir POMPONIUS MÉLA, Chorographie, Paris, Les Belles Lettres, 1988, note n°1, paragraphe 85, par

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