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2 LES AETHIOPES DANS LA LITTÉRATURE LATINE CLASSIQUE

2.1 LES ACTIVITÉS DES AETHIOPES DANS LA ROME ANTIQUE

2.1.1 Les Noirs dans la vie socio-économique

2.1.1.1 Les Aethiopes : Esclaves, prostituées

La classification des Noirs dans la littérature latine parmi les esclaves, les captifs ou les prostituées remonte au IIe siècle av. J.-C. Leurs premières mentions sont faites par Térence qui

ne nomme pas explicitement des esclaves noirs, mais emploie une expression ex Aethiopia

ancillulam servant à marquer leur provenance. Il écrit dans l’Eunuque :

PHEDRIA : Quid te ergo aliud sollicitat ? cedo. Num solus ille dona dat ? Numcubi meam benignitatem sensisti in te claudier ? Nonne, ubi mi dixti cupere te ex Aethiopia ancillulam, relictis rebus omnibus quaesiui ? Porro eunuchum dixti uelle te, quia solae utuntur is reginae ; repperi, heri minas uiginti pro ambobus dedi.

Tamen contemptus abs te haec habui in memoria : ob haec facta abs te spernor ?

« PHEDRIA : Alors qu’y a-t-il d’autre qui t’inquiète ? Dis-moi. Est-ce qu'il est le seul à te faire des cadeaux ? As-tu jamais senti que j’aie fermé pour toi les accès à ma générosité ? Est-ce que, quand tu m'as dit que tu avais envie d'une petite servante venue d’Éthiopie, je n’ai pas tout laissé pour t'en chercher une ? Après, tu as dit que tu voulais un eunuque, parce que les reines sont les seules à en avoir ; j'en ai trouvé un, et hier j'ai donné vingt mines pour les deux. Même si tu me regardes de haut, je me suis souvenu de tout cela ; et c’est pour m’en récompenser que tu me fais la tête ? »251

80 Ces vers sont une critique adressée aux courtisanes. La volonté de Thaïs252 d’avoir ‘une

petite servante venue d’Éthiopie’ (cupere […] ex Aethiopia ancillulam) est une occasion pour Térence de dénoncer les caprices de ces dames. Ce désir se lit dans l’emploi de cupere dans ubi

mi dixti cupere […] ‘quand tu m’as dit que tu avais envie’ […]. Il s’agit de la dénonciation

d’une mode empruntée à la Grèce ancienne et maintenant très répandue dans la société romaine à l’époque républicaine. Cette mode, qui consistait à posséder par tous les moyens un esclave noir dans la familia, est en effet une pratique que le philosophe Théophraste a critiquée dans

Les Caractères253 en décrivant le personnage du faiseur. Il convient de mettre l’accent sur le

fait que, ce n’est pas l’envie de posséder une servante que Térence condamne mais plutôt le type de servante recherchée. Avoir un esclave noir est un luxe qu’il fallait s’offrir pour se faire remarquer par ses concitoyens. En effet, l’emploi de l’expression ex Aethiopia ancillulam est une manière pour Térence de placer l’Éthiopie dans l’espace, non pas proche mais plutôt éloigné254. Sa situation géographique aux frontières du monde habité était très connue et la

rareté de ses produits l’était davantage. Cela rendait exotiques toutes les marchandises qui en provenaient y compris les esclaves.

Aussi, la rareté des besoins tels que l’eunuque ainsi que l’exotisme de la servante noire n’expliquent-ils pas la déraison des courtisanes. Térence se sert de ces deux personnages pour démontrer qu’elles ne désirent que des choses extraordinaires. C’est ce que prouve le vers suivant Porro eunuchum dixti uelle te (‘Après, tu as dit que tu voulais un eunuque’). L’explication que Térence donne de ce désir est encore plus édifiante : quia solae utuntur is

reginae (‘parce que les reines sont les seules à en avoir’). Elle justifie d’une certaine manière

la cherté du prix payé pour les deux, c’est-à-dire, l’eunuque et l’esclave noire. P. Grimal estime que c’est un « prix assez élevé »255. […] minas uiginti pro ambobus ‘[…] vingt mines pour les

deux’. « La mine attique, ajoute-t-il, est de 100 drachmes, le talent de 60 mines »256. Il est

impossible à partir de cette estimation globale de connaître la valeur de la servante éthiopienne en particulier. Dans un autre passage de la même pièce où il est aussi question de perpulchra

dona (‘des présents magnifiques’), Térence révèle que le prix d’une pareille servante est de

trois mines.

252 Amante de Phédria.

253 THÉOPHRASTE, Les caractères 21, 4.

254 Voir SERVIUS AUCTUS, Ad Georg. 4, 293 ; Voir aussi, Servius, Ad Aen. 1, 647 et 4, 480.

255 Cf. TÉRENCE, Théâtre complet, texte présenté traduit et annoté par P. GRIMAL, Saint-Amand, Gallimard,

2001, p. 80, n. 1.

81 THRASO : Perpulchra, credo, dona aut nostri similia.

PARMENO : Res indicabit. Heus, iubete istos foras exire, quos iussi, ocius. Procede tu huc :

ex Aethiopiast usque haec. THRASO : hic sunt tres minae.

« THRASON : Des présents magnifiques, je crois, pas du tout semblables aux nôtres ! PARMENON : On va voir. Hé là-bas, dites-leur de sortir vite, aux esclaves que je veux. Avance ici, toi. Elle vient du fond de l'Éthiopie, celle-ci.

THRASON : Il y en a pour trois mines »257.

C’est une importante somme que l’acheteur doit débourser pour se la procurer. L’acquisition d’une esclave noire à ce prix témoigne de l’obsession du luxe. Elle est le signe de l’exhibition de richesses à laquelle certains citoyens romains se livraient pour affirmer leur rang social. En effet, plus ils en possédaient, plus ils étaient classés parmi les riches. C’est la raison pour laquelle beaucoup ne se privaient pas d’en acheter autant que cela leur était possible.

Quoi qu’il en soit la possession d’esclaves noirs sera encore attestée par les écrivains sous l’Empire. Ainsi Martial (Épigrammes 7, 87), parmi une liste d’objets domestiques dont un ami peut tirer son plaisir, cite un esclave éthiopien (si fruitur tristi Canius Aethiope, « si Canius tire du plaisir d’un Noir sinistre »). Le Satiricon 102, 13, dans une scène amusante montre ses héros, pour éviter d’être reconnus par Lichas, imaginant de se grimer en esclaves noirs (tanquam serui aethiopes… erimus, « nous serons… comme des esclaves noirs »).

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