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2.1.2.1.2.3 Les fruits

2.2 LES AETHIOPES DANS LE CIRQUE ET DANS LES SPECTACLES

2.2.2 Les Aethiopes dans les activités sportives

2.2.2.3 Des Aethiopes combattants du cirque

La plupart des Aethiopes qui figurent dans ce genre de spectacles sont des esclaves, captifs ou prisonniers. Il arrivait, à l’occasion de certains événements exceptionnels, qu’ils soient présentés au cirque et exposés à des fauves provenant généralement de la même région qu’eux. Pline l’Ancien parle d’une scène de uenatio qui s’est tenue à Rome le 18 septembre 61 av. J.-C. Il y révèle la présence d’une centaine de uenatores Aethiopes combattant contre le même nombre d’ours (mais dans sa phrase, les ours sont nommés d’abord, et les uenatores en second lieu, ce qui ne manque pas d’être suggestif). Il écrit :

Annalibus notatum est M. Pisone M. Messala cos. a. d. XIIII kal. Oct. Domitium Ahenobarbum aedilem curulem ursos Numidicos centum et totidem uenatores Aethiopas in circo dedisse.

« Les annales relèvent que sous le consulat de M. Piso et de M. Messala, le 14e jour des calendes

d’octobre, Domitius Ahenobarbus, édile curule, donna dans le cirque un spectacle de cent ours de Numidie et autant de chasseurs Éthiopiens »369.

L’exhibition au cirque de prisonniers et d’animaux provenant de contrées lointaines était devenue une tradition à Rome. Les magistrats se sont livrés à cette pratique afin de montrer leurs trophées de campagne. C’est dans ce contexte qu’il faut placer l’exhibition donnée par Domitius Ahenobarbus que Pline évoque dans ce passage. Ces parades étaient l’occasion de montrer aux citoyens l’exotisme des Aethiopes et des animaux rares qui peuplent leurs régions. Les autorités cherchaient la faveur du peuple en montrant la singularité des ces hommes dans des uenationes. Comme l’explique G. Lafaye : « C'était déjà pour la foule un puissant attrait

368 J. DESANGES, « L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans

J. VERCOUTTER et Al., op. cit., ici p. 260. Voir aussi M. YACOUB, Guide du Musée de Sfax, Tunis, Direction des musées nationaux, 1966, pl. XV, fig. I et p. 45.

116 que la vue de ces barbares aux types si variés, qu'elle ne connaissait encore que par les bulletins des dernières campagnes ; mais ce qui ajoutait à l'intérêt du spectacle, c'est que les combattants conservaient dans l'arène le costume et les armes de leur patrie, et qu'ils appliquaient à cette lutte suprême le genre de manœuvre qui leur était habituel »370.

Des scènes de uenatio, semblables à celles que Pline l’Ancien décrit dans ce passage, sont reproduites dans deux mosaïques signalées par J. Desanges à Tripoli. La première371

présente des captifs soumis aux supplices dans l’arène. Selon J. Desanges, ces « prisonniers (sans doute des Garamantes372) […] sont particulièrement foncés et non exempts de caractères

négroïdes »373.

Image 9 - Mosaïque des Gladiateurs (détails, bordure est) : Supplice des Garamantes exposés aux fauves. Prov.

Zliten, villa de Dar Buc Ammera. Fin du Ier siècle ap. J.-C. Tripoli, Musée archéologique.

On voit dans cette composition un félin attaquant un homme attaché à un poteau, un ours apparemment neutralisé par un deuxième condamné, enfin un troisième captif armé de lance et faisant face un cerf. Ces hommes sont livrés à des animaux que les spectateurs ne voient

370 G. LAFAYE, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, s. u., gladiator,

p. 1577, col. de gauche.

371 Mosaïque des Gladiateurs (détails, bordure est) : Supplice des Garamantes exposés aux fauves. Prov. Zliten,

villa de Dar Buc Ammera. Fin du Ier siècle apr. J.-C. Tripolie, Musée archéologique. Voir J. DESANGES,

« L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans J. VERCOUTTER et Al., op. cit., ici p. 247, fig. n°339.

372 Cf. J. DESANGES, Catalogue des tribus africaines de l'Antiquité classique à l'Ouest du Nil, Université de

Dakar, Faculté des lettres et sciences humaines, publications de la section d'histoire, n° 4, Dakar 1962, p. 93 : « Peuples établis à l’intérieur de la Libye. […] Ils font la chasse au Éthiopiens troglodytes sur des chars à quatre chevaux ».

373 ID., « L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans J. VERCOUTTER et Al.,

117 que dans le cirque. La seconde mosaïque374 présente une scène où l’on voit également des

hommes condamnés à combattre contre des animaux.

Image 10 - Mosaïque des Gladiateurs (détail, bordure est) : Garamante intervenant entre un ours et un taureau.

Prov. Zliten, ville de Dar Buc Ammera. Fin du Ier siècle ap. J.-C. Tripoli, Musée archéologique.

L’élément important de cette mosaïque est le combat entre le taureau et l’ours. L’intervention prudente du Garamante est intéressante car elle n’est pas facile à interpréter. Le rôle de ce personnage dans cette scène ne peut pas être aisément deviné. On peut supposer qu’il est dompteur et capable de se faire obéir par les animaux. L’hypothèse est vraisemblable, car des témoignages littéraires attestent l’existence de dompteurs noirs dans les spectacles publics. Sénèque, traitant des qualités du sage dans la Lettre à Lucilius, affirme que le sage doit ressembler aux dompteurs d’animaux sauvages. Il accorde dans ce passage une attention particulière au nain Éthiopien qui fait marcher ou s’agenouiller un éléphant sur une corde. Il écrit :

Certi sunt domitores ferarum qui saeuissima animalia et ad occursum expauescenda hominem pati subigunt nec asperitatem excussisse contenti usque in contubernium mitigant : leonis faucibus magister manum insertat, osculatur tigrim suus custos, elephantum minimus Aethiops iubet subsidere in genua et ambulare per funem. Sic sapiens artifex est domandi mala : dolor, egestas, ignominia, carcer, exilium ubique horrenda, cum ad hunc peruenere, mansueta sunt. Vale.

« Il existe certains dompteurs qui forcent les animaux les plus sauvages, ceux dont la rencontre nous épouvante, à supporter l’homme et qui, non contents de les dépouiller de leur caractère farouche, les apprivoisent jusqu'à la familiarité. Le maître met la main dans la gueule du lion ; le tigre reçoit les baisers de son gardien ; l’éléphant obéit au nain Éthiopien qui le fait s’agenouiller ou marcher sur la corde. De même le sage est expert dans l'art de dompter les maux. La douleur, l'indigence, l'ignominie, la prison, l'exil, choses effroyables partout ailleurs, quand ils s’approchent du sage, sont domestiqués »375.

374 Mosaïque des Gladiateurs (détail, bordure est) : Garamante intervenant entre un ours et un taureau. Prov. Zliten,

ville de Dar Buc Ammera. Fin du Ier siècle apr. J.-C. Tripoli, Musée archéologique. Cf. J. DESANGES.,

« L’iconographie du Noir dans l’Afrique du Nord Antique », p. 246-268, dans J. VERCOUTTER et Al., op. cit., ici p.268, fig. n°366.

118 Ce passage est une preuve indiscutable de l’existence d’Aethiopes domitores ferarum. Les indications qu’il livre, non seulement complètent la liste des animaux reproduits sur les deux mosaïques, mais aussi révèlent les différentes actions que ces dompteurs faisaient faire aux bêtes. Le premier tour est celui du lion qui ouvre sa gueule pour laisser entrer la main de son maître (leonis faucibus magister manum insertat). Le deuxième est celui du tigre qui reçoit les baisers de son maître (osculatur tigrim suus custos). Enfin le troisième est celui du nain Éthiopien qui ordonne à l’éléphant de s’agenouiller ou de marcher sur une corde (elephantum

minimus Aethiops iubet subsidere in genua et ambulare per funem). Un fait cependant retient

notre attention. Dans les deux premiers exemples, Sénèque ne mentionne pas l’ethnie des dompteurs. Or, il précise celle du dernier, c’est-à-dire de l’Éthiopien. Cela pourrait signifier au moins deux choses. Ou bien il est davantage impressionné par le tour de ce personnage, ou bien ce sont les traits physiques mêmes du personnage qui l’émeuvent. Car, il faut le rappeler, un

minimus Aethiops peut aussi désigner un pygmée.

En tout état de cause, les Aethiopes avaient au Ier siècle ap. J.-C. une très grande

réputation de dompteurs d’animaux sauvages. Les auteurs de cette époque ne manquaient pas de les distinguer en précisant leur couleur de peau. On le voit dans ce passage de Sénèque avec la mention du minimus Aethiops, lequel correspond chez Martial au niger magister qui fait exécuter des danses gracieuses à un animal énorme. Martial écrit :

Et molles dare iussa quod choreas

Nigro belua non negat magistro « Et la bête ne refuse pas d’exécuter les flexibles danses en chœur que son maître noir lui ordonne »376.

Dans cette épigramme, Martial, comme Sénèque, fait allusion à la façon dont ces bêtes sauvages sont domptées. La liste des animaux qu’il mentionne est d’ailleurs plus complète que celle que propose l’extrait de Sénèque : un léopard (pardus) porte un joug délicat (iuga

delicata), des tigres supportent avec patience le fouet (tigres indulgent patientiam flagello), des

cerfs mordent des mors en or, des ours de Libye sont dressés avec des freins (quod frenis Libyci

domantur ursi), un sanglier obéit aux muselières (paret purpureis aper capistris), enfin des

bisons difformes traînent des chars de guerre (turpes esseda quod trahunt uisontes).

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Conclusion

Il est donc établi, on le voit, que les Aethiopes étaient bien présents dans les différentes activités organisées dans le cirque ou dans les thermes. Les documents que nous avons étudiés montrent qu’ils pratiquaient plusieurs disciplines sportives comme la natation, les combats de pugilat et de lutte, et participaient aux uenationes. Nous avons eu à interpréter des textes littéraires qui, fort intéressants, manquaient parfois de précision et restaient insuffisants quant aux détails de ce qu’ils évoquaient. Cela met en valeur la nécessité de consulter les témoignages artistiques et archéologiques, lesquels constituent une précieuse source complémentaire. Il reste à souligner ici la place particulière occupée par l’image du Noir dans le monde du spectacle et de l’exhibition à Rome. Tant il est vrai que les jeux du cirque, à cette époque comme encore à la nôtre, concentrent et cristallisent les éléments symboliques les plus forts.

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