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1.2 LES PROBLÈMES DE TRADUCTION DU TERME LATIN AETHIOPS

1.2.2 Les sens de Aethiops selon les écrivains romains

1.2.2.1 Aethiops ou Aethiopes traduit(s) par Éthiopien(s)

1.2.2.1.3 Aethiopes : Les Éthiopiens désignant une identité nationale

Le terme Aethiopes est très souvent employé par les auteurs latins pour nommer les habitants du royaume de Koush dont la capitale était Méroé. Cette cité était alors considérée comme une ville de l’Aethiopia dans son sens ancien, c’est-à-dire l’ensemble des territoires situés au sud de l’Égypte, de la Libye et du désert du Sahara comme nous venons de l’expliquer dans le précédent chapitre. Dans cette acception, Aethiopes est également traduit par Éthiopien. On peut retrouver cet usage chez Vitruve lorsqu’il explique le cours du Nil dont une partie se trouve chez les Aethiopes :

Primumque in India Ganges et Indus ab Caucaso monte oriuntur ; Syria Tigris et Euphrates ; Asiae item Ponto Borysthenes, Hypanis, Tanais ; Colchis Phasis ; Gallia Rhodanus ; Celtica Rhenus ; citra Alpis Timauos et Padus ; Italia Tiberis ; Maurusia, quam nostri Mauretaniam appellant, ex monte Atlante Dyris, qui ortus ex septentrionali regione progreditur per occidentem ad lacum Eptagonum et mutato nomine dicitur Agger, deinde ex lacu Eptabolo sub montes desertos subterfluens per meridiana loca manat et influit in Paludem quae appellatur, circumcingit Meroen, quod est Aethiopum meridianorum regnum, ab hisque paludibus se circumagens per flumina Astansobam et Astoboam et alia plura peruenit per montes ad cataractam ab eoque se praecipitans per septentrionalem peruenit inter Elephantida et Syenen Thebaicosque in Aegyptum campos et ibi Nilus appellatur.

« En premier lieu, en Inde, le Gange et l'Indus naissent du Caucase ; en Syrie, le Tigre et l'Euphrate ; en Asie et dans le Pont, le Borysthène, l'Hypanis, le Tanaïs ; en Colchide, le Phase ; en Gaule, le Rhône ; en Celtique, le Rhin ; en deçà des Alpes, le Timave et le Pô ; en Italie, le Tibre ; en Maurusie, que chez nous on appelle Maurétanie, le Dyris vient de l’Atlas : prenant sa source dans la région septentrionale, il se dirige par l’occident vers le lac Heptagone, et, changeant de nom, il est appelé Agger, ensuite, sortant du lac Heptabole, et passant sous des montagnes arides, il coule à travers les zones du midi et se jette dans ce que l’on appelle le Marais, il entoure Méroé, qui est le royaume des Éthiopiens du midi, et depuis ces marais, il fait des détours, formant les fleuves Astansobas et Astoboam, et plusieurs autres, puis parvient à travers les montagnes à la cataracte, et de là, se

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précipitant au septentrion, il arrive, entre Eléphantis, Syène et les plaines de Thèbes, en Égypte, où il est appelé Nil »148.

C’est également ainsi qu’il faut comprendre son usage par Hygin lorsqu’il rappelait le mythe très discuté de Céphée à propos duquel on rapporte qu’il est le fils de Phénix « roi des Éthiopiens » :

Hunc Euripides cum ceteris Phoenicis filium, Aethiopum regem esse demonstrauit, Andromedae patrem, quam ceto propositam notissimae historiae dixerunt. Hanc autem Perseum a periculo liberatam uxorem duxisse. Itaque ut totum genus eorum perpetuo maneret, ipsum quoque Cephea inter sidera superiores numerasse.

« Il [= Céphée] a été présenté par Euripide et par tous les autres comme le fils de Phénix, roi des Éthiopiens

et père d'Andromède, laquelle fut exposée à un monstre marin, selon des légendes bien connues. Délivrée de ce danger par Persée, elle devint son épouse. Aussi, afin que toute la famille fût à jamais réunie, Céphée en personne a-t-il été compté parmi les constellations par les Anciens »149.

Dans les Spectacula, le satiriste Martial énumère les nations présentes à Rome et il n’oublie pas de citer ces hommes venus de l’Aethiopia soit pour regarder les jeux soit pour y participer. Il louait le cosmopolitisme de la capitale de l’empire en disant :

Quae tam seposita est, quae gens tam barbara, Caesar,

ex qua spectator non sit in urbe tua ? Venit ab Orpheo cultor Rhodopeius Haemo, uenit et epoto Sarmata pastus equo, et qui prima bibit deprensi flumina Nili, et quem supremae Tethyos unda ferit. Festinauit Arabs, festinauere Sabaei, et Cilices nimbis hic maduere suis. Crinibus in nodum tortis uenere Sygambri, atque aliter tortis crinibus Aethiopes.

Vox diuersa sonat ; populorum est uox tamen una, cum uerus patriae diceris esse pater.

« Quelle nation est assez lointaine, laquelle assez barbare, César, pour ne pas envoyer de spectateurs à ta capitale ? L’habitant du Rhodope est venu de l'Hémus cher à Orphée ; il est venu aussi, le Sarmate abreuvé du sang de son cheval, et celui qui boit les eaux du Nil à sa source connue de lui, et celui que frappent les eaux de la mer la plus lointaine. L'Arabe est accouru, les Sabéens sont accourus, et les Ciliciens sont venus s’y asperger de leur propre rosée. La chevelure nouée en chignon, les Sicambres sont venus, ainsi que les Éthiopiens, la chevelure tordue d’une autre manière. Des langues diverses résonnent ; cependant les peuples n’ont qu’une langue quand ils t’appellent le vrai père de la patrie »150.

Au livre II de l’Histoire naturelle traitant de la cosmologie, de l’astronomie et de la géologie, Pline l’Ancien mentionne ces Aethiopes alors qu’il traitait précisément de l’observation des ombres. Il remarque que :

Rursus in Meroe — insula haec caputque gentis Aethiopum V milibus stadium a Syene in amne Nilo habitatur — bis anno absumi umbras, sole duodeuicesimam tauri partem et quartam decimam leonis tunc obtinente.

148 VITRUVE, De architectura 8, 2, 6. 149 HYGIN, De astronomia 2, 9. 150 MARTIAL, Spectacula 3, 3-10.

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« De même à Méroé, île du Nil qui est habitée et capitale de la nation des Éthiopiens, à 5000 stades de Syène, les ombres disparaissent deux fois par an, lorsque le soleil occupe la 18e partie du Taureau et la 14e du

Lion »151.

Le même phénomène a été observé plus tard par Ammien Marcellin. Il écrit :

Dein Syene, in qua solstitii tempore, quo sol aestiuum cursum extendit, recta omnia ambientes radii excedere ipsis corporibus umbras non sinunt ; inde si stipitem quisquam fixerit rectum uel hominem aut arborem uiderit stantem, circa lineamentorum ipsas extremitates contemplabitur umbras absumi, sicut apud Meroen Aethiopiae partem aequinoctiali circulo proximam dicitur euenire, ubi per nonaginta dies umbrae nostris in contrarium cadunt, unde Antiscios eius incolas uocant.

« Il y a ensuite Syène, où, au moment du solstice d’été, les rayons du soleil qui enveloppent toutes les choses verticales ne permettent pas que des ombres soient projetées par les corps eux-mêmes ; c’est pourquoi, si l’on plante verticalement un piquet ou si l’on regarde un homme debout, ou un arbre, on observera que leur ombre n’existe pas à l’extrémité inférieure de la ligne qu’ils dessinent ; on dit aussi qu’à Méroé, région d’Éthiopie très proche du cercle équatorial, pendant quatre-vingt dix jours les ombres tombent en sens contraire de chez nous, ce qui a fait donner à ses habitants le nom d’Antisciens »152.

Le même auteur fait de Méroé la ville des Aethiopes dans une notice où il montre les limites de l’Égypte :

Aegyptum gentem omnium uetustissimam, nisi quod super antiquitate certat cum Scythis, a meridiali latere Syrtes maiores et Phycus promunturium et Borion et Garamantes nationesque uariae claudunt ; qua orientem e regione prospicit, Elephantinen et Meroen urbes Aethiopum et Catadupos Rubrumque pelagus et Scenitas praetenditur Arabas, quos Saracenos nunc appellamus ; septemtrioni supposita terrarum situ cohaeret immenso, unde exordium Asia Syriarumque prouinciae sumunt ; a uespera Issiaco disiungitur mari, quod quidam nominauere Parthenium.

« L'Égypte, la plus ancienne de toutes nations, si ce n’est que pour l’ancienneté elle est en rivalité avec les Scythes, est limitée du côté du midi par la grande Syrte, les promontoires de Phycus et de Borion, par les Garamantes et par d’autres peuples ; du côté où elle regarde l'orient, elle s’étend jusqu’à Éléphantiné et à Méroé, villes des Éthiopiens, jusqu’aux cataractes, à la Mer Rouge et aux Arabes Scénites, que nous appelons les Sarracènes ; au septentrion, elle touche à l’immensité des terres où commencent l’Asie et les provinces de Syrie ; du côté du couchant, elle est limitée par la mer Issiaque, que certains ont nommée mer Parthénienne »153.

Dans les trois types d’emplois que nous venons d’étudier, le terme Aethiops a d’abord été employé pour évoquer l’existence d’un genre humain imaginaire. Ensuite, il a désigné les habitants d’une zone géographique qui a abrité des populations à la peau foncée. Enfin, il a été le vocable qui symbolisait l’identité nationale d’un groupe d’hommes. Cependant, par delà ces significations qui sont en quelque sorte secondaires, le terme Aethiops a désigné dès ses débuts l’Homme Noir comme le prouve son étymologie. Nous verrons dans le chapitre qui suit qu’à chaque fois qu’il est employé par les auteurs classiques, il indique nécessairement le Noir car toute autre traduction serait erronée.

151 PLINE L’ANCIEN, Naturalis historia 2, 184. 152 AMMIEN MARCELLIN, Res gestae 22, 15, 31. 153 ID., op. cit., 22, 15, 2.

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