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1.3 POURQUOI LES AETHIOPES ONT-ILS LA PEAU FONCÉE ? LES RÉPONSES DES ANCIENS

1.3.2 L’effet du soleil et l’influence du climat sur les Aethiopes

1.3.2.1 Les Aethiopes brûlés par les rayons du soleil

Les tentatives d’explication physiologique de la couleur de peau des Aethiopes sont nombreuses dans les textes latins. Des auteurs de différentes disciplines s’y employèrent en étudiant la question chacun dans son domaine. Malgré cette pluralité d’approches qui devrait nous conduire vers des conclusions divergentes, les points de vue sont pourtant unanimes. En effet, la majorité s’accordent à dire que ces hommes sont noircis par le soleil aux rayons excessivement chauds.

Le témoignage d’Ovide est plein de sens et de vraisemblance. Mais il convient de souligner qu’il relève de la mythologie contrairement aux récits des autres auteurs que nous étudierons plus loin. Ovide traite ce thème de la couleur de peau des Aethiopes dans un passage des Métamorphoses relatif à la légende de Phaéton qui conduisait avec maladresse le char de son père Phébus, dieu du soleil. Ayant perdu le contrôle des chevaux, Phaéton embrasa la terre ; les étincelles et la fumée montèrent jusqu’à lui. Ce sont les flammes de ce feu qui ont brûlé et noirci les Éthiopiens. Le poète l’explique en ces termes :

Sanguine tum credunt in corpora summa uocato Aethiopum populos nigrum traxisse colorem ; tum facta est Libye raptis umoribus aestu arida ; tum nymphae passis fontesques lacusque defleuere comis.

« C’est alors, dit-on, que le sang des peuples des Éthiopiens, attiré à la superficie de leur corps, leur donna leur teint noir ; c’est alors que la Libye, à qui toute humidité fut ravie par la chaleur brûlante, devint

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aride ; c’est alors que les Nymphes, les cheveux épars, pleurèrent leurs sources et leurs lacs »210.

Ovide livre dans ce passage l’une des premières exégèses de la littérature latine sur la couleur des Noirs. Son propos intervient dans un domaine où l’on donne libre cours à l’imagination et où l’on se sert de l’imaginaire et du fabuleux pour expliquer le réel. Toutefois, malgré cette licence poétique et fantasmagorique à laquelle il s’est livré, on peut déceler dans ce récit l’aspect plus ou moins scientifique de sa thèse. En effet, au moment où beaucoup se contentaient de dire que les Aethiopes sont noirs parce qu’ils sont brûlés par le soleil, Ovide laisse entendre qu’ils sont devenus noirs à la suite d’une réaction biologique causée par « la chaleur brûlante », aestu. C’est cette chaleur du soleil qui attire « le sang des peuples Éthiopiens » (sanguine ; Aethiopum populos) « à la surface de leur corps » (in corpora summa). C’est ainsi qu’ils obtinrent leur « teint noir » (nigrum colorem). De fait, bien que fabuleux, le témoignage d’Ovide se rapproche des commentaires qui ont été faits sur le sujet et qui s’appuyaient sur des observations beaucoup plus scientifiques, comme ceux d’Hygin. Ce dernier, spécialiste des questions relatives à l’astronomie, est l’un des premiers auteurs latins à construire un raisonnement logique sur le sujet que nous sommes en train de traiter. Dans un long exposé du De astronomia, œuvre où il traite des sphères célestes et décrit les constellations, Hygin introduit un exposé sur le teint noir des Aethiopes en expliquant que leur couleur de peau est causée par leur proximité avec le soleil. Il écrit :

Hoc circulo facto, dimidia sphaerae pars constituta perspicitur. E contrario item simili ratione a notio polo sex partibus sumptis, ut supra de boreo diximus, circulus ductus ἀνταρκτικός uocatur, quod contrarius est ei circulo quem ἀρκτικόν supra definiuimus. Hac definitione sphaerae centroque poli qui notius dicitur quinque partibus sumptis, circulus χειμερινὸς τροπικός instituitur, a nobis hiemalis, a nonnullis etiam brumalis appellatus, ideo quod sol cum ad eum circulum peruenit, hiemem efficit his qui ad aquilonem spectant, aestatem autem his qui in austri partibus domicilia constituerunt. Quanto enim abest longius ab his qui in aquilonis habitant finibus, hoc hieme maiore conflictantur, aestate autem hi quibus sol adpositus peruidetur. Itaque Aethiopes sub utroque orbe necessario fiunt. Ab hoc circulo ad aequinoctialem circulum reliquae fiunt partes quattuor, ita uti sol per octo partes sphaerae currere uideatur. Zodiacus autem circulus sic uel optime definiri poterit, ut signis factis, sicut postea dicemus, ex ordine circulus perducatur. Qui autem lacteus uocatur, contrarius aequinoctiali, ibi oportet ut eum medium diuidere et bis ad eum peruenire uideatur, semel in eo loco ubi Aquila constituitur, iterum autem ad eius signi regionem quod Procyon uocatur.

« Par le tracé de ce cercle se trouve clairement établie la moitié de la sphère. Inversement, si par un procédé semblable on prend, à partir du pôle austral, six parties, de même que nous l'avons dit plus haut à propos du pôle boréal, on trace le cercle appelé antarctique parce qu’il est opposé au cercle que nous avons défini plus haut comme arctique. Si, avec cette détermination de la sphère et avec le pôle appelé austral pour centre, on prend cinq parties, on établit le tropique d'hiver, appelé par nous hiemalis et aussi, quelques-uns, brumalis, parce que le soleil, parvenant à ce cercle, produit l'hiver pour ceux qui regardent vers l'aquilon, et l'été pour ceux qui se sont établis dans les régions australes. Plus le soleil est éloigné des habitants des régions de l’aquilon, plus long est l’hiver qui les tourmente, mais c'est l'été qui tourmente ceux desquels le soleil paraît tout proche. C’est pourquoi il y a nécessairement des Éthiopiens sous l'un et l'autre cercle. De ce cercle jusqu’au cercle équinoxal il reste quatre parties, en sorte que le soleil paraît se déplacer à travers huit parties de la sphère. Le cercle zodiacal pourra être

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déterminé de la meilleure façon si, ayant placé les constellations, comme nous le dirons par la suite, on trace ensuite un cercle complet. Quant à celui qu'on appelle lacté, perpendiculaire à l'équateur, il faut qu'il paraisse le partager en son milieu et l'atteindre deux fois, une fois à l'endroit où se trouve l'Aigle, l'autre dans le secteur de la constellation appelée Procyon »211.

Des critiques contemporains soutiennent, tout en reconnaissant l’intérêt historique du

De astronomia, qu’Hygin y fait preuve de prétention scientifique. C’est le cas de A. Tihon qui,

dans son compte rendu de l’édition de ce traité par A. Le Bœuffle, écrit : « Le De Astronomia d'Hygin appartient donc à un genre fort bien représenté dans la littérature latine, celui des Aratea, texte en prose, […], qui propose un catalogue d'étoiles assorti de leurs légendes, non sans faire preuve de quelque prétention scientifique, en donnant quelques notions astronomiques - mais combien confuses et rudimentaires ! Est-ce à dire qu'un traité de ce genre n'a guère d'intérêt pour les historiens de l'astronomie ? Loin de là. Outre son utilité pour l'histoire des catalogues d'étoiles, ce qui n'est pas un mince secteur, des textes de ce genre permettent aux spécialistes de retrouver des fragments de théories astronomiques perdues […] »212.

En effet, quelle que soit la valeur scientifique que les spécialistes accordent à ce traité, on ne peut se désintéresser de la démarche rationnelle qu’Hygin a adoptée dans ce passage. Il commence par décrire la course du soleil qui, selon sa position, « produit l’hiver pour ceux qui regardent vers l'aquilon » (hiemem efficit his qui ad aquilonem spectant), et « l'été pour ceux qui se sont établis dans les régions australes » (aestatem autem his qui in austri partibus

domicilia constituerunt). Mais ces saisons sont déterminées par la proximité ou l’éloignement

de l’astre avec l’un ou l’autre des deux pôles. Ainsi, l’hiver est long lorsque le soleil s’éloigne des régions de l’aquilon. « Mais, poursuit-il, c'est l'été qui tourmente ceux desquels le soleil paraît tout proche » (aestate autem hi quibus sol adpositus peruidetur). Par ce témoignage qui repose sur un développement apparemment cohérent pour un spécialiste de son époque, Hygin devient l’un des précurseurs latins de la théorie de la proximité dont le principe est que les

Aethiopes sont brûlés par le soleil à cause de sa position toute proche de leur pays. De surcroît

à l’époque, il était généralement admis que les longues durées de l’été et la chaleur accablante du soleil sont des caractéristiques du climat des Éthiopiens et même et celui des Indiens213.

Compte tenu de tous ces constats, la conclusion qu’il tire de son argumentation confirme cette théorie sur l’action du soleil sur la peau des Aethiopes, et il résume cette action en disant : Itaque

211 HYGIN, De astronomia 1, 7.

212 A. TIHON, « Hygin. L'astronomie », dans Revue belge de philologie et d'histoire, t. 64, fasc. 1, 1986, Antiquité

– Oudheid, p. 131-132, ici p. 131.

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Aethiopes sub utroque orbe necessario fiunt (« C’est pourquoi il y a nécessairement des

Éthiopiens sous l'un et l'autre cercle »). Il y a, en effet, une très grande conviction dans son propos et il le montre clairement. L’emploi de necessario ‘nécessairement’ n’est pas du tout fortuit dans ce contexte de discussion scientifique où l’on cherche à expliquer avec exactitude des phénomènes et à prouver leur existence. Il traduit une certitude que l’on peut retrouver dans la suite de son exposé, où il dit :

Praeterea hinc quoque intellegimus illic maximum frigus et in aestiuo circulo calorem esse, quod quae terra habitatur, eos tamen uidemus, qui proxime sunt arcticum finem, uti bracis et eiusmodi uestitu †uestium†, qui autem proximi sunt aestiuo circulo, eos Aethiopas et perusto corpore esse.

« De plus, nous comprenons aussi pour cette raison les excès de froid là-bas et les excès de chaleur sur le cercle estival, puisque même dans les zones habitées de la terre nous voyons que ceux qui sont le plus près du cercle arctique portent des braies et des vêtements de ce genre, et que ceux qui sont les plus proches du cercle estival sont les Éthiopiens, avec le corps brûlé »214.

Il semble bien qu’ici Aethiopes renvoie nettement à la couleur de la peau, si on lit :

uidemus eos qui proximi sunt aestiuo circulo esse Aethiopas et perusto corpore, « nous voyons

que ceux qui sont les plus proches du cercle estival sont des Aethiopes, avec le corps brûlé ». Hygin donne une précision intéressante sur l’effet du soleil sur la peau des Aethiopes. L’expression perusto corpore (« avec le corps brûlé »), traduisant la radiation subie par la peau des Éthiopiens, est une tournure bien connue des Anciens qui l’utilisaient pour décrire les habitants des régions éthiopiennes. L’on verra d’ailleurs que depuis Hygin jusqu’à Servius, les auteurs n’ont cessé d’employer des phrases ou locutions similaires pour évoquer la coloration de la peau des Noirs.

Nous pouvons citer l’exemple de Manilius qui fournit deux témoignages sur la couleur de peau des différents peuples de la terre en général, et sur celle des Aethiopes en particulier. On y lit des expressions qui sont sémantiquement très proches de celle qu’Hygin a employée. Il écrit dans le premier passage :

Martia Romanis urbis pater induit ora

Gradiuumque Venus miscens bene temperat artus, perque coloratas subtilis Graecia gentes

gymnasium praefert uultu fortisque palaestras, et Syriam produnt torti per tempora crines. Aethiopes maculant orbem tenebrisque figurant perfusas hominum gentes ; minus India tostos progenerat ; tellusque natans Aegyptia Nilo lenius irriguis infuscat corpora campis

iam propior mediumque facit moderata tenorem. Phoebus harenosis Afrorum puluere terris exsiccat populos, et Mauretania nomen

« Le père de la Ville donne aux Romains un visage martial ; et Vénus, se mêlant à Gradivus, donne au corps une belle harmonie, et le teint des nations de la subtile Grèce montre sur leur visage leur excellence au gymnase et à la palestre, et des cheveux crépus sur les tempes dénoncent la Syrie. Les Éthiopiens font une tache dans l'univers et représentent les peuples toujours enveloppés de ténèbres ; l’Inde engendre des hommes moins brûlés ; la terre égyptienne, où coule le Nil, obscurcit les corps de façon moins lourde à cause de ses débordements sur les plaines, plus proche qu’elle est de nous, et produit, en l’équilibrant, un ton

65 oris habet titulumque suo fert ipsa colore. moyen. Phébus dessèche les peuples des Africains sur

leurs terres sableuses et poudreuses, et la Maurétanie a le nom qui s’applique au visage de ses habitants et porte l’appellation que lui vaut le teint qui la caractérise »215.

Pour montrer les nuances dans le teint des hommes à la peau foncée ou basanée, Manilius emploie des termes et des verbes aussi différents les uns des autres, mais qui traduisent tous l’idée d’une couleur de peau qui a subi l’action des rayons solaires. D’abord, il dit à propos des Indi qu’ils sont « moins brûlés » (minus tostos) que les Aethiopes216. Il nous paraît important

d’ouvrir une parenthèse pour signaler l’usage fréquent dans les textes latins de la comparaison entre ces deux peuples. En effet, cette comparaison est également faite par Pline l’Ancien dans un passage identique à celui de Manilius. Le naturaliste y souligne la différence entre le teint brûlé des Aethiopes et le teint basané des Indi et l’exprime en ces termes :

A Gange uersa ad meridiem plaga tinguntur sole populi, iam quidem infecti, nondum tamen Aethiopum modo exusti ; quantum ad Indum accedunt, tantum colore praeferunt.

« Dans la zone située au midi du Gange, les peuples sont hâlés par le soleil, avec déjà le teint basané, mais non pas encore brûlé comme celui des Éthiopiens. Plus on va vers l'Indus, plus le teint est foncé »217.

L’affirmation de Manilius, minus India tostos progenerat (« l’Inde engendre des hommes moins brûlés »), est davantage développée chez Pline l’Ancien. Celui-ci estime que ces mêmes Indi « sont des peuples hâlés par le soleil, avec déjà le teint basané » (tinguntur sole

populi, iam quidem infecti). Il ajoute même une précision qui marque la nuance qui existe dans

la couleur de peau des types éthiopien et indien que Manilius n’avait pas mentionnée. Cette précision donne tout son sens à la comparaison que nous évoquions plus haut : nondum tamen

Aethiopum modo exusti […] tantum colore praeferunt (« mais non pas encore brûlé comme

celui des Éthiopiens. […] plus le teint est foncé »).

Après cette parenthèse, nous constatons que Manilius décrit ensuite les Aegyptii comme des hommes aux corps moins obscurcis que ceux des précédents. Il l’explique en employant le verbe infuscare218 qui désigne une couleur tirant sur le noir : Aegyptia infuscat corpora

215 MANILIUS, Astronomica 4, 723. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux hommes foncés ou brunis c’est-à-dire

les Aethiopes, les Indi, les Aegyptii, les Afri et les Mauri.

216 La comparaison est sous-entendue. Le minus tostos est en effet employé par rapport aux Aethiopes cités dans

les vers précédents : Aethiopes maculant orbem tenebrisque figurant / perfusas hominum gentes […].

217 PLINE L'ANCIEN, op. cit., 6, 70.

218 Sur la sémantique de ce verbe, voir J. ANDRÉ, Étude sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris,

Klincksieck, 1949, p. 125, s. u. Fuscus : « Fuscus est le seul terme à posséder les deux sens de ‘brun’ et de ‘noir’.

Fuscare et infuscare ne signifie que ‘noircir, assombrir’, […] ». Voir aussi op. cit. p. 123 : « Fuscus a la même

origine que furuus et, comme lui, marque une teinte sombre. Il a servi à former des dérivés et composés peu employés, infuscus (Col., 9, 3, 1), suffuscus (Tac., Agr. 12, 11), suffusculus (Apul., Met. 2, 13, 1), fuscator (Luc., 4, 66) et enfin les verbes plus usités fuscare et infuscare ».

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moderata (« la terre égyptienne obscurcit les corps de façon moins lourde »). Quant à la

description des Africains à propos desquels Manilius dit qu’ils sont desséchés par Phébus (Phoebus Afrorum exsiccat populos), ce sont uniquement l’emploi du verbe exsiccare et la mention de Phébus, dieu du soleil, qui nous renvoient à l’action que l’astre exerce sur ces peuples. S’agissant des Maures, Manilius les décrit en faisant allusion à l’étymologie grecque du mot. Selon P. Chantraine, le terme est attesté pour la première fois chez Homère219 comme

« épithète d’un fantôme sombre, difficile à distinguer » et « exprime de façon générale l’obscurité »220. Par conséquent, quand on lit : Mauretania nomen oris habet titulumque suo fert ipsa colore (« et la Maurétanie a le nom qui s’applique au visage de ses habitants et porte

l’appellation que lui vaut le teint qui la caractérise »), il faut comprendre que Manilius fait allusion au teint sombre (suo colore). Cependant, l’utilisation du vocabulaire de l’obscurcissement pour décrire ces peuples est pleine de sens. C’est une façon pour l’auteur de montrer la transformation de leur couleur de peau par les rayons solaires. Mais cette transformation est beaucoup plus visible chez les Aethiopes. D’ailleurs les observations faites sur les Indi, les Aegyptii, les Afri et les Mauri laissent penser que les populations des régions éthiopiennes sont tellement noires que Manilius considère qu’elles « font une tache dans l'univers et représentent les peuples toujours enveloppés de ténèbres » (Aethiopes maculant

orbem tenebrisque figurant perfusas hominum gentes).

Mais c’est dans le second témoignage qu’il donne clairement une explication de la couleur de peau des habitants de l’Éthiopie. Dans le passage cité plus haut, Manilius plaçait les

Aethiopes dans un environnement imagé où ils sont dominés par l’obscurité et les ténèbres,

tandis que dans le texte ci-dessous il explique de manière poétique cette teinte en disant : Ardent Aethiopes Cancro, cui plurimus ignis :

hoc color ipse docet. « Les Éthiopiens sont brûlés par le Cancer et son feu excessif : cela est montré par leur teint lui-même »221.

L’explication n’est pas du tout inédite dans la littérature latine. Manilius ne fait que réaffirmer une thèse soutenue par plusieurs de ses prédécesseurs mais aussi par ses contemporains. Le fait d’expliquer la couleur des Noirs par l’action du soleil est un argument récurrent chez les Anciens. On notera d’une part l’expression de la cause à travers le semblant d’accumulation regroupant les termes Ardent (« sont brûlés »), Cancro (« le Cancer - qui est

219 HOMÈRE, Odyssée 4, 824 et 835.

220 P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Les Éditions

Klincksieck, 1977, s. u. ἀμαυρός.

67 une chaleur violente - »), et plurimus ignis (« feu excessif »), et d’autre part l’expression de la conséquence par la phrase hoc color ipse docet (« cela est montré par leur teint lui-même »). D’ailleurs, c’est à travers cette relation de cause à effet que d’autres auteurs ont expliqué ce fait, parfois avec des constructions qui se ressemblent énormément et non sans exagération. À titre d’exemple, on peut citer un passage des Questions naturelles de Sénèque dans lequel le philosophe dit :

Primum Aethiopiam feruentissimam esse indicat hominum adustus color et Trogodytae, quibus subterraneae domus sunt. Saxa uelut igni feruescunt non tantum medio sed inclinato quoque die ; ardens puluis nec humani uestigii patiens ; argentum replumbatur ; signorum coagmenta soluuntur ; nullum materiae superadornatae manet operimentum.

« En premier lieu, ce qui prouve que l'Éthiopie est une région écrasée par la chaleur, c'est le teint brûlé de ses habitants, ainsi que les Troglodytes, dont les demeures sont souterraines. Les pierres y sont comme brûlantes de feu, non seulement à midi, mais aussi au déclin du jour ; le sable brûle, et il est impossible d’y poser le pied ; l’argent se sépare du plomb ; les soudures des statues fondent ; aucun placage ne tient sur la matière sur laquelle on applique des ornements »222.

Sénèque veut témoigner de la température dans les régions éthiopiennes et prouver qu’elles sont frappées par de forts rayons solaires. Mais comme nous l’avons dit plus haut, il faut se rappeler qu’au-delà de ses considérations météorologiques, son témoignage s’inscrit dans une volonté de présenter et de placer l’Éthiopie dans une zone inhospitalière, « écrasée par la chaleur » (Aethiopiam feruentissimam). Il le fait en décrivant ce pays avec exagération : en témoigne par exemple la description des pierres (Saxa uelut igni feruescunt). Par conséquent,

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