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La sociologie des gentrifieurs, qui sont souvent qualifiés de « nouvelle classe moyenne », forme une question à part entière. Elle est abordée tant par l’analyse de leur position socioprofessionnelle et des structures de ménages que par le mode de vie qu’ils adoptent dans les quartiers qu’ils investissent. Les différents travaux dont j’ai fait état dans ce chapitre montrent à la fois une grande diversité interne de ces gentrifieurs et une forte parenté générale à travers le monde. Celle-ci témoigne d’une évolution similaire des structures d’emploi dans les pays riches, comme de la circulation internationale des modèles culturels et de consommation. Cette circulation est d’autant plus fluide et rapide qu’elle concerne des lieux aussi médiatisés et connus que le centre des grandes

villes et des groupes sociaux particulièrement réceptifs à cette circulation, voire en partie eux-mêmes producteurs de ces modèles et des images qui les alimentent. Là encore, l’étude du contexte parisien permettra de vérifier ou d’infirmer cette parenté internationale entre les gentrifieurs.

Enfin, cette revue de la littérature consacrée à la gentrification a montré le paradigme critique qui structure son analyse depuis l’invention du terme dans les années 1960. Processus d’appropriation de l’habitat et des quartiers populaires par des ménages plus aisés, la gentrification entraîne l’éviction des classes populaires des centres-villes. Et la mixité sociale transitoire que la gentrification introduit dans les quartiers populaires – même pour une longue période dont on ne voit pas la fin – ne doit pas masquer cette réalité. En matérialisant la concurrence sociale à travers la transformation des quartiers anciens, la gentrification est une des formes dynamiques que prend la lutte des classes dans l’espace urbain. La concurrence qu’elle induit entre les différents groupes sociaux, à la fois entre gentrifieurs et classes populaires, mais aussi entre les gentrifieurs et d’autres fractions des classes moyennes et supérieures, est autant matérielle que symbolique et dépasse la seule appropriation de l’habitat, comme le montre la transformation des commerces qui accompagne en général la gentrification. Cette réalité conflictuelle de la gentrification oblige le chercheur à ne pas se contenter de l’analyse des facteurs structurels du processus, des formes apparemment spontanées qu’elle prend dans l’espace urbain et du seul groupe des gentrifieurs, sous peine d’en donner une représentation tronquée. L’étude de la gentrification se doit d’interroger également le rôle que jouent les politiques publiques dans ce processus et de prendre en compte l’ensemble des groupes sociaux qui y sont confrontés, en particulier les classes populaires. C’est d’ailleurs là toute la richesse de la notion de gentrification, qui se situe à l’intersection des rapports sociaux et des formes urbaines.

L. Lees a souligné l’importance du contexte géographique dans l’appréhension de la gentrification (Lees, 2000). Celui d’une ville comme Paris implique l’histoire, l’économie et le cadre politique français, mais aussi l’histoire propre de la ville, sa position de capitale, le parc de logements, les structures d’emploi et les politiques locales. La capitale française s’inscrit à la croisée de plusieurs contextes : celui des villes mondiales ou internationales, celui des villes européennes, celui de la France enfin (notamment pour le cadre politique et économique).

Ce chapitre a pour but de préciser le contexte parisien dans lequel a lieu la gentrification à travers une mise en perspective historique. Il portera sur la région parisienne dans son ensemble, son héritage industriel et les transformations économiques, sociales et politiques récentes, sans prétendre néanmoins à l’exhaustivité. La question est de savoir dans quelle mesure la gentrification est la traduction de ces transformations dans l’espace parisien. En faisant la synthèse des principaux travaux consacrés à ces transformations récentes, je ferai le parallèle avec d’autres villes comparables par leur place économique et leur parc de logements, comme Londres, ou encore par l’importance de leur patrimoine historique, comme les villes d’Europe du Sud.

Sans retracer l’histoire de Paris depuis la Révolution industrielle, j’en développerai en particulier deux aspects, qui correspondent à deux périodes historiques importantes : dans un premier temps, je rappellerai l’importance de l’héritage de la ville industrielle, que ce soit sur le plan urbain ou sur le plan social ; dans un second temps, je ferai le point sur les transformations contemporaines faisant de Paris une métropole post-industrielle, en abordant notamment les notions de « ville mondiale » et de « polarisation sociale ». Enfin, je verrai quelles ont été les prémices de la gentrification, à travers les politiques d’urbanisme menées à Paris, et les premiers cas étudiés d’installation de ménages aisés dans un quartier populaire.

1. L’héritage de la ville industrielle

Paris se caractérise par l’ancienneté de son tissu urbain, qui date de l’Antiquité, même si le bâti le plus ancien remonte à la Renaissance. On peut encore suivre le cardo maximus romain rue Saint- Jacques dans le 5e arrondissement, se croire au Moyen-Âge sous les gargouilles de l’église Saint- Gervais- Saint-Protais dans la rue des Barres et face aux immeubles à colombages du XVe siècle de la rue François Miron, à quelques pas de là, dans le 4e arrondissement. De ce point de vue, Paris s’apparente aux villes d’Europe du Sud comme Rome avec qui elle partage un riche patrimoine historique et la complexité du tissu urbain qui en découle (Petsimeris, 2005). Cela la distingue de Londres, qui fut détruite par le grand incendie de 1666 et les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, même si elle partage avec elle l’ancienneté de sa position de capitale.

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