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1 2 Le premier axe de la structure socio-spatiale parisienne oppose toujours bourgeoisie et classes populaires

À l’issue d’une telle évolution de la composition sociale générale de la population parisienne, on pourrait s’attendre à une transformation équivalente de la division sociale de l’espace. Il apparaît au contraire que celle-ci se maintient largement.

En étudiant la répartition spatiale des actifs résidents à Paris en 1962, J. Brun et Y. Chauviré mettaient en évidence un premier axe factoriel, résumant à lui seul près de 77 % de l’information du tableau de départ. Cet axe opposait les professions libérales et cadres supérieurs – auxquels s’associait le personnel de service – aux ouvriers qualifiés ou non : il représentait « l’inscription dans l’espace d’une hiérarchisation des statuts socio-économiques » (Brun, Chauviré, 1983, p. 111). Cette opposition principale et sa persistance ont été soulignées par la plupart des chercheurs ayant travaillé sur l’agglomération parisienne (cf. notamment Rhein, 1986, 1998a, 2000 et Préteceille, 2003).

Encadré 8. Méthodologie : l’AFC sur les CS détaillées de la population des ménages

Pour étudier la composition sociale des quelques 900 IRIS de Paris et leur évolution entre 1982 et 1999 à partir des CS détaillées en 42 postes de la population des ménages, j’ai procédé à une analyse factorielle des correspondances (AFC) 56 : cette méthode repose sur l’analyse des correspondances et associations entre les différentes catégories (ici, les CS) et permet de replacer les IRIS par rapport à cette structure mise en évidence. Une première analyse menée sur le tableau de 1982 a permis d’identifier une dizaine d’IRIS très spécifiques par rapport à cette structure (dont trois en particulier avaient une spécificité une à quinze fois supérieure aux autres). Ces IRIS, deux du quartier de la Gare dans le 13e arrondissement et un du quartier de Clignancourt dans le 18e, ont été mis de côté (mais néanmoins situés sur les axes factoriels) dans une seconde AFC. En 1999, le même procédé a identifié une vingtaine d’IRIS très spécifiques, mais seul un IRIS, l’un des deux du quartier de la Gare de 1982 – qui contribuait de six à trente-six fois plus à différents facteurs – a été mis de côté. En 1982 comme en 1999, la deuxième AFC présente trois premiers axes factoriels résumant la moitié de l’information contenue dans le tableau initial. La représentation des différents CS sur deux graphiques cartésiens réunissant deux de ces trois facteurs permet, en s’appuyant sur la matrice des corrélations, d’analyser la structure socio-spatiale de l’espace parisien à l’échelle des IRIS : à l’extrémité d’un axe se rassemblent les CS des habitants qui vivent dans les mêmes IRIS, les deux extrémités d’un axe opposant celles des habitants qui vivent le moins côte à côte. La comparaison de ces graphiques aux deux dates considérées permet de saisir l’évolution de cette structure socio- spatiale. La position des IRIS sur les différents axes factoriels est représentée par des cartes que l’on analyse en les confrontant à la contribution respective des IRIS à chaque axe factoriel (cf. annexes 2 et 6).

56 L’AFC a été menée à chaque date sur les IRIS de Paris comptant au moins 100 ménages. Parmi les CS détaillées, les agriculteurs, quasiment absents, d’une part, et le clergé, les policiers et les militaires (dont les militaires du contingent), dont la distribution dans l’espace est très particulière, d’autre part, ont été mis à l’écart de l’analyse.

Graphique 11. Les deux premiers facteurs de l’AFC sur les CS détaillées de la population des ménages des IRIS de Paris en 1982

Lecture : sur le premier facteur (axe horizontal), les chefs d’entreprise s’opposent fortement aux ouvriers non qualifiés de l’industrie ; sur le deuxième facteur (axe vertical), les chefs d’entreprise s’opposent fortement aux professions intermédiaires de la fonction publique.

Graphique 12. Les deux premiers facteurs de l’AFC sur les CS détaillées de la population des ménages des IRIS de Paris en 1999

Ce même premier axe factoriel est, en effet, toujours repérable en 1982 comme en 1999 à partir de l’AFC sur les CS détaillées de la population des ménages (encadré 8) comme le montrent les graphiques 11 et 12. En 1982 comme en 1999, l’opposition classique entre bourgeoisie et classes populaires représente le principal facteur de la division sociale de l’espace. Le premier axe factoriel oppose les chefs d’entreprise, les professions libérales et les anciens cadres d’un côté, aux ouvriers de l’industrie, de la manutention, du magasinage et du transport et aux ouvriers non qualifiés de l’artisanat de l’autre. Aux deux dates, ce premier axe représente le tiers de la variance, les trois premiers résumant la moitié de l’information du tableau de départ. Cette moindre importance relative des premiers axes factoriels par rapport aux analyses menées en 1962 s’explique avant tout par le plus grand niveau de détail des données que j’ai utilisées, à savoir les CS détaillées en 42 postes de la population des ménages au lieu des neufs groupes d’actifs utilisés par J. Brun et Y. Chauviré en 1962, mais aussi les quelques 900 IRIS de Paris au lieu des 80 quartiers. Une même analyse menée par E. Préteceille sur les CS détaillées des actifs d’Île-de-France à l’IRIS, donnait un premier axe factoriel similaire résumant 38 % de la variance totale (Préteceille, 2003, p. 11). La gentrification, qui conduit des ménages des CS supérieures à habiter les mêmes quartiers que ceux des CS populaires, joue probablement aussi un rôle dans cette atténuation. Elle ne remet cependant pas en cause l’opposition majeure entre ces deux pôles, qui s’est même accrue entre 1982 et 1999.

Cela peut s’expliquer par la sociologie propre des gentrifieurs, qui ne correspond pas à la grande bourgeoisie : parmi les CPIS, les professions de l’information, des arts et des spectacles, les professeurs et les ingénieurs se sont rapprochés du centre de l’axe entre ces deux dates et donc des CS populaires, indiquant peut-être le résultat du processus.

Ce premier axe structurant la division sociale de l’espace parisien se maintient nettement devant les autres facteurs. C’est cette opposition majeure que traduit le contraste social entre l’ouest et le sud de Paris d’une part et l’est et le nord d’autre part, comme le montre la position des IRIS sur le premier axe factoriel cartographiée en annexe (cf. annexes 2 et 6). Sans surprise, ce sont les IRIS les plus bourgeois de l’Ouest parisien et les plus populaires du Nord-Est parisien qui contribuent le plus à la construction de ce premier facteur. La persistance de cette opposition socio-spatiale suggère le maintien en 1999 de quartiers populaires où se concentre encore une population ouvrière significative malgré l’embourgeoisement général de Paris, mais aussi l’exclusivité sociale croissante des Beaux quartiers, dont les classes populaires s’éloignent de plus en plus.

1. 3. Secteurs d’activité, types de logements : d’autres facteurs de

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