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2 1 Paris ouvrier et Paris bourgeois dans les années 1960-

En 1962, la structure sociale de la population active parisienne est la suivante : les CS populaires (ouvriers et employés dont le personnel de service) rassemblent plus de 64 % des actifs, les CS bourgeoises (industriels, gros commerçants, professions libérales et cadres supérieurs) moins de 12 % et les CS petites-bourgeoises ou intermédiaires (artisans, petits commerçants, cadres moyens) près de 21 % (d’après Brun et Chauviré, 1983, p. 125). Après le maximum démographique atteint en 1921 avec 2,9 millions d’habitants, le dépeuplement structurel de Paris commence dès 1954 (Bonvalet et Lefebvre, 1983), affectant également la population active. Si l’équilibre entre les différentes classes n’a presque pas varié entre 1954 et 1962, les fractions de classe salariées du tertiaire progressent au détriment des autres, notamment des artisans et petits commerçants.

Carte 1. Typologie des quartiers de Paris selon le profil social de la population active en 1962

Source : Atlas des Parisiens (Noin, 1984, planche 76). Typologie d’Y. Chauviré 57.

On trouvera en annexe 16 une carte présentant les noms des différents quartiers de Paris

57 Cette typologie est fondée sur la population active au lieu de résidence (PALR). La nomenclature des CS est celle de 1954 : PLCS : professions libérales et cadres supérieurs ; IGC : industriels et gros commerçants ; PSER : personnel de service ; CMO : cadres moyens ; APC : artisans et petits commerçants ; EMP : employés ; COQ : contremaîtres et ouvriers qualifiés ; OSM : ouvriers spécialisés et manœuvres ; AUT : autres catégories (sauf agriculteurs).

Dans l’espace parisien, quartiers bourgeois et quartiers populaires se distinguent nettement. Le nord du 16e arrondissement forme le cœur des Beaux quartiers qui s’étendent du sud du 17e au sud du 16e en passant par le 8e arrondissement sur la rive droite, et les 6e et 7e arrondissements sur la rive gauche. Les quartiers populaires et en particulier ouvriers, quant à eux, forment un croissant allant du nord du 17e arrondissement au 14e en passant par l’est de Paris. Le centre de Paris et une partie de la rive gauche (5e et 15e notamment) présentent des profils intermédiaires, proches du profil moyen (Brun et Chauviré, 1983 ; Noin, 1984). Celui-ci reste dominé par les classes populaires jusqu’à la fin des années 1970 comme le montrent les tableaux suivants.

Tableaux 1 et 2. L’embourgeoisement des actifs parisiens sur le temps long (1954-1999) 58 Population totale Actifs Taux d’activité (%) Retraités (%) Patrons (%) PLCS (%) Cadres moyens (%) Employés (%) Ouvriers (%) Personnel de service (%) 1954 2 809 863 1 561 714 55,6 6,3 12,3 8,1 11,3 22,0 30,6 13,0 1962 2 798 811 1 498 746 53,5 8,2 9,7 9,6 13,0 23,2 28,5 12,7 1968 2 586 634 1 359 619 52,6 10,8 8,9 11,0 15,2 22,8 26,3 12,8 1975 2 296 945 1 204 675 52,4 13,6 7,2 15,8 16,5 24,2 22,2 11,1 1982 2 188 960 1 109 500 50,7 14,7 6,6 18,8 17,6 24,1 19,7 10,1 Source : INSEE, RGP 1954, 1962, 1968, 1975 et 1982. Population totale Actifs Taux d’activité (%) Retraités (%) Articom (%) CPIS (%) Prof inter (%) Employés (%) Ouvriers (%) 1982 2 188 960 1 109 500 50,7 14,7 7,3 22,1 19,2 32,2 17,6 1990 2 151 245 1 132 419 52,6 15,5 7,1 30,2 21,1 25,9 14,5 1999 2 125 372 1 128 120 53,1 15,5 6,1 34,9 23,0 24,4 10,3 Source : INSEE, RGP 1982, 1990 et 1999.

Les tableaux 1 et 2 permettent de saisir l’embourgeoisement général des actifs parisiens depuis 1954. Le changement de nomenclature des catégories socioprofessionnelles en 1982 crée une rupture dans la série et accroît la perception de l’embourgeoisement : en 1982, le seul changement de nomenclature fait perdre 4 points au CS populaires au profit des professions intermédiaires et des CPIS. Le deuxième tableau est surtout présenté à titre de comparaison et de repère puisqu’il n’apporte pas autant de précision que les graphiques 9 et 10. Cette distorsion qui apparaît à travers le changement de nomenclature rend d’autant plus justifiée l’analyse de la structure sociale à partir des CS détaillées. La série de données allant de 1954 à 1982 permet de cerner les principales phases de l’embourgeoisement. Celui-ci est lisible dès les années 1950 à travers le double mouvement de hausse de la part des CS supérieures et de baisse de celle des CS populaires. Dans les années 1960, si la hausse de la première est toujours modérée (environ 1,5 points de plus entre deux recensements), la baisse de celle des CS populaires s’accélère (-2,5 points en six ans contre -1,2 points en huit ans dans les années 1950). Mais ce n’est qu’à partir de la fin des années 1960 que ce double mouvement

58 Population totale : population sans double compte.

La part des retraités est exprimée par rapport à la population totale. La part des CS est exprimée par rapport à la population active.

Patrons : patrons de l’industrie et du commerce ; PLCS : profession libérales et cadres supérieurs. Articom : artisans, commerçants et chefs d’entreprise ; prof inter : professions intermédiaires.

s’accélère nettement, la part des CS supérieures augmentant de près de 5 points entre 1968 et 1975, tandis que celle des CS populaires diminuait de plus de 4 points. C’est aussi à partir de cette époque que la croissance de la part des cadres moyens compense la baisse de celle des artisans et petits commerçants. Cette accélération de l’embourgeoisement s’inscrit dans un contexte de fort dépeuplement, la population parisienne perdant 500 000 habitants entre 1962 et 1975 : seuls les professions libérales et cadres supérieurs, et les cadres moyens dans une moindre mesure, connaissent une augmentation de leurs effectifs respectifs (Brun et Chauviré, 1983, p. 113). Parmi les classes populaires, les employés sont ceux qui résistent le mieux au dépeuplement et voient ainsi leur part croître parmi les actifs.

Carte 2. Typologie des quartiers de Paris selon le profil social de la population active en 1975

Source : Atlas des Parisiens (Noin, 1984, planche 79). Typologie d’Y. Chauviré 59.

Dès les années 1960, l’embourgeoisement général de la population active se traduit par une recomposition de la division sociale de l’espace. En 1975, les quartiers bourgeois ont progressé sur la rive gauche (5e, 14e), deux types se distinguant déjà nettement (Brun et Chauviré, 1983 ; Noin, 1984) : le premier, typique de la grande bourgeoisie traditionnelle, associe industriels et gros commerçants, professions libérales et cadres supérieurs avec le personnel de service ; il est situé en rive droite, où il s’étend notamment le long des bords de la Seine et sur les îles de la Cité et Saint-

Louis, mais aussi dans certains quartiers du 6e et du 7e bordant la Seine en rive gauche. Le second type, situé uniquement en rive gauche, où il s’étend jusqu’au Parc de Montsouris dans le 14e arrondissement, est avant tout caractérisé par une forte sur-représentation des professions libérales et des cadres supérieurs. Les quartiers populaires sont au contraire en recul sur la rive gauche, en raison d’une forte baisse des ouvriers. Quartiers populaires et ouvriers se recomposent sur la rive droite, se renforçant même dans le centre et le nord de la ville. Il apparaît donc déjà que l’embourgeoisement recouvre des processus divers voire divergents sur lesquels je reviendrai dans la section suivante.

Entre 1975 et 1982, la tendance à l’embourgeoisement s’est poursuivie, parallèlement au dépeuplement. Paris perd près de 100 000 actifs entre les deux recensements. La hausse de la part des CS supérieures et la baisse de celle des CS populaires sont cependant moins fortes (autour de 3 points chacune) que dans la période intercensitaire précédente.

2. 2. Bourgeoisie en extension et classes populaires en recomposition

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