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2 2 Bourgeoisie en extension et classes populaires en recomposition en

Pour analyser la division sociale de l’espace parisien en 1982, j’ai élaboré une typologie des IRIS de Paris en sept classes à partir des CS détaillées de la population des ménages (encadré 9). La carte 3 présente la répartition dans l’espace parisien de ces sept classes qui sont autant de types sociaux. Bien qu’élaborée à l’échelle plus fine des IRIS et à partir des CS détaillées de la population des ménages, cette carte est assez proche de la typologie présentée par J. Brun et Y. Chauviré pour 1975 (carte 2). Cela semble indiquer une faible variation de la géographie sociale de Paris entre 1975 et 1982.

Encadré 9. Méthodologie : la CAH sur les CS détaillées de la population des ménages

Pour élaborer une typologie des différents IRIS selon la composition sociale de la population des ménages, j’ai eu recours à une autre technique d’analyse multivariée, la classification ascendante hiérarchique (CAH). En partant des dix premiers axes factoriels, qui résument près de 70 % de l’information du tableau de contingence, et en pondérant chaque IRIS par sa population, la CAH regroupe les IRIS qui se ressemblent le plus du point de vue de leur composition sociale, en calculant la distance (euclidienne) qui les sépare. Le nombre final de classes est choisi manuellement en fonction des seuils qui se dégagent de l’historique de la procédure automatique d’agrégation, représentée sur un dendogramme (schéma en forme d’arbre inversé), et de l’exigence de lisibilité des différentes classes sur une carte. J’ai en général choisi de ne pas aller au-delà de sept classes, tout en prenant en compte au moins la moitié de l’information initiale. Cette typologie, effectuée pour 1982 et 1999, permet de nombreuses analyses. Les profils moyens de chaque classe sont représentés par des diagrammes en bâton, en pourcentages ou en référence au profil moyen de Paris (cf. annexes 3 et 7). L’analyse de ces profils est d’autant plus riche d’enseignements que l’on peut la mener aux trois dates disponibles (1982, 1990 et 1999) et saisir ainsi l’évolution sociale respective de chacune d’elle (cf. annexes 4 et 5). Cette évolution est résumée par la représentation de chaque classe à chaque date sur les axes factoriels de l’AFC de 1982 (cf. graphique 15).

Carte 3. Typologie des IRIS de Paris selon le profil social de la population des ménages en 1982

La première classe regroupe 47 IRIS, soit à peine 5 % de la population des ménages, et correspond à un profil social très bourgeois : les chefs d’entreprise de plus de 10 salariés y sont très fortement sur-représentés dans la population des ménages par rapport à la moyenne parisienne, les professions libérales, les cadres d’entreprise et les anciens cadres y sont fortement sur-représentés également, toutes les autres CS étant sous-représentées, excepté les commerçants, le personnel de services directs aux particuliers et les inactifs de plus de 60 ans. Il s’agit donc d’un profil presque exclusif des fractions dominantes de la classe dominante, les plus riches en capital économique. Ce type, très circonscrit dans l’espace, correspond aux traditionnels Beaux quartiers de rive droite, dans le 8e, le 16e et le sud du 17e arrondissement. Il est totalement absent ailleurs, si ce n’est trois IRIS dans le 7e arrondissement, entre le Champ de Mars et les Invalides.

La deuxième classe regroupe 133 IRIS, soit 15 % de la population des ménages, et correspond à un profil bourgeois : les cadres d’entreprise, les professions libérales, les chefs d’entreprise et les anciens cadres y sont très fortement sur-représentés, ainsi que, dans une moindre mesure, les autres CPIS, les commerçants (actifs et retraités), les étudiants et les inactifs de plus de 60 ans, tandis que toutes les autres CS y sont sous-représentées. Extension du premier, ce type correspond aux mêmes Beaux quartiers, de rive droite et de rive gauche cette fois, couvrant presque l’intégralité du 6e et du 7e arrondissements (faubourg Saint-Germain), et, avec le précédent, le 8e, le 16e et le sud du 17e. Il déborde légèrement les limites de ces arrondissements sur les franges du 5e, du 14e, du 15e, voire du 9e, et au sommet de la Butte Montmartre dans le 18e.

La troisième classe regroupe 245 IRIS, soit l’une des plus représentées avec 28 % de la population des ménages, et correspond à un profil de classes moyennes et supérieures salariées

ou retraitées : les ingénieurs, les professeurs et les cadres de la fonction publique y sont sur- représentés, ainsi que les cadres d’entreprise dans une moindre mesure ; les professions intermédiaires se situent au-dessus de la moyenne parisienne, qu’ils soient actifs ou retraités (sauf les contremaîtres) et, dans une moindre mesure, les étudiants, les anciens cadres et les anciens employés. Les employés actifs s’y trouvent proches de la moyenne parisienne tandis que les autres CS sont sous-représentées, en particulier les ouvriers. C’est principalement un type de rive gauche, que l’on trouve dans le prolongement du précédent, dans le 5e arrondissement, les 13e, 14e et 15e, mais aussi sur la rive droite dans la partie orientale du 12e arrondissement, l’île de la Cité, l’île Saint-Louis et la partie orientale du 4e arrondissement, et enfin, de façon clairsemée et peu importante, dans les autres arrondissements. Il s’agit essentiellement de quartiers anciennement populaires, comme le Quartier latin ou le Marais au XIXe siècle, ou encore le 13e et le 14e, certains ayant connu d’importantes constructions récentes comme le 12e et le 15e arrondissements. Dans quelle mesure peut-on voir là les prémices d’un processus de gentrification ? C’est une question sur laquelle je reviendrai dans la section suivante.

La quatrième classe regroupe 121 IRIS, soit près de 13 % de la population des ménages, et correspond à un type mixte en voie de gentrification : la plupart des CS y sont proches de la moyenne parisienne, avec une sur-représentation des professions de l’information, des arts et des spectacles, des commerçants, des anciens artisans et commerçants et, dans une moindre mesure, des anciens employés, des artisans et des personnels de services directs aux particuliers. Espaces populaires et de la petite bourgeoisie traditionnelle, ils sont déjà investis par les professions culturelles en 1982, ce qui montre que la gentrification telle qu’on la connaît aujourd’hui a commencé avant 1982 à Paris, par les quartiers centraux. En effet, c’est principalement un type de rive droite : il couvre presque entièrement les quatre premiers arrondissements ainsi que le 9e arrondissement, le sud des Batignolles (17e) et les flancs de la Butte Montmartre (18e). On le retrouve aussi dans des espaces plus éloignés du centre ou des Beaux quartiers comme dans les secteurs haussmanniens de la place Franz-Liszt ou de la place de la République dans le 10e, ceux des boulevards Beaumarchais et Voltaire dans le nord du 11e, ou encore ceux qui bordent le parc des Buttes-Chaumont dans le 19e.

La cinquième classe est la plus importante, regroupant 257 IRIS et plus de 28 % de la population des ménages, et correspond à un profil populaire : les ouvriers, actifs ou retraités, les employés actifs sont sur-représentés et les CPIS fortement sous-représentés. Parmi les actifs, la dominante ouvrière s’est atténuée par rapport aux quartiers populaires de la typologie de 1975 (Brun et Chauviré, 1983 ; Noin, 1984), témoignant de la recomposition des classes populaires parallèlement à leur recul général. Malgré ce recul, ce type reste le plus important et couvre, avec le suivant, l’essentiel de la rive droite, du nord du 17e au sud du 12e arrondissement, étant même encore présent dans les arrondissements centraux (2e et 3e). Il existe aussi sur la rive gauche, autour et derrière la gare Montparnasse, à la limite entre le 14e et le 15e, et dans de nombreux IRIS du 13e. C’est là

l’intérêt de l’échelle de l’IRIS qui permet de mettre en évidence ce qui reste des quartiers populaires de la rive gauche, qui n’apparaissaient plus à l’échelle du quartier dans la typologie de 1975 (carte 2).

La sixième classe, qui regroupe 102 IRIS et 11 % de la population des ménages, correspond à une version accentuée du type précédent, donc très populaire : les ouvriers, actifs et retraités, et notamment les ouvriers non qualifiés de l’industrie, sont fortement sur-représentés, les employés le sont modérément, ainsi que les chômeurs n’ayant jamais travaillé et les inactifs de moins de 60 ans, tandis que les autres CS sont sous-représentées. Ce type correspond à des quartiers populaires bien identifiés, principalement en rive droite, comme les Épinettes à côté des Batignolles (17e arrondissement), la Goutte d’Or, Château Rouge et la Chapelle (18e), Belleville (19e-20e) et le faubourg du Temple (10e-11e), noyaux ouvriers des quartiers populaires dont le type précédent formait l’extension. Certains de ces IRIS se retrouvent aussi au cœur du Sentier (2e), du faubourg Saint-Denis (10e), du faubourg Saint-Antoine (11e-12e), ou de l’ancien village de Charonne (20e) qui, comme les derniers quartiers populaires de la rive gauche, relèvent plus du type précédent. Notons aussi les abords des canaux, même si on peut déjà voir des signes de gentrification dans le bas du canal Saint-Martin, à proximité de la place de la République. Enfin, ce type correspond aux ensembles de logements sociaux construits dans les années 1960-1970, comme ceux de la couronne périphérique des anciennes fortifications de Thiers (du 17e au 15e, dans le sens des aiguilles d’une montre).

Enfin, la septième classe est assez anecdotique avec seulement quatre IRIS (0,2 % de la population des ménages) et correspond à un profil très particulier : les cadres de la fonction publique y sont remarquablement sur-représentés, ainsi que les professions intermédiaires et les employés de la fonction publique. On peut en déduire qu’il s’agit de logements de fonction, éventuellement dans un environnement de logements sociaux comme c’est le cas pour les deux IRIS qui se trouvent dans la ceinture périphérique citée plus haut.

Ainsi, en 1982, la géographie sociale de Paris correspond encore largement à la division traditionnelle de l’espace entre l’Ouest bourgeois et l’Est populaire. Mais celle-ci évolue vers un clivage nord-sud avec l’embourgeoisement précoce de la rive gauche, tant à la faveur des renouvellements de population qu’avec la construction de nouveaux logements. La gentrification a déjà commencé sur la rive droite, en partant du centre de Paris, dans le double prolongement des 5e et 6e arrondissements, au sud, et du 8e arrondissement à l’ouest. Le profil social populaire est cependant le plus répandu, formant un vaste espace de réserve pour une potentielle gentrification.

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