• Aucun résultat trouvé

3 2 Géographie de la gentrification depuis les années

À partir des années 1980, l’embourgeoisement de Paris se poursuit et s’intensifie, toujours sous des formes variées. Comme on l’a vu dans la section précédente, le renforcement de l’exclusivité sociale des Beaux quartiers apparaît plus nettement qu’auparavant, s’accompagnant à nouveau d’un embourgeoisement diffus des espaces limitrophes, notamment sur la rive gauche. La gentrification reste cependant la modalité principale de l’embourgeoisement de Paris et il s’agit ici d’en préciser les contours à partir de l’analyse de l’évolution des quartiers populaires de 1982.

À part quelques enclaves dans les arrondissements périphériques de rive gauche, les quartiers populaires couvrent surtout le quart nord-est de Paris en 1982, des Batignolles (17e) au faubourg Saint-Antoine (11e-12e), même si la gentrification a déjà entamé cet ensemble par les quatre premiers arrondissements et le 9e. Ces derniers ont en commun leur proximité avec les Beaux quartiers de l’Ouest et de la rive gauche et leur position centrale proche des quartiers d’affaires dont le cœur est situé dans le 8e arrondissement. Quelles sont les caractéristiques des quartiers populaires et de ceux dont la gentrification a seulement commencé en 1982 ? Comme le montre le tableau 3, les classes populaires actives représentent environ 52 % de la population des ménages dans les IRIS du type très populaire, plus de 40 % dans le type populaire, et près de 30 % dans le type mixte en voie de

gentrification, les ménages ouvriers étant particulièrement présents dans le type le plus populaire, et notamment les ouvriers non qualifiés de l’industrie. Les classes moyennes actives représentent environ 15 % de la population des ménages dans le type le plus populaire et 20 % dans les deux autres, tandis que la part des classes supérieures actives passe d’à peu près 7 % dans le type très populaire, à près de 15 % dans le type populaire et 22 % dans le type mixte. Ce dernier type apparaît le plus vieillissant de tous, avec plus de 19 % de retraités, contre 16 % pour les deux types populaires. Anciens employés et ouvriers sont majoritaires parmi les retraités de ces deux types (ils représentent respectivement 11 et 13 % de la population des ménages, à peu près à parité), tandis qu’ils font jeu égal avec les autres retraités dans le type mixte en voie de gentrification.

Tableau 3. Répartition sociale de la population des ménages des différents types d’IRIS en 1982

Types 1982 CPIS + chef E 63 (%) Arti + com (%) Prof inter (%) Employés (%) Ouvriers (%) Retraités (%) Autres inactifs (%) Très bourgeois (1) 39,8 6,2 7,6 10,7 8,6 15,7 11,0 Bourgeois (2) 37,8 6,0 9,6 11,3 7,7 17,2 10,0

Classes moy. et sup. (3) 28,2 5,2 15,4 14,6 11,2 17,6 7,6

Mixte (4) 21,9 7,7 12,6 15,3 13,9 19,3 9,0

Populaire (5) 14,4 5,9 15,1 18,9 21,8 16,1 7,5

Très populaire (6) 6,8 5,3 10,2 18,9 33,6 16,6 8,4

Paris 23,0 5,9 13,1 15,8 16,5 17,1 8,4

Source : INSEE, RGP 1982.

Tableau 4. Répartition par âges de la population totale des différents types d’IRIS en 1982

Types 1982 0 à 19 ans (%) 20 à 39 ans (%) 40 à 59 ans (%) 60 ans et plus (%)

Très bourgeois (1) 19,0 30,8 25,3 24,8

Bourgeois (2) 18,6 32,5 24,1 24,8

Classes moy. et sup. (3) 17,5 36,8 23,5 22,2

Mixte (4) 15,5 35,7 23,1 25,7

Populaire (5) 19,8 37,7 22,6 19,8

Très populaire (6) 21,3 34,6 23,9 20,2

Paris 18,5 35,9 23,4 22,1

Source : INSEE, RGP 1982.

Cela est confirmé par le tableau 4 qui montre que la part des moins de 20 ans est supérieure à la moyenne parisienne dans les types populaire et très populaire et celle des plus de 60 ans inférieure, tandis que c’est l’inverse dans le type mixte en voie de gentrification. Celui-ci présente le profil le plus éloigné de la moyenne parisienne en termes de structure par âge. Ces différentes répartitions par âge se traduisent dans la taille moyenne des ménages : la moyenne parisienne est de 1,9 et les pôles opposés de l’espace social ont en commun des ménages plus grands que la moyenne (2), tandis que le type mixte en voie de gentrification se singularise par la moyenne la plus basse (1,8).

63 Les chefs d’entreprise de plus de 10 salariés forment généralement un groupe socioprofessionnel avec les artisans et commerçants. J’ai choisi de les associer plutôt aux CPIS avec lesquels ils partagent une plus grande proximité sociale et une évolution parallèle.

Ces trois types d’espaces suivent une évolution sociale différenciée entre 1982 et 1999. Le premier, qui était déjà en voie de gentrification en 1982, connaît une forte augmentation de la part des chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures, actifs et retraités, entre 1982 et 1990, tandis que celle des employés et ouvriers actifs baisse et que celle des professions intermédiaires et des retraités employés et ouvriers se maintient. En 1990, les CPIS actifs et retraités d’un côté et les employés et ouvriers actifs et retraités de l’autre représentent chacun un tiers de la population des ménages. Tous les IRIS de ce type n’évoluent pas de la même façon puisque la variance intra-classe augmente pendant cette période. Mais elle se réduit à nouveau entre 1990 et 1999 : il s’agit d’une phase de reflux des classes populaires puisque la part des employés et ouvriers baisse, qu’ils soient actifs et retraités, tandis que celle des CPIS continue d’augmenter, ainsi que celle des étudiants. En 1999, on ne peut plus guère parler de quartiers populaires à leur propos puisque les CPIS actifs et retraités représentent 38 % de la population des ménages et les employés et ouvriers, actifs et retraités, 26 %. Dans le même temps, la part des retraités a diminué de plus d’un point, avec moins de 18 % de la population des ménages. Ces IRIS ont alors un profil proche de la moyenne parisienne, c’est-à-dire à dominante bourgeoise, avec néanmoins une sur-représentation des professions de l’information, des arts et des spectacles.

Les IRIS de type populaire en 1982 connaissent, quant à eux, un début de gentrification rapide entre 1982 et 1990 avec une augmentation de la part des CPIS actifs, et une baisse de celle des employés et ouvriers actifs, tandis que celle des retraités de ces catégories se maintient. La gentrification de ce groupe est plus rapide que l’embourgeoisement général de Paris, et les IRIS qui le composent évoluent ensemble, la variance intra-classe restant stable dans cette période. Néanmoins, ils sont encore populaires en 1990 avec plus de 45 % de la population des ménages relevant des CS employés et ouvriers, actifs et retraités, tandis que les CPIS actifs et retraités en représentent moins de 23 %. La gentrification se poursuit entre 1990 et 1999, la part des CPIS continuant d’augmenter, tandis que celles des employés et ouvriers baisse, qu’ils soient actifs ou retraités cette fois. En 1999, les premiers représentent plus de 25 % de la population des ménages, et les seconds moins de 40 %, ce qui correspond au profil des IRIS du type mixte en voie de gentrification en 1982.

Enfin, les IRIS de type très populaire en 1982 connaissent un début de gentrification : on en voit les prémices entre 1982 et 1990 avec une hausse de la part des CPIS, mais aussi des professions intermédiaires, et une baisse de celle des employés et des ouvriers actifs, sauf les ouvriers qualifiés de l’artisanat, tandis que la part des retraités de ces CS augmente, ainsi que celle des inactifs de moins de 60 ans. Mais en 1990, ces IRIS sont toujours très populaires avec presque 60 % de la population des ménages qui relèvent des CS employés et ouvriers, actifs et retraités, tandis que les CPIS actifs et retraités n’en représentent que 13 %. Entre 1990 et 1999, la hausse de la part des CPIS est plus mesurée et se concentre sur les professions de l’information, des arts et des spectacles, celle des professions intermédiaires se poursuit tandis que les employés et les ouvriers continuent de perdre du terrain, même les retraités employés cette fois – alors que les anciens ouvriers se maintiennent et

que les inactifs de moins de 60 ans continuent d’augmenter. En 1999, l’écart s’est réduit entre les CPIS actifs et retraités d’un côté, qui représentent plus de 15 % de la population des ménages, et les employés et ouvriers, actifs et retraités de l’autre, qui en représentent 53 %, mais ce sont toujours des IRIS populaires, dont le profil se rapproche du type populaire de 1982. Durant les deux périodes intercensitaires, la variance intra-classe n’a cessé d’augmenter, indiquant des rythmes d’évolution différenciés, certains IRIS s’embourgeoisant plus vite que Paris en général, d’autres plus lentement.

Dans tous les cas, la principale phase de gentrification a eu lieu entre 1982 et 1990, comme pour l’embourgeoisement général de Paris. Dans les quartiers populaires en voie de gentrification, la période allant de 1982 à 1990 est marquée par une forte progression des CS supérieures et un recul ainsi qu’un vieillissement des CS populaires. Entre 1990 et 1999, la progression des premières se poursuit, mais de façon un peu moins intense, tandis que le recul des CS populaires se généralise, touchant actifs et retraités. Ce schéma est légèrement décalé dans le temps dans le type le plus populaire où les CS populaires résistent le mieux. Dans ces quartiers, la gentrification à ses débuts s’appuie autant sur les CS supérieures que les CS intermédiaires.

Tableau 5. Répartition sociale de la population des ménages des différents types d’IRIS de 1982 en 1999 Types 1982 en 1999 CPIS + chef E (%) Arti + com (%) Prof inter (%) Employés (%) Ouvriers (%) Retraités (%) Autres inactifs (%) Très bourgeois (1) 42,1 6,4 7,5 9,1 5,4 19,8 9,4 Bourgeois (2) 42,2 5,6 9,3 8,2 4,9 20,1 9,4

Classes moy. et sup. (3) 34,4 4,4 15,5 11,0 6,7 20,0 8,0

Mixte (4) 35,0 5,9 14,5 11,0 7,4 17,7 8,3

Populaire (5) 23,4 5,0 17,3 15,9 13,6 16,8 7,9

Très populaire (6) 14,2 5,0 13,9 19,5 21,9 16,6 8,8

Paris 30,2 5,1 14,5 13,1 10,3 18,3 8,3

Source : INSEE, RGP 1999.

Tableau 6. Répartition par âges de la population totale des différents types d’IRIS de 1982 en 1999

Types 1982 en 1999 0 à 19 ans (%) 20 à 39 ans (%) 40 à 59 ans (%) 60 ans et plus (%) Âge moyen

Très bourgeois (1) 19,6 21,7 34,8 23,9 41,9

Bourgeois (2) 18,0 24,9 32,9 24,2 41,8

Classes moy. et sup. (3) 16,4 28,8 33,4 21,5 40,7

Mixte (4) 15,7 30,8 33,8 19,6 40,1

Populaire (5) 19,1 28,8 35,1 17,0 38,4

Très populaire (6) 22,7 26,2 35,0 16,1 37,1

Paris 18,3 28,0 34,1 19,6 39,5

Source : INSEE, RGP 1999.

En 1999, les profils sociaux des trois types de quartiers de 1982 se sont nettement modifiés tandis que leurs profils démographiques évoluent parallèlement au reste de Paris, sans grand bouleversement. Le tableau 5 permet de lire nettement l’embourgeoisement des trois premiers types mais aussi le stade avancé de la gentrification du type 4, dont le profil se rapproche du type bourgeois de 1982 avec toutefois une part plus importante des professions intermédiaires. Le type populaire présente un profil très similaire à celui du type mixte en 1982, seule la part des professions

intermédiaires y est plus forte là encore, tandis que celle des retraités y est plus faible. Ce constat permet de souligner le rôle non négligeable que tiennent les professions intermédiaires dans le processus de gentrification. Dans le dernier type, en revanche, leur part a augmenté moins vite que celle des CPIS et l’évolution des classes populaires y est contrastée : la part des ouvriers perd plus de dix points tout en restant largement supérieure à la moyenne parisienne, tandis que celle des employés augmente légèrement, à rebours de l’évolution générale. Il apparaît que la gentrification ne suffit pas à expliquer les transformations sociales de ce dernier type d’IRIS, toujours populaire en 1999.

Comme la distribution de la taille moyenne des ménages entre les différents types, la répartition par âges se maintient globalement entre les deux dates. Le tableau 6 montre que les différents profils suivent l’évolution générale de Paris : si la part des moins de 20 ans est stable, la fin de la génération du baby boom vieillit et n’est pas remplacée par une génération aussi nombreuse de jeunes adultes (20-39 ans). En revanche, l’arrivée de classes creuses dans la génération des 60 ans et plus explique sans doute la baisse générale de cette classe d’âge. Elle augmente toutefois légèrement dans le type 3, confirmant son vieillissement, et diminue plus fortement que la moyenne dans le type 4. C’est aussi dans ce dernier type que la part des jeunes adultes est la plus élevée.

Tableau 7. Répartition sociale de la population des ménages des différents types d’IRIS en 1999 Types 1999 CPIS + chef E (%) Arti + com (%) Prof inter (%) Employés (%) Ouvriers (%) Retraités (%) Autres inactifs (%) Très bourgeois (1) 41,9 6,1 8,6 7,7 5,3 20,0 8,9 Bourgeois (2) 40,1 4,7 12,0 7,4 4,6 19,0 11,3 Cadres et ingénieurs (3) 37,1 4,6 14,5 8,8 5,8 20,3 7,7 Prof. culturelles (4) 28,8 5,7 15,9 11,8 11,3 16,2 8,9 Intermédiaire public (5) 25,9 4,5 18,2 13,8 10,8 17,9 6,6 Populaire (6) 12,4 4,8 14,2 18,0 22,5 16,9 8,4 Paris 30,2 5,1 14,5 13,1 10,3 18,3 8,3 Source : INSEE, RGP 1999.

Tableau 8. Répartition par âges de la population totale des différents types d’IRIS en 1999

Types 1999 0 à 19 ans (%) 20 à 39 ans (%) 40 à 59 ans (%) 60 ans et plus (%) Âge moyen

Très bourgeois (1) 18,8 23,4 33,8 24,0 41,9 Bourgeois (2) 15,3 30,3 32,5 21,9 41,0 Cadres et ingénieurs (3) 16,1 28,7 33,0 22,2 40,9 Prof. culturelles (4) 16,5 31,9 34,5 17,1 38,6 Intermédiaire public (5) 19,6 26,9 35,0 18,5 38,8 Populaire (6) 23,7 24,9 35,3 16,2 37,2 Paris 18,3 28,0 34,1 19,6 39,5 Source : INSEE, RGP 1999.

Dans la typologie établie en 1999, sur les 913 IRIS de Paris comptant plus de 100 ménages, 407 relèvent de l’un des trois types supérieurs, 379 ont un profil mixte (types 4 et 5) et seulement 127 sont encore populaires. Les IRIS au profil mixte comptent environ un quart de la population des ménages parmi les classes supérieures, et autant parmi les classes populaires. Ces deux profils

Série de cartes 9. La part des ménages cadres et professions intellectuelles supérieures (actifs et retraités), dans la population des ménages à Paris, 1982-1999

Série de cartes 10. La part des ménages populaires (actifs et retraités) dans la population des ménages à Paris, 1982-1999

Outline

Documents relatifs