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CHAPITRE II : LA TUTELLE SUR LES ACTES

Paragraphe 1 : L’état des lieux du respect de la légalité

A. Le renforcement de la démocratie locale

Pour être un procédé de promotion de la participation du citoyen à la gestion des affaires publiques, la libre administration est réputée constituer une marque de démocratisation du pouvoir d’Etat (1). En outre, les disparités socio-économiques peuvent constituer une menace à l’unité nationale. Or, l’Etat n’a ni le besoin ni les moyens d’être présent partout sur le territoire pour répondre aux demandes spécifiques de tous les espaces géographiques, historiques, culturels, économiques, etc. que recouvre son territoire. Pour se montrer responsable924, il lui faut doter les autres personnes territoriales des moyens leur permettant de suppléer à sa carence (2).

1. La libre administration, un outil de «localisation» de la démocratie

A la fin des années 1980, la peur d’une dislocation des Etats sous la poussée de velléités fédéralistes qui a conduit à opter pour un centralisme étatique, n’avait plus sa raison d’être.

Le modèle de l’Etat-nation centralisé avait fait sa crise. Au Bénin, l’instabilité politique fut criante925 et a culminé avec la crise économique de 1987-1988 qui suscita des remous sociaux. En 1989, une grève générale obligea le pouvoir à suspendre la loi fondamentale, à renoncer au marxisme léninisme et à convoquer la conférence nationale qui s’est tenue en du 19 au 28 février 1990. La question de la décentralisation n’y a pas été abordée à fond.

Elle a été réservée aux états généraux de l’administration territoriale que la conférence nationale a recommandés d’organiser. La nouvelle constitution adoptée par référendum le

924 MAUROY P., Déclaration de politique générale, 08 juillet 1981 : «Une France responsable, c’est aussi un pays qui doit désormais enraciner l’unité de la République dans la diversité et la responsabilité de ses collectivités locales. Il s’agit donc de faire disparaître l’image d’une France centralisée à l’extrême, enfermée dans la rigidité de ses textes, de ses règlements et de ses circulaires».

925 Huit révisions constitutionnelles et une succession de coups d’état militaires (1963, 1965, 1967, 1969, 1972).

186 02 décembre 1990 institue un régime multipartiste. La libre administration y est affirmée (Titre X).

L’histoire politique nigérienne n’est pas moins tumultueuse926. Le présidentialisme ayant marqué ce régime de parti unique a été vécu comme une dictature. L’aspiration à plus de démocratie sera étouffée par un coup d’état militaire intervenu le 15 avril 1974. Ce régime d'exception durera jusqu’en 1987. Entre 1989 et 1991, le Niger a été gouverné sous un régime de parti-état, fondé sur le principe de l’unité et de la complémentarité entre l’Etat et le parti unique au pouvoir. La crise économique et financière va bousculer l’agenda politique927. Le pouvoir évite l’affrontement928. La poussée démocratique finira par prendre le dessus avec la tenue de la conférence nationale (juillet-octobre 1991).

Cette conférence aborde la question de l’organisation territoriale de l’Etat, en lien avec la question Touareg929. Aucune mesure significative930 n’ayant été prise, les militants touaregs, frustrés, réclament le fédéralisme931. La conférence n’accèdera pas à cette demande de fédéralisme, préférant la formule d’une décentralisation administrative dans un état unitaire.

Au terme de la conférence, comme au Bénin, un Haut Conseil de la République a été mis

926 Entre le 12 mars 1959 (adoption de la première constitution) et la conférence nationale en 1991, deux types de régimes politiques ont été expérimentés : régime d’assemblée (1959-1960), régime présidentiel (1960 à 1974 ; 1989-1991). Mais le régime présidentiel vécu par le Niger entre 1960 et 1974 a été exercé par un parti unique, le PPN-RDA (Le Président de la République est président du conseil des ministres, chef des armées, chef de l'administration, premier et magistrat suprême. Il n’avait aucun contre-pouvoir réel en face dans l'exercice de ses fonctions).

9271989-1990, l’économie nigérienne est exsangue et les caisses de l’Etat sont vides. Il fallait négocier un second ajustement structurel avec les institutions de Bretonwoods. Ceci implique la prise de mesures d’austérité auxquelles s’opposent les syndicats d’étudiants et de travailleurs à l’occasion de la fête du travail le 1er mai 1990. Ceux-ci profitent pour réclamer le multipartisme.

928 En Juin 1990, des commissions internes au parti unique au pouvoir élaborent un rapport qui propose le multipartisme après une période de transition. Le principe d’ouverture politique (révision de la constitution et de la charte nationale) est adopté le 16 juin 1990 par le Conseil Suprême d’Orientation Nationale (CSON) du parti. Le 18 septembre 1990, un comité chargé d’étudier les nouvelles institutions a été mis en place. Il a remis le rapport de ses travaux au CSON six semaines plus tard. En Octobre 1990, un médiateur a été nommé pour améliorer le dialogue entre les syndicats et le pouvoir. Le 15 novembre le président Ali Saïbou annonce aux députés l’adoption du multipartisme. Le 04 décembre, il invite les partis à déposer leur demande d’agrément. Le 16 janvier 1991, le pouvoir accède à la demande pressante de convocation d’une conférence nationale. Du 13 mai au 07 juillet 1991, se tient une conférence préparatoire à la conférence nationale qui sera convoquée pour le lundi 29 juillet 1991.

929 En effet, en mai 1990, des soulèvements touaregs à Tchin-Tabaraden avaient été réprimés par le pouvoir. Les leaders demandent que la conférence nationale prenne des sanctions.

930 Pour toute sanction, la conférence a mis à la disposition de la justice militaire, le capitaine Maliki Boureïma ; l’intéressé aura simplement à passer devant un conseil de discipline.

931 Pendant que la conférence nationale était toujours en cours, ils mènent plusieurs actions de harcèlement : création, le 19 octobre 1991, du Front de libération de l'Aïr et de l'Azawad (FLAA), assassinat de cinq gardes républicains à In Gall.

187 en place avec pour entre autres attributions, l’élaboration d’un projet de constitution. La nouvelle constitution qui rétablit la décentralisation sera adoptée, par référendum, le 26 décembre 1992.

Cette dynamique sera poursuivie et confirmée à l’échelle régionale par la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, adoptée le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba et ratifiée par le Niger et qui, en son article 34, dispose que «Les Etats parties procèdent à la décentralisation en faveur des autorités locales démocratiquement élues conformément aux lois nationales». La tonalité normative de rédaction -présent de l’indicatif- souligne la nécessité pour les Etats parties de garantir l’effectivité932. Plus récemment, dans le même sens mais de façon spécifique, a été adoptée la Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local933 à travers laquelle les Chefs d’Etat et de Gouvernement reconnaissent «que les gouvernements locaux ou les autorités locales sont les piliers de tout système de gouvernance démocratique»934.

2. La libre administration : une transaction favorable à l’unité de l’Etat

Les différents espaces d’un territoire national n’ont pas les mêmes réalités935. Dans ce contexte, un traitement uniforme de l’ensemble du territoire sera inadéquat et s’avère d’ailleurs difficilement réalisable pour les Etats. Cet inégal traitement constitue une source de différences de réactions dans la perception et l’acceptation de la norme républicaine. Un manque de réponses aux attentes des personnes et collectivités territoriales crée une certaine distance entre ceux-ci et l’Etat central. Cette distance génère une désaffection et du coup, le communautarisme peut supplanter le sentiment d’appartenance à la même nation. Cet état de fait constitue une menace à la cohésion et donc à l’unité de la république. Pour y parer, le constituant a disposé que l’Etat promeuve un développement équilibré936. C’est

932 La charte prévoit des mécanismes de mise en application (art. 44 et 45) et habilite la Conférence et le Conseil de Paix et de Sécurité à adopter des mesures contre tout Etat partie qui en viole les prescriptions.

933 Vingt troisième session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, tenue à Malabo le 27 juin 2014.

934 Préambule.

935 Inégal peuplement, accès inégal à l’infrastructure économique de base, intégration différenciée à l’économie nationale, accès inégal aux services sociaux de base, à l’emploi, aux technologies, etc.

936Const. du Bénin, art. 153 ; Const. du Niger, art. 165.

188 donc un impératif constitutionnel de combattre et de contenir la désaffection envers les institutions publiques. L’exigence de cohésion sociale appelle des actions de proximité937. Ainsi se justifie l’existence de collectivités territoriales, plus proches des administrés et dotées de pouvoirs propres d’actions938.

D’apparition relativement récente, la présence expressis verbis de la décentralisation dans les textes constitutionnels des Etats unitaires est un fait non négligeable. En effet, elle répond à la nécessité pour l’Etat de trouver le mécanisme institutionnel le plus approprié pour désamorcer les velléités potentiellement sécessionnistes des différents espaces socio culturels qui le constituent. Cette exigence est plus prégnante pour l’Etat africain post Berlin, dans lequel les entités territoriales étatiques et infra étatiques n’ont pas été constituées sur la base du vouloir vivre ensemble ou d’une certaine compatibilité aux plans économique et socio-culturel939. A cette déstructuration territoriale s’ajoute les défaillances de l’Etat post colonial qui n’a pas souvent su apporter des réponses efficaces aux préoccupations socio-économiques des citoyens. Certes, l’Etat était très présent, mais il était «trop ailleurs»940. Il s’est souvent montré incapable de mobiliser et concentrer l’énergie de ses organes et fonctionnaires, trop nombreux à la capitale, sur l’offre de services publics de qualité aux citoyens. Il collecte la quasi-totalité des ressources nationales pendant que ses fonctions régaliennes sont en déshérence.

Le souverainisme pur, défini par Bodin et Rousseau ne fait plus recette941. Que ce soit par le haut (intégration régionale) ou par le bas (décentralisation territoriale), l’unité et

937 Proximité qui permet d’avoir des citoyens plutôt que des administrés, proximité qui permet de mobiliser la citoyenneté et de libérer de l’emprise d’un pouvoir central les initiatives susceptibles de relever les défis spécifiques qui se posent différemment aux citoyens des différents espaces géographiques du territoire national.

938 Art. 2, Loi 97-029 (Bénin) : «La commune constitue le cadre institutionnel pour l'exercice de la démocratie à la base.

Elle est l'expression de la décentralisation et le lieu privilégié de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques locales ; art. 3, al. 5 Ord. 2010-54 (Niger) : «Les communes et les régions constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la vie locale».

939 En référence à la conférence de Berlin qui a consacré la balkanisation de l’Afrique.

940 RUFFAT J., Reconstruire l'Etat en Haïti. Réflexions sur "l'Etat basique", Politiques et management public, vol. 9, n° 1, 1991. p. 104.

941 Pour BODIN J. (v. MENDRAS Henri, Le « mal de Bodin ». A la recherche d’une souveraineté perdue, Le Débat, Ed.

Gallimard, n°105, mai-août 1999, pp. 71-89), «la souveraineté n’est parfaite que si elle est entière (…) c'est-à-dire qu’elle ne peut

189 l’indivisibilité de la république admettent des aménagements qui n’entravent pas l’exercice par l’Etat de sa souveraineté. Ainsi, les constitutions adoptées après les conférences nationales au Bénin et au Niger ont-elles énoncé à la fois, le caractère unitaire et indivisible de l’Etat et le principe de décentralisation942.

La formulation du texte constitutionnel nigérien présente un intérêt particulier. Elle évoque, dans le même article et successivement, la décentralisation et la déconcentration, deux modalités centrifuges. La formulation met en exergue l’intention du constituant de renforcer les pouvoirs de la «périphérie»943. La dévolution de l’autonomie à des entités territoriales infra étatiques constitue un moyen de gestion administrative et politique des particularités locales et de maîtrise d’éventuelles poussées autonomistes. De façon caricaturale, le contrat entre l’Etat et les collectivités se libelle ainsi qu’il suit : l’Etat central offre des libertés locales aux espaces territoriaux infra étatiques qui le constituent ; en retour, celles-ci reconnaissent et contribuent à renforcer la légitimité de l’Etat et renoncent à stimuler tout micro nationalisme périphérique et sécessionniste contre lui944. Une telle

«manière d’être de l’Etat» permet de tendre vers un développement équilibré945.

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