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L’intérêt local, levier de l’établissement des compétences locales

CHAPITRE II : LA FRAGILITE DE LA SEPARATION

Paragraphe 1 : Des concepts confirmés

A. L’intérêt local, levier de l’établissement des compétences locales

La volonté du législateur d’opérer une claire répartition des compétences entre les différentes personnes territoriales est manifeste. Néanmoins, l’exercice s’est avéré peu porteur, confirmant le caractère irrémédiablement central du concept d’intérêt local (1) dans la protection du libre exercice par la collectivité territoriale de ses compétences (2).

1. Les tentatives de remise en cause de la notion d’intérêt local

Que l’on considère la commune-groupement naturel ou la commune-produit de l’Etat, l’importance de l’intérêt local, en tant que déterminant le champ de couverture des compétences locales, s’est réduit avec la constitution et la modernisation de l’Etat. Dans un premier mouvement, l’intérêt local a été à la base d’un pouvoir, d’une puissance qui a permis l’affermissement de l’autorité royale au Moyen-Age. Mais une fois installé, ce pouvoir royal -et plus tard, le pouvoir étatique-, a abaissé sa puissance. Le fondement de ce pouvoir local -l’intérêt communal- a été mis entre parenthèses. Dans la seconde phase de son évolution,

473 Le pouvoir est dit local parce qu’il s’agit d’un pouvoir exprimé localement, c'est-à-dire à travers un prisme territorial.

Il n’empêche que son origine se trouve dans l’État, qui lui donne les moyens de son existence. Le pouvoir local apparaît ainsi comme un construit de l’État. Ses caractéristiques s’établissent à partir de notions plus connues des juristes, telles que la décentralisation ou la libre administration des collectivités territoriales. Voir PROTIERE G., «Le pouvoir local, expression de la puissance de l'Etat ?», Communication aux XIIèmes Rencontres juridiques, 12 Déc. 2008, Lyon, France.

97 l’idéal de construction nationale474 d’Etats sous menace de dislocation475 ou balkanisés ne permet pas d’accorder des libertés locales aux collectivités qui, au demeurant, n’ont pas été si souvent constituées sur la base du vouloir vivre ensemble.

Dans l’une et l’autre perspective, naissent des contextes dans lesquels la notion d’intérêt local et son corollaire, la clause générale de compétence, commençaient par perdre progressivement de sa reconnaissance et de sa portée. Un obstacle de nature essentielle réside dans la souveraineté de l’Etat. Que ce soit en accordant une certaine initiative dans le cadre de la clause générale de compétence ou en opérant un partage ou un transfert des compétences, c’est toujours la loi qui définit la compétence des collectivités locales476. L’Etat unitaire contemporain ne saurait admettre que ses principales composantes, les groupements territoriaux qui constituent le substrat matériel de son existence, ne lui soient rattachées qu’à leur bon vouloir et continuent de détenir un pouvoir entier et libre, quant à la définition des affaires de leur compétence. Il n’est donc pas surprenant que l’intérêt local, comme source de compétences locales, soit sciemment tu ou étroitement encadré par le législateur477.

Le législateur nigérien de 2010 a utilisé le terme intérêt local à seulement deux (2) reprises478. Il sera plus prolixe en ce qui concerne l’intérêt communal qui y apparaît à sept (7) reprises

474 MICHALON Th., Quel Etat pour l’Afrique, Paris, L’Harmattan, 1984, p.23.

475 Au sujet de l’histoire de la réalisation de l’unité de la France, AUCOC Léon in Introduction à l’étude du droit administratif, Paris, 1865, pp. 61 et 62, déclarait : «Il n’y a qu’une France…, qu’une patrie commune à tous les Français…Vous savez par quels efforts persévérants ce grand résultat a été obtenu ; comment nos rois y ont travaillé pendant six siècles, formant le territoire par des conquêtes…puis organisant peu à peu les institutions…Si le travail de l’unité française n’a pas profité principalement à la liberté…Il a conduit à fonder l’autorité sur une autre base que celle du droit de la propriété territoriale. Il a créé la puissance et la grandeur de la France en face de l’étranger».

476 LEMOUZY L., «Le rapport Caillosse sur la clause générale de compétence», Administrations et collectivités territoriales, n° 27, 2006, p. 927 : «la clause générale de compétence est une création du droit positif et non pas le produit nécessaire de la nature des choses».

477 ROUAULT M.-Ch., L’intérêt communal, Presses Universitaires Septentrion, 1991, pp. 55 et ss. C’est dans ce mouvement que s’inscrit la loi du 16 décembre 2010 qui pose, en France, le principe de l’attribution exclusive, en matière de répartition des compétences entre collectivités territoriales ; Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réformes des collectivités territoriales, JORF n° 0292 du 17 décembre 2010, p. 22146 ; art. 73, IV : «Les compétences attribuées par la loi aux collectivités territoriales le sont à titre exclusif. Toutefois, la loi peut, à titre exceptionnel, prévoir qu'une compétence est partagée entre plusieurs catégories de collectivités territoriales (…). Les compétences attribuées par la loi aux collectivités territoriales le sont à titre exclusif. Toutefois, la loi peut, à titre exceptionnel, prévoir qu'une compétence est partagée entre plusieurs catégories de collectivités territoriales».

478 Ord. n° 2010-54, art. 16 et 245.

98 et l’«intérêt régional» à trois (3) reprises. Si l’expression «intérêt local» ou «intérêt communal»

a été soigneusement évitée dans la législation béninoise, le contexte de son remplacement par l’intérêt général479 n’a pu voiler la parfaite homonymie. En outre l’usage des mots intérêt départemental et intérêt intercommunal480 confirme que l’intérêt général se territorialise et que, par conséquent, l’existence d’un intérêt local ou communal ne fait aucun doute, qu’il soit ou non ainsi désigné littéralement par le législateur. Au-delà de tout nominalisme, ce qu’il importe d’analyser ici, c’est la conséquence que le législateur semble avoir entendu tirer du rejet ou de l’acception du concept dans son vocabulaire juridique. A ce sujet, les législateurs béninois et nigérien se rejoignent. En effet, ces deux législateurs ont fait le choix d’une répartition formelle481 des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales.

Mais s’agit-il de compétences exclusives ? La réponse à cette interrogation doit, avant tout, être puisée du droit positif. Contrairement à ce que pourraient laisser penser les dispositions constitutionnelles482, les deux législations posent le principe de la collaboration et écartent toute idée d’exclusivité483. Le Doyen HAURIOU a bien décrit le dispositif collaboratif qu’impose toute décentralisation484. CARRE de MALBERG partage le constat que «La collaboration est partout»485 au point de générer le concept de co administration486. S’il en est ainsi, le concept d’intérêt local demeure-t-il d’actualité ?

479 Loi n° 97-029, art. 78 al.2.

480 Loi n° 97-028, art. 20 ; Loi n° 97-029, art. 176, Loi n° 2009-17, art. 3 et 4.

481 Loi n° 97-029, art. 83 : «La commune, à travers le conseil communal et le maire est compétente pour les affaires définies dans les dispositions du présent chapitre» ; Ord. n°2010-54, art. 1er al. 1 : «Le Code Général des Collectivités Territoriales détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences et leurs ressources».

482 Distinction des intérêts, art. 165 al. 2, Const. du Niger et séparation des moyens, art. 152, Const. du Bénin.

483 Loi n° 97-029, art. 82 et Ord. n° 2010-54, art. 5 al.3 indiquent expressément qu’excepté ses compétences propres, la commune en exerce d’autres. Loi n° 97-029, art. 82 : «…Elle exerce en outre, sous le contrôle de l'autorité de tutelle, d'autres attributions qui relèvent des compétences de l'État…» ; Ord. n° 2010-54, art. 29 al. 2 : «Il [le conseil municipal] exerce notamment des compétences propres et des compétences qui lui sont transférées par l’Etat». Plusieurs cas de figure ont été envisagés. Il peut s’agir d’une compétence relevant de l’Etat ou d’une autre collectivité ou d’une compétence que la collectivité territoriale partage avec la collectivité étatique (Bénin, Loi n° 97-029, art. 82 ; Niger, Ord. n° 2010-54, art. al. 3). Autrement dit, des questions d’intérêt local peuvent relever de la compétence de l’Etat et vice versa.

484 HAURIOU M., Précis de droit administratif, op. cit., p. 19 : «Depuis qu’il a été réalisé un peu de décentralisation, la plupart des services publics sont gérés en commun par plusieurs administrations. Les contributions budgétaires, les subventions, les affectations de bâtiments, les prêts de fonctionnaires sont les formes habituelles sous lesquelles se manifeste cette coopération».

485 CARRE de MALBERG R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, op. cit., p. VII.

486 BERNARD P., «La coopération entre l’Etat et les collectivités locales. Réflexions sur la co administration» in CURRAP, La Loi du 28 pluviôse an VIII, PUF, 2000, pp. 123-128.

99 2. La confirmation du rôle protecteur de l’intérêt local

Avant les Constitutions françaises de 1946 et 1958, il y avait très peu de dispositions constitutionnelles qui se rapportent à l’existence d’un intérêt local, distinctement identifiable. L’expression intérêt local a été une déduction a contrario du terme intérêts nationaux utilisé par le constituant487. En Belgique, le constituant a reconnu l’existence488 d’un intérêt local depuis 1831. Le constituant néerlandais de 1848 a non seulement reconnu l’existence de l’intérêt local mais il a également évoqué l’éventualité de conflits entre intérêt local et intérêt national. Mais à l’analyse, ces reconnaissances s’imposèrent aux constituants.

En effet, quelles que soient les conditions de leur formation, tous les groupements d’êtres humains prennent conscience de leurs intérêts et unit ses membres pour les défendre489. L’origine révolutionnaire de la commune l’atteste490. Originairement, la défense d’un intérêt général local est à la base de l’existence de la commune-groupement territorial pendant que l’intérêt général national fonde la collectivité étatique. L’intérêt local apparaît alors comme un échelon vers la réception par le groupement territorial de l’intérêt général dans son ordre interne. Or, une telle reconnaissance est nécessaire à la légitimité du souverain. Ainsi donc, la compréhension de l’intérêt général appelle la médiation de l’intérêt local qui demeure très proche et très présent dans les mentalités des membres de la collectivité locale.

Logiquement, le souverain n’aura autre possibilité que de les renforcer dans un premier temps. Il laissera l’intérêt local s’élargir au point de recouvrer des fonctions régaliennes de la puissance centrale. Mais les constituants n’avaient pas défini la notion. En établissant ainsi, au profit des collectivités locales, une vocation de principe pour prendre en charge

487 Const. de 1946, art. 88 : «La représentation des intérêts nationaux est assurée par des délégués du gouvernement» ; Const. de 1958, art. 72 al.3 : «Le délégué du gouvernement a la charge des intérêts nationaux».

488 Art. 31 : «Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux d’après les principes établis par la Constitution».

489 ROUAULT M.-Ch., L’intérêt communal, Lille, Presses Universitaires Septentrion, 1991, p. 23.

490 FOUQUE V., Recherches historiques sur la Révolution communale au Moyen-Age et sur le système électoral appliqué aux communes, Dupont, 1848, p. 48 cité par ROUAULT M.-Ch., op. cit., p. 25. Selon FOUQUE, la première «révolution communale»

connue qui se produisit au Mans en 1070 désigne le fait pour les habitants d’une agglomération d’élaborer une Charte communale et de la faire reconnaître par le seigneur du lieu.

100 l’intérêt local491, ils ont consacré une sorte de libre détermination de son contenu. En effet, ainsi qu’il est formulé, le concept permettait aux collectivités locales de se saisir de compétences nouvelles, au fur et à mesure que surviennent de nouveaux contextes et dépendamment de la spécificité desdits contextes492.

Au plan législatif, en France, c’est dans la loi municipale du 05 avril 1884493 que le concept d’intérêt local a fait son apparition. Elle sera reprise par plusieurs autres textes relatifs à la décentralisation jusqu’à l’adoption de la loi du 07 janvier 1983494. Sur ces bases, la jurisprudence administrative française a régulièrement fondé le contrôle de légalité, en matière de compétence, sur la conformité des actes querellés à l’intérêt local. Les solutions adoptées par les juridictions administratives sont autant variées que les situations495. Cette instabilité révèle qu’il aurait été judicieux de délimiter de jure le contenu de l’intérêt local. Si le malaise est patent, chaque fois qu’il s’agit de fixer les limites des compétences entre les différentes personnes territoriales, il n’enlève rien à la portée historique du concept d’intérêt local dans le développement de l’autonomie des collectivités décentralisées.

En effet, le contenu que revêt l’intérêt local varie suivant l’histoire politique, plus précisément, en fonction de l’acceptation ou non de l’idée d’antériorité de la collectivité.

Dans l’une ou l’autre conception, on retrouve le rôle fondateur de l’intérêt local dans la

491 BOURJOL M., BODARD S., Droit et libertés des collectivités territoriales, Paris, Masson, 1984, p. 239 : «Il faut partir de l’idée de commune, groupement naturel d’habitants résidant sur un territoire déterminé, menant une vie collective intense et possédant de nombreux intérêts communs».

492 PONTIER J.-M., «Semper manet : sur une clause générale de compétence», op. cit., p. 1462 : «Les textes relatifs aux compétences des collectivités territoriales ne peuvent déterminer, une fois pour toutes, les compétences de ces collectivités».

493 Art. 61, al.4 : «Il [le conseil municipal] émet des vœux sur tous les objets d’intérêt local».

494 Loi n° 83-8 du 07 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, JORF du 09 janvier 1983.

495 Empiètement de compétences clairement attribuées, existence concurrente de deux compétences : v. CE, 29 juin 2001, Mons-en-Baroeul : «les dispositions des articles 43-5 et 43-6 de la loi du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion, issues de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1992, par lesquelles il est créé, en faveur des familles et des personnes éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité, un dispositif national d'aide et de prévention pour faire face à leurs dépenses d'électricité et de gaz (…) ne font pas obstacle à ce qu'une commune puisse également instituer, de sa propre initiative, une aide municipale visant à réduire la charge de telles dépenses pour certains de ses administrés en difficulté…» ; incompétence du fait de l’inexistence d’un intérêt local : v. CE, 11 juin 1997, Département de l’Oise : «…qu’en l’absence entre le département de l’Oise et la commune de Colombey-les-Deux Eglises d’un lien particulier qui serait de nature à justifier la participation de ce département à une telle opération, celle-ci ne saurait être regardée comme relevant d’un intérêt départemental pour le département de l’Oise…» ; CE, 29 mars 1901, Casanova, S.

1901.III.73 : «Il résulte de l’instruction qu’aucune circonstance de cette nature n’existait à Olmetto…qu’il suit de là que le conseil municipal de ladite commune est sorti de ses attributions…».

101 quête par la commune-groupement territorial d’une altérité avec l’Etat. Dans le cas où il est admis que l’Etat ne fait que constater son existence naturelle et antérieure496, les libertés locales sont consubstantielles à ladite existence. Dans l’autre, où c’est l’Etat qui crée artificiellement les collectivités à qui il dénie toute existence préalable, celui-ci les dote de la libre administration qui requiert la reconnaissance des libertés locales.

B. La compétence propre locale, une notion durablement encrée dans la doctrine

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