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CHAPITRE II : LA TUTELLE SUR LES ACTES

Paragraphe 1 : L’état des lieux du respect de la légalité

B. La partialité des autorités de tutelle

Le représentant de l’Etat dans les départements ou régions est désigné par le pouvoir exécutif890. La soustraction à la norme législative de cette catégorie de personnel a permis à la politisation, qui opère par une sélection par l’argent et le pouvoir, de s’y installer891. Dans l’exercice de la fonction, les variables extra juridiques, en tête d’affiche desquelles figurent les interférences politiques, deviennent prépondérantes au point que les autorités de tutelle sont perçues plus comme émissaire du pouvoir politique (1) que comme un fonctionnaire exerçant une fonction républicaine, celle de commissaire à la légalité et à la défense de l’intérêt national (2).

890 Qui rechigne à organiser ces hauts fonctionnaires en corps avec, à défaut d’un statut particulier, un cadre d’emploi juridiquement encadré.

891 Ici apparaît une difficulté énorme bien connue : remettre en cause une culture établie.

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1. Le représentant de l’Etat, émissaire du pouvoir politique

L’historique de la fonction est instructif. Au commencement était la Loi française du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800). Elle prescrivait que le Préfet serait «seul chargé de l’administration»892. Il ne s’agissait alors pas de créer ou de consolider un pouvoir mais d’assurer une mission précise que BONAPARTE, Ministre de l’Intérieur, définissait comme l’établissement d’un trait d’union entre la révolution et la paix entre les Français :

«Le gouvernement ne veut plus, ne connaît plus de partis et ne voit en France que des Français»893. La justification et la légitimité de la fonction préfectorale étaient fondées sur les principes de primauté de l’intérêt général et d’impartialité vis-à-vis des citoyens894. D’ailleurs les tous premiers nommés à ce poste par NAPOLEON étaient des conseillers d’Etat895. Mais les mutations ont vite transformé la fonction. L’accroissement des services fit suite à un redéploiement des ministères896. Le promoteur du régime républicain devrait devenir l’administrateur professionnel, avec toutefois, comme principes clés, la loyauté au gouvernement et l’impartialité vis-à-vis de toutes les composantes de la société897.

En contrepoint du discours sus évoqué, le régime napoléonien a inscrit la fonction préfectorale, supposée républicaine et impartiale, dans une perspective partisane qui exigeait un engagement politique. Cette dynamique explique les purges successives du corps préfectoral par différents régimes des XIXème et XXème siècles898. Intronisés comme

892Loi française du 28 pluviôse an VIII, art. 3.

893 Lucien BONAPARTE, ministre de l’Intérieur, aux préfets de département. Instruction du 21 ventôse an 8.

Voir LALLEMENT G., Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune Nationale de 1789 à ce jour, T. XVII, 1er vol. p.150.

894 La formule sacramentelle de prestation de serment est : «Je jure d'être fidèle à la République une et indivisible, fondée sur l'égalité, la liberté et le système représentatif» ; v. SAVANT J., Les préfets de Napoléon, Paris, Hachette, 1958, p. 20.

895 Napoléon avait créé le Conseil d’Etat qui avait à ses origines pour mission de préparer les lois. Il ne voulait y voir que des compétences. En outre, pour lui, seul l’intérêt général réunit toutes les différentes tendances politiques. A cet effet, le Conseil avait une totale liberté de parole. Il en a fait la «pépinière» de l’administration.

896 En 1802, Napoléon prescrit aux préfets de diligenter une enquête sur la situation administrative au terme de laquelle est intervenu une réorganisation des ministères hérités et qui étaient au nombre de sept seulement. Cette réforme au sommet de l'Etat toucha le corps préfectoral qui sera rattaché à un ministère de l'intérieur tout puissant. V. GERAUD-LLORCA E., «L’universalité des compétences préfectorales», La Loi du pluviôse An VIII, Paris, PUF, 2000, p. 31.

897 Le Préfet Paul BERNARD parle de «comportement d’ouverture œcuménique» qui ne requiert pas une inféodation ou une appartenance au parti au pouvoir. Les vicissitudes de la vie politique marquée par des alternances électorales et par moment, par des cohabitations ont pu fonder cette exigence.

898 Hautes études médiévales et modernes, Les épurations administratives, Genève, Droz, 1997, n°29, 236 p.

181 émissaires du gouvernement, les préfets avaient alors pour rôle majeur d’assurer la maîtrise gouvernementale de l’électorat899. La Loi du 28 pluviôse An VIII renforce leur positionnement politique en leur confiant la nomination des conseillers municipaux, des maires et adjoints des communes de moins de 5 000 habitants900. Un tel niveau de confiance exige discipline, fidélité et loyauté. Dans une circulaire en date du 24 Germinal An VIII, Lucien BONAPARTE, le Ministre de l’Intérieur a stipulé que le Préfet avait pour rôle de faire prévaloir la ligne politique que le gouvernement a déterminée901. Il ne devrait donc pas avoir d’opinion personnelle mais être «l’homme du gouvernement»902. A cet effet, il était chargé des missions de mise en condition de la population à travers des campagnes de propagande gouvernementale903. Le temps n’a pu totalement triompher de cette perception de la fonction préfectorale904.

L’hyper présidentialisme continue d’imprimer à l’action administrative la rationalité politique905. Il y a le risque qu’une telle option vienne légaliser et conforter la tendance

899 Pour des détails sur l’histoire de la fonction préfectorale, V. REGNIER J., Les Préfets du Consulat et de l'Empire, Paris, Edition de la Nouvelle Revue, 1907, p. 19 et s. ; HENRY P., Histoire des préfets. Cent cinquante ans d'administration provinciale 1850-1950, Paris, Nouvelles Editions latines, 1950, p. 25 et s. ; SAVANT J., Les préfets de Napoléon, Paris, Hachette, 1958, p. 20 et s.

900 Loi du 28 pluviôse An VIII, § 4. Des nominations, art. 20 : «Les préfets nommeront et pourront suspendre de leurs fonctions les membres des conseils municipaux ; ils nommeront et pourront suspendre les maires et adjoints dans les villes dont la population est au-dessous de cinq mille habitants. Les membres des conseils municipaux seront nommés pour trois ans : ils pourront être continués».

901 Dans la circulaire du 6 floréal An VIII, il insistait : «Il devient simple citoyen, quand, au lieu de se borner à exécuter, il a une pensée qui n'est pas celle du gouvernement, et surtout quand il la manifeste». V. THUILLIER G., Témoins de l'administration, Berger-Levrault, 1967, pp. 65-66 cité par PRETOT X., «Institution préfectorale, rupture ou continuité ?», La Loi du pluviôse An VIII, Paris, PUF, 2000, p. 120.

902 SAVANT J., Les préfets de Napoléon, op. cit., p. 28 et s.

903 GERAUD-LLORCA E., «L’universalité des compétences préfectorales», La Loi du pluviôse An VIII, Paris, PUF, 2000, p. 30.

904 Figure locale de la présence gouvernementale à qui il est directement rattaché et dont il prolonge l’action politique dans les départements.

905 Par exemple, la nouvelle mouture de l’article 56 de la Constitution proposée par la Commission dite GNONLONFOU (Commission chargée de l’élaboration des avant projets de loi dans le cadre des réformes politiques et institutionnelles créée par Décret 2011-502 du 25 juillet 2011) préconise que le Préfet soit directement nommé par le Président de la République mais que le statut de ce corps soit réglé par le législateur (art. 97 nouveau). Le rapport explicatif ne motive pas cette proposition. On peut supputer qu’il s’agirait de lui conférer une émanation supra ministérielle vu qu’il représente l’ensemble du gouvernement. Un tel argument est discutable vu que sous le régime juridique encore en vigueur, même s’il est proposé par le ministre en charge de l’administration territoriale, il est nommé par décret pris en conseil des ministres, organe présidé par le Président de la République. Il ne serait pas exagéré de

182 actuelle d’extrême politisation. En effet, les conditions de qualification requises et légalement définies pour la nomination des préfets sont peu respectées906. Quelle légitimité et quelle autorité pour un «dépositaire de l'autorité de l'État»907, chargé d’exécuter les lois, règlements et «décisions du pouvoir exécutif dans sa circonscription administrative»908 mais qui est nommé en violation de la légalité?

N’ayant pas en toutes circonstances pour visée de faire respecter uniquement le droit, le représentant de l’Etat se montre par moment partial, sanctionnant des actes et des agents pour des motifs qui n’ont que trop à voir avec d’autres calculs, électoraux ou patrimoniaux.

La pratique est devenue si banale que même les discours ne reflètent plus la neutralité républicaine, encore moins les actes. Les rivalités politiques interfèrent fréquemment dans les rapports institutionnels entre autorités de tutelle et élus locaux909.

2. Le représentant de l’Etat, un commis partial

L’expression commis réfère à celle de grand commis de l’Etat employée pour «désigner certains hauts fonctionnaires se signalant par un sens exceptionnel de l’intérêt public»910. C’est à juste titre que la fonction préfectorale -ou plus largement celle de représentant de l’Etat- est la seule fonction publique que le Constituant français911 de 1958 a voulu définir avec précision en lui confiant «la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois».

Conceptuellement, l’autorité de l’Etat dont le Préfet est dépositaire, doit être exercée comme un service et non comme un pouvoir de domination. Doit donc prévaloir, l’esprit

supposer que la différence logique que pourrait introduire un tel changement devrait plutôt résider dans le critère prépondérant des considérations politiques.

906 Les administrateurs civils ne remplissent pas toujours les critères d’appartenance ou d’activisme politique que recherchent les pouvoirs politiques.

907 Bénin, Loi n°97-028, art. 9 et 1 ; Niger, Loi n°2008-42, art. 16 et Décret n°2013-035/MI/SP/D/AR du 1er février 2013, art. 13 et 34.

908 Décret n°2013-035/MI/SP/D/AR du 1er février 2013, art. 13 et 34.

909 Des acteurs en témoignent : «Le préfet est du MNSD et sur les 5 communes que nous observons, 4 sont dirigées par des maires du MNSD, ce qui explique que les relations sont relativement bonnes». Voir, LASDEL/Observatoire de la décentralisation au Niger, «Les commune du canton de Birnin Lallé», Etude et travaux, n°72, Décembre 2008, p. 25.

910 CORNU G., op. cit., p. 198.

911 Et à sa suite, le Constituant nigérien de 2010 (art. 165).

183 de l’étymologie du mot autorité -auctoritas- : «Pouvoir donné pour l’exercice d’une fonction»912 qui diffère de l’imperium, pouvoir d’ordonner une astreinte913.

Mais, puisque dans l’esprit napoléonien «administrer doit être le fait d’une seule personne», le préfet est devenu le détenteur exclusif de la fonction administrative914. Ainsi, l’administration a

«pris sens de pouvoir unique, unilatéral, à tous les degrés administratifs en vertu d'une hiérarchie rigoureuse»915. Il naît de cette organisation administrative résultant de la Loi du 28 pluviôse an VIII, un esprit monarchique. Ce monopole administratif a fait naître une autorité hiérarchique presqu’absolue. Il n’y avait même pas à distinguer entre intérêt national et intérêt local. La crainte révérencielle a installé une atonie généralisée des conseils et des sous-préfets relégués dans un rôle d'agents de transmission des directives préfectorales et à celui d'agents d'information et de renseignement916. Le préfet était investi de larges prérogatives tutélaires917. Vis-à-vis de la collectivité locale, il s’affirmait fermement918 Au plan de la communication, et ainsi que déclarait CHAPTAL lors de l’examen de la Loi de pluviôse an VIII, «le préfet ne connaît que le ministre, le ministre ne connaît que le préfet»919. Par conséquent, celui-ci doit être bien au fait des réalités du département qu’il administre de sorte que, instruit de ses besoins, il puisse en rendre compte au gouvernement. La tournée

912 V. CORNU G., op. cit., p. 108.

913 CORNU G., op. cit., p. 520.

914 Le Conseil Général et le Conseil de Préfecture qu’instituent l’article 3 de la Loi de pluviôse ne constituent qu’une infime inflexion du centralisme exacerbé.

915GERAUD-LLORCA E., op. cit., p. 34.

916 V. à ce sujet, REGNIER J., op. cit., pp. 106-108.

917 En plus du pouvoir de nommer les autorités municipales, le recrutement de l’ensemble du personnel municipal relevait du Préfet. L’emprise préfectorale est plus prononcée dans les communes rurales en raison des circonstances particulières : démissions en cascade des élus, incapacité notoire, apathie des conseils municipaux, etc. (pour plus de détails sur la situation des communes rurales, voir GODECHOT J., Les institutions de la France sous la Révolution et l'Empire, Paris, PUF, 3e éd., 1985, p. 595 et s.).

918 Nonobstant que lui était reconnue une certaine liberté et des intérêts propres puisque la Loi de pluviôse an VIII (art. 15) a habilité la commune à délibérer sur les besoins particuliers et locaux de la municipalité.

919 Cité par GERAUD-LLORCA E., op. cit., p. 37.

184 annuelle lui en offre une occasion. La réception faite de la fonction dans les administrations territoriales modernes reflète certaines permanences920.

Si pour d’aucuns il est le plus politique des administrateurs, pour d’autres, il est plutôt le plus administratif des politiques. Mais il est également et surtout technique. Et cette technicité se fait davantage ressentir dans le contexte de décentralisation. En principe, il y a une dialectique d’entraînement entre décentralisation et déconcentration qui, comme un couple de forces, doivent évoluer de façon solidaire. Ainsi, plus le pouvoir d’Etat est décentralisé pour faire progresser les libertés locales, plus il devrait aussi être déconcentré pour permettre au représentant de l’Etat de mener un dialogue centre-périphérie. Se situant ainsi en première ligne de l’action publique sur son territoire, le Préfet devient ainsi un homme de la nation, trait d’union entre les citoyens, les élus et le gouvernement. Dans cette posture, il est également régulateur, chargé qu’il est d’assurer «la compatibilité de décisions multiples et la conformité de tous à la logique de l’action publique»921.

Son statut d’homme politique ne le met pas souvent en capacité de le faire avec impartialité.

Ainsi que l’affirme JEZE, «en politique, il n’y a pas de justice»922. Une limite non moins considérable réside dans la faiblesse de son pouvoir financier. Même s’il est, de jure, l’ordonnateur secondaire unique des budgets sectoriels délégués, de facto, il a une faible maîtrise des activités des services déconcentrés qui continuent de fonctionner sous l’étroite direction administrative, technique et financière de leurs ministres923. Le mandat républicain prêté au représentant de l’Etat est une perspective qu’un nouveau constitutionnalisme local devrait contribuer à concrétiser.

920 Il dirige et coordonne les services déconcentrés de l’Etat ; il a autorité directe sur les responsables des services départementaux ; il gère les ressources humaines, le patrimoine immobilier et mobilier des services déconcentrés de l’Etat (Décret n°2002-376 du 22 août 2002 portant organisation et fonctionnement de l’administration départementale.

Pour le Niger, v. Décret n°2013-035/MI/SP/D/AR du 1er février 2013, art. 34-41). Il demeure le relais de l’action gouvernementale sur son territoire, quel qu’en soit le domaine (Bénin, Décret n°2002-376 du 22 août 2002, art. 22 :

«Le préfet veille à l’application de la politique de la Nation, déterminée et conduite par le chef du gouvernement. Il veille à l’application des lois et règlements et apporte son concours à l’exécution des décisions judiciaires. Il prend par voie réglementaire les mesures propres à assurer la police, le maintien de l’ordre public et la protection civile»).

921 BERNARD P., «L’actualité et l’avenir du corps préfectoral», disponible en ligne via le lien URL : http://www.asmp.fr/travaux/communications/2000/bernard.htm

922 JEZE G., «Les libertés individuelles», op.cit. p. 180.

923 Bénin : Décret n°2002-376 du 22 août 2002 portant organisation et fonctionnement de l’administration départementale, art. 23 ; Niger : Décret n°2013-035/MI/SP/D/AR du 1er février 2013, art. 40.

185 Paragraphe 2 : Les perspectives d’un nouveau constitutionnalisme local

La théorie et la pratique convergent vers la nécessité d’un raffermissement de la démocratie locale nécessaire à la consolidation d’une unité nationale intelligible purgée de relents idéologiques (A). Toutefois, cette hypothèse ne se vérifierait que si l’efficacité de l’action publique est corrélativement améliorée à travers l’assistance conseil et la sollicitation des prétoires (B).

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