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Les procédés chimériques expérimentés sous les régimes militaires

Paragraphe 2 : La décadence de la centralisation administrative

B. Les procédés chimériques expérimentés sous les régimes militaires

Les régimes militaires se sont distingués par la volonté de contrôler, dans les moindres détails, l’action publique, même au niveau local. Prenant référence sur le mouvement en

272 Cette loi a créé des collectivités territoriales dénommées circonscriptions dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

273 Les collectivités territoriales étaient certes dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière mais elles étaient placées sous la responsabilité d’autorités (sous-préfets pour les arrondissements et maires pour les communes) nommées par le Président de la République. Les arrondissements et communes étaient à la fois des collectivités territoriales décentralisées et des circonscriptions administratives. Cette dualité juridique créait une confusion à tous les niveaux : confusion en ce qui concerne les personnes (le maire ou le sous-préfet agissent à la fois au nom de l’Etat et de la collectivité territoriale), confusion en matière budgétaire et financière, les administrations et les effectifs servent à la fois l’intérêt général et l’intérêt local, confusion de compétences et de la nature des interventions (locale ou nationale).

274 Loi n° 65-005 du 8 février 1965, déterminant l’organisation des collectivités territoriales, leurs compétences ainsi que les attributions de leurs organes de délibération et d’exécution ; Loi n° 65-006 du 8 février 1965, déterminant l’administration des arrondissements et des communes, les règles d’aliénation et de gestion de leur domaine public et privé ainsi que leurs ressources ; Loi n° 65-007 du 8 février 1965, déterminant le régime de tutelle applicable aux arrondissements et aux communes.

275 Ceci ne garantit pas que les élections et le fonctionnement desdits organes aient été démocratiques. En effet, les élections ont été organisées sur la base de listes uniques présentées par le parti unique au pouvoir.

54 cours en Europe de l’Est276, les organes dits de participation populaire mis en place ne délibéraient pas et les exécutifs locaux étaient nommés et aux ordres du gouvernement. Le début des années 1990 voit la décentralisation renaître progressivement des cendres de la démocratie populaire au Bénin (1) et de la société de développement au Niger (2).

1. La démocratie populaire au Bénin

Le concept de démocratie populaire277 a émergé avec la révolution russe de 1917. En 1974, le Bénin a adhéré à l’économie socialiste de type marxiste-léniniste. Cette option sera constitutionnalisée avec la loi fondamentale du 26 août 1977278. Malgré le réquisitoire qu’il a dressé contre le centralisme étatique dans son discours programme du 30 novembre 1972, le gouvernement révolutionnaire n’a pu installer une réelle décentralisation279. Certes, l’Ord. n° 74-7 du 13 février 1974 portant réforme de l’administration territoriale a créé des collectivités territoriales dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière280. Mais celles-ci étaient dirigées par des fonctionnaires nommés par le pouvoir central281. En lieu et place d’une démocratie participative respectueuse des libertés locales, le régime marxiste-léniniste a plutôt institué une pseudo-démocratie dite populaire282. Il s’agit en effet d’un régime de parti unique dont le chef est en même temps Président de la République et Chef du gouvernement283.

276 Le temps des démocraties populaires s’y est étendu de 1948 à 1989.

277 Il désigne, à partir de 1947 et au sens restreint du terme, les pays d’Europe centrale et orientale qui ont été soumis à la domination de l’URSS au moment où Staline, fort du prestige de sa victoire contre le nazisme, a décidé que le communisme devait «sortir de sa forteresse» et conquérir le monde. On en a décompté 8 en son temps : Albanie, RDA, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie. Par la suite, certains Etats communistes se sont attribué la notion de démocratie populaire (la République Populaire de Chine, le Cuba, le Laos, le Vietnam ou la Corée du Nord).

278 Loi fondamentale du 26 août 1977, art. 4.

279 «Sur le plan organisationnel, le système reste de type napoléonien, vestige de la période coloniale. La centralisation des structures qu’implique un tel système étouffe les initiatives et l’esprit de responsabilité. Elle éloigne le pouvoir des citoyens…Il faut rapprocher, par la décentralisation, le pouvoir du citoyen…».

280 Ord. n° 74-7, art. art. 4, 5 al.2 et art. 9 al. 2.

281 Ord. n° 74-7, art. 6.

282 LENINE dans son ouvrage L’Etat et la révolution, paru en 1917 écrivait que «La dictature du prolétariat est un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, démocratie pour le peuple et non pour les riches»

soulignant ainsi la différence entre les démocraties libérales occidentales, qui n’étaient que des démocraties de façade et le futur régime qu’il allait imposer, fondé sur une démocratie réelle et non formelle.

283 Stéphane BOLLE l’appelle «démocrature». Voir http://la-constitution-en-afrique.org/article-13784862.html

55 Pourtant, la Loi fondamentale de 1977 annonçait garantir au peuple le droit de participer à la gestion des affaires publiques284. Pour ce faire, elle prévoyait une organisation hiérarchisée285 descendante du pouvoir d’Etat en créant des conseils qui étaient à la fois organes du parti et organes d’administration du territoire286. Dans ce contexte, aucun pluralisme n’était toléré. Les organes locaux n’étaient pas délibérants mais assistaient287 les représentants du pouvoir central dans l’administration du territoire. En définitive, il s’agissait plus de circonscriptions administratives que de collectivités territoriales. En dehors du nombre de districts qui a varié288, le cadre juridique et institutionnel de l’administration ne s’est pas s’amélioré jusqu’à la fin du système marxiste-léniniste289, le 07 décembre 1989 et à la suspension de la loi fondamentale, en février 1990.

2. La société de développement au Niger

Le pouvoir militaire issu du coup d’Etat de 1974 a dissout les conseils municipaux et d’arrondissements antérieurement élus290. Le Décret n° 74-207/PCMS/MI du 13 août 1974 a été pris pour organiser «à titre provisoire la participation des populations à la gestion des affaires publiques en attendant le renouvellement des conseils d’arrondissements et municipaux». Des commissions consultatives provisoires ont été instituées puis remplacées par les Comités Techniques d’Arrondissements (COTEAR) et les Comités Techniques Communaux (COTECOM) comme organes délibérants. Lesdits comités étaient composés des chefs des services déconcentrés de l’Etat, des chefs de canton ou leurs représentants, des représentants de projets et de délégués d’associations socioprofessionnelles291 sous la

284 Loi fondamentale du 26 août 1977, Préambule.

285 Loi fondamentale du 26 août 1977, art. 85 : «Les conseils révolutionnaires des divers échelons ont le droit de modifier ou d’annuler les décisions mal fondées du conseil révolutionnaire de l’échelon immédiatement inférieur et de son organe exécutif…».

286 Loi fondamentale du 26 août 1977, art. 77 et 78.

287 Ord. 74-7, art. 6 al.2.

288 ADJAHO R., op. cit., p. 36.

289 Au terme d’une réunion conjointe spéciale du Comité Central du Parti, du Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Révolutionnaire et du Conseil Exécutif National (Gouvernement), il a été rendu public un communiqué qui annonçait que «le marxisme-léninisme n’était plus l’idéologie officielle de l’État».

290 Le 30 août 1966 pour les communes de Niamey, Maradi et Zinder et le 15 octobre 1967 à Tahoua.

291 Désignés par leurs structures et non élus par la population.

56 présidence du sous-préfet ou du maire nommés par le gouvernement du Conseil Militaire Suprême. Théoriquement, les COTEAR et les COTECOM se réunissaient pour voter le budget et pour statuer sur les questions de développement socio-économique local. Mais le dispositif en place ne pouvait assurer une gestion démocratique292.

L’ordonnance n° 83-26 du 04 août 1983, portant organisation de la «Société de Développement», crée au niveau de chaque unité administrative un organe délibérant : le Conseil de Développement. L’objectif poursuivi par cette réforme était l’avènement d’une démocratie participative basée sur «la consultation, la concertation et la participation». C’est finalement en 1988 que lesdits conseils ont été mis en place ; les membres ont été désignés par consensus au sein des différentes corporations (chefferie, syndicats, samaria, coopératives, associations socioprofessionnelles, etc.). Les conseils étaient présidés soit par les autorités coutumières (chefs de tribu, chefs de village, etc.) soit par les autorités administratives (préfets, sous-préfets, maires). Le fonctionnement de ces conseils a été compromis par la confiscation de l’expression démocratique. Ils seront dissouts par la Conférence Nationale à travers l’Acte n° 3 en date du 9 août 1991.

Au terme de trois décennies d’histoire de centralisation politico-administrative, la décentralisation sera rétablie dans la foulée des renouveaux démocratiques en Afrique subsaharienne. Les constituants ont, à nouveau, affirmé le principe de libre administration des collectivités territoriales qui emporte inéluctablement, l’autonomie des organes. Le principe, même constitutionnalisé, sera-t-il suffisamment internalisé pour que son effectivité soit garantie293 ? La réponse doit être recherchée dans l’acception, la normativité et les conditions d’effectivité attachées à l’idée d’autonomie organique.

292 MAMAN S., Historique de la décentralisation au Niger, Document de travail, Direction Générale de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales, Niamey, Mai 2008, p. 5 : «Les COTEAR et les COTECOM n’étaient que des chambres d’enregistrement des décisions préparées par les autorités administratives. Ils n’étaient pas des organes actifs de décision et de contrôle des actes des autorités exécutives, notamment le sous-préfet et le maire étaient toujours nommés par le pouvoir central. Pour conséquence, les collectivités territoriales étaient réduites au statut de simples circonscriptions administratives avec une responsabilisation et une participation des populations limitée».

293 Le phénomène décentralisateur est considéré comme une mesure de libéralisme politique et administratif. La tendance des législations est d’évoluer vers le maximum de libertés locales. Or selon K. APPIA [op. cit., pp. 3-4], cet esprit ne se manifeste pas encore dans le cadre africain : «l'idée de liberté traditionnellement attachée au concept même de décentralisation n'est pas ici de celles qui sont admises sans réserve (…) Le fondement des contraintes tient sans doute aux rigueurs du problème du développement, ou encore aux exigences souvent invoquées de l'unité nationale».

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SECTION 2 :UNE GARANTIE INSUFFISANTE

L’autonomie des organes des collectivités décentralisés n’a pas semblé avoir retenu l’attention, ni du constituant originaire ni du législateur294. Ce silence rend malaisée la juridisation du concept d’autonomie organique dont la portée demeure pourtant essentielle (Paragraphe 1). Certaines perceptions socio culturelles295 et les remises en cause précédemment enregistrées plaident pour l’élévation du principe au rang des libertés fondamentales placées sous la garde du juge constitutionnel. La consécration constitutionnelle est acquise. Mais par défaut d’audace du juge, elle ne suffira pas pour servir de rempart contre la banalisation des libertés locales (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’autonomie organique, un critère essentiel

Etymologiquement, autonomie signifie le «droit de se doter de ses propres règles». Son usage dans le vocabulaire juridique ne s’éloigne pas de cette signification générique. Pour Georg JELLINEK, elle consiste dans la faculté d'avoir des lois propres, mais aussi dans celle d'obéir conformément à ces lois, dans les limites qu'elles imposent296. En ce qui concerne l’autonomie locale, socle et condition de l’existence d’une autonomie des organes locaux, l’expression est curieusement297 très peu usitée dans le vocabulaire juridique des Etats francophones. L’expression autonomie est absente298 du vocabulaire constitutionnel local

294 La loi est un intermédiaire impératif pour permettre l’action des collectivités territoriales, celles-ci ne bénéficiant pas d’un pouvoir réglementaire autonome sur le fondement direct de la Constitution.

295 En illustration, la déclaration de l’ancien président Zaïrois, Feu Mobutu Sese Seko selon laquelle «La démocratie n’est pas pour l’Afrique. Le Chef africain ne partageait pas son pouvoir. Ce qu’il nous faut au Zaïre, c’est l’unité », Wall Street Journal, 14 octobre 1985.

296 JELLINEK G., L'Etat moderne et son droit, T. II, Théorie juridique de l'Etat, Paris, 1913, p. 152.

297 La conception autonomique de la décentralisation est la plus largement partagée par les auteurs. Ainsi, déjà à la fin du XIXème siècle, E. FONTAINE, Décentralisation et déconcentration, Paris, éd. H. DE LAGADEC, 1899, p.7, a écrit que

«décentraliser c'est rendre aux pouvoirs locaux les libertés nécessaires à leur développement normal, c'est réaliser le gouvernement du pays par le pays, le self government». Cette conception est partagée par DEBBASCH Ch., Institutions et droit administratif, Paris, PUF, 1982, p. 203, qui a écrit que «si la démocratie représente dans l'ordre politique, suivant la formule consacrée "le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple", la décentralisation représente, dans l'ordre administratif, l'application des principes démocratiques». Dans le même sens, v. HAURIOU M., Etude sur la décentralisation, Paris, 1892, p. 10 ; DUGUIT L. Traité de droit constitutionnel, rééd. T. 3, Paris, E. DE BOCARD, 1930, p. 90.

298 Cette attitude commune aux constituants en Afrique de l’Ouest diffère de la pratique récente dans d’autres parties du continent. En effet, des textes constitutionnels adoptés dans les années 1990 en Afrique centrale utilisent expressément le mot autonomie avec ou sans qualificatif. C’est le cas au Cameroun (Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, art. 55, al. 2, au Congo (Acte fondamental du 24 octobre 1997, art. 170) et au Tchad (Loi constitutionnelle du 14 avril 1996, art. 203).

58 au Bénin et au Niger comme celui de la France dont ces deux législations sont largement inspirées. Un tel silence ne put être gratuit. Il a induit l’usage précautionneux que le législateur a entendu faire d’un concept difficile à cerner (A) mais dont le caractère fondamental est reconnu par toutes les sources du droit moderne (B).

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