• Aucun résultat trouvé

Les proclamations formelles des premières années des indépendances

Paragraphe 2 : La décadence de la centralisation administrative

A. Les proclamations formelles des premières années des indépendances

Après les indépendances des années 1960, les premières constitutions au Bénin259 et au Niger260 ont proclamé l’existence et la libre administration des collectivités locales. Mais ces textes ne furent guère appliqués, les dirigeants ayant excipé de la construction de l’unité une absolue priorité qui a occulté la valeur ajoutée de la diversité261. Le Bénin n’aura pu essayer qu’une semi décentralisation vite remise en cause (1) pendant que le Niger a enregistré un début d’effectivité qui sera interrompu (2).

1. Le Bénin entre semi décentralisation et centralisation (1960-1972)

Dans la gamme variée de systèmes politiques et de régimes produits dans la période262, des tentatives de concrétisation ont été faites au Bénin en 1960, 1964263 et 1974264 sans succès

258 SY O., Reconstruire l’Afrique. Vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales, Paris, Ed. Charles Léopold Mayer, 2009, p. 152 : «La crise de l’action publique est le premier signe visible de la panne des Etats postcoloniaux africains (…) ces crises présentent de multiples visages mais toutes puisent à la même source : la conception et les pratiques qui fondent ces Etats construits par le colonisateur …n’ont pas été remises en cause lors de l’accession à l’indépendance».

259 Constitution de 1959 : article 51 ; Constitution de 1960 : article 68 ; Constitution de 1964 : article 98 ; Constitution de 1966 : article 46 ; Constitution du 11 avril 1968 : article 100 ; Ordonnance 69-53 du 26 décembre 1969 portant Charte du directoire : article 39 ; Ordonnance 70-34-CP du 07 mai 1970 portant Charte du Conseil Présidentiel : article 52 ; Loi fondamentale du 26 août 1977 : articles 77 à 103 ; Loi constitutionnelle n° 90-022 du 13 août 1990 portant organisation des pouvoirs durant la période de transition : articles 45 et 46 ; Constitution du 11 décembre 1990 : articles 150 à 153.

260 Constitution du 08 novembre 1960 : art. 68, Constitution du 24 septembre 1989 : art. 99, Constitution du 26 décembre 1992 : art. 115, Constitution du 12 mai 1996 : article 116 ; Constitution du 18 juillet 1999 : article 127 ; Constitution du 13 mai 2004 : article 127 ; Constitution de 2009 : article 127 ; Constitution de 2010 : article 164.

261 SY O., Reconstruire l’Afrique, op. cit., p. 154.

262 Au régime présidentiel de 1960-1963 a succédé un régime parlementaire entre 1964-1965. La période 1965-1970 a été marquée par des coups d’Etat à répétition qui ont abouti à la mise en place d’un Conseil Présidentiel de trois personnalités qui a été renversé par les militaires le 26 octobre 1972.

263 Loi n° 64-17 du 11 août 1964 sur l’organisation municipale, art. 5 : «Le corps municipal comprend une assemblée délibérante : le Conseil municipal au sein duquel est élu un maire assisté d’un ou de plusieurs adjoints» ; art. 46 : «Le Conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune».

264 Ordonnance n° 74-7 du 13 février 1974.

51 en raison de l’instabilité politique265. Ces échecs en matière de mise en œuvre de la décentralisation ont pour cause commune la volonté centralisatrice du pouvoir politique.

Elle est manifeste dans la rédaction de l’article 68 de la Constitution du 26 novembre 1960 au terme duquel «Les collectivités territoriales de l’Etat sont créées par la loi. La loi détermine les principes fondamentaux de l’administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources». Contrairement à l’article 51 de la Constitution du 28 février 1959 à laquelle elle succède, la libre administration n’est plus évoquée. En outre, l’expression collectivités territoriales de l’Etat met en exergue l’idée de possession et donc les liens de forte dépendance entre l’Etat et lesdites entités. La première expérience post indépendance de décentralisation a été une semi décentralisation.

En effet, après son indépendance, le Bénin n’avait pas immédiatement adopté une législation propre sur la décentralisation. Sur le fondement de la loi française n° 55-1489 du 18 novembre 1955, le Décret n° 291/PCM/MI du 21 octobre 1960 divise le territoire du Dahomey en 28 cercles et fixe leur ressort territorial et chef-lieu. Le même jour, le Décret n° 292/PCM/ MI fut pris par le gouvernement pour réorganiser l’administration territoriale. En plus des cinq communes266 de plein exercice qui demeurent, les six régions du pays ont été transformées en départements267 et dotées de conseils élus au suffrage universel direct. L’assemblée départementale délibérait sur, entre autres, le budget et les comptes administratifs du département proposés par le Préfet, président de l’assemblée départementale élue, était nommé par le gouvernement.

Par la Loi n° 62-13 du 26 février 1962 portant institution et organisation de circonscriptions urbaines, cette expérience de semi décentralisation fut arrêtée. Les communes de plein exercice ont été transformées en circonscriptions urbaines. Les assemblées locales ont été

265 IGUE J., dans «Le bilan des cinquante années d’indépendance au Bénin», Promesses, bienfaits et mécontentements du développement postcolonial, Série de l’IDEP, Documents de réflexion pour le cinquantenaire de l’Afrique 2, pp. 2-3, explique cette instabilité par le cloisonnement du jeu politique et sa fixation autour de trois pôles régionaux d’influence farouchement opposés que sont Porto-Novo (qui a servi de base à la puissance coloniale pour organiser la conquête du reste du pays), Abomey (qui refusait de se soumettre à l’impérialisme français) et Parakou (qui représentait les populations du Nord qui s’estimaient laissées pour compte dans la mise en valeur du pays) et autour desquels les premiers partis politiques ont été créés.

266 Porto-Novo, Cotonou, Ouidah, Abomey et Parakou.

267 Décret n° 292/PCM/MI du 21 octobre 1960, art. 1er.

52 dissoutes. Des conseils urbains ont été créés et ses membres nommés par le gouvernement.

A partir de 1964 et avec la Loi n° 64-17 du 11 août 1964 sur l’organisation municipale, l’organisation administrative de 1960-1962 fut remise en vigueur268 pour être arrêtée de nouveau en 1965. De 1965 à 1972, le Bénin a connu un centralisme fort dans lequel les citoyens n’étaient pas significativement associés à la gestion des affaires publiques locales.

La période a enregistré trois types de pouvoir dont une succession de régimes militaires269 entre 1965-1968, un régime pseudo démocratique et politiquement instable entre 1968 et 1970 et le Conseil Présidentiel entre 1970 et 1972 qualifié de centralisme démocratique270 auquel un coup d’Etat militaire mettra fin le 26 octobre 1972.

Durant cette période, le sort fait à la libre administration par les textes constitutionnels a varié. La Constitution du 26 novembre 1960 en son article 68 passe sous silence l’adjectif libre et l’article 41 évite d’évoquer parmi les attributions du législateur, la détermination des principes fondamentaux de la libre administration. L’article 100 de la Constitution du 11 avril 1968 revient à la formule initiale et pose le principe de la libre administration.

L’Ordonnance n° 70-34-CP du 07 mai 1970 portant Charte du Conseil Présidentiel, en son article 39, dispose que sont déterminés par ordonnance les principes fondamentaux concernant la libre administration des collectivités locales, leurs compétences et leurs ressources alors même qu’à l’article 52 consacré aux collectivités territoriales, elle n’affirme pas explicitement le principe de leur libre administration.

2. Le Niger entre proclamation et ineffectivité (1960-1974)

La toute première constitution adoptée par le Niger indépendant en 1960 posait déjà le principe de la libre administration des collectivités territoriales271. En application desdites dispositions constitutionnelles, la Loi n° 61-50 du 31 décembre 1961, portant organisation

268 Loi n° 65-20 du 23 juin 1965 fixant les règles relatives à l’organisation générale de l’administration publique.

269 29 novembre 1965 : démission de Sourou Migan APITHY, formation d’un nouveau gouvernement confiée au président de l’Assemblée Nationale, Tahirou CONGACOU ; 22 décembre 1965 : prise du pouvoir par le Général SOGLO ; 17 décembre 1967 : coup d’Etat militaire mené par le commandant Maurice KOUANDETE, un gouvernement, avec à sa tête le Lieutenant-colonel ALLEY, est constitué.

270 ADJAHO R., Décentralisation au Bénin, en Afrique et ailleurs dans le monde. Etat sommaire et enjeux, 1ère éd., Cotonou, 2002, p.30.

271 Constitution nigérienne du 08 novembre 1960, art. 68.

53 des collectivités territoriales fut promulguée272. Les élections des conseils de circonscription ont été organisées les 02 et 03 décembre 1962. Mais il ne s’agissait que d’un simple placage de l’organisation territoriale coloniale. En effet, les anciens cercles unitaires et subdivisions ont été nominalement transformés en collectivités territoriales sans aucun changement fondamental dans le processus décisionnel.

La réforme de 1964, plus ambitieuse, introduite par la Loi n° 64-023 du 17 juillet 1964 portant création de circonscriptions administratives et de collectivités territoriales va permettre la première expérience réelle de décentralisation même si elle n’était que partielle273. Trois autres textes de loi viendront enrichir le cadre juridique274. Sous le règne de ces textes, les arrondissements et les communes auront été dotés de conseils délibérants275. Les élections municipales ont été organisées le 30 août 1966 pour les communes de Niamey, Maradi et Zinder et le 15 octobre 1967 à Tahoua. Les élections pour les conseils d’arrondissements ont eu lieu le 22 mars 1968. Ce processus sera interrompu par le coup de force militaire du 15 avril 1974 qui met en place un système dit de démocratie populaire dont les limites contribueront à la crise de l’Etat à la fin des années 1980.

Outline

Documents relatifs