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CHAPITRE II : LA FRAGILITE DE LA SEPARATION

B. L’enchevêtrement des compétences

Comme conséquence de la difficile démarcation entre affaires locales et nationales, il est apparu extrêmement problématique de maintenir une clause générale de compétence au profit de la collectivité. Certains textes de loi la consacrent explicitement mais ses limites au plan opérationnel sont si manifestes que sa portée juridique est peu perceptible (1), ce qui justifie les tentatives de répartition plus explicite des compétences par le législateur (2).

452 CE, 30 octobre 1996, Société Henri Herrmann, Rec. Leb, p. 416. V. également, GLASER E., SENERS F., «Le Conseil d’Etat précise la notion d’intérêt public local», note sous CE, 23 juin 2004, Commune de Dunkerque, et CE, 7 juillet 2004, Commune de Celoux, Administration et collectivités territoriales, n° 32-36, 2004, pp. 1102-1105.

453 Déc. 2010-618 DC du 9 décembre 2010, consid. 55 : «les dispositions critiquées permettent au conseil général ou au conseil régional, par délibération spécialement motivée, de se saisir respectivement de tout objet d'intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique ; que, par suite, doit être écarté le grief tiré de ce que les dispositions critiquées seraient contraires au principe de libre administration des collectivités territoriales».

454 FOURNIE F., op. cit., p. 251.

92 1. Les limites de la clause générale de compétences

La clause générale de compétence peut être définie comme la capacité d’initiative reconnue à une collectivité territoriale dans un domaine de compétences au-delà même de celles qui lui ont été expressément attribuées. Le concept traduit une approche finaliste qui permet l’élargissement des compétences des collectivités territoriales, sur la base d’un intérêt territorial. La clause accorde donc aux collectivités territoriales une capacité générale d’intervention qui dispense d’énumérer, de façon exhaustive, toutes leurs attributions. En matière de compétence, cette clause générale distingue les collectivités territoriales des établissements publics caractérisés par le principe de spécialité.

Aucun texte constitutionnel ou législatif au Bénin ou au Niger n’utilise littéralement l’expression. Toutefois, ces textes reconnaissent implicitement la clause générale de compétence. La Constitution du Niger reconnaît indirectement l’existence d’affaires locales.

En son article 165, elle fait mention d’intérêts nationaux455. Ceci suppose qu’à l’opposé, il existe d’autres intérêts, communaux ou régionaux. Cette reconnaissance sera constamment réaffirmée au plan législatif456. Les textes de loi sur la décentralisation, y compris les ordonnances récemment adoptées, en font mention à plusieurs reprises457.

Même si le constituant et le législateur béninois n’utilisent ni le terme intérêt local ni celui d’affaires locales, il n’en demeure pas moins qu’il reconnaît à la commune des compétences qui lui sont propres458. Or, il ne saurait y avoir de compétence propre sans intérêt propre, donc sans intérêt local. Les formulations utilisées dans le chapitre III de la Loi n° 97-029 en portent l’illustration. Un rapprochement entre les dispositions de ce chapitre et celles de la loi française du 07 janvier 1983 permet d’esquisser une analyse du vocabulaire choisi par

455 Art. 165 : «L'État veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale, de la justice sociale, des potentialités régionales et de l'équilibre inter - régional.

Le représentant de l'Etat veille au respect des intérêts nationaux».

456 Art.6 al.2 : «La commune est la collectivité territoriale de base. Elle est chargé des intérêts communaux…» ; Art.5 : «La commune et la région règlent par délibérations les affaires relevant de leurs compétences. Elles ont pour missions, la conception, la programmation et la mise en œuvre des actions de développement économique, éducatif, social et culturel d’intérêt communal et régional».

457 Niger : Loi n° 2002-012, art. 3 al.2, 31, 65 et 97 ; Loi n° 2002-013, art. 2 ; Ord. n° 53, art. 6 al.2 ; Ord. n° 2010-54, art. 5.

458 Loi n° 97-029, art.82 : «La commune dispose de compétences qui lui sont propres en tant que collectivité territoriale décentralisée».

93 le législateur béninois. En effet, la troisième phrase459 du tout premier article du chapitre III (art. 82) de la loi béninoise est presque une copie conforme de l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi française du 07 janvier 1983. Il peut être déduit que le contenu de l’alinéa 1er dudit article 1er relatif à la clause générale de compétence460 n’a pas séduit le législateur béninois qui a évité de l’emprunter. La méfiance à l’égard de la clause générale de compétence se justifierait. Une partie de la doctrine lui reproche son imprécision qui s’est manifestée dans la diversité des solutions jurisprudentielles.

Malgré cette volonté de précision, le législateur béninois n’a pas pu définir et encadrer, de façon exhaustive, les compétences des collectivités territoriales. C’est cette difficulté qui explique l’usage de formules ouvertes du genre «la commune prend toutes mesures de nature à faciliter…encourager…»461, «la commune initie toutes les mesures de nature à favoriser…à promouvoir….»462. Ces tournures produisent le même effet que la clause générale de compétence. Nonobstant l’effet d’élargissement des libertés locales reconnu à la clause générale de compétence, ses performances sont remises en cause par des élus locaux et autorités gouvernementales de divers horizons463. Conséquemment, le droit positif et la jurisprudence tendent plutôt à en restreindre le champ d’application en clarifiant davantage les compétences de chaque personne publique territoriale.

459 «Elle concourt avec l'État et les autres collectivités à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique ainsi qu'à la protection de l'environnement et à l'amélioration du cadre de vie».

460 «Les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence».

461 Loi n° 97-029, art. 106.

462 Loi n° 97-029, art. 98.

463 ALAGBE S. [Président de l’Association Nationale des Communes du Bénin], La Territoriale, n° 25, Octobre 2013, p. 39, plaide : «Il faut … la séparation étanche de compétences entre l’Etat et les communes, les compétences partagées créent des flous».

Le Président Nicolas SARKOZY en a fait une priorité dans ses réformes ; v. Lettre de mission en date du 30 juillet 2007 du Président de la République française à Mme MICHEL-ALLIOT Marie, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités Territoriales : «Nous vous demandons de rechercher, dans la concertation avec les collectivités, les moyens de clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités locales…». FILLON F. [Premier Ministre Français], Discours de clôture du 90ème Congrès des Maires et des Présidents de communautés de France, le 22 novembre 2007 : «Nous souffrons tous…de l’enchevêtrement des compétences».

94 2. Les vaines tentatives d’une meilleure clarification des compétences

Les textes de loi sur la décentralisation tendent à être plus explicites en matière de répartition des compétences, entre l’Etat et les collectivités territoriales d’une part et entre les différents niveaux de collectivités territoriales d’autre part. Le chapitre III (art. 82 à 108) de la Loi n° 97-029 au Bénin a été entièrement consacré aux compétences de la commune464. Le livre III (art. 158 à 165) et le livre VII (art. 304 à 324) de l’Ordonnance nigérienne n° 2010-54 disposent pour les transferts de compétences et les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales. En France, la loi du 16 décembre 2010465 dispose que, pour compter du 1er janvier 2015, les conseils généraux et régionaux règleront les affaires de leurs collectivités respectives «dans les domaines de compétence que la loi [leur] attribue» et qu’ils pourront «se saisir de tout objet d’intérêt départemental [ou régional] pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique» (art. L3211-1 et L4221-1).

En pratique, il est encore plus ardu de définir et de délimiter lesdites compétences, l’intérêt local étant évolutif dans le temps et dans l’espace et fonction de la taille de la collectivité et de son niveau de développement. En outre, la superposition de plusieurs niveaux de collectivités territoriales rend encore plus difficile la répartition géographique des compétences. En effet, les limites territoriales des collectivités locales ne constituent pas nécessairement la limite de leur intérêt. C’est pourquoi, le juge administratif français contribue à son identification, au cas par cas et avec une certaine souplesse.

Ainsi, pour être locale, une intervention doit-elle résulter soit de l’existence d’un intérêt public par nature466 soit par suite d’une carence de l’initiative privée. C’est ainsi que le juge administratif français n’autorise les collectivités territoriales à ériger des entreprises en services publics communaux que pour autant qu’en raison des circonstances de temps et de lieu, un intérêt public justifie leur intervention467. C’est dans le même sens que, par l'Arrêt Ville de Nanterre

464 Art. 82 al 1 : «La commune dispose de compétences qui lui sont propres en tant que collectivité territoriale décentralisée».

465 Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JORF n° 0292 du 17 décembre 2010, p. 22146.

466 Par opposition à la satisfaction d'un intérêt privé : les collectivités doivent tout d’abord respecter l’initiative privée, au nom de la liberté du commerce et de l’industrie.

467 CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale de commerce en détail de Nevers, Leb., p. 583.

95 du 20 novembre 1964, le Conseil d'Etat légitime la création d'un service municipal gratuit de médecine dentaire au regard des besoins de la population locale qui, composée en grande majorité de salariés modestes, ne peut accéder, dans de bonnes conditions, aux soins dentaires.

L’intérêt local s’entend intérêt direct pour la population concernée468. Les collectivités ne peuvent donc pas intervenir dans un domaine qui n’est pas local. Par exemple, une collectivité ne peut pas s’engager pour une cause politique internationale. Le juge administratif a sanctionné le soutien à un peuple en lutte469. Elle ne peut non plus s’immiscer dans les affaires nationales. Le juge a censuré un appel à voter Non à un référendum national470. Les collectivités territoriales ne peuvent pas non plus empiéter sur les compétences attribuées par la constitution ou la loi à un autre niveau d’administration, qu’il s’agisse d’un autre niveau de collectivité décentralisée ou de l’État central471. L’appréciation de cette limite est aisée lorsque la compétence est attribuée de manière exclusive. Elle paraît davantage complexe dans le cas de compétences concurrentes ou partagées, ce qui est presque toujours le cas, in concreto472. Pour permettre à la collectivité d’exister, il s’avère utile de la doter des attributs d’un pouvoir, ne fut-ce que, subsidiaire.

SECTION 2 :UN POUVOIR ADMINISTRATIF LOCAL INELUCTABLEMENT SUBSIDIAIRE

Il ne peut être institué de libertés locales que pour autant qu’existent des affaires locales.

Les affaires locales se situent au fondement de la libre administration. Mais dans presque tous les domaines, la collectivité ne peut agir qu’en rapport avec l’Etat central. La coopération entre les deux personnes territoriales est inéluctable rendant délicate toute démarcation entre compétences locales et compétences nationales. Il demeure que ces

468 CE, Ass., 25 octobre 1957, Commune de Bondy, Leb., p. 552 S. 1958-III-66.

469 CE, 23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte-sur-Seine, Rec. Leb., p. 209.

470 CE, 25 avril 1994, Président du conseil général du territoire de Belfort, AJDA, 1994, p. 595.

471 CHAPUISAT L.-J., «Les affaires communales», AJDA, 1976, p. 472, fit remarquer à ce sujet : «Il est indiscutable qu’il existe bien des besoins locaux. Mais il suffit que la place du marché soit classée pour qu’elle cesse d’être d’intérêt local, de même pour la circulation urbaine dès lors que les routes sont à grande circulation».

472 BALLADUR E., «Il est temps de décider», Rapport au président de la République, Comité pour la réforme des collectivités locales, 5 mars 2009, p. 12 : «A quelques exceptions près, aucune compétence n’est spécialisée par niveau d’administration territoriale et la plupart sont partagées entre les collectivités territoriales ou encore entre elles et l’Etat».

96 concepts fondateurs sont toujours valides (Paragraphe 1), justifiant la nécessité de conforter la collectivité territoriale dans le rôle d’un pouvoir local473 à caractère administratif dont les moyens sont encore réduits (Paragraphe 2).

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