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Des difficultés à la mise en œuvre du contrôle par les autorités de tutelle

CHAPITRE II : LA TUTELLE SUR LES ACTES

Paragraphe 1 : Un contrôle a priori dominant

B. Des difficultés à la mise en œuvre du contrôle par les autorités de tutelle

Le contrôle a priori tel qu’il est défini par le législateur nécessite, pour sa mise en œuvre, d’importants moyens que l’Etat ne parvient pas à mettre en place (1). Au plan institutionnel, la réorganisation qu’appellent les nécessités d’efficacité du contrôle n’a pu être mise en œuvre (2).

1. L’indisponibilité des moyens

Malgré le nombre relativement réduit de collectivités territoriales864, le contrôle de légalité génère une masse importante de travail qui résulte de la transmission systématique de presque tous les actes à l’autorité de tutelle qui est tenu d’exercer son contrôle dans un certain délai, légalement déterminé865. Si pour les collectivités, omettre de transmettre, c’est

860 L’Ord. n°2010-54 consacre une évolution par rapport à la Loi n°2002-012 du 11 juin 2002 (abrogée) dont les articles 139 à 141 soumettaient le budget au contrôle de la tutelle. Mais, même dans les cas de simple transmission, l’acte doit être transmis à l’autorité de tutelle avant son entrée en exécution. Dans une espère, le Conseil d’Etat français a considéré que «l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa conclusion entraîne l’illégalité dudit contrat, ou s’agissant d’un contrat privé, de la décision de signer le contrat» (CE, avis, 10 juin 1996, req. n°176873) à moins que les conditions de la transmission n’aient pas privé le préfet de sa capacité à exercer le contrôle de légalité et dès lors que cette délibération a été prise avant la signature du contrat (CE, 09 mai 2012, req. n°355665).

861 Lorsqu’il y a demande de complément d’information, le délai est suspendu jusqu’à leur réception.

862 Au Niger, elles sont soumises à transmission (Ord. n°2010-54, art. 313.).

863 C’est ce qui explique que les collectivités territoriales ne transmettent pas tous leurs actes (MDGLAAT (Bénin), Revue sectorielle Décentralisation, Déconcentration et Aménagement du Territoire, Avril 2012, p. 5) faisant ainsi échec à l’exercice du contrôle et au droit de l’Etat à l’information sur les décisions locales (HASTINGS-MARCHADIER A.

(dir.), Les performances des contrôles de l’Etat sur les collectivités locales, Paris, LGDJ, 2011, p. 9).

864 Au Bénin 77 communes (niveau unique de décentralisation) soit une moyenne d’environ 13 par Préfecture. Au Niger, on dénombre, comme collectivités territoriales, 255 communes et 7 régions.

865 Bénin : Loi n°97-029, art. 147 ; Niger : Ord. n°2010-54, art. 312 et 313.

173 ne pas mettre le représentant de l’Etat en capacité de veiller sur les intérêts nationaux, pour l'Etat, ne pas dégager les moyens nécessaires pour les examiner, serait ne pas se donner les moyens d’assurer le respect de la légalité et la garantie des libertés locales.

Un dispositif formel assiste le Préfet dans l’examen des actes locaux866. L’importante quantité des actes transmis explique certaines difficultés. Les moyens affectés au contrôle de légalité sont maigres, quantitativement et qualitativement. En 2009, le gouvernement béninois reconnaissait que les ressources humaines des préfectures et services déconcentrés de l'Etat ne suivaient pas les transferts financiers867. Le constat est persistant et s’est aggravé en raison des départs à la retraite868. C’est seulement à partir de 2011 que, par exemple, le nombre de Chargés de Mission a pu atteindre deux (2) par Préfecture, chacun couvrant ainsi en moyenne six (6) communes au lieu de trois (3)869.

Le contrôle est un métier. Il ne peut être exercé efficacement que moyennant l’acquisition de compétences techniques spécifiques. Or, beaucoup de fonctionnaires, de plus en plus jeunes, sans les moindres formations et expériences spécifiques, interviennent dans le contrôle de légalité. La rareté de l’expertise juridique spécialisée en administration territoriale est aussi frappante. Ces dysfonctionnements peuvent nuire à la qualité du contrôle. L’impression générale qui se dégage est qu’il y a «un profond décalage entre l’importance objective de ce contrôle dans la théorie de la décentralisation et la place secondaire qu’on lui accorde…» dans les faits870. Dans un tel environnement, instituer un contrôle exhaustif est un leurre871. Les

866 Il est composé du Secrétaire Général de la Préfecture (anime et coordonne les activités de l’administration préfectorale et remplace le Préfet en cas d’absence), des Chargés de Mission (Appelés collaborateurs du Préfet au terme de l’article 141 al. de la Loi n°97-029, le Décret 2002-376 du 22 août 2002 portant organisation et fonctionnement de l’administration départementale, art. 65 leur confère le titre de Chargé de Mission), du Haut Fonctionnaire chargé de la Sécurité (Loi n°98-005, art. 19, al. 3 ; Décret 2002-376 du 22 août 2002 portant organisation et fonctionnement de l’administration départementale, art. 59. Ce Haut fonctionnaire n’a jamais nommé. Le gouvernement a préféré nommer des délégués militaires au niveau des préfectures) et du Délégué du Contrôle Financier.

867 MDGLAAT, Aide-mémoire, Revue sectorielle Décentralisation, Déconcentration et Aménagement du Territoire, 2009, p. 4.

868 MDGLAAT, Aide-mémoire, Revue sectorielle Décentralisation, Déconcentration et Aménagement du Territoire, 2014, p. 12.

869 Décret n°2002-376, art. 65.

870 COMBEAU P., op. cit., p. 1.

871 En réalité, la tutelle essaye d’effectuer au mieux de ses capacités un contrôle dont il n’a pas les moyens. Nombreux sont les cas pour lesquels l’intervention de la tutelle sur l’acte transmis se résume à accuser réception, cacheter, affecter et classer. Et pourtant, ces activités improductives ont un coût. La question de l’utilité de la transmission systématique, pour certains actes et de l’approbation pour d’autres, se pose légitimement.

174 enjeux, pour chaque catégorie d’actes, méritent donc d’être examinés872. En confiant aux représentants de l’Etat la préservation des intérêts nationaux, le constituant et le législateur ne pouvaient avoir pour objectif une analyse de légalité mécanique, indépendante de toute appréciation des réalités propres à chaque contexte. L’adéquation et l’efficacité du dispositif de contrôle dépendent de la prise en compte de ces spécificités.

2. L’inadéquation du dispositif de contrôle

Une série de considérations liées à l'organisation mise en place, expliquent les faiblesses du contrôle de légalité. Certes, la fonction est essentiellement déconcentrée. Mais à ce niveau déconcentré, elle est centralisée au seul niveau du représentant unique de l’Etat. En effet, le dispositif formel d’exercice du contrôle ne vise pas les services déconcentrés de l’Etat.

En ne les responsabilisant pas formellement, le législateur a pu vouloir éviter la diffusion du pouvoir dont pourrait résulter une telle multiplicité de centres de décision. Il n’en demeure pas moins certain qu’une analyse et appréciation préalables desdits services sont nécessaires à la décision de l’autorité de tutelle. Dans la pratique, des comités qui les intègrent sont mis en place pour examiner les actes soumis par les collectivités.

Ainsi qu’il se déploie, le dispositif présente au moins deux insuffisances. Premièrement, il ne met pas en première ligne les services déconcentrés qui en constituent la cheville ouvrière873. En second lieu, son organisation n’est pas normalisée. Il n’est pas établi une démarche technique qui garantisse fiabilité, objectivité et transparence874 et ne paraît pas adapté au nécessaire développement des capacités. La faible proportion de responsables de services départementaux connaissant le contenu de la politique nationale de décentralisation dont ils ont pour mission d’accompagner la réalisation en porte témoignage875.

872 Paraîtrait par exemple d’importance limitée tout acte dont le contenu ne présenterait aucun intérêt majeur ou risque de remise en cause de l’intérêt général, de l’ordre public ou des engagements internationaux de l’Etat. Dans un tel exercice, l’intérêt des citoyens contribuables, particuliers et agents de la collectivité et leur inclinaison à attaquer systématiquement ce type d'actes devant le juge devraient également être pris en considération.

873 En dehors des textes de loi, les orientations, normes techniques, etc. sont élaborées par les ministères sectoriels dont relèvent lesdits services déconcentrés.

874De tels outils permettraient aux collectivités territoriales d’auto évaluer en avance la légalité de leurs actes.

875 MDGLAAT (Bénin), Rapport d’évaluation d’étape de la politique nationale de décentralisation et de déconcentration, op. cit., p. 55 : «…seules 57% des autorités départementales connaissent la PONADEC».

175 Le contrôle de la gestion financière locale souffre aussi de déficit de coordination et d’orientations stratégiques. Il est prévu une succession de contrôles qui font penser à des doublons et à une présence excessive de l’Etat, particulièrement au Bénin876. En plus de la nomination du comptable de la commune par le ministre des finances et la soumission à approbation de l’autorité de tutelle du budget et du compte administratif, d’autres jalons de contrôle a priori et a posteriori sont institués877. Ces multiples prescriptions n’ont toutefois pas suffi à éviter à la commission parlementaire d’information, d’enquête et de contrôle du Fonds d’Appui au Développement des Communes de relever une «utilisation inappropriée des fonds, dans bien des cas»878. La question de l’efficacité des contrôles se pose.

Sans être la justification primordiale, la qualité des ressources humaines au niveau des postes comptables constitue une préoccupation souvent soulevée par les élus. La situation a pu être occasionnée par le silence de la loi qui, contrairement au poste de chef du service financier de la commune, ne fixe aucun profil. Quant aux audits annuels des communes, ils sont conduits, au Bénin, par les corps de contrôle notamment l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires administratives. Malgré la connaissance que les services financiers départementaux ont des collectivités, ils ne sont pas associés à l’audit, pas plus que ne sont exploités les innombrables rapports de mission et arrêtés préfectoraux.

Un tel déficit de coordination entre contrôles de tutelle et inspections et le défaut d’évaluation de l’ensemble des contrôles menés par l’Etat sur les collectivités ne permettent pas une mise en commun des constats et conclusions aux fins de dégager des orientations et des axes de concentration des contrôles.

Les dysfonctionnements sus évoqués révèlent que cette tutelle qui consiste en un contrôle a priori étendu n’est pas apte à produire les résultats escomptés. Non seulement, elle contraste avec le niveau de responsabilité des collectivités locales mais elle se situe en retrait des évolutions récentes en la matière.

876 Bénin : Loi n°98-007, art. 46 et 49.

877 L’exécutif communal est tenu de communiquer «trimestriellement sa comptabilité des dépenses engagées à l'autorité de tutelle»

(Bénin : Loi n°98-007, art. 44.). La liste des projets d’investissements est transmise à la tutelle et un point est supposé lui être fait au 31 mai et au 30 novembre de chaque année (Bénin : Loi n°98-007, art. 23).

878 Bénin, Commission Parlementaire d’information, d’enquête et de contrôle relative à la gestion du Fonds d’Appui au Développement des Communes (FADeC), Rapport général, juin 2014, p. 16.

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SECTION 2 :UN REGIME DISSONANT PAR RAPPORT AUX PRATIQUES ET PERSPECTIVES

La conception suivant laquelle la suprématie de l’Etat et l’étroite dépendance des collectivités territoriales constituent les seules gages de l’unité d’une république est largement contestable et ce, pour au moins deux raisons. D’une part, la libre administration, se met en œuvre dans les conditions fixées par la loi et d’autre part, la décentralisation, à travers la responsabilisation locale et la prise en charge des spécificités des territoires, contribue, plus que cela n’y paraît, à l’unité de la nation879. En témoigne l’état des lieux qui ne révèle pas de dérives particulières imputables à la libre administration (Paragraphe 1).

Les suspicions paranoïaques soulevées pour justifier la mise en œuvre d’un régime de surveillance rapprochée ne se sont pas vérifiées. En contrepoint, la relative stabilité de l’institution communale plaide pour un nouveau constitutionnalisme local mâtiné d’un esprit libéral (Paragraphe 2).

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