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Paragraphe 2 : La décadence de la centralisation administrative

A. Un concept essentiel à clarifier

1. La fragilité de la libre administration

Au Bénin, ni les débats de la Conférence des forces vives de la Nation de février 1990, ni les réflexions de la Commission constitutionnelle n’ont été particulièrement animés sur la question de la décentralisation. La conférence nationale s’est limitée à renvoyer l’examen approfondi de la question aux états généraux de l’administration territoriale. Dans l’intervalle, la Constitution du 11 décembre 1990 a prévu la création des collectivités territoriales et consacré, en leur faveur, la libre administration. S’agissait-il d’un simple mimétisme ou de la sacralisation d’un engagement pour un rétablissement véritable des libertés locales ?

La lettre du texte constitutionnel ne fournit pas la réponse. En effet, comme toutes les autres libertés, la libre administration sera «placée sous la garde du législateur»344, compétent pour en fixer l’étendue et les conditions d’exercice. Mais la garde législative en cette matière ne

343 Titre II des Constitutions du Bénin et du Niger.

344 AUTEXIER Ch., «L'ancrage constitutionnel des collectivités de la République », RDP, 1981, p. 605.

69 constitue qu’une garantie relative345. Le constituant béninois l’a si bien compris qu’il en a confié l’ultime garantie au juge constitutionnel346 qu’il oblige à se prononcer dans un délai plus contraint, soit huit jours. Si l’approche d’énonciation du constituant nigérien diffère, elle devrait permettre d’obtenir une protection similaire des droits et libertés347. C’est dire que par-delà la consécration constitutionnelle, c’est le juge constitutionnel qui est appelé à encadrer le contenu de la libre administration et tracer les limites de l’intervention législative et règlementaire en la matière348.

Certes, le constituant n’écarte pas les personnes morales du bénéfice ou de l’exercice des libertés et droits fondamentaux. Les dispositions y afférentes ne distinguent pas entre personnes physiques et personnes morales349. La jurisprudence fait état de recours en violation de droits fondamentaux de la part de personnes morales350. Mais, en ce qui s’applique à la libre administration, le juge constitutionnel béninois a semblé s’enfermer dans une lecture restrictive. L’unique opportunité351 qui lui a été offerte pour fixer la compréhension qu’il conviendrait d’avoir de cette liberté n’a pas été saisie. Se fondant sur les articles 114 et 117 de la Constitution qui fait d’elle juge de la constitutionnalité et non juge de la légalité «sauf en cas de violation des droits de la personne humaine» d’une part et sur l’article 151 in fine d’autre part, la haute juridiction s’est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité du «non transfert de compétences et de ressources aux communes»352.

345 ROUX A., «Constitution, décentralisation et libre administration des collectivités territoriales», Mélanges Francis DELPEREE, p. 8.

346 Bénin : Const. art. 114, art. 117, art. 121 al.2.

347 Niger : Const. art. 126 al.2. Le juge constitutionnel nigérien est compétent «pour statuer sur toute question d'interprétation et d'application de la Constitution». Il est, dès lors, compétent pour garantir le respect de toute liberté constitutionnellement reconnue.

348 FAVOREU L., «Libre administration et principes constitutionnels», in MOREAU J. et DARCY Gilles (dir.), La libre administration des collectivités locales, Economica-PUAM, 1984, p. 68 ; v. également décision nº79-104 DC du 23 mai 1979, Territoire de Nouvelle-Calédonie devenue une norme de référence pour le contrôle de constitutionnalité des lois en France.

349 Bénin : Const., art. 7 à 40 ; Niger : Const., art 10 à 45.

350 Décision DCC n° 04-019 du 29 janvier 2004 sur requête 2350/126/REC enregistrée le 03 novembre 2003 ; Décision DCC n° 01-021du 16 mai 2001 sur requêtes n° 127-C et 1809 respectivement du 16 octobre et du 26 novembre 2008 ; Décision DCC n° 01-010 du 11 janvier 2001 sur requête n° 1221/0074/REC enregistrée le 12 août 2000.

351 Requête n°2094/152/REC introduite par le sieur Frédéric DOVOEDO.

352 Décision DCC n°05-108 du 06 septembre 2005.

70 Trois constations rendent cette décision surprenante. Les deux premières figurent dans le dispositif et la troisième dans la décision. Le juge constitutionnel béninois a semblé s’être mépris sur le recours. Dans le 1er considérant, il résume que «le requérant expose que le gouvernement, en continuant à gérer les compétences et les ressources dévolues aux communes, a violé l’article 151 de la Constitution…». Le juge a considéré que le recours vise à faire contrôler «la constitutionnalité du non transfert des compétences…». Une autre lecture non moins pertinente peut en être faite, à savoir que la requête tend plutôt à faire constater que le non transfert des compétences et des ressources constitue une atteinte répréhensible à la libre administration consacrée à l’article 151 de la Constitution. En outre, la Cour a, dans son argumentaire (consid. 3), restreint le champ du troisième point du premier tiret de l’article 117 au seul cas de violation des droits de la personne humaine faisant abstraction des libertés publiques dont fait partie la libre administration. Or, sa jurisprudence révèle des espèces dans lesquelles la Cour s’est prononcée d’office en se fondant sur la présomption de violation d’une liberté publique353. Enfin, la délibération du haut juge soulève une difficulté majeure, celle de la constitutionnalité de son incompétence déclarée alors même qu’elle se trouve saisie d’une violation présumée d’un article de la constitution. Quelle autre institution peut, mieux que cette Cour, garantir que les dispositions de l’article 151 sont respectées par les lois, règlements et pratiques ? Faudrait-il saisir la Cour Suprême pour constater la violation d’un article de la Constitution ? Le légicentrisme que le juge constitutionnel béninois a semblé consacrer par cette décision rend témoignage de ce qu’il n’a pas entendu élever la libre administration au rang de liberté publique, susceptible d’être placée sous sa garde.

L’évocation de la libre administration-liberté fondamentale ne figure pas encore dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Niger. Par contre, le juge constitutionnel nigérien a affirmé son engagement à limiter les empiètements dont peut être l’objet la libre administration. Ainsi, par son Arrêt n° 05/08/CC/MC du 30 juillet 2008, le juge a-t-il statué que seul le pouvoir législatif peut prévoir des «restrictions de nature à affecter» le principe constitutionnel de libre administration. A été considérée comme telle, la prise d’un décret en Conseil des ministres pour déterminer «les mesures applicables à la commune qui, au terme de

353 Décision DCC n° 01-010 du 11 janvier 2001, 2ème consid. : «Considérant que le recours pose cependant un problème de violation des libertés publiques ; qu'il y a donc lieu, en application de l'article 121 alinéa 2 de la Constitution, de se prononcer d'office».

71 deux (02) mandats consécutifs n’a ni été en mesure de respecter ses obligations légales en matière d’investissement, ni fait face à ses charges minimales de fonctionnement». Mais cette prise de position historique a été remise en cause avec l’adoption de l’Ord. n° 2010-54. Par exemple, la mise en œuvre du transfert des compétences est à la discrétion du pouvoir réglementaire. De même, le mandat des assemblées locales peut être prorogé par décret354.

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