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L’intérêt de l’attribution de la personnalité morale : l’autonomie organique La personnalité juridique se définit comme l’«aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des

Paragraphe 2 : La décadence de la centralisation administrative

A. Un concept essentiel à clarifier

2. L’intérêt de l’attribution de la personnalité morale : l’autonomie organique La personnalité juridique se définit comme l’«aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des

obligations qui appartient à toutes les personnes physiques et dans des conditions différentes aux personnes morales»323. En droit, une personne est un sujet de droit et d’obligations324. Les personnes

319 Bénin : Constitution du 11 décembre 1990, art. 151 ; Niger : Constitution du 25 novembre 2010, art. 164.

320 Matériellement, les énoncés se suivent dans les textes constitutionnels. Dans la constitution béninoise, cette disposition figure à l’article 150 et dans le texte du Niger au même art. 164 mais au deuxième alinéa.

321 Art. 98 de la Constitution du Bénin ; art. 100 de la Constitution du Niger.

322 Bénin : Loi n° 97-029, art. 1er : «La commune est une collectivité territoriale dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière» ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 3 : «Les Collectivités Territoriales s'administrent librement par des conseils élus. Elles sont dotées de la personnalité morale et de l'autonomie financière».

323 CORNU G., Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 9ème éd., 2011, p. 752.

324 MAZEAUD H., Les personnes : la personnalité, Paris, Montchrestien, 6ème éd., T.1, vol.2, p. 505 : «La personne juridique est celle qui peut jouer un rôle sur la scène juridique».

65 juridiques sont soit des personnes physiques soit des personnes morales. Dans le droit moderne325, tout être humain né viable accède à la personnalité juridique. La notion de personnalité juridique des personnes morales est moins évidente. Le moins qui puisse être convenu est qu’avant de pouvoir agir juridiquement, il faille d’abord que le groupement humain considéré fût une personne326. Malgré cette évidence, le concept de la personnalité morale a suscité beaucoup de discussions dans la doctrine. Le débat sur la notion a enregistré quatre positions différentes327 qui pourraient être regroupées en deux328. Il s’agit d’un côté des thèses de la fiction (théorie de la fiction et position négatrice du concept) et des thèses de la réalité (théorie de la réalité et théorie de la réalité technique) de l’autre.

Les thèses de la fiction postulent que seul l’homme a la personnalité, seul l’homme a des droits. Les ardents défenseurs de cette thèse sont Friedrich Karl von SAVIGNY, Rudolf von IHERING et Marcel PLANIOL329. Ils considèrent le concept de personnalité morale comme un «masque» qui permet au droit de voiler la copropriété entre les membres d’un groupement et de «ne pas accepter des notions en contradiction avec ses règles fondamentales»330. La plupart des auteurs qui nient la réalité de la personnalité morale la présentent comme une faveur du législateur qui, arbitrairement et fictivement, octroie la personnalité de l’être humain, à des groupements qu’il veut bien appeler à la vie juridique. Les tenants de cette thèse posent un constat, celui que la personnalité morale entre dans la liste des fictions juridiques331. En effet, le recours à la fiction par les juristes est très ancien et a contribué à

325 Dans le monde antique, certains hommes n’avaient pas la personnalité. C’est le cas des esclaves, des étrangers.

326 En effet, il paraît évident que pris isolément et seul, l’être humain ne peut mener à bien les tâches auxquelles l’invite sa vie en société. Mais la question reste comment devrait être juridiquement organisé ce «vivre ensemble». Faudra-t-il que toute réalisation d’intérêt collectif soit approuvée par chacun des membres du groupe considéré ? Dans quel patrimoine inscrirait-on les biens collectifs du groupement ? Pour permettre de conférer une existence cohérente et pérenne aux groupements, il s’est avéré indispensable qu’un centre d’intérêts appelé personnalité morale, distincte de la personnalité individuelle de ses membres, soit créé. En outre, le droit ne connaissant pas de patrimoine sans une personne, il faut, si l’on désire, affecter une masse de biens au but ainsi poursuivi par lesdits groupements, qu’une personne juridique soit créée.

327 LINDITCH F., Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, Paris, LGDJ, 1997, pp.11-21.

328 MAZEAUD H., op. cit., pp. 654-657.

329 LINDITCH F., op. cit., p. 12.

330 SAVIGNY F. C., Traité de droit romain, trad. Charles Guenoux, Firmin-Didot, t.2, 2ème éd., 1860, p.233.

331 PASCAL B., Pensées, éd. CRES, 1928, art.1, n° 18, décrivait la fiction ainsi qu’il suit : «Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes».

66 construire des solutions juridiques plausibles dans plusieurs espèces332. C’est aussi un procédé bien connu en droit moderne. Il se définit comme un artifice de technique juridique, un mensonge-bienfait de la loi ou de la doctrine, qui consiste à supposer un fait inexistant dans la réalité en vue de «produire un effet de droit»333. Philippe JESTAZ parle d’ «une dérogation délibérée de la réalité»334.

Pour les partisans de la thèse de la réalité dont Léon MICHOUD, Raymond SALEILLES, Maurice HAURIOU et Marcel WALINE, un groupement est fait à l’image de l’être humain et par conséquent, a une volonté propre distincte de celle des membres pris individuellement335. C’est cette volonté propre qui fonde sa personnalité, distincte de celle de ses membres. Ils fondent par ailleurs leur argumentation sur les fins poursuivies. Pour ces juristes, l’homme reçoit la personnalité pour la poursuite de ses fins. Le but collectif poursuivi par un groupement fait naître automatiquement, en dehors de toute intervention du législateur, la personnalité. Cette thèse fait d’une éventuelle intervention en reconnaissance du législateur une opération subsidiaire. Elle tend à assimiler personnalité morale et liberté d’association.

Cette thèse très libérale et restrictive de l’interventionnisme étatique336 se comprend lorsqu’elle est replacée dans le contexte qui l’a vu naître, celui de la reconquête de la liberté d’association. En effet, après des remises en cause337, le législateur a finalement adopté l’autorisation et la dévolution de la personnalité morale aux syndicats en 1884 et proclamé

332 Dans la Rome antique, «La fiction était utilisée fréquemment pour expliquer les difficultés juridiques que soulevaient les cas d’espèce…Elle était abandonnée aussitôt qu’elle cessait de présenter un intérêt d’explication, pour un retour à la réalité concrète». V.

GUYENOT J., La responsabilité des personnes morales publiques et privées, Paris, LGDJ, 1959, p.80.

333 CORNU G., op. cit., p. 454.

334 JESTAZ Ph., Le droit, Paris, Dalloz, 1991, p.83.

335 LINDITCH F., op. cit., pp. 14-18.

336 RIVERO J., WALINE J., Droit administratif, Paris, Dalloz, 21ème éd., 2006, p. 41 : «Si les personnes morales sont des réalités, en effet, l’Etat n’est pas libre de les créer ou de les supprimer : elles s’imposent à lui».

337 En France, sous la Révolution, bien que la liberté d’association a été proclamée, les groupements ne bénéficiaient pas automatiquement de la personnalité morale. Sous l’Empire, la liberté d’association a été supprimée par Napoléon et tout groupement de plus de vingt personnes doit être autorisé ; cette première autorisation ne confère pas à l’association la personnalité morale, c’est une reconnaissance d’utilité publique qui confère la personnalité. Pour plus de détails sur l’histoire de la personnalité morale en France, v. MAZEAU H., op. cit., p. 651.

67 la liberté d’association en 1901. C’est dire que le débat sur la caractérisation juridique (fiction ou réalité) de la personnalité morale soulève un enjeu idéologique, celui de l’hégémonie de l’Etat qui tenterait de contrôler toute velléité de diversification des centres de pouvoir et de maîtriser toutes formes d’autonomie dans l’espace public338. On comprend dès lors pourquoi ces doctrinaires classiques abordaient l’autonomie locale moins sous l’angle définitionnel qu’en tant que condition d’effectivité ou paramètre caractéristique de la décentralisation339.

Charles EISENMANN fonde la décentralisation sur l’indépendance des autorités locales vis-à-vis du pouvoir central. André de LAUBADERE aborde l’autonomie sous le même angle340. Poussant l’analyse plus loin, ces auteurs feront du mode électif la principale garantie d’une telle autonomie. La participation directe du corps électoral à la nomination des autorités administratives locales est donc essentielle pour l’effectivité de leur autonomie341. La jurisprudence française confirme ce postulat342. L’utilité intrinsèque de l’acquisition de la personnalité morale réside dans les effets juridiques qu’elle est susceptible de produire. La plus immédiate est la capacité juridique dont jouit désormais le groupement humain qui en est bénéficiaire.

338 RIVERO J., Droit administratif, 15ème éd., 1994, p. 32, affirme que si les personnes morales «sont de pures fictions, l’Etat en est le maître». WALINE M., Traité de droit administratif, 9ème éd., 1963, p. 280, relève que la thèse de la fiction a pour conséquence de «faire reconnaître au législateur un pouvoir absolu, une sorte de droit de vie ou de mort sur les personnes morales».

339 HAURIOU M., Précis de droit administratif et de droit public, 9ème éd., Paris, Sirey, 1979, p. 171, caractérise la décentralisation par «la création de centres d’administration publique autonomes où la nomination des agents provient du corps électoral de la circonscription et où ces agents forment des agences collectives ou des assemblées». Pour DUGUIT L., Transformation du droit public, Armand colin, Paris, 1993, p.33, la décentralisation territoriale est celle qui aboutit à la création des personnes morales de droit public dotées d'une autonomie organique et de gestion.

340 de LAUBADERE A., Traité de droit administratif, T. I, 9ème éd, Paris, LGDJ, 1984, p. 92, affirme, au sujet des affaires locales, que «La gestion de ces intérêts confiée à des organes disposant d'une certaine indépendance par rapport au pouvoir central : les autorités locales sont souvent élues par les membres de la collectivité, leur nomination ou leur révocation ne dépend pas du pouvoir central.

C'est l'autonomie organique». V. aussi FLOGAÏTIS S., La notion de décentralisation en France, en Allemagne et en Italie, Paris, LGDJ, 1979, pp. 20-21.

341de LAUBADERE A. et al., Traité de droit administratif, T.1, 14è éd., Paris, LGDJ, 1996, p.96, souligne que «la qualité des autorités locales et singulièrement leur mode de désignation traduisent la réalité politique de cette décentralisation».

342 Décision n° 85-197 DC du 23 août 1985, consid. 35 : «Considérant que le congrès, dont le rôle comme organe délibérant d'un territoire d'outre-mer ne se limite pas à la simple administration de ce territoire doit, pour être représentatif du territoire et de ses habitants dans le respect de l'article 3 de la Constitution, être élu» ; Décision n° 85-196 DC du 08 août 1985, consid. 10 : «Considérant (…) qu'il résulte, d'autre part, de l'article 72 que, pour s'administrer librement, le territoire doit, dans les conditions qu'il appartient à la loi de prévoir, disposer d'un conseil élu doté d'attributions effectives» ; Décision 2010-618 du 09 décembre 2010, consid. 23 :

«Considérant que, si le principe selon lequel les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus implique que toute collectivité dispose d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives…».

68 Paragraphe 2 : L’autonomie organique, une nécessité réfutée

Dans un Etat de droit, les libertés fondamentales bénéficient d’une protection particulière.

Pour attacher à l’autonomie organique des collectivités territoriales une importance à la mesure du caractère indispensable qu’elle revêt, il aurait fallu en faire une liberté fondamentale (A). Puisque telle ne semble pas avoir été l’intention du constituant, l’attention qu’il accorde à l’institution communale paraît en deçà de la protection requise pour un contrepouvoir, fut-il administratif (B).

A. Une nécessité indéniable

De façon classique et en matière de liberté, le constituant se limite à l’affirmation343. L’état actuel des lieux au Bénin et au Niger est conforme à cet esprit (1). Mais la libre administration est une liberté de nature institutionnelle. Comme telle, ses fondamentaux auraient pu être davantage précisés ainsi que le reflètent les tendances du nouveau constitutionnalisme local (2).

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