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Paragraphe 1 : Une intégration favorable à la confusion organique

A. Une confusion permise par les textes

La non dépendance des collectivités vis-à-vis du pouvoir central est un déterminant clé de la libre administration. Plusieurs moyens juridiques permettent d’assurer une telle autonomie. Pourtant, l’analyse des textes suscite une impression de parfaite contradiction.

Pendant que le droit prétend affranchir610 les organes locaux de l’emprise de l’administration centrale, la réalité donne à voir une confusion flagrante dont les manifestations peuvent être relevées au double plan structurel (1) et politique (2).

1. La collectivité territoriale, une reproduction de la structure étatique

La doctrine promeut la perception que la collectivité est une reproduction en miniature de l’Etat. Pour MAZERES, l’Etat «tend à réduire le pluralisme originel à une représentation institutionnelle du local qu’il génère»611. FOURNIE, dans le même sens, fait le constat que «tous les éléments qui spécifient aujourd’hui les collectivités locales se trouvent déterminés juridiquement par l’Etat qui les produit»612. Il n’y a donc pas de fonction décentralisée par essence613.

608 FOURNIE F., Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, op. cit., p. 303.

609 PONTIER J.-M., op. cit., p. 309.

610 APPIA K., op. cit., p. 31 : «Aucun organe détenteur d'un pouvoir normatif au sein de l'ordre juridique peut évidemment échapper au contrôle de l'Etat, qui est l'assise juridique de la souveraineté».

611 MAZERES J.-A., «Les collectivités locales et la représentation. Essai de problématique élémentaire», RDP, 1990, p.

613.

612 FOURNIE F., Recherches sur la décentralisation dans l’œuvre de Maurice Hauriou, op. cit., p. 302.

613 BURDEAU G., «Remarque sur la classification des fonctions étatiques», RDP, 1945, p. 202 ; GOURNAY B., Introduction à la science administrative, Paris, Armand-Colin, 1966, p. 17.

121 Plusieurs éléments permettent d’illustrer la mesure dans laquelle la collectivité territoriale constitue une reproduction de la structure étatique. Sera examinée, l’organisation administrative, notamment le modèle représentatif et le fonctionnement des organes.

Les évolutions suivies dans la constitution et l’articulation des organes d’administration locale sont semblables à celles connues par l’Etat central. Au départ, les communes étaient administrées par les assemblées générales des habitants. Progressivement, s’est mis en place le système représentatif avec l’élection de conseils municipaux par les habitants614. La similitude avec l’organisation de l’Etat peut être notée dans le couple délibérant-exécutif.

La collectivité territoriale devant s’administrer elle-même, il lui fallait un conseil qui délibère et un organe exécutif pour mettre en œuvre lesdites délibérations615. Les règles de fonctionnement interne sont pareilles : adoption d’un règlement intérieur, débats publics, délibération en sessions ordinaires et extraordinaires, quorum de validité des délibérations.

Les principes majeurs applicables au service public s’y imposent616. La typologie et la morphologie des actes des autorités administratives centrales sont adoptées au niveau local617. Le modèle étatique envahit aussi le domaine fondamental des finances locales618.

Cette reproduction systématique du modèle étatique n’est pas nécessairement bénéfique pour la libre administration619. L’Etat a intégré la collectivité locale à son ordre interne620. Ainsi, celle-ci se meut dans un cadre juridique préétabli par l’Etat qui structure

614 HAURIOU M., «La souveraineté nationale», Recueil de législation de Toulouse, T.VIII, p. 89 ; v. également, Const.

Bénin : art. 151, Const. Niger : art. 164.

615 En France, à l’occasion de l’examen de la Constitution de 1848, BECHARD déclarait : «Le pays ne sera plus administré par des agents du pouvoir exécutif, mais il s’administrera lui-même» ; HAURIOU M., «La souveraineté nationale», op. cit., p. 63 :

«Les administrations locales, qui reproduisent au petit pied l’organisation de l’Etat, ont-elles aussi un organe délibérant». Bénin : Loi n°

97-029, art. 3 ; Niger: Ord. n° 2010-54, art. 22.

616 Ils ont été dégagés en 1938 par le Professeur Louis ROLLAND. La doctrine postérieure les appelle les Lois de Rolland. Il s’agit de la continuité, de l’égalité et de la mutabilité.

617 Jean-François LACHAUME [La hiérarchie des actes administratifs exécutoires en droit public français, Paris, LGDJ, 1966, p.

40] note par exemple que «L’arrêté, mode de décision habituelle du ministre, du préfet, est aussi la forme habituelle des actes du maire».

618 Il est fait obligations aux collectivités décentralisées de se doter d’un budget dont les modalités d’exécution sont celles de l’Etat. V. Bénin : Loi n° 98-007, art. 4 à 6, 34 et 35 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 211.

619 PONTIER J.-M., op. cit., p. 305 : «Ce qui est satisfaisant à l’échelon national ne l’est pas toujours à l’échelon local».

620 Bénin : Loi n° 97-029, art. 84 ; Niger Ord. n° 2010-54, art. 9.

122 une sorte de hiérarchie administrative621. Tout leur venant de l’Etat, DUGUIT rejette l’idée que les collectivités disposent de pouvoirs propres, décentralisés par nature622. Pouvoir local, compétences locales seraient des appellations commodes. Ils ne sont pas déterminés par le groupement territorial auquel la libre administration est accordée. Or, pour BURDEAU, «une activité est dite décentralisée lorsque les règles qui la commandent sont édictées par des autorités émanant du groupe qu’elle concerne»623. HAURIOU, l’ardent défenseur du pluralisme territorial, ne le contredit pas lorsqu’il définit aussi bien la centralisation que la décentralisation comme «une manière d’être de l’Etat». Ceci postule qu’au niveau des collectivités, c’est toujours l’Etat qui est à l’œuvre624. Il impose son modèle d’organisation, ne voulant pas que le pluralisme territorial débouche sur une l’altérité que vise l’élection des organes locaux

2. L’élection, une garantie insuffisante de séparation organique

Le procédé électif arrive en tête, parmi les moyens de garantir l’autonomie d’un organe décentralisé. Cette position confirmée par le droit positif semble n’avoir pas bénéficié de la part de la jurisprudence de la fermeté nécessaire.

La doctrine a abondamment justifié la séparation de l’Etat central et des collectivités territoriales. HAURIOU s’est insurgé contre l’unité de la personnalité morale de l’Etat : «On a beau affirmer qu’elles en sont des démembrements, ce n’est qu’une formule vide de sens, car une personne subjective ne se démembre pas, elle est par définition indivisible». Pour lui, «la vérité est donc que les personnes morales décentralisées sont autrui par rapport à l’Etat»625. Il y a donc entre l’Etat et les collectivités territoriales un rapport d’altérité. BAGUENARD souligne l’importance particulière de cette altérité : «La décentralisation suppose l’existence d’une pluralité de centres

621 CHAPMAN B., «L’administration locale en France», Cahiers de la FNSP, n° 66, Armand-Colin, Paris, 1955, p. 28.

622 DUGUIT L., L’Etat, les gouvernants et les agents, T.II, Paris, 1901, pp. 654-701. Dans «Le syndicalisme», Revue politique et parlementaire, T.II, 1908, p. 488, il a critiqué le modèle français en des termes non équivoques : «Ce n’est certainement pas dans le sens de la décentralisation communale et départementale que s’oriente notre organisation administrative».

623BURDEAU G., Traité de science politique, Paris, LGDJ, 1967, T.II, p. 369.

624 V. l’analyse faite par MAZERES J.-A., «Les collectivités locales et la représentation. Essai de problématique élémentaire», op. cit., pp. 615 et 616, qu’il conclut avec un célèbre jeu de mots : «L’autre est le même, il demeure dans le multiple».

625HAURIOU M., Principes de droit public, Sirey, 1ère éd., 1910, p. 321.

123 autonomes de décisions, exige que des organes locaux aient la maîtrise juridique de leur activité c'est-à-dire qu’ils soient libres de prendre, dans le respect des lois et règlements, la décision qu’ils veulent»626. MBACK considère la désignation démocratique des organes locaux comme un critère d’existence de la collectivité décentralisée et de la démocratie locale. Elle lui paraît être une garantie contre

«les incursions défavorables du pouvoir central dans l’administration des collectivités» 627.

Le constituant établit un lien de causalité entre le mode de désignation des organes des collectivités et la libre administration de celles-ci. Au terme des dispositions constitutionnelles, les organes d’administration des collectivités sont élus au suffrage universel628. Le mode électif de désignation, privilège réservé629 aux collectivités décentralisées, est donc garanti par la constitution, même si le régime électoral local est défini par la loi. Dans son œuvre normative, le législateur distingue deux organes, le délibérant (conseil) et l’exécutif (maire ou président du conseil), dont les modalités de désignation diffèrent630. Si l’organe délibérant est élu au suffrage universel direct, l’élection de l’exécutif se déroule sous le suffrage indirect. Dans tous les cas, les possibilités d’interférence existent mais elles diffèrent en fonction du type de suffrage.

Si théoriquement, le représentant de l’Etat dans les départements a très peu de chance de pouvoir influencer directement l’élection des membres des conseils locaux, il n’en est pas de même de la désignation du maire et des chefs des unités infra communales. En témoignent les nombreuses contestations élevées contre des ingérences et qui ont fait intervenir, à maintes reprises, le juge administratif béninois631.

626BAGUENARD J., La décentralisation, PUF, Paris, 2004, 7ème édition, p 12.

627 MBACK NACH Ch., Démocratisation et décentralisation. Genèse et dynamiques comparés des processus de décentralisation en Afrique subsaharienne, p. 347 ; voir également p. 33: «La notion de démocratie locale…est avant tout, l’idée d’un système de gestion politique qui…trouve sa traduction juridique dans l’institution du procédé électoral, au suffrage universel, comme mode désignation des instances dirigeantes des collectivités locales».

628 Const. du Bénin, art. 153 ; Const. du Niger art. 164.

629 Cour Constitutionnelle du Bénin, Décision DCC n° 98-036 du 08 avril 1998, 8ème consid. ; la haute juridiction a jugé que l’article 5 de la loi soumise à son examen viole la constitution en ce qu’il dispose que le chef d’arrondissement est élu alors que d’une part l’arrondissement ne jouit ni de la personnalité juridique ni de l’autonomie financière et que d’autre part, selon l’article 151 de la Constitution, les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus.

630Bénin, Loi n° 97-029, art. 3, 11, 38, 48 et 63 ; Niger, Ord. n° 2010-54, art. 22, 50, 51, 98, 124 et 125.

631 Cour suprême (Bénin), Contentieux des élections locales. Décembre 2002 et Janvier 2003. Recueil des arrêts, Cotonou, Direction de la Documentation et des Etudes, Juillet 2007.

124 La Loi n° 2013-06 du 25 novembre 2013 portant Code électoral en République du Bénin (art. 2) définit l’élection comme «le choix libre par le peuple du ou des citoyens appelés à conduire, à gérer ou à participer à la gestion des affaires publiques». Elle indique (art. 13) que les élections sont gérées par un organe administratif autonome. Le dispositif est similaire au Niger632. La composition dudit organe et les incompatibilités prévues ne permettent pas à l’exécutif ou à ses représentants d’interférer dans le processus électoral633. Le processus de désignation du maire, des adjoints au maire et des chefs des entités infra communales tend également à tenir à l’écart des opérations, l’autorité de tutelle. En effet, même si les dispositions légales prévoient que l’organe délibérant est installé par l’autorité de tutelle634, les opérations de vote sont supervisées par un bureau d’âge mis en place à cet effet qui transmet les résultats à l’autorité de tutelle qui les constate par arrêté635. L’élection des adjoints au maire se déroule dans les mêmes conditions que celle du maire636. Dans tous les cas, il apparaît clairement que le législateur a entendu éviter toute interférence du représentant de l’Etat dans les opérations de désignation des autorités communales. Faut-il en déduire que l’autorité de tutelle ne doit pas être présente ou représentée lors des opérations de vote ? La pratique au Bénin fournit une réponse négative. La présence ou représentation quasi généralisée d’un représentant de l’Etat a été instituée par la circulaire n° 0163/MISD/DC/SG/DGAT du 17 janvier 2003.

En tant que principe d’organisation démocratique, la séparation organique devrait s’analyser comme une conséquence de la séparation des pouvoirs637. A l’origine, ce principe avait été

632 Ord. n° 2010-96, art. 3, 5 al. 2, 9 al. 2 et 3.

633 Bénin : Loi n° 2013-06, art. 13 et 19 ; Niger : Ord. n° 2010-96, art. 11.

634 Bénin : Loi n° 97-029, art. 14, 41 et 42 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 53.

635 Bénin : Décret n° 2001-414 du 15 octobre 2001 fixant le cadre général du Règlement Intérieur du conseil communal, art. 6, al. 1 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 53, al. 3.

636 Bénin : Loi n° 2013-06, art. 403 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 54, al. 2 : pour le Niger, la différence réside dans le fait que c’est le Maire (et non plus le conseiller le plus âgé) qui préside la réunion et supervise les opérations de vote.

637 Cette compréhension a été relayée par la doctrine classique du droit public français de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Il s’agit de ESMEIN A., Eléments de droit constitutionnel français et comparé, vol.2, Paris, Sirey, 1927, 648 p. ; DUGUIT L., «La séparation des pouvoirs et l’Assemblée Nationale de 1789», Revue d’économie politique, Vol.7, 1893 ; CARRE DE MALBERG R., Contribution à l’étude de la théorie générale de l’Etat, T.1, Paris, Sirey, 1920, p. 65 et s. ; HAURIOU M., Précis de Droit administratif et de Droit public, 6ème éd., Paris, Sirey, 1907, p. 11 et s.

125 d’abord compris comme une séparation rigide638. Il a fallu vivre quelques blocages institutionnels pour déduire que MONTESQUIEU suggérait plutôt la non confusion des pouvoirs639. Selon DUGUIT, «Il ne peut donc exister une véritable séparation des pouvoirs : chaque fonction étatique exige l’intervention simultanée de tous les organes de la personne Etat»640. La séparation verticale des pouvoirs au sein de l’Etat s’étant inspiré de la séparation horizontale, il convient d’en avoir la même compréhension, empreinte de souplesse et de complémentarité qui ne saurait déboucher sur une confusion des organes et compétences641.

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