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Le pouvoir normatif de la collectivité, un pouvoir nécessaire

CHAPITRE II : LA FRAGILITE DE LA SEPARATION

Paragraphe 2 : Des moyens incomplets

B. Des moyens normatifs insuffisants

2. Le pouvoir normatif de la collectivité, un pouvoir nécessaire

La doctrine admet majoritairement que la collectivité territoriale dispose d’un pouvoir normatif. BOURJOL affirmait que «la libre administration implique en effet pouvoir de prendre des actes administratifs et parmi ces actes, des règlements»580. TROPER a pu définir la libre administration en émettant l’hypothèse d’un pouvoir normatif de la collectivité

573 PROTIERE G., op. cit., p. 131 : «La nation est la seule source du pouvoir politique dans l’Etat».

574 KELSEN H., Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 426 : «Le droit international n’oblige ni habilite des individus de façon directe, mais de façon indirecte, en passant par l’intermédiaire de l’ordre juridique étatique».

575 CARRE de MALBERG R., Contribution à la théorie générale du droit, T.1, Sirey, 1920, p. 183.

576 FAVOREU L., «La loi, le règlement et les collectivités territoriales», ADJA, 2002, p. 561.

577 Const. Bénin, art. 153 ; Const. Niger, art. 164, al.3.

578 Const. du Bénin, art. 105 et Const. du Niger, art. 109 al 1er : l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée Nationale.

579 Const. du Bénin, art. 103 ; Const. du Niger, art 109 al. 2.

580 BOURJOL M., «Libre administration et statut de la fonction publique locale», Actes du colloque d’Angers, Cahiers du CFPC, n° 13, Octobre 1983, p. V.

113 territoriale581. Partant du principe que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, il revient au législateur de reconnaître et de borner tout pouvoir normatif qui puisse leur être attribué.

Au Bénin, la Loi n° 97-029 en son article 73 reconnaît au maire la prérogative de prendre

«des dispositions à l'effet d'ordonner les mesures et règlements nécessaires à l'exercice de ses prérogatives». Ce pouvoir est confirmé par l’art. 74 de la même loi582. En utilisant le terme arrêté pour l’acte susvisé, le législateur a ipso facto attribué au maire le pouvoir d’édicter des normes583. Ce pouvoir est circonscrit à l’exercice des compétences locales et les modalités de son exercice varient suivant qu’il s’agit de compétences propres ou de compétences déléguées.

Lorsqu’il s’agit de compétences déléguées584, le pouvoir normatif s’exerce sous le contrôle de l’autorité de tutelle. Les mesures nécessaires à l’exercice des autres prérogatives locales peuvent n’avoir pas été préalablement l’objet de règlements nationaux. Elles peuvent consister en des dispositions locales nouvelles qui ne relèvent point de l’application de mesures règlementaires initialement prises au niveau national. La collectivité décentralisée peut disposer même si le pouvoir réglementaire national s’est abstenu. Il suffit que les nécessités locales l’exigent et qu’elles s’inscrivent dans les compétences locales. En outre, à l’image de la prérogative de «veiller à l’application des lois et règlements de la République», certaines compétences locales paraissent à la fois si spécifiques et si étendues que la question du caractère autonome de ce pouvoir normatif local devient légitime. Le débat doctrinal y afférent a été très animé585.

581 TROPER M., «Libre administration et théorie générale du droit. Le concept de libre administration» in DARCY G., MOREAU J. (dir), La libre administration des collectivités locales, Paris, Economica, PUAM, 1984, p. 62 : «la libre administration serait un système…dans lequel un organisme énonce les normes dont il est le destinataire».

582 «Les arrêtés du maire, lorsqu'ils contiennent des dispositions générales, sont exécutoires dès qu'ils sont portés à la connaissance des populations par affichage ou toute autre voie de publication».

583 CORNU G., Vocabulaire juridique, p. 84, le définit comme «décision d’une autorité exécutive non suprême» ; dans le Lexique des termes juridiques, l’arrêté est «une décision exécutoire à portée générale ou individuelle émanant… d’autorités administratives».

584 Bénin, Loi n° 97-029, art. 68, al. 2 : «Sous le contrôle de l'autorité de tutelle, il est également chargé de la diffusion et de l'exécution des lois et règlements» ; Niger, Ord. n° 2010-54, art. 91 : «En sa qualité de représentant de l'Etat, le maire est chargé, sous l'autorité hiérarchique du préfet ou du gouverneur selon le cas de : - publier les lois et règlements de la République ; - veiller à leur application ; - assurer l’ordre et la salubrité publique».

585 Il a opposé les partisans de l’autonomie du pouvoir réglementaire (BECET J.-M., La commune dans le système administratif français, CFPC, 1983, pp. 140 et ss. ; HECQUARD-THERON M., Essai sur la notion de réglementation, Paris, LGDJ/Montchrestien, 1977, pp. 90 et ss. ; JOYAU M., De l’autonomie des collectivités territoriales françaises. Essai sur la liberté

114 Pour le Doyen HAURIOU, la question ne vaut pas d’être posée. La mission de tout exécutif d’une personne publique est double : assurer la marche de l’administration et l’exécution des lois. Le Doyen de Toulouse s’est même permis une priorisation : «d’abord gouverner et administrer ; ensuite exécuter la loi»586. Pour lui, «le pouvoir réglementaire est inhérent à tout pouvoir de commandement»587. Il en tire comme conséquence le rejet de toute idée d’unité du pouvoir réglementaire588. A sa suite, BOURJOL589 relève que le pouvoir normatif local est spécial, distinct et autonome du pouvoir réglementaire national590.

L’efficacité juridique d’un tel pouvoir normatif dans l’espace fait l’objet de questionnement.

Abordant la question de l’insertion du pouvoir normatif local dans l’ordre juridique, KELSEN appréhende la collectivité infra étatique comme «la collectivité juridique dont l’ordre se compose de normes qui ne valent que pour une fraction du territoire»591. Avec EISENMANN, il établit une subordination entre la norme non centrale (locale) et la norme centrale (nationale) 592. Il en est de même pour FAURE593, FAVOREU594 et dans une certaine mesure, AUBY595 et DOAT596.

du pouvoir normatif local, LGDJ, 1998, pp. 121 et ss.) aux défenseurs d’un pouvoir subordonné (FAVOREU L., PHILIP L., Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, 2ème éd., pp. 336 et ss., FAURE B., «Existe-t-il un pouvoir réglementaire local en droit constitutionnel français, RDP, 1996, p. 1542 ; FRIER P.-L., «Le pouvoir réglementaire local : force de frappe ou puissance symbolique ?», AJDA, 2003, pp. 559 et ss.).

586 HAURIOU M., Note sous CE, 28 juin 1918, Heyriès, t.1 du recueil des notes d’arrêts p. 82.

587 HAURIOU M., Précis de droit administratif, 11ème éd., p. 451.

588 HAURIOU M., Précis de droit administratif, op. cit., p. 252 : «Il n’y a pas d’unité du pouvoir réglementaire».

589 Se référer à son intervention à l’occasion du colloque Administration et société organisé par l’Institut français des sciences administratives en Janvier 1983. V. Cahiers du secteur public, n° 9, Janvier 1983, p. 20.

590 En ce qu’il se rapporte aux affaires locales.

591 KELSEN H., op. cit., p. 413.

592 THALINEAU J., Essai sur la centralisation et la décentralisation. Réflexion à partir de la théorie de Ch. Eisenmann, Thèse, Tours, 1994, pp. 38 et ss.

593 FAURE B., Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, Thèse, Université du Pau et des Pays de l’Adour, 1992, p. 311 :

«On imagine mal …un règlement local contrevenir à un règlement national légalement édicté».

594 FAVOREU L., Note sous CC, 248 DC, 17 janvier 1989, RDP, 1989, p. 447 admet que le pouvoir réglementaire local est un «pouvoir subordonné et second par rapport au pouvoir réglementaire national».

595 AUBY J.-M., «Le pouvoir réglementaire des autorités des collectivités locales», AJDA, 1984, p. 468.

596 DOAT M., Recherche sur la notion de collectivité locale en droit administratif français, Paris, LGDJ, 2003, p. 225.

115 Le principe de la hiérarchie des normes suggère un autre argumentaire. En effet, au moins deux frontières encadrent le pouvoir normatif local : d’une part, respecter la répartition constitutionnelle des compétences entre le législateur et l’exécutif et d’autre part, se conformer aux principes, et dispositions contenus dans les lois et règlements597 . Puisque le règlement national partage des domaines de compétences avec le règlement local, un ordonnancement se dégage : «Il est de principe que la valeur d’une norme juridique est en relation avec le rang de l’organe qui l’édicte»598. Conséquemment, le droit positif, au Bénin et au Niger, affirme expressément la subordination du pouvoir normatif local au pouvoir réglementaire national599.

Dès lors que le législateur a déterminé le contenu du pouvoir normatif local, il devient constitutif de la libre administration et n’est plus susceptible d’être violé, ni par le règlement national, ni par le règlement local. Il en découle qu’en l’état actuel du droit positif au Bénin et au Niger, le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale, en tant que moyen d’exercice de ces compétences, tire sa source de la loi. C’est donc un pouvoir dérivé par rapport au pouvoir réglementaire national, constitutionnellement constitué. Ce qui ne devrait pas empêcher que la collectivité soit réellement «en possession d’un pouvoir d’administration propre…»600.

Il serait donc réducteur de s’en limiter aux seules considérations sus évoquées. Ces limites ayant été relevées, il s’impose de confirmer la nécessité pour la collectivité territoriale de créer l’ordre. A cet égard, plus ses capacités seront renforcées, plus librement et plus efficacement fonctionnera l’administration locale.

597 Les domaines de compétence du pouvoir réglementaire autonome sont fixés par le constituant (Const. du Bénin, art. 100 et Const. du Niger, art. 103: «Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire»).

598 BRUNET P., «Les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes», L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006, pp. 207-221.

599 Bénin, Loi n° 97-029, art. 149 ; Niger, Ord. 2010-54, art. 9 : «Les collectivités territoriales exercent leurs compétences sous le contrôle de l'Etat, dans le respect des lois et règlements ainsi que des conventions et accords internationaux régulièrement ratifiés».

600 CARRE DE MALBERG R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, Sirey, 1920, pp. 178-179.

116 CONCLUSION DU CHAPITRE II

La liberté de fonctionner des organes des collectivités que suppose leur libre administration est menacée par l’unicité et la prééminence du pouvoir étatique, exclusif de toute concurrence en son sein. Il en découle une difficile démarcation entre les affaires locales et les intérêts nationaux.

Nonobstant les apports de la doctrine et de la jurisprudence étrangère notamment française, les législateurs béninois et nigérien n’ont pu empêcher l’enchevêtrement des compétences devenu un phénomène inéluctable en raison de la souveraineté de l’Etat qui «a la compétence de ses compétences».

Or, seule la division du pouvoir réduit la tendance à l’abus de son détenteur ; d’où la nécessité d’avoir en face de l’Etat central, un véritable contre-pouvoir, tout au moins administratif, au niveau local. D’ailleurs, les concepts clés qui fondent l’importance de la décentralisation territoriale sont toujours plus que d’actualité. L’intérêt public local continue d’être le socle à partir duquel s’établissent les compétences des collectivités. Il en est de même du principe de compétence générale dont l’ambiguïté contribue à l’élargissement des compétences des organes locaux.

En l’état actuel de la législation dans les deux Etats, les organes des collectivités ne constituent pas de réels pouvoirs administratifs. Si les conditions matérielles semblent mieux réunies, les moyens normatifs à disposition demeurent insuffisants et méritent d’être renforcés en vue de d’accroître les perspectives d’effectivité de la libre administration.

117 CONCLUSION DU TITRE I

La collectivité territoriale n’est pas véritablement un «autrui» dans l’Etat, même si les textes de loi lui en donnent l’air. Certes, son existence multiséculaire et les échecs des politiques centralisatrices à maints endroits de la planète ont fait de la collectivité territoriale une institution presque indispensable dans le paysage politico-administratif de toute démocratie moderne. Les proclamations décentralisatrices sans effet des lendemains des indépendances et l’échec des pseudo-démocraties populaires instaurées par les régimes militaires au Bénin et au Niger en constituent une illustration autant qu’elles fondent les réformes décentralisatrices.

Bien que la libre administration des collectivités ait été formellement affirmée, à la mise en œuvre, l’autonomie dont sont dotés leurs organes demeure insuffisante. Non seulement la libre administration n’est jusque-là pas élevée au rang des libertés fondamentales601 pour bénéficier de la protection liée à une telle qualification, mais également, ses principes fondamentaux, essentiels à son effectivité, ne sont pas constitutionnalisés.

La séparation organique entre l’Etat et les collectivités territoriales n’est pas entièrement garantie. Elle est largement limitée par l’unicité du pouvoir politique que détient l’Etat et la difficulté essentielle de démarquer affaires locales et intérêts nationaux. Quoi qu’il en soit, il demeure que l’existence d’un pouvoir administratif autonome de proximité est inéluctable pour la bonne administration et le développement de chaque entité territoriale, détentrice d’intérêts spécifiques dont la défense lui incombe. Doter les organes de la collectivité de moyens normatifs et matériels à cet effet contribuerait à réaliser le dessein du constituant de voir chaque groupement humain territorialisé s’administrer librement. Dans cette perspective, un regard nouveau devra également être jeté sur le régime tutélaire applicable aux collectivités.

601 Libertés et droits proclamés comme tel par diverses sources juridiques (constitutions et conventions internationales) qui sont au fondement de l’ordre social et politique et dotés d’une valeur intrinsèque et d’une prééminence naturelle.

Voir CORNU G., op. cit., p. 462.

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