• Aucun résultat trouvé

La libre administration : des critères essentiels non constitutionnalisés

Paragraphe 2 : La décadence de la centralisation administrative

B. Une précarité établie

2. La libre administration : des critères essentiels non constitutionnalisés

Le législateur a reçu mandat à l’effet de prévoir les conditions381, de déterminer les principes fondamentaux suivant lesquels les libertés locales doivent s’exercer et de définir le régime électoral des assemblées locales382. Maintenues au rang législatif malgré leur caractère

376 JORF, Documents de l’ANC élue le 21 octobre 1945, doc. N°885, 5ème annexe : Rapport supplémentaire

«Collectivités Locales», p.881.

377 BACOYANNIS C., op. cit., pp. 94-99 démontre, entre autres, que le vocable collectivité territoriale employé par DUGUIT dès 1903, par MICHOUD en 1906, CARRE de MALBERG en 1920 et ROLLAND à partir de 1935, désignait initialement un ensemble formé par tous les groupes humains qui se définissent par leur rattachement à un certain territoire. Initialement, c’est à cette collectivité que les libertés locales ont été accordées.

378 BARTHELEMY J., «Les tendances de la législation sur l'organisation administrative depuis un quart de siècle», RDP, 1909, pp. 150-151.

379 BOURJOL M., Juris-classeur Collectivités locales, n°46.

380 FAVOREU L., ROUX A., «La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale ?», Cahiers du Conseil Constitutionnel n°12, Mai 2002 ; p.3. V. également, CE, Sect., 18 janv. 2001, Commune de Venelles c/ M.

Morbelli, concl. Laurent Touvet, RFD adm., n° 2-2001, pp. 378-388. Une dissonance est introduite par Michel VERPAUX pour qui la libre administration, qu’il compare à la séparation des pouvoirs, n’est pas un droit mais plutôt une garantie (voir RFDA, nº 3, 2001, p. 684 ; Note sous CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles). Ce dernier reconnait toutefois qu’elle est un moyen constitutionnellement nécessaire pour l’affirmation de libertés et de droits substantiels.

381 Bénin : Const., art. 151 ; Niger : Const., art. 164.

382 Bénin : Const., art. 98 ; Niger : Const., art. 99 et 100.

76 critique pour la libre administration, le juge constitutionnel ne consacre pas leur sacralité.

L’exemple des reports successifs des élections locales au Bénin en constitue une illustration probante.

Par l’adoption383 de la Loi n° 2013-07 du 04 juin 2013 portant dispositions transitoires dérogatoires à l’article 86 de la loi n° 98-006 du 9 mars 2000 et aux articles 4 et 6 de la loi n° 2007-28 du 23 novembre 2007, le parlement a reporté sine die la tenue des élections locales qui devraient avoir lieu au plus tard le 30 mai 2013, soit un (1) mois avant la fin du mandat384. Ce report sine die signifie que les organes concernés disposent de la permission légale pour organiser les élections quand ils le pourront385. Commentant cette disposition, Joël AIVO dira que le parlement béninois a commis «une faute politique grave»386. La presse, dans sa majorité, y a vu un signe de recul démocratique387. Les attitudes des acteurs et les délais observés ultérieurement dans le processus électoral confortent ces appréhensions388.

383 La loi a été adoptée le 22 avril 2013.

384 Les élections locales pour les mandats alors en cours avaient eu lieu les 20 avril et 1er mai 2008 et les conseils communaux, municipaux et locaux installés courant juin 2008. La Loi n°2007-28 du 24 septembre 2007 fixant les règles particulières applicables aux élections des membres des conseils de village ou de quartiers de ville en République du Bénin, art. 6, dispose : «Le vote pour le renouvellement des conseils communaux ou municipaux doit intervenir trente (30) jours au plus tard avant la fin du mandat». V. Loi n°2013-07 du 25 novembre 2013, art. 391.

385 L’article 1er de la loi adoptée dispose que «le mandat des conseillers communaux, municipaux et locaux élus en 2008 prend fin après l’élection des nouveaux conseillers et leur installation».

386 Déclaration faite le 24 avril 2013 sur la chaîne de télévision privée Canal3 et relayée par le quotidien La Presse du Jour du 25 avril 2013.

387 Quotidien Adjinakou du 18 mars 2013, «Report des communales : la démocratie béninoise est-elle en panne ?».

L’article écrit qu’il s’agit d’une «perte de vitesse pour la démocratie béninoise», d’«atteinte aux principes démocratiques». La Nouvelle Tribune évoque dans sa parution du 12 mars 2013 «un recul du Bénin qui semble contenter tout le monde». Le Matinal du 06 février 2014 titre, «Retard dans l’organisation des élections communales : un coup contre la décentralisation».

388 En réponse aux mesures d’instruction d’un recours dont a été saisie la Cour Constitutionnelle au sujet de la non organisation dans les délais des élections locales, municipales et communales, le Président du Conseil d’Orientation et de Supervision de la Liste Electorale Permanente Informatisée (COS/LEPI) qui est une émanation du Parlement ayant adopté la loi reportant sine die l’organisation desdites élections, affirme que «la Loi n° 2012-43 du 05 février 2013 portant apurement, correction, mise à jour et actualisation du fichier électoral national et de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) n'a pas fixé une échéance pour la fin de la correction de la LEPI». Le Président de l’Assemblée Nationale se défend en répondant que «l'Assemblée Nationale a joué sa partition en fixant le cadre légal devant déboucher sur l'organisation des élections libres, transparentes et crédibles». Quant au Président de la République dont la majorité à l’Assemblée Nationale a introduit et fait voter la proposition de loi susvisée, il fait observer qu’avant que «le Gouvernement puisse convoquer le corps électoral, il faut que la Représentation Nationale prenne une loi électorale qui indique la durée du mandat en cours des élus et la période du vote pour le renouvellement dudit mandat». Le juge constitutionnel béninois ne put que constater que «les Institutions de la République n’ont pas violé la Constitution» (Décision DCC 14-103 du 27 mai 2014). L’incertitude durera jusqu’à ce que la haute juridiction fixe par elle-même la date des élections (Décision DCC 15-001 du 09 janvier 2015).

77 Certes, il n’est pas dénié au législateur la prérogative de proroger le mandat des conseils. Le reproche qui lui est fait, c’est de le faire de façon inintelligible. Puisqu’il plonge la démocratie locale dans l’incertitude389, ce texte soulève un problème de qualité de la loi et de sécurité juridique, le législateur étant resté en deçà de la compétence que lui confère la Constitution390. Une loi de qualité suppose, clarté, accessibilité et intelligibilité que le juge constitutionnel français considère comme objectif à valeur constitutionnelle391. Dans plusieurs décisions, la haute cour béninoise a rejoint cette position392.

Le règlement d’une espèce similaire au Gabon légitime les interrogations soulevées par le choix du législateur béninois. Dans sa décision du 29 avril 2013, le juge constitutionnel gabonais a fixé la date des élections locales393. La décision de la Cour béninoise qui déclare un report sine die d’une élection conforme à la constitution reste singulière394. A défaut d’une disposition constitutionnelle, il peut être appliqué à l’occurrence le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance signé le 21 décembre 2001 à Dakar395. Ledit protocole, en son article 2, al. 1er, dispose qu’«Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des

389 Pour HOLO Th., Communication introductive à la conférence internationale Les défis de l’alternance Démocratique, Cotonou du 23 au 25 février 2009, «un vote régulier est…un vote organisé à terme échu».

390Le Conseil d'Etat français, dans son Rapport public 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, définit ainsi qu’il suit la sécurité juridique : «Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles».

391 Décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, consid. 7 : «…rendre ainsi le "contenu de la règle qui devra s'appliquer incertain", serait en outre "de nature à faire naître dans l'esprit des destinataires de la loi, l'idée erronée que les éléments de la loi sont d'ores et déjà fixés", ce qui contrevient, selon les requérants, à l'"exigence constitutionnelle de clarté de la loi"» ; v. aussi Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005.

392 Décision DCC n°98-026 du 13 mars 1998, consid. 11.

393 Le juge constitutionnel gabonais, après avoir fait observer que «ni le gouvernement, ni les représentants des partis politiques de la majorité et de l’opposition, entendus à l’instruction et invoquant tous les cas de force majeure pour obtenir le report desdits élections locales, n’ont pu justifier d’un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible dont la survenance a empêché le gouvernement d’effectuer les opérations de la phase préparatoire des élections contenues dans la loi électorale, notamment l’enrôlement des électeurs, la collecte effective des données biométriques» a jugé que «Le mandat en cours des membres des assemblées locales arrivant à expiration le 5 mai 2013, et pour permettre […] au peuple d’exercer son pouvoir souverain de désignation de ses représentants, l’organisation des élections des membres des conseils départementaux, municipaux et d’arrondissements urbains est fixée au plus tard au 23 novembre 2013».

394 Décision DCC 13-056 du 30 mai 2013.

395 Ratifié par le Bénin par Décret n° 2003-264 du 31 juillet 2003.

78 acteurs politiques. Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales».

La modification opérée par la Loi n° 2013-07 tombe sous le coup du délai dudit protocole que les Pr Ismaïla Madior FALL et Alioune SALL ont appelé la «constitution régionale»396. En effet, la proposition de loi a été introduite au parlement le 23 mars 2013, soit moins de six mois avant le terme du mandat. Certes, le protocole de la CEDEAO n’interdit pas formellement la relecture des lois électorales dans ce délai. Il la conditionne au consentement d’une large majorité des acteurs politiques. La prorogation de mandat peut-elle être interprétée comme une réforme substantipeut-elle ? Il convient de répondre par la négative, la prolongation étant une opération ponctuelle liée à une circonstance particulière.

Mais une nuance mérite d’être faite en cette espèce atypique. Ce qui est en jeu, c’est le principe même de renouvellement desdits mandats puisqu’aucun terme n’y était désormais fixé. En outre, le débat s’est limité au parlement qui ne constitue pas la «large majorité des acteurs politiques»397.

A l’évidence, si le mandat des élus locaux était initialement constitutionnalisé, le juge constitutionnel béninois, conformément à sa jurisprudence, aurait certainement abouti à une décision différente398. Il peut lui être rappelé que, par l’article 1er du protocole, la tenue régulière d’élections à tous les niveaux est devenue un principe constitutionnel399. L’issue du recours intenté par le Parti Alternative Citoyenne devant la Cour de Justice de la CEDEAO est attendue pour enrichir la jurisprudence400.

396 FALL I. M., SALL A., «Une constitution régionale pour l’espace CEDEAO : le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO» disponible sur le lien URL ci-après : http://jaga.afrique-gouvernance.net/_docs/pr_sentation_et_analyse_du_protocole_sur_la_d_mocration_de_la_cedeao.pdf consulté le 15 août 2015.

397 Au sens de l’article 2 du protocole et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle béninoise (v. DCC 10-049 du 05 avril 2010, la haute cour a jugé «qu’en matière électorale, le consensus doit autant que possible être constamment recherché»).

398 Décision EP n°11-024 du 04 mars 2011 autorisant le report de la date de l’élection présidentielle au 13 mars 2011, consid. 5.

399 Const. Bénin, art. 147 ; Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, art.

1er points c) et d).

400 Par ce recours daté du 27 juin 2014, il est demandé à la Cour de Justice de la CEDEAO de constater que la Cour Constitutionnelle, l’Assemblée Nationale, le Gouvernement béninois et le COS/LEPI ont violé les dispositions du Protocole additionnel A/SP1/12/01 de la CEDEAO ratifié par le Bénin.

79 CONCLUSION DU CHAPITRE I

Se référant à son existence quasi naturelle et à sa permanence dans le paysage institutionnel, le constituant a fait de l’institution communale une entité que la république doit reconnaître.

En l’état actuel des normes constitutionnelles au Bénin et au Niger, la décentralisation de l’administration territoriale constitue un impératif. L’existence, la mise en place et la reconnaissance des collectivités territoriales et de leurs organes deviennent pour les pouvoirs constitutionnellement établis une obligation.

La seule existence et reconnaissance ne suffisent pas. L’autonomie des organes des collectivités territoriales est indispensable à leur libre administration. Même si le concept autonomie organique est soigneusement évité par le législateur, il demeure une condition essentielle : seule l’autonomie d’un organe confère à ses membres la liberté de choix. Même si, ni la lettre des textes ni leur pratique ne garantissent explicitement cette autonomie spécifique constitutive de la libre administration, en recherchant au-delà, on découvre que le constituant ne peut pas avoir entendu l’exclure tout en instituant la libre administration.

Il est donc nécessaire que soit renforcée la normativité du concept d’autonomie organique.

En Afrique, certains pays comme le Maroc et l’Afrique du Sud montrent le chemin à suivre en développant un certain constitutionnalisme local. Sur ces nouvelles voies de la démocratie locale, le législateur devrait également se préoccuper de renforcer la séparation entre les organes d’Etat et ceux des collectivités territoriales.

80

Outline

Documents relatifs