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Le pouvoir de sanction, un pouvoir antinomique à la libre administration

Paragraphe 2 : Le pouvoir inattendu de sanction de l’autorité étatique

B. Le pouvoir de sanction, un pouvoir antinomique à la libre administration

De façon générale, le contrôle de l’Etat sur les collectivités territoriales, sous quelque forme qu’elle soit, n’est juridiquement valide que s’il se concilie avec la consécration constitutionnelle de la libre administration. Si au Niger autant la libre administration que le contrôle747 sont constitutionnalisés, au Bénin où le régime de tutelle paraît plus strict, le principe d’un tel contrôle n’a, au contraire, pas été posé par le constituant originaire. Dans un cas comme dans l’autre, le législateur encadre la mise en œuvre d’un tel pouvoir (1) même si ces mesures soulèvent de sérieuses préoccupations quant à son entière compatibilité avec l’autonomie organique (2).

1. Un pouvoir encadré par le législateur

La structure compétente pour initier ou prendre des sanctions varie en fonction de l’espèce.

Il peut s’agir du ministre en charge de l’administration territoriale (suspension de l’exécutif ou du conseil) ou du conseil des ministres748 (révocation de l’exécutif ou la dissolution de l’organe délibérant). Il demeure constant que l’initiative de la sanction est prise par l’autorité de tutelle.

746 CORNU G., op. cit., p. 713.

747 Const. du Niger, art. 165, al. 2 : «Le représentant de l'Etat veille au respect des intérêts nationaux».

748 Niger : Ord. n° 2010-54, art. 63.

152 Le législateur a précisément indiqué les cas où des sanctions peuvent être prises à l’encontre des organes communaux et les procédures à suivre. Il faut d’abord un acte répréhensible qualifié comme tel par la loi749. En dehors des cas de «refus de convoquer et de réunir le conseil, de signer ou de transmettre à l’autorité de tutelle une délibération du conseil», les autres situations évoquées par le législateur portent sur des délits ou crimes dont la qualification juridique et le règlement relèvent des juridictions compétentes. La législation est claire. Seuls les faits dûment établis sont constitutifs de faute lourde. Le soupçon ne devrait donc pas suffire en raison du droit à la présomption d’innocence750. Le juge constitutionnel béninois l’a réaffirmé dans sa décision DCC n° 06-144 du 06 octobre 2006751. Pour le législateur, la révocation de l’exécutif et la dissolution du conseil752 ne s’imposent pas au pouvoir central.

Il s’agit d’une faculté753.

Il est courant de présenter le pouvoir de suspension et de révocation que détiennent le ministre en charge des collectivités locales et le Conseil des Ministres comme une manifestation de la tutelle sur les personnes ou les organes754. Une telle appréciation paraît réductrice de l’étendue du pouvoir disciplinaire.

2. Un pouvoir disciplinaire menaçant pour l’autonomie des organes

Le pouvoir de sanction constituerait la conséquence de l’indispensable lien de cohérence et d’unité entre l’Etat et les personnes territoriales qui la composent. Il permet d’«empêcher les

749 Bénin : Loi n° 97-029, art. 54 et 55 ; Niger : Ord. n° 2010-54, art. 63.

750 Const. du Bénin, art. 17 et Const. du Niger, art. 20 : «Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées».

751 «…qu’en conséquence, la mention expresse dans la motion de destitution des membres de phrases ci-dessus cités, sans qu’une décision devenue définitive sur la culpabilité de Monsieur Rachidi GBADAMASSI n’ait été prononcée par une juridiction compétente, constitue une violation du principe de la présomption d’innocence dont il bénéficie…».

752Loi n° 97-029, art. 154 : «Tout conseil communal peut être dissous…».

753 Bénin, Loi n° 97-029, art. 54 : «Le maire ou l'adjoint qui commet une faute lourde peut être révoqué de ses fonctions…» ; Niger, Ord. n° 2010-54, art. 63 : «Sans préjudice des sanctions pénales, le maire et le ou les adjoint(s) peuvent, en cas de faute grave, être révoqués par décret pris en Conseil des ministres».

754 CHAPUS R., Droit administratif général, T.1, Précis Domat, 15e éd., LGDJ, 2001, n° 412.

153 corps autonomes de devenir nuisibles à l'intérêt général»755. Le pouvoir disciplinaire ne recouvre pas seulement des décisions punitives. Il vise également à garantir le bon fonctionnement et à éviter la paralysie et la décrédibilisation de l’institution locale756. D’autre part, il s’agit moins de punir les autorités locales que d’ «empêcher le maintien à la tête de l'administration municipale d'un individu qui risquerait de compromettre la réalisation de la finalité de l'institution»757. En effet, «la sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires»758.

La jurisprudence administrative française a confirmé la légalité du pouvoir de suspension et de révocation d’un maire et lui a même fourni un champ d’application et une portée très larges759. Il demeure cependant que l’existence même d’une tutelle sur les organes est largement contestable, surtout dans les contextes de forte politisation des administrations et des rapports entre Etat et collectivités locales. Une première difficulté qu’elle soulève réside dans la confusion qu’elle peut instaurer. Les acteurs au quotidien de la décentralisation ne sont pas nécessairement des juristes. Comment peuvent-ils distinguer des concepts aussi similaires que la hiérarchie et la tutelle et en cerner la portée juridique ? MASPETIOL et LAROQUE avaient prévenu que «rien ne serait plus faux que d'opposer trop brutalement tutelle et hiérarchie, car de l'une à l'autre la transition est insensible»760 confirmant ainsi l’inquiétude de HAURIOU qui, quelques années auparavant, se demandait si, parfois, en voulant distinguer la tutelle «du pouvoir hiérarchique, et dans une certaine mesure la lui opposer, on ne s'en est pas fait une idée un peu inexacte»761. Quelle que soit la catégorisation qui en est faite, le pouvoir de sanction constitue un levier d’influence de l’action de celui à l’encontre de qui il s’exerce762.

755 MASPETIOL R. et LAROQUE P., op. cit., p. 276.

756 CE, 19 janvier 1990, Mme Bodin, Lebon, p. 605, AJDA, 1990, p. 93.

757 REGOURD S., op. cit., p.113.

758 Bénin, Loi n° 97-029, art. 57.

759 Dans son Arrêt Camino, le Conseil d’Etat admet sa mise en œuvre dès lors que l'attitude de l’exécutif communal est

«de nature à rendre impossible le maintien de l'intéressé à la tête de l'administration communale» (CE, 14 janvier 1916, Camino, Lebon p. 15 ; RDP, 1917, p. 463, note JEZE).

760MASPETIEL R., LAROQUE P., op. cit., p. 9.

761 HAURIOU M., Note sous CE du 20 novembre 1908, Chambre de Commerce de Rennes, S. 1910, III, p. 12.

762 EISENMANN Ch., Problèmes d'organisation de l'administration, Cours de droit administratif, T.1, LGDJ, 1982, p. 273.

154 Le Pr Michel TROPER à beau penser que «l’indépendance d’un organe n’était pas attachée au fait d’être à l’abri d’une révocation mais résultait seulement de ce qu’il ne devait pas sa nomination à un autre organe»763, il n’empêche qu’un tel pouvoir de l’Etat sur les collectivités décentralisées se situe à contre-courant des évolutions contemporaines de la décentralisation : «Comme le pouvoir de nommer, le pouvoir de révoquer et, d'une façon générale, de sanctionner est généralement rattaché au pouvoir hiérarchique. Il existe, en effet, une grande ressemblance entre la révocation prononcée par l'autorité de tutelle et une sanction disciplinaire de la fonction publique»764. Par ce truchement, il y a un risque significatif à ainsi mettre, indirectement fut-il, les collectivités territoriales sous la hiérarchie de représentants de l’Etat.

La politisation à outrance de l’administration publique peut générer des interférences et accointances porteuses de dérives765. Le risque le plus récurrent est la violation de la présomption d’innocence, une autorité politique étant investie du pouvoir de constater qu’il y a «faute lourde», «faute grave» ou que le comportement d’un élu «met gravement en cause les intérêts de la collectivité»766. Des élus ont déjà été sanctionnés par des Préfets au motif qu’ils ont eu un comportement déviant qui les rendait «incapable d’exercer leurs fonctions» alors qu’aucune décision de justice rendue définitive ne les a reconnus coupables des faits dont ils sont prévenus767. Un maire a même été arrêté et contraint manu militari à passer service768. Le juge constitutionnel béninois a sanctionné de telles violations, confirmant que les faits pour

763TROPER M., «Les nouvelles séparations des pouvoirs», in S. Baume et B. Fontana (dir) Les usages de la séparation des pouvoirs, Paris, Ed. M. Houdiard, 2008, p. 26.

764 RICHER L., «La notion de tutelle sur les personnes en droit administratif», RDP. 1979, p. 971.

765 Dans un entretien accordé au journal Le Label, Joël AIVO constate que «Plus de cinquante (50) ans après l’indépendance et vingt-deux (22) ans après la conférence nationale, nous donnons encore l’impression de ne pas avoir d’administration, avec des pratiques, des règles de gestion et des modalités bien rodées» (http://www.lanouvelletribune.info/index.php/actualite/une/13260-interview-joel-aivo-constitution).

766 Ord. n° 2010-54, art.63.

767 V. à titre d’illustration, l’Arrêté préfectoral n° 4/064/PDZ/SG-STC du 21 septembre 2004 par lequel le Préfet des départements du Zou et des Collines a révoqué un Chef d’Arrondissement à qui il justifie avoir infligé «une sanction purement administrative pour une faute grave commise par un chef d’arrondissement» et qui vise à «corriger des défiances…et à servir de sanction exemplaire» alors même que l’intéressé qui a fait l’objet d’un mandat de dépôt a bénéficié d’une mise en liberté provisoire.

768Décision DCC n° 08-010 du 17 janvier 2010, 4ème considérant : «si la prévention d’atteinte à l’ordre public, notamment d’atteinte à la sécurité des personnes est nécessaire à la sauvegarde des principes et des droits ayant valeur constitutionnelle, elle ne peut justifier dans le cas d’espèce, l’arrestation et la conduite sous escorte de Monsieur Rachidi GBADAMASSI aux fins de passation de service à la mairie de Parakou».

155 lesquels un élu peut être sanctionné doivent avoir été préalablement et définitivement qualifiés comme tel par la juridiction compétente769.

Au Niger, la révocation le 30 septembre 2013 du maire central de Niamey -à qui le Conseil des Ministres reprochait d’avoir hypothéqué les biens publics (le garage municipal et la résidence officielle du maire central de Niamey) pour bénéficier de prêts bancaires au niveau de la BSIC-a été perçue comme un règlement de comptes politiques puisqu’il intervenait au moment où son parti, principal allié du Président de la République, a claqué la porte de la majorité présidentielle770. La suspicion était telle que l’Assemblée Nationale a interpellé le gouvernement à ce sujet771. Le même sentiment de politisation a été exprimé à la révocation le 31 juillet 2014 du maire de Maradi décidée par le gouvernement dans la foulée d’un bras de fer sur la gestion du marché de la ville. Les interprétations relayées dans la presse insinuent une sanction politique772. Parce qu'elle porte sur des autorités décentralisées élues, il sied de soumettre la sanction disciplinaire des élus, à l’office du juge administratif.

769Décision DCC n° 05-115 du 20 septembre 2005, 4ème consid. : «Le Préfet des départements du Zou et des Collines ne peut, sans un jugement rendu par un tribunal et devenu définitif, prendre des actes de nature à sanctionner le requérant».

770 Le Conseil d’Etat, saisi en recours d’urgence par le maire central de Niamey, a rejeté le recours pour excès de pouvoir intenté par ce dernier contre l’Etat du Niger.

771 Session du 19 octobre 2013, réponse du gouvernement à l’interpellation du député Bakari Séidou du Groupe parlementaire Lumana (Opposition).

772 «On connaît les relations tendues entre le maire de la ville d’une part et l’exécutif et le PNDS de l’autre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la tension couvait depuis un bon bout de temps. L’étincelle qui a fait exploser la cocotte-minute est l’affaire dite du marché central de Maradi […]. Pour le gouvernement, il s’agit de faire respecter la hiérarchie et exécuter les instructions du Président de la République, qui seraient très fermes à ce propos. C’est sans doute pour le punir pour tout cela que la décision de révocation du maire a finalement été prise». Voir un article publié à ce sujet sur http://radiogarkuwa.com/politique/23/08/2014/revocation-du-maire-moctar-kassoum-les-dessous-dune-affaire/

156 CONCLUSION DU CHAPITRE I

En favorisant la confusion organique, l’intégration de la collectivité territoriale à l’ordre étatique consacre une tutelle implicite qui est admise par les acteurs. En effet, pendant que les manœuvres étatiques visent à maintenir les collectivités dans une certaine subordination, certaines postures que celles-ci adoptent renforcent la position de l’Etat qui multiplie les occurrences de participations locales, les normes techniques unilatéralement élaborées qui, à terme, constituent des instruments d’une hiérarchie déguisée.

Le contrôle sur les organes offre à l’Etat des occasions de remise en cause de l’autonomie locale. L’interventionnisme étatique dans leur mise en place ainsi que le pouvoir de sanction sur lesdits organes en constituent des manifestations. En effet, la présence suspecte et contra legem de l’Etat lors des opérations de vote pour l’élection des exécutifs locaux et le pouvoir de substitution de l’autorité de tutelle d’une part, l’ambiguïté du pouvoir de sanction dont est investi le représentant de l’Etat central d’autre part, paraissent antinomiques au principe constitutionnel de libre administration. Les jurisprudences administrative et constitutionnelle béninoises ont révélé les dérives auxquelles de tels pouvoirs peuvent donner lieu.

Il sied, dès lors, de mener les mêmes analyses en ce qui concerne la tutelle sur les actes des collectivités territoriales en vue d’établir si celui-ci est apte à protéger les libertés locales que le nouveau constitutionnalisme local tend à renforcer.

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